Interview de M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement et porte-parole du Gouvernement, à BFM le 26 septembre 2003, sur la politique budgétaire et fiscale et sur le débat autour des 35 heures.

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Média : BFM

Texte intégral

P. Manière-. Il fut en 1995 le plus jeune élu à l'Assemblée nationale, il fut aussi le plus jeune des battus lors de la dissolution de 1997. Il est aujourd'hui, à 39 ans, le benjamin et le porte-parole du Gouvernement. Jeune homme pressé et ambitieux, "Sarkozy aux petits pieds", disent méchamment ses détracteurs, "surdoué et travailleur et plein d'avenir", disent ses amis, ce gendre idéal, mince, souriant, bien élevé, et les yeux bleus, a aujourd'hui la lourde charge de défendre le budget, un budget présenté hier et déjà critiqué de toutes parts. Mais adoubé dimanche dernier, tête de liste de l'UMP pour les prochaines régionales en Ile-de-France, il sait que sa carrière nationale se joue moins désormais paradoxalement au Parlement ou à Matignon que dans cette échéance électorale essentielle, faussement locale, et qui viendra plus vite que prévu.
J.-F. Copé, bonjour.
- "Bonjour."
Alors, je le disais, c'est tous les ans la même chose, mais tout de même, cette année, des milieux d'affaires aux socialistes et aux communistes, sans même parler de Bruxelles, vous vous êtes mis tout le monde à dos avec ce budget.
- "Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous."
Oh, quand on lit les journaux, ce matin, il n'y a pas beaucoup d'applaudissements.
- "Si j'osais, je vous dirais que "tout le monde"... Vous oubliez dans la liste les Français. Car en réalité, ce qui compte pour nous, c'est quoi ? C'est de faire en sorte que l'on soit cohérents avec les engagements que nous avons pris vis-à-vis des Français comme vis-à-vis de nos partenaires européens. Or, notre objectif aujourd'hui est que chacun comprenne bien la politique économique que nous conduisons et c'est à cela qu'on travaille."
Mais n'avez-vous pas le sentiment tout de même que, ce qui manque c'est que vous fassiez la politique de votre camp. Etre critiqué, par exemple, beaucoup par les milieux d'affaires ou par, ce matin, un édito assez dur dans Les Echos, enfin, tout de même, la démocratie c'est de faire la politique de son camp. Thatcher n'était pas critiquée à droite, Clinton n'était pas critiqué à gauche, du moins au début.
- "Il me semble que c'est quand même pas... D'abord l'alpha et l'omega de la politique mais pas simplement de faire la politique de son camp. Mais pour ce qui concerne ce point précis, je veux simplement rappeler, et chacun verra de quel point de vue il se place. Enfin, chacun a tout de même constaté que depuis 15 mois, nous avons fait une vraie politique de baisse d'impôts et de charges sociales ; 10 milliards d'euros injectés dans l'économie alors que la croissance est aussi faible cela mérite peut-être qu'on le salue, cet effort. Deuxième élément : nous avons maîtrisé la dépense publique. Je voudrais quand même rappeler à tout le monde que, la dépense publique augmentait en moyenne à un rythme entre 2 et 3 % par an durant la période de croissance, sous le gouvernement Jospin, nous avons stabilité le paquebot. Et ça n'est pas rien quand on connaît le lien entre la dépense publique et la manière dont l'économie française est gérée. Et enfin, troisième et dernier point, nous faisons des réformes de structures. Je crois que là, chacun peut y retrouver son compte. Car voilà des années qu'on avait perdu cette habitude du courage politique."
Il y a un reproche qui paraît quand même relativement fondé, vu justement de Monsieur-Tout-le-Monde, qui a l'air d'être votre alpha et votre omega, comme vous le disiez, c'est le manque de lisibilité. Il y a une baisse des impôts dans ce budget, vous le disiez, mais il y a aussi une hausse des taxes. Et donc on se dit volontiers, dans la France profonde : on nous reprend d'une main ce qu'on nous donne de l'autre.
