Interview de M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication, à France 2 le 19 septembre 2003, sur la protection du patrimoine, notamment le patrimoine spirituel, et les intermittents du spectacle.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde-. Avec J.-J. Aillagon ce matin, nous allons parler des Journées du patrimoine qui seront peut-être pour vous une destination pendant le week-end, parce qu'il y a beaucoup beaucoup de choses à visiter en France. On vient de l'entendre à l'instant dans le journal : plus de 13 000 monuments qu'il faut entretenir, cela doit coûter un peu d'argent quand même cette affaire ?
- "Cela coûte de l'argent, mais c'est de l'argent bien dépensé. La France a un patrimoine monumental, un patrimoine historique tout particulièrement riche. Ce patrimoine remonte parfois à la Préhistoire : je pense aux grands alignements, les alignements de Carnac par exemple, qui ne sont pas strictement de la Préhistoire - on est déjà là dans l'ère historique -, mais ce patrimoine est un patrimoine très divers. Nous avons cette année souhaité mettre l'accent sur le patrimoine spirituel."
Par quoi se traduit cet accent sur le patrimoine spirituel ?
- "C'est l'ouverture de plus de monuments, des églises, l'oratoire du Louvre dont vous venez de parler, également des édifices du XXème siècle, un certain nombre d'églises construites au cours des dernières années à travers toute la France, à Paris notamment. Et naturellement, cette ouverture sur le patrimoine spirituel se fait en direction de toutes les religions qui ont laissé des traces monumentales sur le sol de notre pays."
C'est une démarche très cuménique...
- "Les synagogues sont ouvertes, les temples, des pagodes [...] ; c'est donc une ouverture. C'est une façon aussi, à un moment où nos concitoyens ont laissé s'éroder leur culture de la religion - je ne parle pas de la foi mais de la culture de la religion - de leur rappeler qu'il y a là un rameau, une branche très importante de la culture en général."
Et de découvrir éventuellement la religion de l'autre si on n'a pas eu l'occasion de visiter effectivement des lieux religieux. Le budget du patrimoine, la dotation, qu'est-ce que cela représente chaque année ?
- "J'ai cette semaine, au Conseil des ministres, annoncé un grand plan pour le patrimoine qui marque l'engagement, la force de l'engagement de l'Etat en faveur des monuments. Dès l'année prochaine, nous augmenterons la dotation budgétaire affectée à la restauration des monuments historiques de 10 % - nous passerons de 204 millions d'euros à 224 millions d'euros. Et au cours des prochaines années, on continuera cette croissance de la dotation budgétaire, de façon à ce que tant de monuments qui sont dans un véritable état de péril... Aujourd'hui on estime à peu près à 20 % du parc de monuments historiques, le nombre de ceux qui sont menacés de péril sanitaire."
Cela peut s'effondrer...
- "S'effondrer et se voir irréversiblement condamné. Donc on va mobiliser des moyens très importants, de façon à rendre à notre patrimoine toute sa splendeur. Le patrimoine, c'est une grande chance pour la France, c'est un facteur formidable d'épanouissement culturel, c'est également pour l'attractivité culturelle de notre pays, c'est notre attractivité touristique essentielle. Regardez le nombre de visiteurs qui va au Mont Saint-Michel, au Koenigsbourg en Alsace, voir les remparts de Carcassonne, voir le Palais des Papes à Avignon ; c'est une grande richesse."
Et Notre-Dame à Paris...
- "Notre-Dame à Paris, et Versailles, pour lequel nous allons également mobiliser des moyens très importants, et cela sur un programme de plusieurs années."
On se rappelle la grande opération à l'époque lancée par Malraux qui consistait effectivement, de façon assez spectaculaire, à remettre en état tous les bâtiments. Là, c'est une sorte de travail continu. Ce travail continu, il a aussi beaucoup évolué dans ses techniques...
- "Bien sûr, pendant longtemps, le ravalement s'est fait avec des méthodes un peu rudimentaires, le sablage notamment : on projetait du sable très fin sur les pierres de façon à décaper les couches les plus noircies. Aujourd'hui, on utilise des techniques beaucoup plus sophistiquées, celle du laser par exemple, de façon à ne pas endommager les sculptures. C'est dans ces conditions que la façade de Notre-Dame a été totalement ravalée."
Restaurée...
