Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Après 10 ans de débats, de rapports et d'hésitations, c'est avec une conscience aiguë de l'enjeu et une certaine émotion que je présente devant vous la première réforme globale de notre système de retraite depuis l'après-guerre.
Le temps du débat parlementaire est enfin venu. Il va nous permettre d'éclairer les enjeux, de croiser nos arguments et de prendre nos responsabilités devant la nation.
Vous savez combien la réforme des retraites a été différée. Nos partenaires européens s'y sont déjà attelés. Nous ne pouvons plus attendre. Le statu quo, chacun en convient, est impossible. Il menacerait gravement notre système de retraites en sanctionnant principalement nos concitoyens les plus modestes.
Je rappelle que les premières difficultés commenceront à apparaître en 2006 avec une augmentation annuelle de 300.000 départs supplémentaires à la retraite. Ce n'est que le début d'une révolution démographique qui changera le visage de la France. Il y a aujourd'hui 12 millions de retraités. En 2040, un Français sur trois aura plus de 60 ans. Le nombre des retraités aura donc quasiment doublé.
Ce dossier, certains ont prétendu qu'il ferait chuter plusieurs gouvernements...
Est-ce à dire que notre nation est définitivement réfractaire à toute réforme d'envergure ? Est-ce à dire qu'aucun effort raisonnable pour sécuriser notre modèle social n'est désormais possible ? Est-ce à dire que tout gouvernement est condamné à renoncer ou à esquiver devant les difficultés de la tâche ?
Je ne le crois pas.
Certes, nos concitoyens éprouvent une appréhension devant le changement, mais au fond d'eux-mêmes ils sentent bien qu'il faut aller de l'avant. Le 21 avril 2002 l'a démontré : ils sont plus sévères vis-à-vis de l'impuissance publique qu'à l'égard du courage politique.
C'est bien pourquoi le gouvernement est déterminé. Cette détermination nous anime d'autant plus que c'est notre modèle social et républicain qui est défié.
Face à ce défi, l'action est un devoir !
Même si je n'ignore pas les crispations et la diversité d'opinions qui s'expriment ces dernières semaines, j'estime que cette réforme devrait nous rassembler :
- elle n'est pas inspirée par des considérations dogmatiques ;
- elle est fondée sur un constat partagé et des pistes définies par les travaux du COR,
explorées depuis le Livre Blanc de Michel Rocard ;
- elle est juste et équitable ;
- elle est marquée par de véritables avancées sociales ;
- elle est progressive, rythmée par des rendez-vous réguliers permettant un pilotage et
un ajustement continu ;
- elle s'inscrit enfin et surtout dans un choix de société qui nous est commun : celui de la solidarité et de la répartition. Nous ne changeons pas de système. Nous le réformons pour continuer à le faire vivre !
Cette réforme fera du système des retraites français l'un des plus généreux et des plus solidaires d'Europe. J'invite ceux qui en doutent à examiner de près les options retenues par nos partenaires européens.
Mesdames et messieurs les députés,
Le Parlement sera le juge final de ce projet de loi qui est le fruit du dialogue social.
De concertations en négociations, cette phase de dialogue s'est achevée par l'accord du 15 mai 2003, entre le Gouvernement, la CFDT, la CGC, et les organisations patronales.
Cette phase a été longue et intense. Du début février à la mi-mai, le dialogue aura duré trois mois et demi, marqué par plus de 20 réunions au cours desquelles tous les aspects de la réforme ont été abordés. Il est un peu facile pour ceux qui ont mis le dossier des retraites au placard, faute de n'avoir cru possible d'établir un compromis, de donner aujourd'hui des leçons de dialogue social. La vérité, c'est qu'au cours de ces cinq dernières années, jamais le ministère des affaires sociales n'a vu se nouer un tel dialogue.
Cette méthode a porté ses fruits puisqu'un compromis a été trouvé avec plusieurs organisations syndicales. Au nom de quoi ces organisations seraient-elles stigmatisées, voire méprisées, tandis que celles qui ont, en définitive, choisi la voie de la contestation seraient encensées ? Pour ma part, je ne porte de jugements ni sur les unes, ni sur les autres : chacun a pris ses responsabilités.
Contrairement à certains propos désobligeants et démagogiques entendus ces temps-ci, le gouvernement ne cherche à " humilier " personne, pas plus qu'il ne cherche à opposer les secteurs public et privé. Nous sommes - je l'ai dit - simplement déterminés à avancer et estimons être en droit de souligner et de corriger l'inéquité qui existe entre les régimes du public et du privé.
Ce droit, certains le contestent au nom d'une étrange défense du service public qui verrait l'Etat et ses fonctionnaires exonérés des efforts demandés à tous les Français. Telle n'est pas ma conception de l'égalité républicaine.
Je respecte les choix et convictions de chacun. J'estime même que certaines organisations syndicales, aujourd'hui contestataires, ont apporté une contribution importante et utile à notre projet. Mais le respect n'est pas synonyme de retrait, de report ou de réécriture du projet.
La CFTC ayant choisi de rester " neutre ", deux des cinq confédérations syndicales ont décidé de s'opposer au projet de réforme. Pouvais-je les convaincre de nous suivre jusqu'au bout ? J'en doute. Leur hostilité porte sur une réforme vieille de dix ans, celle de 1993, que la gauche au pouvoir n'a au demeurant jamais cru utile de remettre en cause ; elle porte également sur l'alignement de la durée de cotisation du public sur le privé, point sur lequel nous ne pouvons - au nom de l'équité - transiger. Je note d'ailleurs que dans la déclaration intersyndicale du 6 janvier, il n'était à l'époque nul question d'un retour aux " 37,5 années et demi de cotisations pour tous "... Mais voilà qu'aujourd'hui cette revendication ressurgit... Quel crédit pouvons nous accorder à l'idée qu'en proposant à tous les Français de travailler moins nos retraites pourraient y gagner ?
Je suis attentif à ce qui se passe dans la rue et ne suis pas enfermé dans des certitudes... Comme l'immense majorité des Français, je ne comprends pas que l'on puisse faire grève contre l'équité.
