Interview de M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, à RMC le 3 juin 2003, sur les mouvements de grève contre le projet de réforme des retraites, le report du projet de loi sur la décentralisation de l'enseignement et sur les différences de traitement dans le régime des retraites entre secteur privé et secteur public.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin : P. Devedjian, bonjour. Merci d'être là. Vous venez d'entendre ce chauffeur de taxi qui est bloqué depuis 3/4 d'heure.
- "C'est malheureux. Il a perdu sa journée."
J.-J. Bourdin : Qu'est-ce que vous avez envie de lui dire ?
- "Il perd de l'argent. A cause de ceux qui ne veulent pas comprendre et qui veulent bloquer le pays pour avoir une revanche politique et sociale."
J.-J. Bourdin : C'est un mouvement politique ?
- "D'abord, j'ai entendu M. Thibault déclarer dimanche matin que le mouvement avait les moyens d'interrompre le processus démocratique de saisine du Parlement. On est où, là ? On est dans quelle situation ? Ca ne correspond évidemment à rien du fonctionnement démocratique d'un pays."
J.-J. Bourdin : Situation pré-insurrectionnelle, comme disait L. Ferry ?
- "N'exagérons rien. Mais en tous les cas, volonté de paralyser le Gouvernement et de l'empêcher de faire des réformes que les Français comprennent et dont ils savent qu'elles sont indispensables pour affronter l'avenir."
J.-J. Bourdin : Est-ce que le Gouvernement va ouvrir sa porte sur le dossier des retraites, avant la présentation du dossier à l'Assemblée nationale la semaine prochaine ?
- "Mais le Gouvernement n'a fait que ça pendant des mois et des mois. Il a négocié avec les syndicats. La preuve en est d'ailleurs, c'est qu'un certain nombre d'entre eux ont signé un accord avec le Gouvernement, en obtenant d'ailleurs des choses importantes et des aménagements dans ce projet de loi. Donc, cette phase a eu lieu et de manière très approfondie."
J.-J. Bourdin : D. Le Reste, le représentant de la CGT-cheminots nous disait tout à l'heure que si le Gouvernement ne fait rien, ne prend aucune initiative avant les discussions à l'Assemblée nationale, la grève va durer ?
- "Mais les cheminots ne sont pas du tout concernés par le projet sur les retraites. Il n'y a aucune disposition qui les concerne. Pourquoi font-ils grève ?"
J.-J. Bourdin : Pourquoi ?
- "Moi, je me pose la question. Je pense que cela participe de cette volonté organisée, en particulier par la CGT, de vouloir paralyser le pays pour faire reculer le Gouvernement, par principe."
J.-J. Bourdin : Vous le confirmez, les régimes spéciaux ne sont pas concernés ?
- "Mais oui. M. Gallois l'a écrit aux cheminots ; le président de la SNCF leur a garanti. Que peut-on faire d'autre ?"
J.-J. Bourdin : Mais pourquoi ne sont-ils pas concernés ? Franchement ?
- "Parce que l'essentiel, c'est le problème des retraites. Déjà, faire passer le régime général à 40 annuités, c'est un effort considérable. Je crois qu'il faut quand même se contenter de cela aujourd'hui."
J.-J. Bourdin : Il est vrai que de nombreux députés UMP souhaiteraient tout englober ?
- "Je crois que cela ne serait pas raisonnable et pas réaliste. En tous les cas, le Gouvernement n'a pas fait ce choix ; il l'a dit très clairement. Alors, on peut toujours faire des procès d'intention aux gens, mais, à ce moment-là, tout est permis, si on fait cela."
J.-J. Bourdin : Sur le dossier Education, vous annoncez donc - c'est une discussion qui a été engagée hier... Enfin, c'est N. Sarkozy, qui est un peu le démineur de ce Gouvernement ...
- "C'est exact."
J.-J. Bourdin : Ah ben oui, c'est le démineur ? Pourquoi ? Cela veut dire que L. Ferry n'avait plus la maîtrise du dossier ?
- "Non. Mais d'abord, dans ce projet, il y a un aspect décentralisation qui est conduit par le ministère de l'Intérieur et moi-même. Et donc, il est tout à fait légitime que ce soit ce ministère qui réponde à certaines interrogations."
J.-J. Bourdin : Vous annoncez donc la décision de reporter à la mi-septembre le dépôt du projet de loi sur la décentralisation ?
- "Plus exactement, c'est une décision de dialogue. C'est-à-dire que nous nous donnons jusqu'au 15 septembre pour discuter avec les syndicats, répondre à leurs objections, pour prendre en considération leurs suggestions. Et donc, nous nous sommes donné ce délai, puisqu'ils ont considéré que le débat, la concertation avait été insuffisante. Moi, je rappelle que nous avons fait les Assises des libertés locales, que sur ces Assises des libertés locales qui se sont tenues dans les 26 régions, nous avons vu 55 000 personnes, y compris les représentants des syndicats. J'ai moi-même eu très souvent des échanges avec eux au cours de ces Assises. Et nous avons abordé, dans le cadre de ces Assises, les problèmes qui sont traités dans la loi de décentralisation pour l'Education nationale. Mais, aujourd'hui, un certain nombre d'organisations centrales des syndicats, elles-mêmes, n'ont pas eu une concertation suffisante. Le Gouvernement, avec bonne volonté, rouvre le dialogue."
