Interview de M. Patrick Devejian, ministre délégué aux libertés locales, à Radio Classique le 7 octobre 2003, sur le débat autour de l'assouplissement de la loi sur les 35 heures, la fiscalité locale et la préparation des élections régionales en Ile-de-France.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Radio Classique

Texte intégral

H. Lauret-. Bonjour monsieur le Ministre.
- "Bonjour. "
La France est en état de récession, c'est J.-P. Raffarin, qui le dit depuis Moscou. Et pendant ce temps, la polémique bat son plein sur les 35 heures. Décidément, nous faisons toujours à la fois dans l'exception et l'originalité.
- "Les 35 heures ce n'est pas quelque chose qui nous aide dans la situation difficile où on est. Ce n'est pas la cause de la récession. Les causes sont d'abord d'ordre international, mais ça ne nous aide pas. "
Oui, ça ne nous aide pas, mais est-ce que la polémique aujourd'hui est utile à ce pays, puisque après tout on s'en souvient, le président de la République, pendant sa campagne électorale et l'UMP dans l'élaboration de sa plate-forme législative, avaient été clairs : il n'y aura pas de remise en cause législative, par voie de loi donc, des 35 heures ?
- "Oui. Ni même du principe des 35 heures, mais par contre on peut très bien avoir des aménagements et des assouplissements importants dans ce dispositif. Ca coûte quand même, tout compris, 13 milliards et demi d'euros chaque année au budget de la France. Alors le coup est parti, donc il est difficile de revenir dessus. Mais quand on stigmatise nos déficits, il faut savoir d'où ils viennent. "
Mais est-ce qu'on peut dire à ce point que les 35 heures sont responsables comme l'a dit A. Lambert d'une partie significative du déficit public français ?
- "Eh bien oui. Ecoutez ! 13 milliards et demi d'euros. Si on prend le coût des mesures Aubry, 8 milliards, le coût des embauches dans le secteur public, plus la convergence des SMIC, si vous mettez ça ensemble - ils nous avaient laissé six SMIC, dans tous les sens du terme, à la fin de leur séjour -, ça nous fait 13 milliards et demi. Ca pèse sur les finances publiques, chacun le comprend et ça pèse pour ne pas produire quoi que ce soit. "
P. Devedjian, est-ce que c'est ça le fond du problème ? Ou est-ce que ce n'est pas l'état d'esprit, cette espèce de torpeur qui s'est un peu installé dans le système économique ? Les patrons s'en plaignent aussi de cet état d'esprit ?
- "Je ne le crois pas. D'abord les Français sont beaucoup plus dynamiques... Il est à la mode de le dire en ce moment. Ils ont des tas de qualités, ils sont très imaginatifs, ils sont très créatifs, quand ils le veulent. Mais c'est vrai que..."
Mais en déclin ?
- "Je ne le crois pas. Je ne le crois pas du tout. Il y a des grands succès français. Simplement, il ne faut pas se laisser aller. Je ne crois pas du tout que la France soit en déclin. Regardez, d'abord elle est de retour sur la scène internationale, elle a des succès industriels qui parfois sont brillants. Elle a aussi des échecs naturellement. Mais enfin, globalement, c'est un pays qui tient sa place parmi les nations. "
Politiquement, P. Devedjian, est-ce que l'opposition, les syndicats, n'ont pas raison d'une certaine manière de vous dire : " Ah ! Mais écoutez, soyez cohérents ". Au moment où le président de la République appelle au dialogue social - on se souvient de son discours du 14 juillet notamment - pourquoi attaquer cette question de cette façon et, de toute manière, comment va-t-on détricoter une partie des 35 heures, alors que, précisément, on ne touchera pas au principal de la loi et du texte ?
- "Ecoutez, ce que je crois de moderne, c'est d'arriver, mais c'est une grande réforme, c'est d'arriver progressivement au travail à la carte. Ce qui est absurde, c'est d'empêcher les gens de travailler quand ils le veulent. Je me souviens quand même que sous le gouvernement précédent, on a renvoyé devant le Tribunal Correctionnel des cadres qui voulaient travailler plus que la durée légale. Envoyer des gens devant le Tribunal Correctionnel, parce qu'ils veulent travailler plus que ce n'est autorisé, c'est quand même un archaïsme invraisemblable. Alors ceux qui veulent travailler moins, doivent avoir le droit de travailler moins. Mais ceux qui veulent travailler plus, il faut les laisser faire tout de même. Ca bénéficie à tout le monde. "
Oui, enfin, on se souvient aussi de la diligence des inspecteurs du travail, notamment à une époque. Est-ce que vous pensez qu'aujourd'hui, le simple fait qu'il y ait un débat autour de cette affaire, et une fois de plus comment va-t-on dénouer cette histoire ? De quelle façon ? Ce matin, je crois qu'il y a une réunion n'est-ce à l'UMP ?