Je lis et entends les mots d'ordre et slogans et j'ai - je vous l'avoue - le plus grand mal à discerner les axes d'un projet alternatif qui ne compromettrait pas l'avenir de nos retraites ou de notre économie.
Dans toutes les prétendues contre-propositions, je vois surtout des dépenses supplémentaires qui conduiraient à un besoin de financement bien supérieur aux 4 points de PIB chiffrés pour 2040 par le Conseil d'orientation des retraites. Je ne vois en fait, pour l'essentiel, que des impôts, des cotisations ou des taxes, c'est-à-dire des charges supplémentaires pour les Français d'aujourd'hui et surtout de demain. Ces charges seraient dangereuses pour notre économie et pour nos emplois. Dans le monde ouvert et compétitif qui est le nôtre, la France est déjà fort mal placée dans le domaine des prélèvements obligatoires... Il serait irresponsable d'alourdir la barque.
D'une certaine façon, j'ai le sentiment que cette quête éperdue de prélèvements supplémentaires masque un objectif inavoué : financer à tout prix le statu quo, notamment le statu quo sur la durée de cotisation ; financer, en définitive, l'absence même de réforme ! Cette option n'est pas la nôtre. Car l'intérêt général commande de réformer.
Cette réforme dépasse, en effet, la question même de l'équilibre comptable des retraites. Ce qui est aujourd'hui en cause, c'est notre capacité à consentir sur nous-mêmes l'effort nécessaire pour garantir notre modèle social.
Mesdames et messieurs les députés,
Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter est construit autour de quatre orientations principales.
La première orientation est le choix majeur de maintenir le niveau des pensions aussi haut que possible par l'allongement de la durée d'activité et de la durée d'assurance.
De plus en plus nombreux à la retraite, les Français aspirent à la sérénité de ce temps de la
vie !
Ils veulent à juste titre un haut niveau de retraite.
Personne ne peut croire sérieusement que cet objectif passe par une forte augmentation des cotisations ou un nouveau mode de financement qui viendrait miraculeusement changer la donne.
C'est pourquoi la meilleure garantie, la plus juste et la plus sûre, pour assurer un haut niveau de retraite sans reporter sur les actifs de demain une charge excessive, est bien d'allonger la durée d'activité et la durée de cotisation.
Il n'y a pas d'autre choix si l'on ne veut pas handicaper la croissance et l'emploi.
C'est une nécessité pour l'équilibre et la sécurité de nos retraites par répartition. On ne soulignera jamais assez combien ceux qui suggèrent d'asseoir le financement des retraites sur les flux financiers ou les bénéfices des entreprises - ressources par nature incertaines et volatiles - en lieu et place des revenus stables du travail, font le lit de la capitalisation qu'ils exècrent par ailleurs !
C'est enfin une nécessité au regard de l'équité : la durée d'assurance doit être égale pour tous. Une fois l'étape des quarante ans atteinte dans les régimes de la fonction publique, en 2008, nous proposons que la durée de cotisation augmente de manière très progressive, afin de stabiliser le rapport entre temps de travail et temps de retraite. Aujourd'hui, toute l'augmentation de l'espérance de vie après 60 ans bénéficie à la retraite. Le temps de retraite des Français continuera à augmenter et à bénéficier des gains d'espérance de vie. C'est une bonne chose, mais le partage de ce gain entre le temps de travail et le temps de retraite est devenu nécessaire pour garantir l'avenir de la répartition.
La stabilisation de ce partage conduit à une durée de cotisation de 41 ans en 2012. Mais cette évolution ne sera pas automatique. Une commission spécialement constituée à cet effet se réunira à échéances régulières pour examiner les données démographiques, économiques et sociales et tout spécialement les caractéristiques du marché du travail.
L'augmentation de la durée d'assurance serait en effet difficile si aucun progrès n'était constaté quant à l'âge réel de cessation d'activité. C'est pourquoi le Gouvernement n'a pas souhaité augmenter, dès 2004, la durée d'assurance du secteur privé.
La France a cinq ans pour réussir le premier rendez-vous en 2008. Nous ne pouvons plus nous contenter d'assister à l'exclusion du marché du travail des salariés de plus de 55 ans. Dans le même temps, tout le monde est conscient de l'impossibilité de supprimer, du jour au lendemain, tous les dispositifs de préretraites.
C'est pour cette raison que j'ai souhaité définir un objectif réaliste, tendant à faire passer l'âge moyen de cessation d'activité de 57,5 à 59 ans de 2003 à 2008.
C'est pour cette raison que j'estime nécessaire de recentrer les dispositifs de préretraite sur deux outils :
- les préretraites " pénibilité " : les partenaires sociaux sont les mieux à même, au niveau interprofessionnel, puis au niveau des branches, de définir les métiers et les secteurs justifiant un départ anticipé ;
- les préretraites " restructuration ", qui s'avèrent nécessaires, dans le cadre de plans sociaux, pour assurer la survie de l'entreprise.
Dans le cadre d'un élargissement du taux d'activité, le travail au-delà de 60 ans, pour ceux qui le souhaitent, doit être favorisé. Nous proposons plusieurs mesures, comme l'assouplissement des règles sur le cumul emploi retraite ou le report à 65 ans de la possibilité de mise à la retraite d'office à l'initiative de l'employeur.
Mais l'essentiel est dans la formation continue qui doit permettre aux salariés de plus de cinquante ans de valoriser leur expérience, une expérience qui va devenir d'autant plus précieuse que la démographie va peser fortement sur le marché du travail. Les partenaires sociaux ont engagé une négociation sur le sujet de la formation et je vous présenterai un projet de loi à l'automne.
Au-delà de ces mesures et de ce projet de loi, nous devons prendre la mesure du défi qui est devant nous : le vieillissement de la France va nous obliger à un changement culturel majeur sur le rôle des seniors dans la société et sur le marché du travail. Il faut ouvrir aux salariés les possibilités de deuxième carrière ; il faut miser sur la transmission des savoirs et des métiers ; il faut permettre aux retraités qui ont quelque chose à apporter de le faire en retrouvant un emploi ne serait-ce qu'à temps partiel. A tout ceci, la réforme ouvre la porte.
