Texte intégral
Q - Le Sommet de Cancun s'est soldé par un échec, les pays du Sud ont fait "capoter" les négociations. Echec ou succès, certains applaudissent, il n'est d'ailleurs pas impossible que nos agriculteurs ne fassent pas partie de ceux-là. En terme de gouvernance mondiale, faut-il s'inquiéter de cette impasse ?
R - Oui, bien sûr et je crois qu'il faut rappeler que c'est un échec pour tout le monde et peut-être d'abord pour les pays les plus pauvres. On s'attendait à une empoignade entre l'Europe et les Etats-Unis, on avait réussi à se mettre d'accord sur les grandes lignes d'une proposition et puis les pays du Sud ont modifié la donne.
Il faut se réjouir de voir ces pays s'organiser, selon une ligne qui est à la fois politique et en même temps économique mais il faut regretter que nous ne soyons pas parvenus à un accord qui servirait, je crois, pour l'ensemble de la communauté internationale.
Q - Y a-t-il un risque d'un retour au bilatéralisme ?
R - C'est la tentation mais le multilatéralisme, c'est un effort quotidien pour s'entendre, trouver les bases, trouver les principes, fixer les règles.
Q - Et en matière d'économie, jusqu'à présent, cela fonctionnait plutôt bien.
R - Cela fonctionnait plutôt bien mais il y avait un certain nombre de sujets difficiles. Nous avons réussi à surmonter les difficultés concernant le médicament, à avancer dans le domaine de l'agriculture mais c'est vrai qu'il faut trouver là un accord global, c'est-à-dire un accord où chacun puisse se retrouver. Et nous avons bien vu à Cancun qu'il y avait des intérêts divergents et qu'il y avait des alliances dont certains ont pu penser qu'elles étaient contre nature. Mais il faut faire avec car des solidarités s'expriment au-delà de la donnée économique. On a vu apparaître ce Groupe des 21 avec à la fois des pays intermédiaires, des pays du Sud développés et aussi, au contraire et les ayant rejoint, des pays pauvres qui avaient des intérêts économiques différents.
Q - Faut-il réformer l'OMC ?
R - Il faut certainement tirer les leçons de ce qui vient de se passer et essayer de voir comment on peut, très concrètement, continuer à avancer, continuer à négocier et à discuter pour trouver des solutions à l'échelle de la planète.
Q - En matière de gouvernance mondiale, il ne faut jamais désespérer puisque les Américains redécouvrent aujourd'hui, les vertus des Nations unies en Irak ?
R - Les choses bougent parce que la réalité change.
C'était tout l'intérêt de la réunion des membres permanents du Conseil de sécurité qui s'est tenue à Genève sous l'égide du Secrétaire général des Nations unies Kofi Annan. Je crois qu'il était important de pouvoir se parler, faire le point et dans le fond, confronter nos analyses. Il y a un choix aujourd'hui en Irak :
Les choses vont-elles mieux et peut-on se contenter d'amender à la marge l'approche développée par la coalition ou bien au contraire, y a-t-il le risque d'une détérioration rapide et ne faut-il pas changer d'approche ? C'est la conviction de la France.
Q - Mais, il y a toujours des divergences entre Paris et Washington sur le rôle des Nations unies ?
R - Je ne crois pas que l'on puisse réduire ces divergences à Paris et Washington, il y a un débat sur la meilleure approche possible, aujourd'hui en Irak. Avec la France, il y a de très nombreuses autres voix, je l'ai vu à Genève et nous le voyons au Conseil de sécurité.
La question est de trouver ensemble des solutions. Une fois de plus, faut-il se contenter, à New York, de voter une résolution qui ne changera pas les choses, qui ne créera pas une dynamique de soutien, pas plus d'ailleurs pour avancer vers une solution dans le domaine de la sécurité que pour trouver de nouvelles solutions dans le domaine économique et financier ? Faut-il radicalement changer d'approche ? Notre conviction est qu'il faut remettre la souveraineté aux Irakiens le plus rapidement possible.
Dans notre esprit, c'est un point de départ, dans l'esprit des Américains aujourd'hui, c'est plutôt un point d'arrivée.
Q - Mais vous savez bien ce que disent les Américains, Colin Powell l'a rappelé samedi à Evian, il pense qu'organiser des élections, transférer la souveraineté aux Irakiens, c'est complètement prématuré.