- "Oui. Non, mais ce qui est bien, on fait une mission d'information. Ce qui est bien, c'est de faire une analyse..."
Une commission d'information ou une commission d'enquête ?
- "Appelez-la comme vous voulez. L'un paraît moins polémique que l'autre. Mais je crois que faire les comptes exhaustifs sur cette affaire, par exemple, c'est bien vrai quand les syndicats disent que les salariés, finalement, ont pâti des 35 heures, c'est-à-dire que ça a empêché toute augmentation du pouvoir d'achat. Ce n'est pas nécessairement un progrès social..."
M. Blondel le disait ce matin, vous avez vu dans Le Figaro.
- "Même Blondel le dit. Ce n'est pas nécessairement un progrès social, quand même ! Alors on a le droit de faire les comptes. Je pense qu'à partir de là, on pourra ensuite faire des aménagements contractuels, par le dialogue social, par de la souplesse. Les 35 heures ont aussi apporté quelque chose, des gains de productivité. D'ailleurs, si elles n'ont pas été remises en question dans la plupart des grandes entreprises c'est parce que ces grandes entreprises y ont trouvé leur intérêt. "
Les moyens des entreprises moins, sans doute ?
- "Voilà, et les PME moins. Or on sait que ce sont les PME qui créaient des emplois. "
Bien sûr. Mais en l'état actuel des choses, est-ce que vous pensez que libérer par exemple le quota ou le contingent d'heures supplémentaires, ça réglera le problème ? En quoi, est-ce que ça changera la donne budgétaire, par exemple ? Le coût étant ce qu'il est, pour la collectivité, le fait d'agrandir le quota d'heures supplémentaires ne changera rien du tout.
- "C'est un assouplissement, mais en fait, le grand problème pour nous, il est surtout dans la Fonction Publique, il faut bien le dire. Pour l'hôpital, ça nous coûte à peu près 1 milliard d'euros chaque année les 35 heures. Et là, c'est très difficile parce que..."
Et une formidable désorganisation ?
"Dans l'hôpital c'est caractérisé. Et là, effectivement, la partie est difficile, parce qu'elle passe par une concertation avec les partenaires sociaux qui n'est pas simple.
"Cela dit, est-ce que J.-L. Debré, qui doit sans doute retranscrire d'une certaine manière la pensée présidentielle, quand il dit : " On ne revient pas sur un acquis social dans ce pays. " Est-ce qu'il n'a pas tranché le débat finalement ?
- "Encore une fois, personne ne veut revenir sur les 35 heures. Simplement, et même E. Maire disait ça, ce que l'on peut reprocher, c'est d'avoir fait un couperet, ça a été quelque chose d'obligatoire et d'automatique, au lieu d'être quelque chose de contractuel et de négocié, entreprise par entreprise ou branche par branche. C'est ça le fond du problème. "
Fallait-il une loi c'est ça pour les 35 heures ?
- "Ca aussi, dans le domaine social en France, c'est toujours par voie législative alors que dans la plupart des pays européens, c'est par voie contractuelle. "
Politiquement, P. Devedjian, comment cette majorité va-t-elle se tirer d'affaire ? Sachant que nous sommes montrés du doigt à Bruxelles parce que nos déficits sont excessifs. On a beau dire que c'est la faute des 35 heures, il reste que les déficits sont là. Comment ce gouvernement va-t-il se tirer de cette impasse ? En comptant, comme on le dit généralement, sur la reprise économique d'Amérique ?
- "Mais nous redressons les comptes ! C'est un travail de fond qui n'est pas spectaculaire naturellement. Mais le fond du problème, il est simple : c'est la dépense publique. L'Etat dépense trop. Voilà. Il veut tout faire, s'occuper de tout et il fait en général beaucoup de choses mal, il ne fait pas que des choses mal, il fait aussi des choses bien. Mais souvent, il fait les choses mal et à un coût exorbitant. Réduire la voilure de l'Etat, ça prend du temps et en même temps..."
Sur une législature ?
- "Oui, un peu moins. F. Mer a dit : " En 2005, on sera dans les clous. " Il faut nous laisser des délais. La Commission de Bruxelles, elle ne s'est pas indignée quand le gouvernement Jospin a fichu l'argent par les fenêtres au moment de la croissance. Il faut voir : la dépense publique a augmenté de 125 fois le SMIC dans la période Jospin"
C'est une affaire typiquement française ça ?