Les entreprises doivent comprendre que si elles ne favorisent pas cette mutation des esprits et des pratiques, il n'y aura pas d'autres choix que d'augmenter de façon drastique leurs charges pour financer les retraites.
Pour réussir ce changement culturel, chacun devra assumer sa part de responsabilité : l'Etat avec ses agents, les entreprises avec leurs salariés, et le législateur en utilisant les leviers et les rendez-vous que cette loi lui offre.
La deuxième orientation de cette réforme, c'est celle de l'équité et de la justice sociale.
Le projet de loi définit tout d'abord un objectif, associant le régime de base et les régimes complémentaires, en faveur des salariés ayant toujours travaillé au SMIC : leur retraite s'élèverait, pour une carrière complète, à un minimum de 85 % du SMIC net en 2008, contre 81 % aujourd'hui.
Cette avancée sociale en faveur des salariés les plus modestes a été définie conjointement avec les organisations syndicales qui ont choisi de soutenir le processus de réforme.
C'est une réelle amélioration de la retraite des salariés modestes rendue possible par la revalorisation du minimum contributif.
La réforme met également fin aux inégalités de traitement entre mono-pensionnés et pluri-pensionnés, et entre salariés et non salariés. Les commerçants bénéficieront de la mise en place d'un régime de retraite complémentaire obligatoire, qui permettra à terme d'améliorer leurs pensions, tandis que les professions libérales, à leur demande, connaîtront une réforme profonde de leur régime de base, dans le sens d'une plus grande équité. La mensualisation des retraites des exploitants agricoles ne sera plus une éternelle promesse, mais une réalité.
La demande de ceux qui ont travaillé très tôt, et qui doivent attendre l'âge de soixante ans pour partir à la retraite, malgré une très longue durée d'assurance, est inlassablement relayée depuis deux ans par des parlementaires de tous horizons politiques. Au nom de la justice sociale, nous avons décidé de vous proposer cette disposition.
Dans le cadre de la négociation, nous avons ouvert ce droit à ceux travaillant depuis l'âge de 14, 15 et 16 ans. Ils pourront partir en retraite à taux plein, entre 56 et 59 ans. C'est une avancée considérable, unique en Europe.
La garantie du pouvoir d'achat de tous les retraités, à travers l'indexation sur les prix, est également une importante mesure d'équité. Le projet de loi propose que, tous les trois ans, une conférence réunisse le Gouvernement et les partenaires sociaux, afin qu'ils définissent ensemble, par la négociation, si un " coup de pouce " peut être effectué en fonction de la croissance et de la situation financière des régimes d'assurance vieillesse.
Le projet de loi comprend également une importante réforme de la réversion dans le régime général et les régimes alignés : la pension de réversion sera attribuée désormais sans condition d'âge. Le système sera rendu davantage lisible et équitable, en remplaçant la double condition de ressources et de cumul par un plafond de ressources. Il s'agit d'une très importante simplification au bénéfice des veuves.
Les avantages familiaux seront maintenus, et notamment la majoration de pension pour trois enfants élevés. Dans les régimes de la fonction publique, la prise en compte de la jurisprudence européenne s'avère nécessaire, pour les enfants nés après le 1er janvier 2004. Les bonifications de durée d'assurance seront ainsi ouvertes aux hommes et aux femmes, sous condition d'une cessation effective, totale ou partielle, d'activité. Mais elles ne seront plus limitées à un an : elles pourront prendre en compte jusqu'à trois ans par enfant.
Autre avancée pour les fonctionnaires : l'intégration d'une partie des primes des fonctionnaires dans le calcul de leur retraites par la création d'un régime additionnel obligatoire.
Enfin, la réforme engage les partenaires sociaux à négocier sous trois ans dans les branches, la définition des métiers relevant de la pénibilité et donnant droit à des départs anticipés.
Toutes ces avancées démontrent que réforme ne signifie pas régression sociale, bien au contraire. C'est l'effort partagé demandé à tous qui permet de dégager des marges de manuvre pour ceux qui en ont le plus besoin. Il est temps de dire que l'immobilisme creuse l'inégalité sociale et que la réforme la fait reculer !
La troisième orientation fondamentale de cette réforme, c'est de permettre à chacun de mieux construire sa retraite, en donnant davantage de souplesse et de liberté de choix.
Le droit de liquider sa retraite à 60 ans est confirmé.
Certains nous accusent de la remettre en cause. Ils font mine d'oublier que le système de retraite, dans le régime général et les régimes alignés, repose à la fois sur l'âge et sur la durée d'assurance nécessaire pour bénéficier du taux plein. Il n'y a jamais eu un droit de liquider sa retraite à 60 ans à taux plein, quelle que soit la durée d'assurance ! Ce droit est aujourd'hui donné à 65 ans. Ce sera le cas demain : rien ne change donc sur ce point.
Aujourd'hui, si un salarié souhaite partir à 60 ans alors qu'il ne dispose pas de la durée d'assurance nécessaire, il est soumis à une " décote ", d'un taux de 10 % par année manquante. Pour donner davantage de choix, nous proposons d'alléger considérablement ce taux, pour atteindre progressivement 5 % par année manquante. Cette mesure sera prise par voie réglementaire.
Parallèlement, afin d'instaurer une véritable égalité entre cotisants, le projet de loi crée dans la fonction publique une condition de durée d'assurance tous régimes, ce qui signifie l'introduction à partir de 2006 d'une " décote ". Elle montera progressivement en charge et respectera les spécificités de la fonction publique, qui comprend des limites d'âge différenciées. En 2015, la décote sera donc la même pour tous, que l'on soit salarié du privé ou fonctionnaire, comme l'exige l'équité.
En ouvrant la possibilité de la retraite progressive aux personnes n'ayant pas à 60 ans la durée d'assurance nécessaire, en ouvrant dans la fonction publique la cessation progressive d'activité, nous donnons une marge supplémentaire de souplesse pour tous ceux qui souhaitent passer de manière moins brutale du " tout travail " au " tout retraite ".