R - Et c'est pour cela que nous voulons prendre en compte cette contrainte et nous disons qu'il faut transférer tout de suite, dans un délai très court, la souveraineté. Nous avons aujourd'hui un certain nombre d'organismes irakiens, un Conseil de gouvernement, un Conseil des ministres, un Comité constitutionnel ; essayons, à partir de là, de former un gouvernement provisoire, dans des délais très courts, gouvernement que les Irakiens membres de ces différents organes choisiraient eux-mêmes. Dans une perspective graduelle et progressive, créons les conditions pour mettre en uvre le processus politique, ce qui suppose une Assemblée constituante, une Constitution, un référendum constitutionnel puis des élections.
Que l'on se donne plusieurs mois pour réaliser ce processus est une chose, mais partons de l'affirmation de la souveraineté irakienne. Si nous voulons sortir de ce processus destructeur où, au centre de tout, il y a un régime d'occupation et des forces irakiennes qui se déterminent contre ces forces, nous pensons qu'il faut donc changer de logique, si l'on veut éviter cette spirale de la violence en Irak.
Q - C'est aussi ce que souhaite Kofi Annan, le Secrétaire général des Nations unies ?
R - Kofi Annan a un problème très concret que nous partageons tous, c'est un fardeau commun que doivent porter les Nations unies. L'ONU s'est engagée en Irak sur la base de la résolution 1483, elle a fait une part du chemin, il y a eu ce terrible attentat qui a frappé le siège des Nations unies avec tant de morts, vous vous en souvenez. A partir de là, l'ONU peut-elle revenir par la petite porte pour jouer un rôle de supplétif sur une base ambiguë. Je crois que les Nations unies doivent revenir dans une situation claire c'est-à-dire avec une autorité irakienne clairement définie sur la base d'un dialogue avec ses responsables, en réponse à une approche nouvelle.
C'est la condition, je le crois, de l'efficacité aujourd'hui.
Q - Aujourd'hui il faut envoyer un signal clair aux Irakiens ?
R - Oui, et je pense que les Irakiens le demandent eux-mêmes. Au Conseil de gouvernement en Irak, de nombreuses voix se sont élevées en ce sens. J'ai rencontré un certain nombre de responsables de ce Conseil qui souhaitent cette dévolution le plus rapidement possible parce que c'est la condition d'un changement profond de perception en Irak.
Q - L'une des solutions, serait-elle par exemple de transférer les pouvoirs qui appartiennent aujourd'hui à Paul Bremer l'Américain aux Nations unies, quitte à laisser la sécurité aux troupes américaines ?
R - Je pense que c'était une problématique qui pouvait être justifiée au lendemain de la guerre. Je pense qu'aujourd'hui, la situation est telle que ce transfert doit s'effectuer vers les Irakiens eux-mêmes et il faut bien sûr que les Nations unies accompagnent les autorités irakiennes. Les Nations unies ont un savoir-faire sans égal dans le domaine constitutionnel, dans le domaine de l'organisation d'élections, mais elles doivent le faire directement auprès des Irakiens.
Je crois donc que les forces de la coalition ont une responsabilité majeure, y compris dans la période qui s'ouvre, mais elles doivent l'assumer en liaison et au service des autorités irakiennes.
Q - En cas d'accord, la France pourrait-elle participer, sous l'égide des Nations unies ?
R - La France a toujours dit qu'elle prendrait ses responsabilités mais nous ne pouvons le faire que dans un cadre profondément changé, vous connaissez notre position sur la guerre, vous connaissez les principes qui sont les nôtres, donc, dans le cadre d'un Etat souverain, en réponse à la demande des autorités irakiennes, dans le cadre de l'action des Nations unies, nous sommes évidemment prêts à prendre cette responsabilité.
Q - Les Américains ont-ils besoin de la France aujourd'hui ?
R - Je crois qu'ils ont besoin de toute la communauté internationale et depuis le début, je n'ai cessé de dire, qu'à aucun moment, la position de la France n'a été contre les Etats-Unis. Le problème c'est : comment peut-on être efficaces aujourd'hui en Irak ? Nous sommes évidemment prêts à porter notre part pour faire en sorte que la reconstruction de l'Irak se déroule dans les meilleures conditions possibles.
Q - Chez vous, il n'y a pas de névrose anti-américaine comme le dit Jack Straw ?
R - Non, je crois que les diplomates, y compris en période de crise doivent toujours se rappeler qu'ils sont là pour trouver des solutions aux problèmes et pas pour en créer de nouveaux, donc, pas de polémique.
Q - Il y a aujourd'hui un risque de "libanisation" en Irak ?