- "C'est-à-dire que tout l'objectif est de pouvoir, et notamment par l'intermédiaire des radios, toutes radios confondues d'ailleurs, parler à ce que vous appelez "la France profonde". Pour essayer de faire en sorte que les informations ne partent pas dans tous les sens. Je voudrais simplement, en appeler les uns et les autres à replacer les choses dans leur juste proportion. D'un côté, nous baissons de 10 milliards, en 15 mois, les impôts et les charges sociales, et je rappelle que cela profite essentiellement aux Français puisque nous avons choisi l'impôt sur le revenu, la prime pour l'emploi, que nous augmentons, pour les salariés modestes, et la baisse des charges sociales qui favorisent l'emploi. Et que pour la taxe du diesel, du gasoil, cela correspond à une augmentation de 800 euros. Donc, 800 millions d'euros d'un côté et 10 milliards de l'autre. Et enfin, je veux rappeler que ces 800 millions vont servir à participer au financement des infrastructures de chemin de fer, et notamment de TGV, et ça, c'est que les Français attendent parce qu'il s'agit de revoir l'équilibre entre la route et le chemin de fer. Donc, ça fait quand même beaucoup de choses à réfléchir ensemble."
La prime pour l'emploi, justement, P. Méhaignerie suggère qu'elle soit intégrée à la feuille de paye. Aujourd'hui, comme vous le savez, quelqu'un qui reprend un emploi pas très bien payé le 1er janvier, il va toucher sa prime pour l'emploi en septembre de l'année suivante. Ce n'est pas très incitatif. Que pensez-vous de cette proposition de Méhaignerie ?
- "C'est une proposition qui est tout à fait pertinente, il faut en étudier la faisabilité."
Le plus singulier tout de même - on a parlé de l'impôt -, mais c'est peut-être que vous ne supprimiez que, vu de droite, 4562 emplois dans la fonction publique d'Etat. On parlait encore de 30 000, il y a trois ou quatre mois. Pourquoi cela a-t-il fondu comme neige au soleil ?
- "Là encore, essayons, ce n'est pas toujours facile, de voir ce que c'est qu'un à moitié plein plutôt qu'un verre à moitié vide. Que voulez-vous que je vous dise ?! Notre pays a, pendant les cinq années du gouvernement Jospin, vu la création de 15 000 emplois supplémentaires par an. Nous sommes à, cette année, moins 5 000 pratiquement. Et je veux simplement dire que ces moins 5 000 incluent les augmentations du nombre de fonctionnaires que nous créons là où nous en avons besoin."
Dans certains ministères prioritaires ?
- "Mais bien sûr."
Qui sont ?
- "La Police, la Justice, qui sont pour des domaines très spécifiques, l'Education. Et pour le reste, cela fait en net moins 5 000. Donc, cela veut dire qu'il y a un effort tout à fait significatif."
Mais est-ce qu'on aurait pas pu aller plus loin ? Je prends juste un exemple : la France est probablement le seul pays au monde où il y a, à la fois, un Commissariat au plan, une Direction de la prévision, plein de conjoncturistes à l'INSEE. Dans la plupart des grands pays, maintenant on s'en remet aux banques privées où on a une équipe de cinq ou six personnes. Franchement, vous n'auriez pas fait de peine à la France d'en bas en fermant une ou deux ou trois de ces honorables institutions puisque cela coûte de l'argent...
- "P. Manière, j'ai lu vos ouvrages excellents sur tous ces sujets..."
Non, ce n'est pas la question...
- "Mais c'est ma réponse. Je veux tout de même vous dire que, sur tout cela, il y a un peu loin de la théorie à la pratique. Ce que je veux simplement vous dire c'est qu'il y a sans doute une réflexion à avoir. Mais on ne peut pas balayer cela d'un revers de main ; on ne peut pas dire, comme cela : tiens, le Commissariat au plan, et tiens, tel autre organisme etc. Il faut y réfléchir. Et vous ne croyez pas si bien dire, nous avons commencé d'y réfléchir. Est-ce que vous savez que le Premier ministre a demandé au nouveau commissaire général au Plan, en l'occurrence M. Etchegoyen, de réfléchir à ce que pourrait être demain un organisme qui concentrerait tous ces organes de réflexion sur l'avenir de l'Etat, dont nous avons besoin, et dont il faut, sans doute, moderniser le fonctionnement. Avec probablement à la clé des économies."