Parce que nous avons voulu donner du sens à l'idée de la retraite "à la carte", la " décote " est complétée par un mécanisme de " surcote ", dont le taux sera de 3 % par an. Ceux qui souhaitent continuer à travailler au-delà de 60 ans et de la durée d'assurance requise, seront ainsi incités à le faire.
La souplesse consiste également à ouvrir le droit au rachat de trimestres, dans des conditions financièrement neutres pour les régimes.
Ces éléments de liberté et de souplesse rendent nécessaire une meilleure information des cotisants.
Ce droit à l'information est double.
Premièrement, une information collective sur la situation financière des régimes de retraite et sur l'évolution des niveaux de vie entre actifs et retraités : cette mission sera confiée au Conseil d'orientation des retraites.
Deuxièmement, une information individuelle sur le calcul des droits, complexe aujourd'hui à mettre en oeuvre compte tenu de la multiplicité des régimes et des parcours professionnels. A cette fin, le projet de loi crée un groupement d'intérêt public, qui permettra d'assurer la bonne coordination des traitements informatiques nécessaires.
L'objectif c'est de permettre à chaque Français d'avoir accès à un décompte de ses droits à la retraite et une estimation du montant de sa pension !
Enfin, la liberté et la souplesse signifient l'élargissement de l'accès à des outils d'épargne retraite. Le projet de loi crée une garantie forte : quelle que soit la politique sociale menée par son employeur, un salarié du secteur privé bénéficiera d'une incitation fiscale, lui permettant de disposer d'une rente à l'âge de la retraite. Par ailleurs, le projet de loi simplifie considérablement la galaxie des différents dispositifs existants. Il les sécurise. Il allonge la durée du " plan partenarial d'épargne salariale volontaire ", créé par la loi Fabius de 2001, afin de permettre aux salariés de disposer d'une véritable épargne en vue de la retraite, en rente ou en capital.
La dernière orientation de cette réforme, et non des moindres, c'est de garantir le financement des retraites d'ici 2020.
Les Français sont légitimement attachés à la répartition. Ils souhaitaient conserver un haut niveau de retraite. Mais ils aspirent surtout à la sécurité.
Les mesures d'allongement, pour le régime général, représentent un peu plus du tiers du besoin de financement en 2020, chiffré à 15 milliards d'euros. Les mesures de justice sociale décidées dans le cadre de la réforme devraient être financées par la hausse de 0,2 point des cotisations vieillesse, prévue en 2006.
Je rappelle que ces mesures s'appliqueront par définition au seul flux des retraités, à partir de 2004. Elles n'auront pas fini de monter en charge d'ici 2020.
Le choix étant fait de ne pas baisser le montant des pensions, deux tiers du besoin de financement du régime général seront ainsi financés par une augmentation de la richesse nationale dévolue au paiement des retraites, et donc par une augmentation des cotisations vieillesse. C'est un effort partagé. Dire que nous faisons de la durée d'assurance le seul paramètre d'équilibre est tout simplement faux.
Mais nous sommes cohérents avec notre volonté de réduire, ou tout au moins de stabiliser, le niveau des prélèvements obligatoires. C'est pour cette raison que nous estimons que l'augmentation des cotisations vieillesse pourra être " gagée ", en quelque sorte, par la diminution des cotisations chômage. Aujourd'hui cette perspective apparaît à certains comme inaccessible. Mais notre objectif est 2020 ! Et dans cet esprit nul ne peut accepter l'idée que le taux de chômage reste identique à celui d'aujourd'hui.
Cette perspective est en partie liée à la croissance, mais elle découle aussi des évolutions démographiques. Pour la première fois dans notre histoire, le nombre de ceux qui entrent, chaque année sur le marché du travail va diminuer. Cette diminution ne peut pas être sans conséquence sur le marché de l'emploi. Si nous améliorons significativement notre système de formation, initiale et continue, si nous optimisons nos dépenses publiques, si nous résistons à la tendance à toujours accroître nos prélèvements, nous devrions raisonnablement atteindre un niveau de chômage en 2020 de 5 à 6%, chiffre qui est au-dessus de celui retenu dans la projection du COR. Oui, il sera alors possible de réduire les cotisations chômage et d'augmenter les cotisations vieillesse.
Au regard de ces conditions, la réforme est donc financée.
Elle permet enfin de lever les inquiétudes de ceux qui sont déjà à la retraite ou le seront d'ici 2020. Elle permet d'écarter les doutes des plus jeunes sur notre système de retraite par répartition. Nous leur montrons que ce système est capable d'évoluer : il suffit d'anticiper, de proposer et de décider.
J'entends ici et là, certains dire qu'ils remettraient en cause cette réforme en cas d'alternance. J'en prends ici, devant vous le pari : qu'elle que soit la prochaine majorité - et singulièrement si elle est de gauche - nul ne reviendra sur l'esprit et l'architecture de cette réforme et ceci d'autant plus qu'elle instaure des mécanismes de pilotage " en continu ".
Si vous acceptez ce principe d'adaptation qui est au coeur de la réforme, notre mérite aura été de dissiper enfin la crispation de notre pays autour du problème de l'avenir des retraites.
Mesdames et messieurs les députés,
- Non, la France n'est pas réfractaire à la réforme ;
- Oui, elle est capable de se projeter vers l'avenir en transcendant ses particularismes au nom de l'intérêt général ;
- Oui, elle est prête à un effort pour sauver son modèle social.
Ce projet est porté par la détermination qui inspire notre idée de la responsabilité en politique.
Cette détermination puise sa source dans le choc du 21 avril 2002. Nos concitoyens souhaitent que ceux qui sont en charge de tracer l'avenir prennent leurs responsabilités et respectent leurs engagements. C'est ce que nous faisons.
C'est maintenant au Parlement de se saisir et de débattre de l'avenir de nos retraites.