R - Il y a un risque ; la quotidienneté et la multiplication des actes de violence montre bien qu'il y a des forces de résistance ; tout cela est extrêmement difficile à analyser, il y a bien sûr des éléments de l'ancien parti Baas, il y a aussi des forces islamiques, des forces terroristes alors que l'Irak ne connaissait pas le terrorisme il y a quelque mois. Aujourd'hui, c'est l'un des centres du terrorisme mondial. Il y a des forces nationalistes et si nous voulons séparer le bon grain de l'ivraie, je crois qu'il faut bien distinguer les différents éléments, les différentes données de façon à pouvoir faire en sorte qu'une majorité d'Irakiens puissent supporter le processus de reconstruction.
Q - Un mandat international dans les territoires occupés serait-il aussi une solution pour sortir de l'impasse comme le préconise par exemple, cet après-midi dans "Le Monde" l'ancien ministre israélien Ben Ami ?
R - En tout état de cause, il faut prendre des décisions importantes qui impliquent de ne pas céder à la tentation sécuritaire. Alors à partir de là, il y a plusieurs pistes possibles. Nous avons préconisé une conférence internationale, le déploiement d'une force multinationale sur le terrain, pourquoi pas avec un mandat des Nations unies, je crois que l'on peut tout explorer mais il y a un certain nombre de conditions. La première est que la communauté internationale soit unie et c'est un élément essentiel. Il y a eu un réengagement américain, nous nous en félicitons mais il faut associer toutes les composantes de la vie internationale, tous les membres du Quartet. C'est le premier élément.
Q - Le Quartet a-t-il joué son rôle ?
R - Le Quartet a joué tout son rôle dans la définition de la Feuille de route et en particulier l'Europe. Sans l'Europe, la Feuille de route n'aurait jamais pu être élaborée. C'est vrai que les Américains ont repris le témoin et c'est vrai qu'ils ont été relativement seuls dans la période actuelle, mais nous souhaitons jouer tout notre rôle, encore faut-il que chacun accepte que ce rôle soit effectivement joué.
Q - Quand le gouvernement israélien envisage, ni plus ni moins, la liquidation de Y. Arafat, la Feuille de route existe-t-elle encore ?
R - La Feuille de route est aujourd'hui le seul instrument que nous possédons pour essayer d'avancer dans le sens de la paix. Je crois qu'il ne faut donc pas l'enterrer trop vite.
Nous devons en permanence chercher à maintenir l'espoir et nous l'avons dit, la tentation sécuritaire peut répondre au coup par coup à des situations d'insécurité, elle ne peut pas transformer cette région en zone de paix. Pour le faire, il faut un processus politique.
La Feuille de route, ce n'est rien d'autre qu'un processus politique.
Si ce processus vacille, il faut qu'on imagine des solutions plus fortes pour la remettre sur les rails : une conférence internationale, une force de supervision. Nous devons absolument prendre la mesure de l'enjeu et ne pas penser qu'il suffira d'écarter tel et tel pour pouvoir tout régler. Aujourd'hui tout cristalliser autour de la personnalité d'Arafat n'est pas la réponse. Nous voyons bien qu'il est un symbole, il est l'autorité palestinienne légitime et élue palestinienne, nous avons besoin de Palestiniens rassemblés. Ne jouons pas la division, ce n'est certainement pas dans cette voie que nous ouvrirons les portes de la paix.
Q - L'idée selon laquelle on pouvait échanger les territoires contre la paix n'est-elle pas aujourd'hui une idée dépassée ? Ne faut-il pas chercher autre chose ?
R - Ce qui montre bien que la spirale de la violence est sans fin et que les choses peuvent encore beaucoup se dégrader. Je le dis à tous nos amis de la région, n'imaginons pas que nous sommes dans la pire situation, les choses peuvent être encore pire.
Malheureusement, la violence peut s'élargir. C'est bien pour cela qu'il faut agir et c'est bien pour cela que nous devons prendre, proposer des solutions à la mesure de l'enjeu.
Q - En un mot, les Suédois ont dit "non" à l'euro, est-ce dommage, regrettable ? Est-ce la preuve que, décidément l'Europe ne séduit pas les citoyens ?
