Interview de M. Jacques Barrot, président du groupe parlementaire UMP à l'Assemblée nationale, à LCI le 7 octobre 2003, sur le budget 2004 et la polémique autour de l'assouplissement de la loi sur les 35 heures.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser-. Polémique sur les 35 heures, déficit, récession : le tableau n'est pas très réjouissant ce matin. Commençons par l'actualité de la nuit : la France devrait échapper aux sanctions de Bruxelles à cause de son déficit budgétaire mais elle doit faire de nouveaux efforts. C'est-à-dire que le budget qui va être débattu la semaine prochaine va être modifié ?
- "Les nouveaux efforts, c'est d'abord de réorganiser la Maison France, de rendre plus efficace notre administration et cela ne peut pas donner des résultats immédiats. La Commission s'est décidée à faire une application intelligente du Pacte de stabilité. Ce n'est pas quand on est dans une période difficile que l'on se désendette, c'est dans les périodes de retour à une meilleure fortune. Et puis, il ne faut pas non plus que le budget de cette année sacrifie toutes les dépenses qui préparent l'avenir. Donc, application intelligente du Pacte de stabilité. Mais c'est vrai : obligation impérieuse pour nous d'obtenir, au sein du secteur public, plus d'efficacité pour faire des économies et pour avoir un Etat qui accompagne au mieux les entreprises."
On aimerait bien comprendre, parce qu'on avait parlé de non-remplacement de fonctionnaires partant à la retraite, on avait avancé le chiffre de 20 à 30 000 postes de fonctionnaire et on se retrouve à moins de 5 000.
- "Le mouvement est amorcé, mais en même temps, il y aura les emplois-jeunes qui vont cesser, donc, il faut réorganiser l'administration avant de parler de suppression de postes. On ne peut pas agir de manière arbitraire. Il faut en quelque sorte réorganiser les services pour voir comment on peut, ici et là, faire l'économie d'un poste."
Si je vous entends bien, l'année dernière, quand on a décidé de supprimer les emplois-jeunes, on est allé un peu vite en besogne, on n'a pas assez intégré le problème que cela posait ?
- "Si. La réorganisation est en marche. Nous allons, avec le groupe parlementaire, avec la commission des finances, demander à chaque ministre de venir bien expliquer comment, tout au cours de cette année, il va accélérer une bonne réorganisation de son ministère, comment, d'ailleurs, mieux motiver les fonctionnaires, en leur offrant des possibilités et des tâches plus intéressantes. Tout cela prend un peu de temps. La Commission est bien avisée de dire à la France, "prenez des engagements", mais cela ne peut pas porter des fruits immédiats. C'est pour cela que nous allons échapper aux sanctions."
Des investissements ne vont pas être sacrifiés ?
- "Il ne faut pas non plus que nous allions trop loin dans les sacrifices de toutes les dépenses qui préparent l'avenir, qui, le moment venu, porteront leurs fruits en permettant à la France de profiter pleinement de la croissance."
Vous parlez de "croissance", mais hier, le Premier ministre a parlé de récession à Moscou.
- "Il a parlé d'un "contexte récessif"
Tout le monde a saisi le message...
- "On peut surtout parler de stagnation, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de progrès de l'économie aujourd'hui. Vous savez que cela concerne toute l'Europe, et aussi nos amis allemands. Nous en sortirons mais il faut nous préparer d'ores et déjà au moment où on sentira un peu l'économie à nouveau repartir, à tirer le meilleur parti de cette reprise."
Vous parlez de "reprise", mais on dit que les croissances fortes, c'est terminé, qu'il n'y en aura plus jamais.
- "Dans un monde où les nouvelles technologies tirent le progrès, où il y a des échanges qui permettent de développer les économies, on ne va pas imaginer s'enfoncer dans une stagnation permanente ! Il y a aura à nouveau des moments de reprise. Mais ce qu'il faut savoir, c'est qu'il ne faut pas manquer ces moments-là. Il ne faut pas que la France se prive de la conquête de marchés nouveaux pour créer des emplois, pour garder une industrie nationale. C'est pour cela que nous devons maintenant obtenir de ce pays qu'il accepte de se réformer. Il ne s'agit pas, par exemple, dans l'affaire des 35 heures, de tout bouleverser..."