(Source http://www.social.gouv.fr, le 6 juin 2003)
Mesdames et Messieurs les députés,
Après 10 ans de débats, de rapports et d'hésitations, c'est avec une conscience aiguë de l'enjeu et une certaine émotion que je présente devant vous la première réforme globale de notre système de retraite depuis l'après-guerre.
Le temps du débat parlementaire est enfin venu. Il va nous permettre d'éclairer les enjeux, de croiser nos arguments et de prendre nos responsabilités devant la nation.
Vous savez combien la réforme des retraites a été différée. Nos partenaires européens s'y sont déjà attelés. Nous ne pouvons plus attendre. Le statu quo, chacun en convient, est impossible. Il menacerait gravement notre système de retraites en sanctionnant principalement nos concitoyens les plus modestes.
Je rappelle que les premières difficultés commenceront à apparaître en 2006 avec une augmentation annuelle de 300.000 départs supplémentaires à la retraite. Ce n'est que le début d'une révolution démographique qui changera le visage de la France. Il y a aujourd'hui 12 millions de retraités. En 2040, un Français sur trois aura plus de 60 ans. Le nombre des retraités aura donc quasiment doublé.
Ce dossier, certains ont prétendu qu'il ferait chuter plusieurs gouvernements...
Est-ce à dire que notre nation est définitivement réfractaire à toute réforme d'envergure ? Est-ce à dire qu'aucun effort raisonnable pour sécuriser notre modèle social n'est désormais possible ? Est-ce à dire que tout gouvernement est condamné à renoncer ou à esquiver devant les difficultés de la tâche ?
Je ne le crois pas.
Certes, nos concitoyens éprouvent une appréhension devant le changement, mais au fond d'eux-mêmes ils sentent bien qu'il faut aller de l'avant. Le 21 avril 2002 l'a démontré : ils sont plus sévères vis-à-vis de l'impuissance publique qu'à l'égard du courage politique.
C'est bien pourquoi le gouvernement est déterminé. Cette détermination nous anime d'autant plus que c'est notre modèle social et républicain qui est défié.
Face à ce défi, l'action est un devoir !
Même si je n'ignore pas les crispations et la diversité d'opinions qui s'expriment ces dernières semaines, j'estime que cette réforme devrait nous rassembler :
- elle n'est pas inspirée par des considérations dogmatiques ;
- elle est fondée sur un constat partagé et des pistes définies par les travaux du COR,
explorées depuis le Livre Blanc de Michel Rocard ;
- elle est juste et équitable ;
- elle est marquée par de véritables avancées sociales ;
- elle est progressive, rythmée par des rendez-vous réguliers permettant un pilotage et
un ajustement continu ;
- elle s'inscrit enfin et surtout dans un choix de société qui nous est commun : celui de la solidarité et de la répartition. Nous ne changeons pas de système. Nous le réformons pour continuer à le faire vivre !
Cette réforme fera du système des retraites français l'un des plus généreux et des plus solidaires d'Europe. J'invite ceux qui en doutent à examiner de près les options retenues par nos partenaires européens.
Mesdames et messieurs les députés,
Le Parlement sera le juge final de ce projet de loi qui est le fruit du dialogue social.
De concertations en négociations, cette phase de dialogue s'est achevée par l'accord du 15 mai 2003, entre le Gouvernement, la CFDT, la CGC, et les organisations patronales.
Cette phase a été longue et intense. Du début février à la mi-mai, le dialogue aura duré trois mois et demi, marqué par plus de 20 réunions au cours desquelles tous les aspects de la réforme ont été abordés. Il est un peu facile pour ceux qui ont mis le dossier des retraites au placard, faute de n'avoir cru possible d'établir un compromis, de donner aujourd'hui des leçons de dialogue social. La vérité, c'est qu'au cours de ces cinq dernières années, jamais le ministère des affaires sociales n'a vu se nouer un tel dialogue.
Cette méthode a porté ses fruits puisqu'un compromis a été trouvé avec plusieurs organisations syndicales. Au nom de quoi ces organisations seraient-elles stigmatisées, voire méprisées, tandis que celles qui ont, en définitive, choisi la voie de la contestation seraient encensées ? Pour ma part, je ne porte de jugements ni sur les unes, ni sur les autres : chacun a pris ses responsabilités.
Contrairement à certains propos désobligeants et démagogiques entendus ces temps-ci, le gouvernement ne cherche à " humilier " personne, pas plus qu'il ne cherche à opposer les secteurs public et privé. Nous sommes - je l'ai dit - simplement déterminés à avancer et estimons être en droit de souligner et de corriger l'inéquité qui existe entre les régimes du public et du privé.
Ce droit, certains le contestent au nom d'une étrange défense du service public qui verrait l'Etat et ses fonctionnaires exonérés des efforts demandés à tous les Français. Telle n'est pas ma conception de l'égalité républicaine.
Je respecte les choix et convictions de chacun. J'estime même que certaines organisations syndicales, aujourd'hui contestataires, ont apporté une contribution importante et utile à notre projet. Mais le respect n'est pas synonyme de retrait, de report ou de réécriture du projet.
La CFTC ayant choisi de rester " neutre ", deux des cinq confédérations syndicales ont décidé de s'opposer au projet de réforme. Pouvais-je les convaincre de nous suivre jusqu'au bout ? J'en doute. Leur hostilité porte sur une réforme vieille de dix ans, celle de 1993, que la gauche au pouvoir n'a au demeurant jamais cru utile de remettre en cause ; elle porte également sur l'alignement de la durée de cotisation du public sur le privé, point sur lequel nous ne pouvons - au nom de l'équité - transiger. Je note d'ailleurs que dans la déclaration intersyndicale du 6 janvier, il n'était à l'époque nul question d'un retour aux " 37,5 années et demi de cotisations pour tous "... Mais voilà qu'aujourd'hui cette revendication ressurgit... Quel crédit pouvons nous accorder à l'idée qu'en proposant à tous les Français de travailler moins nos retraites pourraient y gagner ?
Je suis attentif à ce qui se passe dans la rue et ne suis pas enfermé dans des certitudes... Comme l'immense majorité des Français, je ne comprends pas que l'on puisse faire grève contre l'équité.