J.-J. Bourdin : Vous êtes très concerné par la décentralisation, évidemment. Vous venez à la rescousse, avec N. Sarkozy, de L. Ferry, qui est un peu dans une situation délicate en ce moment. Revenons sur ce que vous proposez. Vous proposez donc des discussions jusqu'en septembre aux syndicats d'enseignants sur la décentralisation. Comment vous ont-ils répondu ?
- "N. Sarkozy a demandé, en particulier à chacun des responsables syndicaux, de nous faire un texte, une proposition avec leurs critiques, leurs observations. Et nous allons travailler, avec eux, texte en main, à partir de ce qu'eux-mêmes vont rédiger."
J.-J. Bourdin : Les enseignants font grève, selon vous, pour protester contre la décentralisation ou contre le projet des retraites ?
- "Je n'arrive pas très bien à comprendre. Quand on m'explique que les primaires et les maternelles sont en grève, elles ne sont pas concernées par le projet de décentralisation. Elles-mêmes sont décentralisées depuis J. Ferry, c'est-à-dire depuis 120 ans. Donc, la question n'est pas posée. En revanche, la question des retraites est posée avec acuité et ça, je peux tout à fait le comprendre. La perspective de travailler plus longtemps pour certains, pas dans les primaires ni dans les maternelles, mais surtout dans les collèges et dans les lycées, avec des conditions de travail qui se sont souvent dégradées, est perçue avec angoisse."
J.-J. Bourdin : Ce qui veut dire que, sur les retraites, dans l'Education nationale, vous pourriez faire un geste ?
- "Ecoutez ! c'est le Parlement..."
J.-J. Bourdin : Ah, P. Devedjian, là, je vous écoute avec attention. Alors ?
- "Je vous le dis : le Parlement est saisi ; il est souverain. Et c'est là où le débat aura lieu."
J.-J. Bourdin : Des amendements allant dans ce sens pourraient être déposés ?
- "Des amendements, il y en a. On en a produit beaucoup."
J.-J. Bourdin : Vous souhaiteriez qu'on fasse un effort pour les retraites dans l'Education nationale ? Franchement ?
- "Je pense surtout qu'il faut avoir une vraie réflexion sur la seconde carrière des enseignants, parce que c'est vrai, souvent, notamment dans les collèges et dans les lycées, la tâche peut être éprouvante et qu'à partir d'un certain âge, on peut avoir envie de faire [autre chose]. C'est peut-être moins une question de retraite qu'une question de seconde carrière."
J.-J. Bourdin : Mais dans tous les cas, vous souhaiteriez - sans rentrer dans les détails - qu'un geste soit fait ?
- "Non. D'abord, le débat est conduit par F. Fillon ; il est conduit intelligemment. Il a fait preuve de beaucoup d'ouverture. C'est dans le cadre du débat à l'Assemblée nationale que ces problèmes se traiteront."
J.-J. Bourdin : Jeudi et vendredi, vous allez avoir des discussions ?
- "Oui, bien sûr. Mais c'est tous les jours, les discussions. C'est un chantier permanent. C'est un sujet capital pour l'avenir de la société française. Nos retraites sont condamnées dans l'état actuel. Il faut trouver une solution."
J.-J. Bourdin : Que dites-vous aux personnels non-enseignants de l'Education nationale qui devraient peut-être passer agents territoriaux ? Auront-ils le droit de refuser, de rester agents de l'Etat ?
- "Oui, ils peuvent rester agents de l'Etat, naturellement. C'est très simple d'ailleurs, s'agissant de ces agents. Je rappelle que, dans les classes primaires et maternelles, c'est fait depuis J. Ferry. Là, il est envisagé de faire la même chose pour les lycées et les collèges, parce que les lycées et les collèges sont déjà sous la responsabilité des collectivités locales. Et donc leur maintenance, et les personnels chargés de cette maintenance, il serait logique qu'ils le soient aussi. Elles feront la même chose, au même endroit, avec le même statut que celui qu'elles ont, c'est-à-dire le statut d'Etat, sous la même autorité, celui du principal ou l'autorité du proviseur et avec la même rémunération, le même montant. Simplement, la feuille de paye, au lieu de porter l'en-tête du rectorat, portera l'en-tête du département ou de la région. Voilà la différence qu'il y aura."
[2ème partie. Les questions des auditeurs]
Un auditeur, Pierre (cadre commercial) : J'ai un fils de neuf ans. Je voulais savoir comment expliquer à mon fils la Déclaration des droits de l'Homme sur l'égalité entre les citoyens, lorsque moi, ma retraite va être calculé sur 25 annuités alors que son instituteur va être calculé sur six mois ? Où est l'égalité entre les citoyens ? Pourquoi ne pas mettre le calcul sur dix années pour tout le monde ?
