Interviews de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, à France 2 le 15 mai 2003 et à TF1 le 25 mai 2003, sur la réforme des retraites et les réactions syndicales à celle-ci.

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Média : France 2 - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Intervention de François FILLON
sur France 2
15-05-2003



DAVID PUJADAS - Et quelle sera la situation demain, dans les jours qui viennent ? On en vient à ce tournant, peut-être, ce compromis trouvé tout à l'heure entre vous-même, François FILLON, et deux syndicats. Est-ce un texte définitif, peut-il infléchir la rue en votre faveur ? D'abord, voyons le détail de ce compromis avec Martin GOUESSE et Patrice ACHERE, les nouveaux points et ce qui a changé.
MARTIN GOUESSE - En 2008, la retraite minimum pour les petits salaires passera à 85 % du Smic, contre 75 % prévus initialement. Partir avant 60 ans sera possible pour les personnes qui ont commencé à travailler entre 14 et 16 ans, et ce sous certaines conditions. La décote, c'est-à-dire le malus pour un départ anticipé dans le privé, sera progressivement ramenée de 10 à 5 %. Concession faite aux fonctionnaires : leur pension restera calculée sur leurs six derniers mois de salaire, le projet, moins avantageux, tablait sur les trois dernières années. A partir du 1er janvier prochain, les fonctionnaires ont une retraite complémentaire, elle est obligatoire, un système par répartition basé sur une partie de leurs primes, avec des dispositions particulières pour les infirmières. Un système qui sera notamment financé pour le privé par une augmentation de 0,2 % des cotisations vieillesse à partir de 2006.
DAVID PUJADAS - Alors juste avant de rentrer dans le détail technique de ces mesures, de ces concessions, votre sentiment, François FILLON ? Vous dites, ce soir : ça y est, c'est gagné, la réforme est sur les rails, ça va faire boule de neige ?
FRANÇOIS FILLON - Non, je ne dis pas cela, mais je dis que ce soir le gouvernement a un accord avec cinq organisations syndicales et patronales sur huit. La sixième, la CFTC, hésite encore, et en tout cas a été très constructive dans les débats de cette nuit et de cet après-midi. Et cet accord, c'est un accord pour sauver les retraites, comme l'a dit tout à l'heure François CHEREQUE. C'est le résultat d'une méthode, c'est-à-dire du dialogue social que, patiemment, depuis un an, j'essaie de tisser entre les organisations syndicales et le gouvernement, et...
DAVID PUJADAS - Et vous pensez qu'il sera décisif, cet accord, que les autres vont y venir, parce que ceux-là y sont déjà, la CFDT surtout ?
FRANÇOIS FILLON - Je ne sais pas si les autres vont y venir, mais ce que je sais c'est que les autres ont participé, encore dix heures cette nuit, à des débats qui n'ont pas été des débats, comment dirais-je, durs...
DAVID PUJADAS - Mais pas cet après-midi.
FRANÇOIS FILLON - Non, parce que, on le sait, Force Ouvrière est très hostile à l'harmonisation dans le public et le privé, et la CGT n'a pas beaucoup l'habitude d'accompagner les réformes jusqu'au bout. Mais je trouve que le climat a changé, quand même, et que le dialogue entre les partenaires, le sens des responsabilités, l'emportent plutôt sur les comportements idéologiques.
DAVID PUJADAS - Est-ce que c'est un texte définitif ? Est-ce que vous dites : il ne changera plus, même pour satisfaire la CGT ou FO sur tel ou tel point ?
FRANÇOIS FILLON - C'est un texte qui doit passer au conseil des ministres, qui doit ensuite aller au Parlement pour être voté. Mais naturellement, on est arrivé aujourd'hui, grâce en particulier à une implication très forte du Premier ministre, notamment sur toutes les questions touchant aux petites pensions, à quelque chose qui est le maximum de ce que le gouvernement pouvait proposer...
DAVID PUJADAS - Ça ne bougera plus ?
FRANÇOIS FILLON - Et donc, les aménagements ne peuvent pas changer profondément la nature du texte, qui vient de faire l'objet d'un accord avec des partenaires, que nous respectons.
DAVID PUJADAS - Mais à la marge, vous dites : il y a peut-être encore ici ou là...
FRANÇOIS FILLON - Bien sûr, il y a un débat au Parlement, et les parlementaires ont évidemment le droit d'amender un texte législatif.