Je lis et entends les mots d'ordre et slogans et j'ai - je vous l'avoue - le plus grand mal à discerner les axes d'un projet alternatif qui ne compromettrait pas l'avenir de nos retraites ou de notre économie.
Dans toutes les prétendues contre-propositions, je vois surtout des dépenses supplémentaires qui conduiraient à un besoin de financement bien supérieur aux 4 points de PIB chiffrés pour 2040 par le Conseil d'orientation des retraites. Je ne vois en fait, pour l'essentiel, que des impôts, des cotisations ou des taxes, c'est-à-dire des charges supplémentaires pour les Français d'aujourd'hui et surtout de demain. Ces charges seraient dangereuses pour notre économie et pour nos emplois. Dans le monde ouvert et compétitif qui est le nôtre, la France est déjà fort mal placée dans le domaine des prélèvements obligatoires... Il serait irresponsable d'alourdir la barque.
D'une certaine façon, j'ai le sentiment que cette quête éperdue de prélèvements supplémentaires masque un objectif inavoué : financer à tout prix le statu quo, notamment le statu quo sur la durée de cotisation ; financer, en définitive, l'absence même de réforme ! Cette option n'est pas la nôtre. Car l'intérêt général commande de réformer.
Cette réforme dépasse, en effet, la question même de l'équilibre comptable des retraites. Ce qui est aujourd'hui en cause, c'est notre capacité à consentir sur nous-mêmes l'effort nécessaire pour garantir notre modèle social.
Mesdames et messieurs les députés,
Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter est construit autour de quatre orientations principales.
La première orientation est le choix majeur de maintenir le niveau des pensions aussi haut que possible par l'allongement de la durée d'activité et de la durée d'assurance.
De plus en plus nombreux à la retraite, les Français aspirent à la sérénité de ce temps de la
vie !
Ils veulent à juste titre un haut niveau de retraite.
Personne ne peut croire sérieusement que cet objectif passe par une forte augmentation des cotisations ou un nouveau mode de financement qui viendrait miraculeusement changer la donne.
C'est pourquoi la meilleure garantie, la plus juste et la plus sûre, pour assurer un haut niveau de retraite sans reporter sur les actifs de demain une charge excessive, est bien d'allonger la durée d'activité et la durée de cotisation.
Il n'y a pas d'autre choix si l'on ne veut pas handicaper la croissance et l'emploi.
C'est une nécessité pour l'équilibre et la sécurité de nos retraites par répartition. On ne soulignera jamais assez combien ceux qui suggèrent d'asseoir le financement des retraites sur les flux financiers ou les bénéfices des entreprises - ressources par nature incertaines et volatiles - en lieu et place des revenus stables du travail, font le lit de la capitalisation qu'ils exècrent par ailleurs !
C'est enfin une nécessité au regard de l'équité : la durée d'assurance doit être égale pour tous. Une fois l'étape des quarante ans atteinte dans les régimes de la fonction publique, en 2008, nous proposons que la durée de cotisation augmente de manière très progressive, afin de stabiliser le rapport entre temps de travail et temps de retraite. Aujourd'hui, toute l'augmentation de l'espérance de vie après 60 ans bénéficie à la retraite. Le temps de retraite des Français continuera à augmenter et à bénéficier des gains d'espérance de vie. C'est une bonne chose, mais le partage de ce gain entre le temps de travail et le temps de retraite est devenu nécessaire pour garantir l'avenir de la répartition.
La stabilisation de ce partage conduit à une durée de cotisation de 41 ans en 2012. Mais cette évolution ne sera pas automatique. Une commission spécialement constituée à cet effet se réunira à échéances régulières pour examiner les données démographiques, économiques et sociales et tout spécialement les caractéristiques du marché du travail.
L'augmentation de la durée d'assurance serait en effet difficile si aucun progrès n'était constaté quant à l'âge réel de cessation d'activité. C'est pourquoi le Gouvernement n'a pas souhaité augmenter, dès 2004, la durée d'assurance du secteur privé.
La France a cinq ans pour réussir le premier rendez-vous en 2008. Nous ne pouvons plus nous contenter d'assister à l'exclusion du marché du travail des salariés de plus de 55 ans. Dans le même temps, tout le monde est conscient de l'impossibilité de supprimer, du jour au lendemain, tous les dispositifs de préretraites.
C'est pour cette raison que j'ai souhaité définir un objectif réaliste, tendant à faire passer l'âge moyen de cessation d'activité de 57,5 à 59 ans de 2003 à 2008.
C'est pour cette raison que j'estime nécessaire de recentrer les dispositifs de préretraite sur deux outils :
- les préretraites " pénibilité " : les partenaires sociaux sont les mieux à même, au niveau interprofessionnel, puis au niveau des branches, de définir les métiers et les secteurs justifiant un départ anticipé ;
- les préretraites " restructuration ", qui s'avèrent nécessaires, dans le cadre de plans sociaux, pour assurer la survie de l'entreprise.
Dans le cadre d'un élargissement du taux d'activité, le travail au-delà de 60 ans, pour ceux qui le souhaitent, doit être favorisé. Nous proposons plusieurs mesures, comme l'assouplissement des règles sur le cumul emploi retraite ou le report à 65 ans de la possibilité de mise à la retraite d'office à l'initiative de l'employeur.
Mais l'essentiel est dans la formation continue qui doit permettre aux salariés de plus de cinquante ans de valoriser leur expérience, une expérience qui va devenir d'autant plus précieuse que la démographie va peser fortement sur le marché du travail. Les partenaires sociaux ont engagé une négociation sur le sujet de la formation et je vous présenterai un projet de loi à l'automne.
Au-delà de ces mesures et de ce projet de loi, nous devons prendre la mesure du défi qui est devant nous : le vieillissement de la France va nous obliger à un changement culturel majeur sur le rôle des seniors dans la société et sur le marché du travail. Il faut ouvrir aux salariés les possibilités de deuxième carrière ; il faut miser sur la transmission des savoirs et des métiers ; il faut permettre aux retraités qui ont quelque chose à apporter de le faire en retrouvant un emploi ne serait-ce qu'à temps partiel. A tout ceci, la réforme ouvre la porte.