- "Elle est splendide actuellement. On a même pu retrouver les traces de la polychromie d'origine, puisque vous le savez, les cathédrales n'étaient pas blanches comme on l'imagine, elles étaient peintes. Je conseille d'ailleurs à ceux qui le pourraient d'aller à Amiens où tous les soirs se déroule un spectacle : on projette sur la façade de la cathédrale, les couleurs d'origine, et donc on peut se rendre compte de ce qu'était, de l'effet que produisaient ces cathédrales à l'époque où elles étaient peintes."
Vous avez eu un été un peu agité avec le dossier des intermittents du spectacle. Certains d'ailleurs ont dit qu'ils allaient profiter des Journées du patrimoine pour manifester ici et là. Mais globalement, vous considérez que la période de tension la plus forte est passée ?
- "En tout cas, je le souhaite. Je crois que chacun a bien pris la mesure du problème ; chacun a bien mesuré également que si l'intermittence telle qu'elle était organisée était le meilleur régime d'Europe... D'ailleurs, il n'y en a pas d'autres en Europe d'identiques."
C'est l'exception française...
- "C'est l'exception française. L'Unedic est dans une situation terrible, l'assurance chômage est dans une situation terrible. La réforme du régime vise à ramener une meilleure économie, à un moindre déséquilibre ; ce système reste toujours le meilleur d'Europe. Aujourd'hui, il faut aussi que chacun se rende compte qu'il y a ce qui est de la responsabilité de l'Unedic, et ce qui est de la responsabilité des employeurs. Je souhaite notamment que chacun mesure à quel point il est nécessaire aujourd'hui de payer les artistes, par exemple, ou les techniciens pendant les séances de répétitions."
C'était une des grandes revendications justement des artistes, qui disent : on est payé à la représentation mais on travaille en amont pendant très longtemps...
- "Bien sûr, et ce travail doit être payé. Il n'est pas légitime que le coût de ce travail soit reporté sur les finances d'un organisme de protection sociale. Il faut donc que tous ceux qui emploient, que ce soit d'ailleurs dans le réseau des théâtres subventionnés par exemple ou dans le réseau de la production privée, se rendent compte que le travail artistique et technique dans le domaine du spectacle et de la musique a un coût, et que ce coût doit être pris en compte et qu'il doit être honoré de façon tout à fait normale par ceux qui emploient."
Est-ce que cela veut dire que vous allez regarder l'ensemble des fonctionnements du théâtre, du spectacle vivant, de façon à effectivement tracer des lignes de priorités en vue des Assises nationales qui sont prévues à la rentrée, en février ?
- "C'est à cela que nous travaillons, le Premier ministre a annoncé la perspective d'une loi sur le spectacle."
Une loi cadre...
- "Une loi cadre. Aujourd'hui, je crois qu'il faut traiter de deux grands types de problèmes : tous les problèmes relatifs aux professions du spectacle, la formation, l'entrée dans les métiers, la rémunération, la couverture sociale, la sortie des métiers ou la reconversion pour certains artistes, les danseurs notamment, la question de la retraite ; beaucoup d'artistes se retrouvent dans une situation de retraite très préoccupante, donc ces questions doivent être traitées. Et d'un autre côté, il faut aussi traiter toutes les questions de l'action publique dans le domaine du spectacle et de la musique. Quel est l'objectif, quels sont les objectifs de l'action publique ? Comment l'action de l'Etat se coordonne-t-elle avec celle des collectivités locales ? Quel est le mode de contractualisation avec des structures du spectacle vivant ? Egalement, quelles missions la puissance publique désigne-t-elle à ces structures, notamment en matière de conquête du public ? Je constate avec beaucoup de regret qu'au cours des dernières décennies, la dotation budgétaire de ce secteur n'a cessé d'augmenter pendant que le public stagnait, ou même, dans certains cas, diminuait. Il faut aujourd'hui se fixer l'objectif, l'ambition de reconquérir du public."
Merci J.-J. Aillagon d'être venu nous voir ce matin. Très bonne journée à vous. Qu'est-ce que vous allez visiter ce week-end ?
- "Je commencerai demain dans le Var, je compte aller visiter divers édifices dont la cathédrale de Fréjus, l'une des plus anciennes cathédrales de France. Dimanche, je reviendrai en région parisienne, donc j'irai voir l'Hôtel de Beauvais rue François Miron, où va s'installer le tribunal administratif, et tous les Parisiens d'ailleurs, ou en tout cas tous ceux qui se trouvent à Paris ce jour là, pourront visiter l'Hôtel de Beauvais dans les mêmes conditions que moi."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 septembre 2003)