DAVID PUJADAS - Alors vous avez fait deux ou trois concessions importantes ; on vous a entendu dire, il n'y a pas si longtemps : " L'architecture du texte ne doit pas changer. " Lorsqu'on passe, pour base du calcul des retraites des fonctionnaires, des trois dernières années, comme c'était indiqué dans le texte initial, aux six derniers mois, ça fait une différence, ça fait des pensions plus hautes. Est-ce que là, le gouvernement, est-ce que vous n'avez pas un peu mangé votre chapeau ?
FRANÇOIS FILLON - Si vous voulez, d'abord, ce n'est pas une concession considérable en termes financiers, parce que les salaires des fonctionnaires ne sont pas sont assez linéaires. C'est plutôt symbolique. On voulait essayer de rapprocher progressivement le privé du public. On le fait sur beaucoup de sujets, on voulait le faire aussi sur la durée de cotisation. En même temps, il faut bien voir qu'on demande aux fonctionnaires, parce que ça n'a pas été fait depuis longtemps, un effort très important sur beaucoup de sujets et sur un temps très court. Donc on a estimé qu'il fallait, sur ce sujet-là, donner un peu de mou au système, d'autant qu'il y a beaucoup de fonctionnaires qui partent tôt, je pense aux militaires, aux policiers, pour des raisons qui sont liées à leur métier, et pour lesquels ce changement introduisait des différences et des conséquences assez graves.
DAVID PUJADAS - Vous disiez : " Pas d'augmentation des prélèvements obligatoires. " Finalement, on apprend que les cotisations vieillesse vont augmenter de 0,2 % ?
FRANÇOIS FILLON - Non, alors on va augmenter les cotisations vieillesse de 0,2 %, parce qu'il faut bien trouver les moyens de financer notamment ce départ pour les jeunes de ceux qui ont commencé à travailler à 16, 15 et 14 ans. On le fera à prélèvements constants, c'est-à-dire que ce sera des redéploiements de prélèvements obligatoires qui seront affectés aux cotisations vieillesse...
DAVID PUJADAS - Et lesquels ?
FRANÇOIS FILLON - Alors c'est un sujet dont on aura le temps de parler, parce que c'est pour 2006, mais l'objectif du gouvernement c'est de faire tout ça à prélèvements obligatoires constants.
DAVID PUJADAS - François FILLON, c'est la rue, la forte mobilisation de cette journée du 13 mai, qui vous a peut-être un peu forcé à faire bouger les choses sur votre texte, mais regardons tout de même la représentativité des syndicats dans la fonction publique, puisque c'est dans la fonction publique que la mobilisation est forte. Si l'on ajoute la CFDT à la CGC, 19,4 + 1,8, on a là un fonctionnaire sur cinq, en gros. Donc on peut s'attendre, dans les journées de mobilisation qui vont venir, peut-être celle de lundi déjà, à une forte mobilisation, puisque la CGT et Force Ouvrière n'ont pas signé ce texte. Est-ce que vous allez arriver à emporter le morceau ?
FRANÇOIS FILLON - La retraite, ce n'est pas un problème qui concerne seulement les fonctionnaires ou seulement le secteur privé, c'est un problème pour la Nation tout entière. Et qui peut aujourd'hui réellement défendre, en regardant les Français dans les yeux, l'idée qu'il peut y avoir deux sortes de Français face à la retraite, ceux qui partent à 37,5 ans, ceux qui partent à 40 ans ? Il faut, et je pense que la grande majorité des Français attendent aujourd'hui cette réforme, qu'à salaire égal, à temps de travail, de cotisation égale, on ait la même retraite.
DAVID PUJADAS - Donc vous dites : arrêtez les manifestations, lisez mon texte dans le détail ?
FRANÇOIS FILLON - Je dis : les fonctionnaires n'ont pas à redouter cette réforme, à condition qu'ils acceptent de travailler un tout petit peu plus longtemps. Contrairement à tout ce qu'on voit souvent et ce qu'on entend, il n'est pas question de baisser les pensions des fonctionnaires, il est simplement question de leur donner la même pension avec, en 2008, deux années et demie de plus. On a trouvé des solutions pour les infirmières et les aides-soignantes, qui représentaient une catégorie particulièrement menacée par certaines mesures qui s'appliquent mal à leur travail. On a trouvé des solutions pour les enseignants, notamment avec des rachats d'années d'études. Donc le catastrophisme qui entoure un peu la communication autour de cette réforme n'est pas exact, mais surtout, je pense que les fonctionnaires doivent avoir le sens de l'intérêt général et de la justice sociale, parce qu'ils en sont eux-mêmes porteurs, par essence.