Les entreprises doivent comprendre que si elles ne favorisent pas cette mutation des esprits et des pratiques, il n'y aura pas d'autres choix que d'augmenter de façon drastique leurs charges pour financer les retraites.
Pour réussir ce changement culturel, chacun devra assumer sa part de responsabilité : l'Etat avec ses agents, les entreprises avec leurs salariés, et le législateur en utilisant les leviers et les rendez-vous que cette loi lui offre.
La deuxième orientation de cette réforme, c'est celle de l'équité et de la justice sociale.
Le projet de loi définit tout d'abord un objectif, associant le régime de base et les régimes complémentaires, en faveur des salariés ayant toujours travaillé au SMIC : leur retraite s'élèverait, pour une carrière complète, à un minimum de 85 % du SMIC net en 2008, contre 81 % aujourd'hui.
Cette avancée sociale en faveur des salariés les plus modestes a été définie conjointement avec les organisations syndicales qui ont choisi de soutenir le processus de réforme.
C'est une réelle amélioration de la retraite des salariés modestes rendue possible par la revalorisation du minimum contributif.
La réforme met également fin aux inégalités de traitement entre mono-pensionnés et pluri-pensionnés, et entre salariés et non salariés. Les commerçants bénéficieront de la mise en place d'un régime de retraite complémentaire obligatoire, qui permettra à terme d'améliorer leurs pensions, tandis que les professions libérales, à leur demande, connaîtront une réforme profonde de leur régime de base, dans le sens d'une plus grande équité. La mensualisation des retraites des exploitants agricoles ne sera plus une éternelle promesse, mais une réalité.
La demande de ceux qui ont travaillé très tôt, et qui doivent attendre l'âge de soixante ans pour partir à la retraite, malgré une très longue durée d'assurance, est inlassablement relayée depuis deux ans par des parlementaires de tous horizons politiques. Au nom de la justice sociale, nous avons décidé de vous proposer cette disposition.
Dans le cadre de la négociation, nous avons ouvert ce droit à ceux travaillant depuis l'âge de 14, 15 et 16 ans. Ils pourront partir en retraite à taux plein, entre 56 et 59 ans. C'est une avancée considérable, unique en Europe.
La garantie du pouvoir d'achat de tous les retraités, à travers l'indexation sur les prix, est également une importante mesure d'équité. Le projet de loi propose que, tous les trois ans, une conférence réunisse le Gouvernement et les partenaires sociaux, afin qu'ils définissent ensemble, par la négociation, si un " coup de pouce " peut être effectué en fonction de la croissance et de la situation financière des régimes d'assurance vieillesse.
Le projet de loi comprend également une importante réforme de la réversion dans le régime général et les régimes alignés : la pension de réversion sera attribuée désormais sans condition d'âge. Le système sera rendu davantage lisible et équitable, en remplaçant la double condition de ressources et de cumul par un plafond de ressources. Il s'agit d'une très importante simplification au bénéfice des veuves.
Les avantages familiaux seront maintenus, et notamment la majoration de pension pour trois enfants élevés. Dans les régimes de la fonction publique, la prise en compte de la jurisprudence européenne s'avère nécessaire, pour les enfants nés après le 1er janvier 2004. Les bonifications de durée d'assurance seront ainsi ouvertes aux hommes et aux femmes, sous condition d'une cessation effective, totale ou partielle, d'activité. Mais elles ne seront plus limitées à un an : elles pourront prendre en compte jusqu'à trois ans par enfant.
Autre avancée pour les fonctionnaires : l'intégration d'une partie des primes des fonctionnaires dans le calcul de leur retraites par la création d'un régime additionnel obligatoire.
Enfin, la réforme engage les partenaires sociaux à négocier sous trois ans dans les branches, la définition des métiers relevant de la pénibilité et donnant droit à des départs anticipés.
Toutes ces avancées démontrent que réforme ne signifie pas régression sociale, bien au contraire. C'est l'effort partagé demandé à tous qui permet de dégager des marges de manuvre pour ceux qui en ont le plus besoin. Il est temps de dire que l'immobilisme creuse l'inégalité sociale et que la réforme la fait reculer !
La troisième orientation fondamentale de cette réforme, c'est de permettre à chacun de mieux construire sa retraite, en donnant davantage de souplesse et de liberté de choix.
Le droit de liquider sa retraite à 60 ans est confirmé.
Certains nous accusent de la remettre en cause. Ils font mine d'oublier que le système de retraite, dans le régime général et les régimes alignés, repose à la fois sur l'âge et sur la durée d'assurance nécessaire pour bénéficier du taux plein. Il n'y a jamais eu un droit de liquider sa retraite à 60 ans à taux plein, quelle que soit la durée d'assurance ! Ce droit est aujourd'hui donné à 65 ans. Ce sera le cas demain : rien ne change donc sur ce point.
Aujourd'hui, si un salarié souhaite partir à 60 ans alors qu'il ne dispose pas de la durée d'assurance nécessaire, il est soumis à une " décote ", d'un taux de 10 % par année manquante. Pour donner davantage de choix, nous proposons d'alléger considérablement ce taux, pour atteindre progressivement 5 % par année manquante. Cette mesure sera prise par voie réglementaire.
Parallèlement, afin d'instaurer une véritable égalité entre cotisants, le projet de loi crée dans la fonction publique une condition de durée d'assurance tous régimes, ce qui signifie l'introduction à partir de 2006 d'une " décote ". Elle montera progressivement en charge et respectera les spécificités de la fonction publique, qui comprend des limites d'âge différenciées. En 2015, la décote sera donc la même pour tous, que l'on soit salarié du privé ou fonctionnaire, comme l'exige l'équité.
En ouvrant la possibilité de la retraite progressive aux personnes n'ayant pas à 60 ans la durée d'assurance nécessaire, en ouvrant dans la fonction publique la cessation progressive d'activité, nous donnons une marge supplémentaire de souplesse pour tous ceux qui souhaitent passer de manière moins brutale du " tout travail " au " tout retraite ".