On va y venir.
- "... Mais il s'agit de se donner plus de souplesse pour profiter de la croissance."
De faire des efforts et d'accepter de travailler plus ?
- "En tout cas, c'est de rééquilibrer les choses, parce qu'on a eu l'impression, à un moment donné, que la vie de travail était une vie extrêmement désagréable, que plus on la réduisait et mieux cela allait. Je crois que ce n'est pas vrai ; je crois que la vie professionnelle peut être source d'épanouissement. Il faut du travail mieux payé, qui soit plus intéressant parce que lié à la formation. A cet égard, le dernier accord sur la formation est très intéressant parce qu'il va permettre de valoriser la vie professionnelle."
En attendant l'application de cet accord, les 35 heures sont vraiment sur la sellette. On a l'impression qu'elles sont à la source de tous les maux.
- "Il ne s'agit pas d'entretenir des polémiques inutiles. Il s'agit de se dire que la manière dont on a réduit le temps de travail sous Jospin est une mauvaise méthode. Si on réduit le temps de travail, il faut le faire par la négociation collective à l'intérieur de l'entreprise ou à l'intérieur des branches, pour tenir compte du choix des salariés, des besoins de la clientèle ; il faut faire du sur mesure. Là, on a fait du standard. Evidemment, le standard crée des contraintes et cela ne donne pas nécessairement satisfaction aux salariés. Et cela coûte cher. Donc, effectivement, il faudra progressivement, par la négociation, retrouver les souplesses et laisser les gens choisir dans leur entreprise et dans les branches."
On ne peut pas choisir puisque la loi a été changée.
- "Mais la loi permet de renégocier et c'est, à partir de là, que l'on peut espérer que des accords d'entreprises, des accords de branches, permettront de sortir de ce carcan que constituent, dans certains cas, les 35 heures. Je pense, par exemple, à cette petite entreprise qui doit fournir très rapidement ses clients en Espagne et qui ne trouve pas de transporteurs, parce que le transporteur n'a pas pu trouver les chauffeurs supplémentaires à cause des 35 heures."
Vous êtes en train de nous expliquer qu'il faut faire du sur mesure. A quoi servirait une commission d'enquête parlementaire ?
- "Plutôt qu'une commission d'enquête, je crois qu'il faudrait faire une mission d'information. Pourquoi ?
C'est moins contraignant une mission ?
- "Une mission, c'est directement axé sur l'évaluation des effets d'une loi ; c'est exactement le cas de figure. Nous allons voir. On peut en effet faire une commission d'enquête ; il serait préférable de faire une mission à l'abri des polémiques excessives, pour mieux comprendre comment les 35 heures, dans certains ont été vraiment un obstacle au développement, ont été contraire aux souhaits des salariés, et comment on peut, progressivement, cas par cas, sortir de ce carcan quand il y a carcan."
Vous dites que les 35 heures ont été contraires aux souhaits des salariés, mais elles n'ont pas été ...
- "Dans certains cas. Mais ce n'est pas par la loi que l'on doit régler tous les problèmes de durée du travail, c'est par la négociation collective, c'est par le contrat. Il n'y a qu'en France que ce recours systématique à la loi contrarie ce qui, finalement, devrait être la vie quotidienne, c'est-à-dire une négociation. Pas seulement sur la durée du travail, sur les conditions de travail. C'est à cela que l'on est train d'aller, avec notamment la dernière négociation sur la formation tout au cours de la vie, qui est une réussite."
Pourquoi avoir attendu un an, un an et demi pour s'y mettre ?
- "Parce que la loi qu'a fait voter F. Fillon ouvrait des possibilités de renégociation. Mais dans un certain nombre d'entreprises et de branches, étant donné que la croissance est très faible, on n'a pas éprouvé le besoin de renégocier. Si demain, de nouvelles possibilités s'ouvrent - des marchés supplémentaires - il ne faudrait pas que l'on coince sur le manque d'heures de travail. C'est pour cela que l'on peut penser que la renégociation pourra se faire jour progressivement, au fur et à mesure que la croissance va repartir."
Vous être très prudent J. Barrot. Merci.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 octobre 2003)