DAVID PUJADAS - Un tout dernier mot. Dans ces négociations très tendues, on imagine, qui s'éternisent pendant la nuit, le contact personnel, ça compte beaucoup avec les dirigeants syndicaux ?
FRANÇOIS FILLON - Les négociations n'ont jamais été tendues, ça vous étonnera peut-être, elles ont été parfois même presque amicales, et elles ont été toujours très empreintes de respect et de confiance. Et je pense que le travail qu'on a fait pendant un an avec les partenaires sociaux, et qui n'avait pas été fait depuis un certain nombre d'années, est un peu responsable de ce climat.
DAVID PUJADAS - Merci, Monsieur le Premier Ministre... Monsieur le ministre, décidément, on va y arriver, d'avoir répondu à nos questions et de nous avoir réservé votre première réaction. Merci François FILLON.



(source http://www.retraites.gouv.fr, le 21 mai 2003)
Intervention de François Fillon
au 20h de TF1 le 25 mai
25-05-2003


CLAIRE CHAZAL
Avec nous donc, le ministre des Affaires sociales, François FILLON, bonsoir.
FRANÇOIS FILLON, MINISTRE DES AFFAIRES SOCIALES, DU TRAVAIL ET DE LA SOLIDARITE
Bonsoir.
CLAIRE CHAZAL
Merci beaucoup. Est-ce que vous seriez prêt, ce soir au vu de cette mobilisation, aussi à l'annonce de ces futures grèves, celle de mardi par exemple, est-ce que vous seriez prêt à renégocier ou à revoir les syndicats sur le projet de réforme des retraites ?
FRANÇOIS FILLON
A revoir les syndicats, toujours, à renégocier, non. Vous savez, les Français sont nombreux à manifester contre les retraites, mais ils sont encore plus nombreux à sanctionner les gouvernements qui n'ont pas le courage de les faire. Nous, nous avons observé une nouvelle fois cette manifestation, les slogans, les discours. C'est le secteur public qui ne veut pas de l'harmonisation entre le public et le privé, et ça c'est une revendication que nous ne pouvons pas accepter, c'est un choix qui n'existe pas, parce que c'est un choix qui n'est pas juste.
CLAIRE CHAZAL
Il y avait aussi des salariés du privé dans ce cortège.
FRANÇOIS FILLON
Pour l'essentiel, c'était le secteur public qui ne veut pas... d'ailleurs on a vu les slogans, 37 années et demi, alors que tous les Français du secteur privé sont à 40 annuités déjà depuis longtemps. C'est une revendication qui ne peut pas d'ailleurs coller à l'image qu'ont les fonctionnaires, l'image de l'intérêt général, l'image du service public. Comment imaginer que les fonctionnaires ne participent pas à l'effort général pour sauver les régimes de retraite par répartition qui sont menacés.
CLAIRE CHAZAL
Mais est-ce que vous n'avez pas peur que cette radicalisation, qu'on constate aussi de la part des syndicats, mais aussi de la part du gouvernement, vos propos sont assez fermes. Est-ce qu'elle ne risque pas au fond de paralyser le pays ? On parlait de grève générale...
FRANÇOIS FILLON
Ce n'est pas une radicalisation, il y a eu le temps du dialogue social, il a duré trois mois, ça a été le temps de la négociation. C'est un temps qui s'est achevé sur un accord qui a été approuvé par plusieurs organisations et qui comporte beaucoup d'avancées sociales qui ont modifié en profondeur le projet. Maintenant, on entre dans un nouveau temps, qui est le temps du débat devant les représentants du peuple. Dans quelques semaines, c'est le Parlement qui va débattre de ce projet, et c'est lui qui va trancher. Et d'une certaine manière, j'ai compris que les défilés d'aujourd'hui avaient anticipé ce changement de temps, parce que les partis politiques, qui n'étaient pas présents dans les manifestations précédentes, étaient cette fois-ci très représentés, c'est-à-dire que maintenant c'est un débat politique, et c'est naturellement au Parlement qu'il doit avoir lieu.