Parce que nous avons voulu donner du sens à l'idée de la retraite "à la carte", la " décote " est complétée par un mécanisme de " surcote ", dont le taux sera de 3 % par an. Ceux qui souhaitent continuer à travailler au-delà de 60 ans et de la durée d'assurance requise, seront ainsi incités à le faire.
La souplesse consiste également à ouvrir le droit au rachat de trimestres, dans des conditions financièrement neutres pour les régimes.
Ces éléments de liberté et de souplesse rendent nécessaire une meilleure information des cotisants.
Ce droit à l'information est double.
Premièrement, une information collective sur la situation financière des régimes de retraite et sur l'évolution des niveaux de vie entre actifs et retraités : cette mission sera confiée au Conseil d'orientation des retraites.
Deuxièmement, une information individuelle sur le calcul des droits, complexe aujourd'hui à mettre en oeuvre compte tenu de la multiplicité des régimes et des parcours professionnels. A cette fin, le projet de loi crée un groupement d'intérêt public, qui permettra d'assurer la bonne coordination des traitements informatiques nécessaires.
L'objectif c'est de permettre à chaque Français d'avoir accès à un décompte de ses droits à la retraite et une estimation du montant de sa pension !
Enfin, la liberté et la souplesse signifient l'élargissement de l'accès à des outils d'épargne retraite. Le projet de loi crée une garantie forte : quelle que soit la politique sociale menée par son employeur, un salarié du secteur privé bénéficiera d'une incitation fiscale, lui permettant de disposer d'une rente à l'âge de la retraite. Par ailleurs, le projet de loi simplifie considérablement la galaxie des différents dispositifs existants. Il les sécurise. Il allonge la durée du " plan partenarial d'épargne salariale volontaire ", créé par la loi Fabius de 2001, afin de permettre aux salariés de disposer d'une véritable épargne en vue de la retraite, en rente ou en capital.
La dernière orientation de cette réforme, et non des moindres, c'est de garantir le financement des retraites d'ici 2020.
Les Français sont légitimement attachés à la répartition. Ils souhaitaient conserver un haut niveau de retraite. Mais ils aspirent surtout à la sécurité.
Les mesures d'allongement, pour le régime général, représentent un peu plus du tiers du besoin de financement en 2020, chiffré à 15 milliards d'euros. Les mesures de justice sociale décidées dans le cadre de la réforme devraient être financées par la hausse de 0,2 point des cotisations vieillesse, prévue en 2006.
Je rappelle que ces mesures s'appliqueront par définition au seul flux des retraités, à partir de 2004. Elles n'auront pas fini de monter en charge d'ici 2020.
Le choix étant fait de ne pas baisser le montant des pensions, deux tiers du besoin de financement du régime général seront ainsi financés par une augmentation de la richesse nationale dévolue au paiement des retraites, et donc par une augmentation des cotisations vieillesse. C'est un effort partagé. Dire que nous faisons de la durée d'assurance le seul paramètre d'équilibre est tout simplement faux.
Mais nous sommes cohérents avec notre volonté de réduire, ou tout au moins de stabiliser, le niveau des prélèvements obligatoires. C'est pour cette raison que nous estimons que l'augmentation des cotisations vieillesse pourra être " gagée ", en quelque sorte, par la diminution des cotisations chômage. Aujourd'hui cette perspective apparaît à certains comme inaccessible. Mais notre objectif est 2020 ! Et dans cet esprit nul ne peut accepter l'idée que le taux de chômage reste identique à celui d'aujourd'hui.
Cette perspective est en partie liée à la croissance, mais elle découle aussi des évolutions démographiques. Pour la première fois dans notre histoire, le nombre de ceux qui entrent, chaque année sur le marché du travail va diminuer. Cette diminution ne peut pas être sans conséquence sur le marché de l'emploi. Si nous améliorons significativement notre système de formation, initiale et continue, si nous optimisons nos dépenses publiques, si nous résistons à la tendance à toujours accroître nos prélèvements, nous devrions raisonnablement atteindre un niveau de chômage en 2020 de 5 à 6%, chiffre qui est au-dessus de celui retenu dans la projection du COR. Oui, il sera alors possible de réduire les cotisations chômage et d'augmenter les cotisations vieillesse.
Au regard de ces conditions, la réforme est donc financée.
Elle permet enfin de lever les inquiétudes de ceux qui sont déjà à la retraite ou le seront d'ici 2020. Elle permet d'écarter les doutes des plus jeunes sur notre système de retraite par répartition. Nous leur montrons que ce système est capable d'évoluer : il suffit d'anticiper, de proposer et de décider.
J'entends ici et là, certains dire qu'ils remettraient en cause cette réforme en cas d'alternance. J'en prends ici, devant vous le pari : qu'elle que soit la prochaine majorité - et singulièrement si elle est de gauche - nul ne reviendra sur l'esprit et l'architecture de cette réforme et ceci d'autant plus qu'elle instaure des mécanismes de pilotage " en continu ".
Si vous acceptez ce principe d'adaptation qui est au coeur de la réforme, notre mérite aura été de dissiper enfin la crispation de notre pays autour du problème de l'avenir des retraites.
Mesdames et messieurs les députés,
- Non, la France n'est pas réfractaire à la réforme ;
- Oui, elle est capable de se projeter vers l'avenir en transcendant ses particularismes au nom de l'intérêt général ;
- Oui, elle est prête à un effort pour sauver son modèle social.
Ce projet est porté par la détermination qui inspire notre idée de la responsabilité en politique.
Cette détermination puise sa source dans le choc du 21 avril 2002. Nos concitoyens souhaitent que ceux qui sont en charge de tracer l'avenir prennent leurs responsabilités et respectent leurs engagements. C'est ce que nous faisons.
C'est maintenant au Parlement de se saisir et de débattre de l'avenir de nos retraites.
(Source http://www.social.gouv.fr, le 6 juin 2003)