Déclaration de M.Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes,sur les conséquences de l'introduction de l'euro, en particulier pour les collectivités locales, Paris le 26 mai 1998.

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Circonstance : Forum pour la gestion des villes et des collectivités territoriales, à Paris, le 26 mai 1998

Texte intégral

Messieurs le Présidents du Forum pour la gestion des villes,
Monsieur le Président d'Europe Assistance,
Mesdames, Messieurs,

Je voudrais tout d'abord exprimer mes plus vifs remerciements à Michel Delebarre et Dominique Perben, qui m'ont amicalement convié à participer à ce déjeuner-débat sur l'euro organisé par le Forum pour la gestion des villes et des collectivités territoriales.
Je sais que vous aviez invité Dominique Strauss-Kahn qui, retenu par d'autres obligations, m'a demandé de vous présenter ses excuses et m'a demandé de le remplacer, ce que j'accepte avec plaisir.
Alors vous avez en face de vous le ministre de l'Europe, et non pas le ministre de l'euro.
Quand je dis cela, c'est avec beaucoup d'amitié pour Dominique Strauss-Kahn qui, chacun le sait bien, est le ministre chargé de l'euro mais également de quelques autres responsabilités au sein du gouvernement.
Quant au ministre des Affaires européennes que je suis, il est chargé d'incarner vis-à-vis de l'opinion une certaine idée de l'Europe que le gouvernement entend promouvoir, et nous pourrons y revenir au cours du débat si vous le souhaitez. Il est chargé aussi d'assurer la coordination de l'action gouvernementale dans le domaine européen. Il agit donc rarement de manière isolée, mais presque toujours de concert avec ses collègues du gouvernement, tant il est vrai qu'à Bruxelles pour parler d'une voix forte, il vaut mieux être plusieurs.
C'est vrai notamment pour la mise en route de l'euro. Nous savons depuis le Sommet de Bruxelles que l'euro sera là le 1er janvier prochain, comme nous le souhaitions, c'est-à-dire un euro large à onze pays et qui ne soit pas surévalué par rapport au dollar.
Nous savons aussi comment il va être géré techniquement. La Banque centrale européenne va s'installer dans quelques semaines, avec un directoire qui va prendre sereinement la mesure de ses responsabilités après les péripéties du Sommet de Bruxelles, un peu surestimées par rapport à l'essentiel, il faut bien le dire. Nous connaissons les taux qui serviront à fixer les parités bilatérales avec l'euro, et l'on pourrait presque fermer dès aujourd'hui les marchés des changes entre monnaies européennes.
Pour autant, les débats sur l'euro ne sont pas clos, et votre manifestation en porte témoignage. Simplement, nous allons basculer dans un autre type de débats, beaucoup plus pratiques, mais pas moins importants, pas moins décisifs, tournant autour du "comment vivre avec l'euro ?", et l'on pourrait même dire du "comment bien vivre avec l'euro?".
Cette question se pose à nous, responsables gouvernementaux, et elle se pose aussi à vous, gestionnaires locaux.
Pour les responsables gouvernementaux, le problème se pose en termes finalement assez simples, même si la réalisation est un peu complexe.
Car, en réalité, on sait assez bien ce qu'il faut faire pour que l'euro soit bien accepté par nos concitoyens.
Il faut principalement deux choses qui nous ramènent au fondement même de la démocratie.
Il faut qu'il soit géré pour les hommes et les femmes, pour les salariés, pour ceux qui travaillent, car l'économie doit être au service des peuples. L'euro doit donc être aussi au service de la croissance et de l'emploi en Europe. Nous avons posé de premières pierres sur ce chemin dont l'Europe s'était écartée depuis de trop longues années. Nous avons obtenu la résolution sur la croissance et l'emploi au Conseil européen d'Amsterdam, qui affirme la place primordiale de ces priorités pour l'Union. Nous avons également obtenu un Conseil européen extraordinaire en novembre dernier à Luxembourg entièrement consacré à l'emploi, qui a produit des résultats très positifs à mon sens, en dégageant une perspective commune, une certaine forme de convergence sur l'emploi en Europe. J'ajoute qu'il ne s'agira pas d'un coup d'épée dans l'eau, puisque nous nous réunirons à nouveau chaque année pour évaluer les résultats obtenus et améliorer notre méthode commune pour l'avenir.
Rendez-vous est pris à Cardiff dans quinze jours pour débattre des plans d'action nationaux. Vous savez que la France a déjà transmis le sien à la Commission européenne, qui lui a décerné les honneurs pour son volontarisme.
Nous serons également actifs dans la préparation du Conseil européen de Vienne en novembre prochain, pour montrer que nous tenons nos engagements et pour mettre de premiers résultats sur le terrain de la lutte pour l'emploi en face des lignes d'action qui sont les nôtres et que nous avons inscrites dans notre plan d'action national.