Dans L'Expansion de ce mois-ci, il y a un sondage qui montre que la majorité des Français est désormais hostile aux 35 heures. Est-ce que ça ne vous donne pas à penser sur l'opportunité de les abolir tout simplement ? Vous les aviez très vivement critiquées quand vous étiez dans l'opposition, et puis maintenant que vous êtes au pouvoir, on n'a pas l'impression que vous leur faites beaucoup de mal. Si cela devient impopulaire, c'est tentant non ? Cela économiserait beaucoup d'argent à l'Etat.
- "Là encore, je suis de ceux qui pensent qu'il faut éviter des réformes trop brutales, trop caricaturales qui, finalement, feraient que le remède serait pire que le mal. Je crois que l'économie a été très profondément désorganisée par ces 35 heures, on le voit à l'hôpital, on le voit dans beaucoup d'entreprises. Nous avons commencé par les assouplir, et c'est tout le travail que nous nous efforçons de faire à travers la possibilité d'aller aux heures supplémentaires et de faire que, chaque Français puisse, s'il le souhaite, gagner plus pour gagner plus. Viendra, le moment venu, l'évaluation de cette première étape, et nous verrons à ce moment-là ce que les Français souhaiteront, entreprise par entreprise. Je crois que ce qui compte, c'est le libre choix, c'est la souplesse, c'est, surtout, de réhabiliter le travail. C'est cela que je veux vous dire aujourd'hui. Le mot d'ordre clé du budget de cette année, comme d'ailleurs de la politique économique que nos conduisons, c'est de réhabiliter le travail. Ca nous fait une grande différence avec les socialistes, car eux veulent réhabiliter l'impôt - ils nous parlent d'augmentation d'impôts à tous les étages, ce qui est une manière pour eux de ne pas trancher dans le vif les grandes réformes qu'il faut faire pour la France -, nous, on veut réhabiliter le travail."
Vous parlez beaucoup d'avoir un rythme de la réforme qui ne soit pas trop brutal. En même temps, je vous ai lu, vous disiez dans Les Echos, il y a quelques mois : "Je n'ai jamais connu de gouvernement pénalisé parce qu'il était dans l'action". Est-ce qu'un an pour les retraites, deux ans pour la Sécu, cela vous paraît être dans l'action ? Est-ce qu'on n'aurait pas pu aller plus vite ?
- "Ce n'est pas "un an pour les retraites et deux ans pour la Sécu", c'est une première année consacrée à la réforme des retraites, une deuxième année consacrée à la réforme de la Sécu, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Je crois que des réformes aussi essentielles exigent que la méthode soit aussi bien pratiquée que le fond. Car, ce n'est pas le tout d'avoir raison tout seuls, il faut convaincre, expliquer, écouter, respecter les uns et les autres. Nous avons réussi la réforme des retraites parce qu'on a fait une première étape de diagnostic, une deuxième étape de dialogue et une troisième de décision. Nous ferons la même chose pour la santé."
Même s'il y a un peu d'impatience parmi vos propres soutiens parlementaires, à l'UMP, à l'UDF ?
- "Ce qui compte, c'est que d'ici à 2007, le boulot soit fait. Et croyez-moi, nous avons un contrat avec les Français, nous le tiendrons. Car c'est cela aussi l'esprit du 21 avril."
Trois questions express pour finir : que faites-vous en sortant du studio de BFM ?
- "Je vais rencontrer la rédaction de The Economist, qui est un journal que j'aime beaucoup, comme vous sans doute. Et qui donne un regard un peu différent de celui que nous lisons, lorsque nous lisons notre presse française. Et je trouve que c'est intéressant d'échanger avec eux."
La question perso : quel est le dernier film que vous avez vu ?
- "Le dernier film que j'ai vu ? Oh, là, là, je n'ose pas vous le dire. Je viens de revoir le Père Noël est une ordure. J'ai craqué."
Ca vous a plu à nouveau ?
- "Cela fait la 18 ème fois que je le vois."
Dernière question : quel est votre pronostic pour la croissance de la France en 2003 ?
- "Nous sommes dans l'hypothèse que nous avons rappelé hier, 0,5 et nous espérons faire 1,7 en 2004."
Mais 2003, 0,5 vous y croyez ?
- "Oui, oui. Je crois que cela correspond à peu près à ce qu'est cette année. Mais sachez qu'en tout cas, nous, dans les prévisions de croissance, on travaille dans la transparence et nous essayons vraiment de coller au consensus des économistes, même d'être encore plus prudents qu'eux le cas échéant."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 septembre 2003)