R - C'est la preuve que l'Europe, c'est difficile et qu'il faut sans cesse travailler. Nous regrettons cette décision, c'est la responsabilité, le choix de la Suède mais il faut aussi en tirer les leçons pour répondre aux doutes de certains peuples européens. C'est un travail qu'il faut faire en permanence, l'Europe c'est une grande aventure, c'est une idée neuve, une construction originale, nous n'avons pas le droit de désespérer. Au même moment l'Estonie au même moment envoie un message positif, nous devons avancer tous ensemble.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 septembre 2003)
R - Oui, bien sûr et je crois qu'il faut rappeler que c'est un échec pour tout le monde et peut-être d'abord pour les pays les plus pauvres. On s'attendait à une empoignade entre l'Europe et les Etats-Unis, on avait réussi à se mettre d'accord sur les grandes lignes d'une proposition et puis les pays du Sud ont modifié la donne.
Il faut se réjouir de voir ces pays s'organiser, selon une ligne qui est à la fois politique et en même temps économique mais il faut regretter que nous ne soyons pas parvenus à un accord qui servirait, je crois, pour l'ensemble de la communauté internationale.
Q - Y a-t-il un risque d'un retour au bilatéralisme ?
R - C'est la tentation mais le multilatéralisme, c'est un effort quotidien pour s'entendre, trouver les bases, trouver les principes, fixer les règles.
Q - Et en matière d'économie, jusqu'à présent, cela fonctionnait plutôt bien.
R - Cela fonctionnait plutôt bien mais il y avait un certain nombre de sujets difficiles. Nous avons réussi à surmonter les difficultés concernant le médicament, à avancer dans le domaine de l'agriculture mais c'est vrai qu'il faut trouver là un accord global, c'est-à-dire un accord où chacun puisse se retrouver. Et nous avons bien vu à Cancun qu'il y avait des intérêts divergents et qu'il y avait des alliances dont certains ont pu penser qu'elles étaient contre nature. Mais il faut faire avec car des solidarités s'expriment au-delà de la donnée économique. On a vu apparaître ce Groupe des 21 avec à la fois des pays intermédiaires, des pays du Sud développés et aussi, au contraire et les ayant rejoint, des pays pauvres qui avaient des intérêts économiques différents.
Q - Faut-il réformer l'OMC ?
R - Il faut certainement tirer les leçons de ce qui vient de se passer et essayer de voir comment on peut, très concrètement, continuer à avancer, continuer à négocier et à discuter pour trouver des solutions à l'échelle de la planète.
Q - En matière de gouvernance mondiale, il ne faut jamais désespérer puisque les Américains redécouvrent aujourd'hui, les vertus des Nations unies en Irak ?
R - Les choses bougent parce que la réalité change.
C'était tout l'intérêt de la réunion des membres permanents du Conseil de sécurité qui s'est tenue à Genève sous l'égide du Secrétaire général des Nations unies Kofi Annan. Je crois qu'il était important de pouvoir se parler, faire le point et dans le fond, confronter nos analyses. Il y a un choix aujourd'hui en Irak :
Les choses vont-elles mieux et peut-on se contenter d'amender à la marge l'approche développée par la coalition ou bien au contraire, y a-t-il le risque d'une détérioration rapide et ne faut-il pas changer d'approche ? C'est la conviction de la France.
Q - Mais, il y a toujours des divergences entre Paris et Washington sur le rôle des Nations unies ?
R - Je ne crois pas que l'on puisse réduire ces divergences à Paris et Washington, il y a un débat sur la meilleure approche possible, aujourd'hui en Irak. Avec la France, il y a de très nombreuses autres voix, je l'ai vu à Genève et nous le voyons au Conseil de sécurité.
La question est de trouver ensemble des solutions. Une fois de plus, faut-il se contenter, à New York, de voter une résolution qui ne changera pas les choses, qui ne créera pas une dynamique de soutien, pas plus d'ailleurs pour avancer vers une solution dans le domaine de la sécurité que pour trouver de nouvelles solutions dans le domaine économique et financier ? Faut-il radicalement changer d'approche ? Notre conviction est qu'il faut remettre la souveraineté aux Irakiens le plus rapidement possible.
Dans notre esprit, c'est un point de départ, dans l'esprit des Américains aujourd'hui, c'est plutôt un point d'arrivée.
Q - Mais vous savez bien ce que disent les Américains, Colin Powell l'a rappelé samedi à Evian, il pense qu'organiser des élections, transférer la souveraineté aux Irakiens, c'est complètement prématuré.