- "Mais là, vous avez raison. Vous soulignez simplement que le système est fortement inégal aujourd'hui. Et c'est tout à fait vrai. L'étape que nous franchissons aujourd'hui va justement vers plus d'équité, plus d'égalité, puisqu'aujourd'hui, le secteur privé paye 40 annuités pour avoir la retraite et que le secteur public paie 37,5. C'est bien cette grave inégalité, qui dure depuis plus de dix ans, à laquelle, aujourd'hui, nous allons essayer de mettre fin, en portant tout le monde au même niveau. Alors, il reste d'autres inégalités, comme celle que vous soulignez, mais ça, c'est la plus profonde, qui va déjà cesser."
Autre auditeur, Frédéric, 37 ans (policier municipal dans le Vaucluse) : Je suis policier, le travail a changé pour le policier municipal. Je suis d'accord pour une répartition des retraites, mais répartition du volet social pour tout le monde. Un roulant à la SNCF part à 50 ans. Est-ce plus dur d'être roulant à la SNCF ou d'être sur la voie publique jusqu'à 60-65 ans ? Qu'en pensez-vous monsieur le ministre ?
- "C'est sûr que le métier de policier, y compris le métier de policier municipal, est un métier éprouvant, qui comporte des risques. D'ailleurs, s'agissant des policiers, il y en a un nombre important qui est tué chaque année. On voit bien que ce n'est pas un métier qui est comme les autres et il doit en être tenu compte."
J.-J. Bourdin : Sentez-vous cette demande d'égalité ?
- "Bien sûr. Et le projet de loi du Gouvernement répond, pour partie seulement d'ailleurs, parce que les inégalités sont tellement nombreuses et tellement profondes, et chacun est ancré parfois dans ses habitudes et dans ses différences, c'est simplement la plus profonde des inégalités à laquelle il est aujourd'hui remédié. Mais c'en est une parmi beaucoup d'autres."
J.-J. Bourdin : J.-P. Raffarin ne cèdera pas sur le projet de réforme des retraites ?
- "Ce n'est pas J.-P. Raffarin qui est en cause, c'est notre pays. Est-ce que notre pays veut assurer le paiement des retraites futures d'ici à quelques années ? Sinon, dans quelques années, nous ne pourrons pas payer. C'est cela la problème qui est posé, ce n'est pas la personne du Gouvernement ou J.-P. Raffarin."
Autre auditeur, David, 26 ans, (ambulancier dans la Drôme) : Depuis le début de votre intervention, vous parlez de "l'Etat" et de "notre pays" pour les retraites ? Pourquoi ne pas faire tout simplement un référendum sur un sujet aussi important ?
- "D'abord, parce que c'est un problème très compliqué. On le voit bien dans le débat où beaucoup de gens n'ont pas l'air souvent de saisir, à la fois les enjeux et la complexité du système. Et ensuite, parce que cette loi sur les retraites ne règle pas évidemment tous les problèmes, elle règle évidemment le problème le plus urgent, qui est le paiement immédiat des retraites à venir."
David : Comme ambulancier, je rencontre énormément de gens, du public ou du privé. Je pense que derrière le Gouvernement, pour le sujet des retraites, il y a une forte majorité de gens du privé qui sont avec vous. Donc, je pense qu'un référendum pourrait donner quelque chose de clair au niveau du sentiment des personnes.
- "Vous êtes gentil de nous dire, en tous le cas, que vous nous soutenez et que vous êtes derrière nous. C'est bien de l'entendre, parce que parfois on a des doutes. On aimerait souvent entendre davantage ceux qui souffrent actuellement de ces inégalités et qui voient bien que leurs retraites futures sont menacées."
Une auditrice, Béatrice (vendeuse, Pyrénées-Atlantiques) : L'autre jour, vous faisiez une proposition pour travailler six dimanches. C'est-à-dire que les maires ou les sénateurs prendraient la décision par rapport à des villes touristiques d'ouvrir les magasins le dimanche. Pourquoi ne proposez-vous pas à tout le service public d'ouvrir le dimanche dans les villes touristiques ?
- "Non, ma proposition ce n'est pas ça. Actuellement, on a le droit d'ouvrir cinq dimanches par an. La décision pour déterminer si oui ou non on peut le faire, est prise par le préfet du département. Ma proposition dans le cadre de la décentralisation, c'est que cette décision soit prise par les élus locaux, par le conseil municipal de la ville."
Béatrice : C'est pareil.
- "Non, ce n'est pas pareil, parce que si vous n'êtes pas contents de vos élus, vous n'avez qu'à voter contre eux. C'est ça la démocratie. Le préfet, vous êtes content ou pas, vous ne pouvez pas voter."
Béatrice : Oui, mais quand vous travaillez dans une ville qui n'est pas la vôtre, vous ne pouvez pas voter !
- "Ben, enfin...On peut voter par ailleurs."
J.-J. Bourdin : On prend rendez-vous pour parler de décentralisation, une fois que tout cela sera calmé, parce que voilà un sujet qui est bien contraire aux traditions françaises, la décentralisation, puisque tout passe par Paris, trop d'ailleurs...
- "Oui, et le résultat c'est que Paris est paralysé. Dès que Paris est enrhumé, la France est malade."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 juin 2003)