Texte intégral
Jacques Chirac plaide pour une déclaration universelle sur la bioéthique. Le chef de l'Etat a demandé aujourd'hui à l'UNESCO d'élaborer une convention internationale pour maîtriser les nouvelles dérives de la science ; un sujet pour le moins délicat. La communauté internationale est divisée sur la nécessité de réglementer juridiquement ce domaine, où droits de l'Homme, droit à la santé et recherche médicale sont parfois en conflit.
L'éclairage de Noëlle Lenoir, actuelle ministre déléguée aux Affaires européennes, mais surtout dans le cas présent, spécialiste de la bioéthique. Elle fut la première présidente du Comité international spécialisé dans ces questions et elle est directement à l'origine de la Déclaration universelle sur le génome humain et les Droits de l'Homme de l'UNESCO élaborée en 1997.
Q - Noëlle Lenoir, quelle est votre position sur ce sujet ?
R - Il s'agit d'encadrer des pratiques, ceci afin de permettre à ceux qui, en tout état de cause - et c'est le cas de l'immense majorité des laboratoires de nos pays - respectent nos normes et nos valeurs comme le respect de la dignité humaine, la lutte contre la discrimination ou encore le respect de la liberté individuelle, de pouvoir les continuer en toute tranquillité sans risquer de voir se délocaliser les activités les plus condamnables.
Le président de la République a cité un certain nombre de pratiques : la discrimination génétique, les offres de service de mères porteuses - qui peuvent conduire à l'exploitation des femmes qui se prêteraient à ces pratiques parce qu'elles sont démunies et qu'elles ont besoin de louer leur corps pour subvenir à leurs besoins - et enfin les trafics d'organes - qui ne sont pas du tout une hypothèse d'école. Tout ceci fait que le politique, c'est-à-dire la communauté internationale, doit prendre ses responsabilités. Cela étant, il ne s'agit pas, bien entendu, de stopper la recherche et encore moins d'arrêter le développement des biotechnologies qui sont essentielles pour notre santé.
Q - Un tel code a-t-il une chance de voir le jour ?
R - Un tel code a non seulement des chances d'exister, mais il est indispensable. Il est vrai qu'adopter une déclaration comme celle sur le génome humain - que j'ai contribué à rédiger il y a déjà quelques années - est un acte important. Mais il est temps aujourd'hui d'aller au-delà de l'engagement moral des Etats et de les obliger à s'accorder sur un texte plus contraignant par rapport à des pratiques qu'il faut contrôler.
Q - La communauté internationale semble en tout cas divisée sur la nécessité de règles communes à ce sujet et, à l'UNESCO, la proposition de M. Chirac est plutôt considérée comme trop contraignante. Qui plus est, on parle pour l'instant de laisser cette proposition en l'état de déclaration. Qu'en pensez-vous ?
R - Le président de la République qui promeut cette idée d'un code universel n'a pas indiqué que celui-ci serait adopté tout de suite. Au contraire, il a ménagé des évolutions et une progression. Il a bien indiqué que, d'abord, il fallait s'entendre sur une déclaration - qui a valeur de recommandation - pour ensuite, sur la base de cette déclaration, aller plus loin et se diriger vers une véritable convention internationale. Avec une déclaration, que se passe-t-il ? Les Etats vertueux en appliquent les principes - par exemple il n'y a, théoriquement, pas de clonage reproductif humain chez nous, - alors que les Etats moins vertueux, à l'abri de toutes contraintes et sanctions, peuvent en profiter pour mener des activités contraires à l'éthique. C'est pour éviter de sanctuariser des "paradis" d'accueil de ces laboratoires qu'il faut envisager un jour ou l'autre - ce n'est pas pour demain - d'adopter un véritable code à valeur juridique.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 octobre 2003)