Beaucoup reste à faire, chacun en a conscience, mais il demeure que nous disposons désormais d'un cadre pour agir :

  • des lignes directrices pour l'emploi, ce qui est absolument essentiel pour progresser dans la voie d'un rééquilibrage de l'Union économique et monétaire dans le sens de la croissance et de l'emploi,
  • des objectifs communs, acceptés par tous les Etats membres à Luxembourg - réduire le chômage des jeunes, réduire le chômage de longue durée, augmenter l'effort de formation en direction des chômeurs -, ces objectifs de Luxembourg qui prendront petit à petit le pas sur les critères financiers de Maastricht, c'est ma conviction.

Il faut donc que l'euro soit géré pour les hommes. Mais il faut aussi qu'il soit maîtrisé par les hommes, en particulier par ceux qui sont investis d'un mandat de la nation et sont donc amenés à rendre des comptes aux Français. C'est pourquoi nous avons milité inlassablement depuis un an en faveur d'un "pôle" économique qui incarne concrètement cette volonté d'une gestion coordonnée de la zone euro par des gouvernements responsables. Le Conseil de l'euro, qui réunira les ministres de l'Economie des Onze, aura donc cette responsabilité essentielle de discuter des meilleures orientations de politique économique dans la zone euro. Il sera l'interlocuteur politique de la Banque centrale européenne.
Certains ont prétendu que le Conseil de l'euro n'était pas né dans les meilleures conditions. Il est un organe informel de l'Union, c'est vrai, puisque le Traité n'avait pas prévu l'hypothèse d'un euro ne couvrant qu'une partie des Quinze et, donc, faisait implicitement du Conseil Ecofin le lieu naturel de la coordination. Il sera présidé par les Autrichiens en juin, puisque les Anglais, qui exercent actuellement la présidence de l'Union, en sont empêchés du fait de leur absence du premier train de l'euro. Enfin, sur le fond, il est vraisemblable que chacun n'aura pas forcément la même conception des compétences du Conseil de l'euro.

Mais, personnellement, je suis résolument optimiste.

  • Je suis optimiste parce que, d'une certaine façon, la fonction crée l'organe. Et le besoin de coordination des politiques économiques en Europe se fera très rapidement sentir. Il y aura donc une pression des opinions pour que cette coordination s'opère dans de bonnes conditions. Dans de bonnes conditions, cela veut dire sur la base d'échanges de vues approfondis entre les responsables politiques.
  • Je suis optimiste aussi parce que l'euro va constituer pour l'Europe un choc fédérateur, dont le Conseil de l'euro sera la manifestation la plus visible. Le Conseil de l'euro préfigure assez largement les coopérations renforcées prévues par le Traité d'Amsterdam, et qui permettent d'avancer dans le processus d'intégration à plusieurs sans qu'un seul, deux ou trois Etats ne bloquent le processus pour des raisons liées à leur positionnement singulier sur telle ou telle politique commune. Je crois qu'on a là l'une des clés du développement futur de l'Union européenne.

Ce rôle du politique est essentiel parce qu'il faut que l'Europe avance.

  • Il faut qu'elle avance parce que, à défaut, la Banque centrale européenne, nouvelle institution fédérale de l'Europe, occupera un espace plus grand que celui qui doit être le sien.
  • Il faut qu'elle avance aussi parce que nous sommes engagés dans un processus d'élargissement, qui vise à réunifier notre continent, dix ans après la chute du mur de Berlin, et nous ne pouvons pas continuer à vivre dans une Europe à 22 ou 23 avec le fonctionnement actuel des institutions européennes, conçu pour 6 ou 9 à l'origine.