- "... C'était peut-être le moment d'apurer nos comptes. C'était le moment de régler beaucoup de nos déficits. Pas du tout, on a choisi de s'endetter davantage et de dépenser plus à ce moment-là. "
Je vous trouve très courtois ce matin avec les socialistes, avec l'opposition ?
- "Courtois ? "
Oui.
- "Il n'y a pas de raison de ne pas être courtois, simplement je les mets devant leurs responsabilités. "
Enfin, vous les ménagez ?
- "Non. Non, mais, ce qui est vrai, c'est que maintenant ça nous incombe. Je ne veux pas non plus dire : voilà, il n'y a rien à faire parce que les socialistes nous ont laissé une situation désastreuse. C'est notre responsabilité, mais c'est vrai que l'héritage ça existe malgré tout. Sans faire de polémique, ça existe. "
En 93 déjà ?
- "En 93 aussi. D'ailleurs, c'est classique : les Français nous appellent aux responsabilités quand les caisses sont vides. Et généralement, ils nous renvoient quand on les a remplies. C'est peut-être pour ça qu'on est moins pressé de redresser la situation. "
Vous êtes le ministre des Libertés Locales, P. Devedjian. A ce titre, vous êtes évidemment concerné au premier chef par tous ces aspects de décentralisation. Néanmoins quand on écoute les préoccupations des contribuables, on a l'impression que la seule chose vraiment que les concerne, c'est l'impôt. L'impôt prélevé par l'Etat baisse, globalement, mais l'impôt prélevé par la Collectivité locale, lui, augmente.
- "Il a augmenté, mais là aussi..."
Le département notamment.
- "Il a augmenté, mais là aussi du fait des errements du passé. C'est très simple, ce n'est pas la décentralisation qui a fait augmenter les impôts. D'abord les impôts, ils ont augmenté 2,2 % cette année en taux moyen pondéré pour l'ensemble "
Et très, très peu de l'autre côté alors ?
- "... Et les communes ont été assez raisonnables, elles ont augmenté de 1,6 %. Mais ce sont les départements qui ont beaucoup augmenté 3,9. Donc la moyenne est portée par cela à 2,2. C'est dû au fait que sous le gouvernement précédent, on a transféré - ce n'est pas de la polémique, c'est les comptes - la Prestation autonomie sans l'assortir des financements des financements correspondants. Il y a eu les 35 heures dans la fonction publique, dans les collectivités locales qui ont été rendues obligatoires et cela est responsable de 45 % de l'augmentation. Il faut rendre le même service avec moins d'heure de travail. Donc on a embauché et donc l'embauche est sur la feuille et puis c'est dû aussi au transfert de la responsabilité en matière d'incendie aux départements qui ont vu de ce point de vue là, leurs dépenses s'envoler. "
Oui, donc principe de vases communicants, néanmoins c'est...
- "Aujourd'hui, ça ne peut plus arriver. Parce que grâce à la réforme constitutionnelle, il est interdit - c'est une grande réforme dans notre pays - il est interdit pour l'Etat de passer le mistigri si j'ose dire aux collectivités locales, en leur donnant des compétences sans leur donner l'argent qui va avec. "
C'est la dernière année, c'est la dernière année.
- "C'est la dernière année que ce type de procédé souvent utilisé et particulièrement dans les dernières années, c'est la dernière fois qu'on peut le faire. "
D'un mot, d'un mot parce que là, le temps nous est compté. La campagne des régionales est lancée et en Ile de France, votre candidat J.-F. Copé. Est-ce qu'il y aura une liste UDF ? Est-ce que vous la souhaitez ?
- "C'est à eux qu'il faut le demander. Moi, je souhaite l'union, naturellement. Et la meilleure union c'est celle qui est faite au premier tour. Si elle ne peut se faire qu'au second, faisons que la campagne du premier tour soit une campagne de convergence et non pas une campagne de divergence. "
L'important, c'est de gagner bien évidemment pour J.-F. Copé, votre collègue du gouvernement ?
- "L'important c'est de gagner pour l'ensemble de la majorité et surtout pour les Franciliens. Il faut bien voir qu'en Ile-de-France, il va y avoir des responsabilités nouvelles, en particulier dorénavant grâce à la décentralisation, la région va gérer tous les transports, ce qui n'était pas le cas jusqu'à maintenant. Et les transports en Ile-de-France, c'est assez catastrophique. "
C'est pour cela qu'il faut faire du tramway notamment.
- "C'est assez catastrophique, donc c'est une responsabilité capitale. "
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 octobre 2003)