R - Et c'est pour cela que nous voulons prendre en compte cette contrainte et nous disons qu'il faut transférer tout de suite, dans un délai très court, la souveraineté. Nous avons aujourd'hui un certain nombre d'organismes irakiens, un Conseil de gouvernement, un Conseil des ministres, un Comité constitutionnel ; essayons, à partir de là, de former un gouvernement provisoire, dans des délais très courts, gouvernement que les Irakiens membres de ces différents organes choisiraient eux-mêmes. Dans une perspective graduelle et progressive, créons les conditions pour mettre en uvre le processus politique, ce qui suppose une Assemblée constituante, une Constitution, un référendum constitutionnel puis des élections.
Que l'on se donne plusieurs mois pour réaliser ce processus est une chose, mais partons de l'affirmation de la souveraineté irakienne. Si nous voulons sortir de ce processus destructeur où, au centre de tout, il y a un régime d'occupation et des forces irakiennes qui se déterminent contre ces forces, nous pensons qu'il faut donc changer de logique, si l'on veut éviter cette spirale de la violence en Irak.
Q - C'est aussi ce que souhaite Kofi Annan, le Secrétaire général des Nations unies ?
R - Kofi Annan a un problème très concret que nous partageons tous, c'est un fardeau commun que doivent porter les Nations unies. L'ONU s'est engagée en Irak sur la base de la résolution 1483, elle a fait une part du chemin, il y a eu ce terrible attentat qui a frappé le siège des Nations unies avec tant de morts, vous vous en souvenez. A partir de là, l'ONU peut-elle revenir par la petite porte pour jouer un rôle de supplétif sur une base ambiguë. Je crois que les Nations unies doivent revenir dans une situation claire c'est-à-dire avec une autorité irakienne clairement définie sur la base d'un dialogue avec ses responsables, en réponse à une approche nouvelle.
C'est la condition, je le crois, de l'efficacité aujourd'hui.
Q - Aujourd'hui il faut envoyer un signal clair aux Irakiens ?
R - Oui, et je pense que les Irakiens le demandent eux-mêmes. Au Conseil de gouvernement en Irak, de nombreuses voix se sont élevées en ce sens. J'ai rencontré un certain nombre de responsables de ce Conseil qui souhaitent cette dévolution le plus rapidement possible parce que c'est la condition d'un changement profond de perception en Irak.
Q - L'une des solutions, serait-elle par exemple de transférer les pouvoirs qui appartiennent aujourd'hui à Paul Bremer l'Américain aux Nations unies, quitte à laisser la sécurité aux troupes américaines ?
R - Je pense que c'était une problématique qui pouvait être justifiée au lendemain de la guerre. Je pense qu'aujourd'hui, la situation est telle que ce transfert doit s'effectuer vers les Irakiens eux-mêmes et il faut bien sûr que les Nations unies accompagnent les autorités irakiennes. Les Nations unies ont un savoir-faire sans égal dans le domaine constitutionnel, dans le domaine de l'organisation d'élections, mais elles doivent le faire directement auprès des Irakiens.
Je crois donc que les forces de la coalition ont une responsabilité majeure, y compris dans la période qui s'ouvre, mais elles doivent l'assumer en liaison et au service des autorités irakiennes.
Q - En cas d'accord, la France pourrait-elle participer, sous l'égide des Nations unies ?
R - La France a toujours dit qu'elle prendrait ses responsabilités mais nous ne pouvons le faire que dans un cadre profondément changé, vous connaissez notre position sur la guerre, vous connaissez les principes qui sont les nôtres, donc, dans le cadre d'un Etat souverain, en réponse à la demande des autorités irakiennes, dans le cadre de l'action des Nations unies, nous sommes évidemment prêts à prendre cette responsabilité.
Q - Les Américains ont-ils besoin de la France aujourd'hui ?
R - Je crois qu'ils ont besoin de toute la communauté internationale et depuis le début, je n'ai cessé de dire, qu'à aucun moment, la position de la France n'a été contre les Etats-Unis. Le problème c'est : comment peut-on être efficaces aujourd'hui en Irak ? Nous sommes évidemment prêts à porter notre part pour faire en sorte que la reconstruction de l'Irak se déroule dans les meilleures conditions possibles.
Q - Chez vous, il n'y a pas de névrose anti-américaine comme le dit Jack Straw ?
R - Non, je crois que les diplomates, y compris en période de crise doivent toujours se rappeler qu'ils sont là pour trouver des solutions aux problèmes et pas pour en créer de nouveaux, donc, pas de polémique.
Q - Il y a aujourd'hui un risque de "libanisation" en Irak ?