CLAIRE CHAZAL
Est-ce que vous n'avez pas eu le sentiment aussi que trop de réformes étaient annoncées, ces temps derniers, il y a cette réforme des retraites, il y a aussi la décentralisation dans l'Education nationale, tout ça a crispé peut-être le corps social.
FRANÇOIS FILLON
Il y a quelques semaines, on nous disait qu'il n'y avait pas assez de réformes et que ça n'allait pas assez vite. En réalité, nous suivons un calendrier que nous avons présenté au Parlement dès l'installation du gouvernement, et s'il y a besoin d'autant de réformes, car c'est vrai que je préfèrerais en avoir moins à porter, notamment dans le domaine social, c'est parce que ça fait des années et des années qu'on n'en fait pas. Et si on a continue ce tremblement de terre politique du 21 avril, c'est justement parce qu'on n'a pas fait de réformes, c'est parce que nous sommes dans un pays qui est bloqué. Il faut que ces réformes se fassent à un rythme suffisamment rapide, pour qu'on puisse sortir rapidement de l'ornière dans laquelle nous nous trouvons. Après les retraites, il y a l'assurance maladie qui est en train de creuser les déficits, la décentralisation ce n'est rien d'autre que la réforme de l'Etat et un peu plus de respiration dans le système. Donc tout ça, il faut le faire.
CLAIRE CHAZAL
Mais on ne sent pas que les Français sont tellement réfractaires aux réformes, mais au détail de la réforme que vous proposez. Pourquoi, par exemple, ne pas accepter de taxer le capital pour mieux financer ces retraites ?
FRANÇOIS FILLON
D'abord parce qu'en France, le capital est déjà plus taxé que dans la plupart des pays européens. Alors taxer le capital, ça reviendrait à réduire les investissements dans les entreprises, à avoir moins d'emplois, et donc au bout du compte, à avoir moins de cotisants et moins d'argent pour les retraites. Mais au-delà, faire reposer le financement des retraites sur le capital, c'est-à-dire sur quelque chose qui est fluctuant, quelque chose qui obéit aux lois du marché, à la bourse, c'est un peu cocasse pour tous ceux qui sont contre la capitalisation et qui, à juste titre - c'est notre cas - veulent des retraites assises sur des ressources solides, c'est-à-dire sur les revenus du travail.
CLAIRE CHAZAL
Alors il y a aussi une autre solution qui consisterait à augmenter les cotisations.
FRANÇOIS FILLON
C'est ce qu'on va faire. Quand on dit qu'on ne fait peser l'effort que sur l'allongement de la durée de cotisations, c'est évidemment complètement faux. C'est à peu près un tiers de l'effort par l'allongement très progressif de la durée de cotisations, on est d'ailleurs très loin de ce qui se passe dans les autres pays européens, on travaille déjà beaucoup plus longtemps qu'en France. Et les deux tiers de l'effort seront assurés par une augmentation des cotisations retraites. Simplement, nous allons attendre pour mettre en oeuvre cette augmentation des cotisations retraites que les politiques qui sont conduites en matière de lutte contre le chômage, et puis surtout la démographie, qui est la cause de nos difficultés en matière de retraite, viennent réduire les dépenses de chômage, pour que globalement les prélèvements obligatoires n'augmentent pas trop dans notre pays, parce que sinon c'est l'emploi qui sera menacé par des prélèvements obligatoires excessifs.
CLAIRE CHAZAL
Une dernière question, François FILLON, est-ce qu'il ne fallait pas un véritable engagement de la part de Jean-Pierre RAFFARIN, je dirais à vos cotés et au-dessus de vous, pour, au fond, faire passer ses réformes ?
FRANÇOIS FILLON
Jean-Pierre RAFFARIN est totalement engagé dans cette réforme...
CLAIRE CHAZAL
... Un peu absent...
FRANÇOIS FILLON
Il a d'abord été engagé dans sa préparation, et je pense que dans les semaines qui vont venir, parce que le débat parlementaire va durer plusieurs semaines, Jean-Pierre RAFFARIN aura toute occasion de montrer combien il est engagé dans cette réforme.
CLAIRE CHAZAL
Je vous remercie beaucoup d'être venu nous parler de ces réformes donc, dont le texte sera présenté, je le rappelle, mercredi en conseil des ministres.

(Source http://www.retraites.gouv.fr, le 2 juin 2003)