Ma conviction est que les coopérations renforcées constituent une voie d'avenir. Elles permettent d'aller vers une intégration renforcée dans tel ou tel domaine entre ceux qui le veulent, et le peuvent.
Je voudrais insister, pour finir, sur un autre point.
La réussite de l'euro dépend des responsables gouvernementaux, c'est bien évident. Mais elle dépend aussi de la mobilisation de l'ensemble des acteurs politiques et économiques.
Chacun se représente assez bien que l'euro va constituer un changement majeur dans les habitudes des Français. Il est donc essentiel que chacun soit mobilisé afin que ce processus d'appropriation collective de l'euro se déroule dans les meilleures conditions. Nous avons un peu de temps pour cela puisque les pièces et les billets ne seront mis en circulation qu'en l'an 2002, comme vous le savez. Quatre ans, je crois que c'est une bonne durée pour que l'euro puisse entrer définitivement dans les moeurs. Mais il ne faut pas se leurrer non plus. Ce processus d'appropriation ne relèvera pas de la "génération spontanée". Il doit être encouragé, accompagné, organisé. Et vous avez, vous, responsables de collectivités locales, élus locaux ou fonctionnaires territoriaux, une responsabilité particulière à cet égard.
Je sais que vous êtes déjà largement associés à la grande campagne d'information lancée à l'initiative du ministre de l'Economie en novembre dernier, et à laquelle je suis moi-même associé. Vous êtes donc à même de mesurer l'ampleur de la demande d'information de nos concitoyens, qui se tournent assez naturellement vers les pouvoirs publics, que ce soit l'Etat avec le réseau comptable du Trésor fortement mobilisé comme il se doit, mais aussi naturellement les collectivités locales. Cet effort devra encore s'amplifier dans les mois qui viennent. C'est indispensable.
Mais le rôle des collectivités locales dans cette "pédagogie" de l'euro doit aller plus loin. Les villes, les départements, les régions sont presque toujours un acteur majeur de l'économie locale. Elles sont presque toujours des employeurs de première importance, elles passent des marchés, elles contractent avec de très nombreuses entreprises régionales. C'est donc sur les collectivités locales que va reposer largement cette pédagogie de l'euro.

Le basculement de leur opérations en euro aura un impact majeur sur les populations à un double titre :
Par un effet de diffusion tout d'abord, car chacun est en contact ou a des relations d'argent avec les collectivités locales, notamment les mairies, ne serait-ce que pour l'acquittement de diverses taxes ou de droits indirects.
Mais aussi par un effet de confiance, car je crois que chacun sera intimement convaincu qu'avoir des euro ou des francs, c'est en définitive la même chose, dès lors que les administrations, qu'elles soient d'Etat ou locales, le manifesteront très concrètement dans les rapports quotidiens qu'elles entretiennent avec chacun d'entre nous.
Je sais aussi que tout cela représente un effort d'adaptation important pour tous les gestionnaires locaux. Je ne doute pas qu'il sera accompli avec le professionnalisme qui caractérise généralement les collectivités locales dans leur immense majorité.

La difficulté est double.

  • Il faut que les collectivités locales utilisent au mieux cette période transitoire de quatre ans pour être en mesure d'assumer une gestion complète en euro en 2002.
  • Mais il faut aussi qu'elles veillent à ne pas se lancer dans des programmes trop lourds d'adaptation spécifique aux besoins d'une période intermédiaire d'assez courte durée.

Il y a là un petit calcul d'optimisation à réaliser pour éviter toute déconvenue. En tous cas, je crois que la meilleure préparation consiste à engager dès maintenant des actions d'adaptation, tout en gardant en permanence à l'esprit la configuration future des systèmes d'information dans la période définitive de l'après 2002.
J'ajoute que le plan de basculement a été largement conçu pour les collectivités locales en fonction de cet impératif.
La simplicité prévaut pour l'établissement des budgets, puisque ceux-ci seront établis et votés en francs jusqu'en 2001 inclus, puis en euro à compter de l'exercice 2002. Par conséquent, la gestion budgétaire ne sera pas affectée par cette période transitoire.
En revanche, le principe du "ni-ni" - "ni obligation, ni interdiction" - s'appliquera largement aux opérations de gestion des collectivités locales. Les comptables du Trésor pourront accepter des paiements et effectuer des règlements en euro pour le compte des collectivités locales. La période transitoire relèvera donc largement d'une co-responsabilité des collectivités locales et de leurs comptables du Trésor. Ce rôle d'appui du Trésor public est tout à fait naturel, compte tenu de notre tradition administrative. Mais il ne faudrait pas non plus que le zèle de nos agents comptables - qualité qui leur est généralement reconnue en France et même à l'étranger -, amène les collectivités à s'en remettre complètement à eux. A l'évidence, il y aura un équilibre à trouver entre un principe d'économie de moyens et un principe de préparation du futur. Celui-ci devra s'établir dans les mois prochains.
La prospérité économique de nos villes, de nos départements, de nos régions, dépendra aussi de la qualité de cette action spécifique qui, j'en conviens aisément, n'est pas anodine.
En même temps, et fort heureusement, on ne change pas de monnaie tous les jours. Pour ma part, je me contenterai donc de formuler en conclusion un voeu - et pourquoi pas un pronostic -, qui est de voir l'euro bénéficier d'une longévité et d'une stabilité au moins aussi remarquables que celles dont a pu bénéficier jadis notre vieux franc germinal, né dans des conditions bien difficiles mais dont la popularité ne s'est jamais démentie dans nos villes et nos campagnes durant plus d'un siècle./.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 septembre 2001)