R - Il y a un risque ; la quotidienneté et la multiplication des actes de violence montre bien qu'il y a des forces de résistance ; tout cela est extrêmement difficile à analyser, il y a bien sûr des éléments de l'ancien parti Baas, il y a aussi des forces islamiques, des forces terroristes alors que l'Irak ne connaissait pas le terrorisme il y a quelque mois. Aujourd'hui, c'est l'un des centres du terrorisme mondial. Il y a des forces nationalistes et si nous voulons séparer le bon grain de l'ivraie, je crois qu'il faut bien distinguer les différents éléments, les différentes données de façon à pouvoir faire en sorte qu'une majorité d'Irakiens puissent supporter le processus de reconstruction.
Q - Un mandat international dans les territoires occupés serait-il aussi une solution pour sortir de l'impasse comme le préconise par exemple, cet après-midi dans "Le Monde" l'ancien ministre israélien Ben Ami ?
R - En tout état de cause, il faut prendre des décisions importantes qui impliquent de ne pas céder à la tentation sécuritaire. Alors à partir de là, il y a plusieurs pistes possibles. Nous avons préconisé une conférence internationale, le déploiement d'une force multinationale sur le terrain, pourquoi pas avec un mandat des Nations unies, je crois que l'on peut tout explorer mais il y a un certain nombre de conditions. La première est que la communauté internationale soit unie et c'est un élément essentiel. Il y a eu un réengagement américain, nous nous en félicitons mais il faut associer toutes les composantes de la vie internationale, tous les membres du Quartet. C'est le premier élément.
Q - Le Quartet a-t-il joué son rôle ?
R - Le Quartet a joué tout son rôle dans la définition de la Feuille de route et en particulier l'Europe. Sans l'Europe, la Feuille de route n'aurait jamais pu être élaborée. C'est vrai que les Américains ont repris le témoin et c'est vrai qu'ils ont été relativement seuls dans la période actuelle, mais nous souhaitons jouer tout notre rôle, encore faut-il que chacun accepte que ce rôle soit effectivement joué.
Q - Quand le gouvernement israélien envisage, ni plus ni moins, la liquidation de Y. Arafat, la Feuille de route existe-t-elle encore ?
R - La Feuille de route est aujourd'hui le seul instrument que nous possédons pour essayer d'avancer dans le sens de la paix. Je crois qu'il ne faut donc pas l'enterrer trop vite.
Nous devons en permanence chercher à maintenir l'espoir et nous l'avons dit, la tentation sécuritaire peut répondre au coup par coup à des situations d'insécurité, elle ne peut pas transformer cette région en zone de paix. Pour le faire, il faut un processus politique.
La Feuille de route, ce n'est rien d'autre qu'un processus politique.
Si ce processus vacille, il faut qu'on imagine des solutions plus fortes pour la remettre sur les rails : une conférence internationale, une force de supervision. Nous devons absolument prendre la mesure de l'enjeu et ne pas penser qu'il suffira d'écarter tel et tel pour pouvoir tout régler. Aujourd'hui tout cristalliser autour de la personnalité d'Arafat n'est pas la réponse. Nous voyons bien qu'il est un symbole, il est l'autorité palestinienne légitime et élue palestinienne, nous avons besoin de Palestiniens rassemblés. Ne jouons pas la division, ce n'est certainement pas dans cette voie que nous ouvrirons les portes de la paix.
Q - L'idée selon laquelle on pouvait échanger les territoires contre la paix n'est-elle pas aujourd'hui une idée dépassée ? Ne faut-il pas chercher autre chose ?
R - Ce qui montre bien que la spirale de la violence est sans fin et que les choses peuvent encore beaucoup se dégrader. Je le dis à tous nos amis de la région, n'imaginons pas que nous sommes dans la pire situation, les choses peuvent être encore pire.
Malheureusement, la violence peut s'élargir. C'est bien pour cela qu'il faut agir et c'est bien pour cela que nous devons prendre, proposer des solutions à la mesure de l'enjeu.
Q - En un mot, les Suédois ont dit "non" à l'euro, est-ce dommage, regrettable ? Est-ce la preuve que, décidément l'Europe ne séduit pas les citoyens ?
R - C'est la preuve que l'Europe, c'est difficile et qu'il faut sans cesse travailler. Nous regrettons cette décision, c'est la responsabilité, le choix de la Suède mais il faut aussi en tirer les leçons pour répondre aux doutes de certains peuples européens. C'est un travail qu'il faut faire en permanence, l'Europe c'est une grande aventure, c'est une idée neuve, une construction originale, nous n'avons pas le droit de désespérer. Au même moment l'Estonie au même moment envoie un message positif, nous devons avancer tous ensemble.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 septembre 2003)