Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, dans "La Tribune" du 3 octobre 2003, sur le projet de Constitution européenne et sur son souhait de voir créé un nouveau courant politique européen.

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Média : La Tribune

Texte intégral

Quelle appréciation globale portez- vous sur le projet de Constitution européenne élaboré par la Convention ?
L'Europe va de risque en risque. Le grand courant politique qui a fondé l'Europe voulait une union politique. Mais on mesure la distance immense qui existe entre le projet des fondateurs et la réalité d'aujourd'hui. Le texte de la Convention est très loin de l'union politique de l'Europe. C'est un texte remarquable dans la forme mais le fond est ambigu. C'est mieux sans doute que le calamiteux traité de Nice, mais ses lacunes frappent tous ceux qui croient à l'Europe politique. Si l'on veut l'union, il faut agir ensemble comme une entité, pas comme une addition d'initiatives différentes qui débouchent sur la démarche intergouvernementale. La fracture européenne au moment de la crise irakienne n'était autre que l'illustration de cette démarche consacrée par le traité de Nice. Je voudrais vous rappeler que l'UDF a été, en France, la seule formation politique qui s'y est opposée. Ce traité sert aujourd'hui de ligne de défense, sorte de ligne Maginot pour ceux qui veulent encore plus d'intergouvernemental. Le drame, en fait, a été de choisir l'élargissement de l'Europe organisé sans ligne directrice avant l'approfondissement.
La Convention pouvait- elle aller plus loin dans le contexte actuel que vous décrivez ?
Je n'aime pas trop refaire l'histoire. Ce qui est frappant, c'est le mal que le président Giscard d'Estaing a eu pour obtenir un texte qui est très loin de son idéal européen. Tout simplement parce que les défenseurs de l'Europe sont muets, y compris en France.
D'ailleurs, même ceux qui se présentent comme défenseurs de l'Europe ne manquent pas de faire de l'euroscepticisme par intermittence. Tout cela crée un climat de brouillard dans lequel il n'y a plus de mouvement politique de défense de l'Europe. Le grand espoir de mouvements politiques européens s'est affadi. Au Parlement européen, les chrétiens-démocrates du PPE et les socialistes du PSE, qui étaient les deux grands partis européens, se sont tous les deux laissés coloniser de l'intérieur par des membres certes respectables par leur nombre, mais qui ne sont pas des européens. Nous avons le devoir de réfléchir, à terme, à une nouvelle donne européenne.
Souhaitez-vous créer un parti européen ?
Je souhaite en tous cas que naisse un nouveau courant politique européen. Le plus tôt sera le mieux. Je m'y active. Car ce qui est infiniment frappant, c'est que dans l'opinion publique ce courant est puissant. Vous demanderiez aux Européens s'ils souhaitent une union politique, ils répondraient oui. S'il faut une défense européenne, ils diraient oui. S'il faut une économie politique européenne, ils diraient oui évidemment. Simplement leurs dirigeants refusent de les entendre.
Craignez-vous un ''détricotage " du projet de la Convention ?
J'attends de voir les travaux de la CIG. Il existe des forces très importantes qui ne veulent même pas de ce texte de synthèse. Si tel était le cas, il faudrait non pas se résigner, mais se battre. Je refuse l'argument selon lequel on ne peut faire davantage. Le combat pour l'union politique n'est plus livré depuis des années. Le texte n'est d éjà pas celui que le président Giscard d'Estaing aurait écrit. Quand vous pensez que le mot " fédéral " a dû être expurgé de la Convention alors qu'il est l'essence même de ce que nous voulons lorsque nous parlons d'union politique.
Faut- il ratifier le nouveau traité constitutionnel par référendum ? N'y a -t -il pas un risque de refus qui réhabiliterait le traité de Nice que vous d énoncez ?
Je suis en faveur d'un référendum. A force d'éviter les risques, les moments de vérité, l'Europe devient quelque chose d'étrange. Il n'y a pas de sujet plus grand public que l'Europe. Que les pro- européens prêtent la main à ce déclin de l'idée européenne, je ne l'accepte pas.
Ferez-vous campagne en faveur de cette Constitution qui est très loin de l'idée que vous défendez de l'Europe ?
J'attends de voir le texte de la CIG.
Pensez-vous que la CIG pourrait améliorer le projet de la Convention ?
Si j'étais autour de la table, je m'y efforcerais.
Peut-on tout à la fois rabaisser la Commission européenne et souhaiter l'institution d'une Commission forte dans la Constitution ?
J'ai été blessé par les déclarations du Premier ministre. Cela renforce le climat anti-europ éen en France et les doutes européens à l'égard de la France. Qu'est -ce qui peut convaincre un petit pays d'entrer dans une alliance avec un grand ? Une seule chose : le respect de la parole donnée. Sinon c'est la loi de la jungle, ce sont les grands qui dirigent les affaires à leur guise. Ce qui est le contraire d'une démarche fédérale. Nous ne nous rendons pas compte qu'en ne respectant pas nos engagements, nous portons atteinte non seulement à la réputation de la France, mais à l'avenir de l'ensemble européen.

Propos recueillis par Gilles Bridier et Marc Deger
(Source http://www.udf.org, le 8 octobre 2003)