Déclaration de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé, sur la campagne de communication en matière de lutte contre le sida, Paris le 26 mai 1998.

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Circonstance : Lancement de la campagne de communication 1998 en matière de lutte contre le sida, à Paris le 26 mai 1998

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,
Nous sommes aujourd'hui rassemblés pour vous présenter la campagne de communication 1998 en matière de lutte contre le sida.
A l'heure où la mobilisation contre le sida marque le pas, comme en témoigne l'échec relatif du SIDACTION, l'engagement des pouvoirs publics à poursuivre l'effort de mobilisation est, aujourd'hui plus qu'hier indispensable.
Je souhaite tout d'abord rappeler quelques chiffres et quelques faits récents.
On estime à 110 000 le nombre de personnes touchées par le VIH en France, dont près de 20 000 au stade sida. Depuis le début de l'épidémie entre 35 000 et 37 000 personnes sont décédées du sida.
Certes, les progrès des thérapeutiques et des stratégies antirétrovirales (nouvelles classes d'antirétroviraux, diffusions des nouvelles associations thérapeutiques, ...) ont, depuis deux ans, profondément modifié le visage de l'épidémie.
Ainsi, entre 1995 et 1997, le nombre de nouveaux cas de sida a diminué de 56 % et le nombre de décès par sida de 66 %. Cette amélioration, spectaculaire, a concerné, et c'est à souligner, les trois principaux groupes de transmission (homo-bi-sexuels, toxicomanes et hétérosexuels, ...).
J'ai déjà eu l'occasion d'indiquer, le mois dernier, lors de la réunion ici au Ministère de la Santé, des centres d'information et de soins sur l'immunodéficience humaine (CISIH), combien les actions engagées ont permis d'avancer concrètement dans l'amélioration des prises en charge.
Tout cela ne s'est pas fait spontanément bien sûr et la pression de l'épidémie, l'intervention active, parfois virulente des associations de malades, ont poussé les professionnels et les pouvoirs publics à réfléchir et à agir autrement.
Ainsi plus que le nombre de personnes suivies à l'hôpital, estimé à 80 000, ce qui est le plus significatif à mes yeux c'est que les files actives hospitalières se sont accrues d'un quart (+ 25 %) en deux ans.
La modification des stratégies thérapeutiques, l'élargissement des indications, ont favorisé l'accès aux prises en charge.
A la fin de l'année dernière, près de 90 % des personnes suivies bénéficiaient d'un traitement et dans près de 60 % des cas d'une tri-thérapie. La France a su aller vite, mettre les médicaments à disposition des patients. D'autres pays parmi les plus riches, n'ont pas fait cet effort.
Et je n'évoque pas le tiers monde pour lequel vous connaissez ma volonté de modifier l'innaceptable cours des choses.
La diffusion des thérapeutiques a permis d'obtenir une véritable transformation de la maladie ; une baisse rapide et très importante du nombre de cas de SIDA et des décès avec un impact sur l'activité hospitalière : plus de 200 OOO journées d'hospitalisation ont pu être évitées entre 1996 et 1997.
Certes, il apparaît une stabilisation de ces baisses au cours de l'année dernière. Je considère néanmoins que cette stabilisation permet de considérer que l'efficacité des traitements se maintient dans le temps. Or c'était il y a peu une des interrogations importantes lors de l'arrivée des nouvelles associations d'anti-rétroviraux.
Je voudrais revenir sur deux faits importants de la prise en charge en matière de SIDA survenues au cours des derniers mois.
Tout d'abord, la délivrance en ville des anti-rétroviraux, effective depuis le 30 octobre dernier.
On peut cependant dire aujourd'hui que cette opération s'est globalement déroulée dans de bonnes conditions et que l'accès en ville des antirétroviraux s'est développé très rapidement.
En Avril 1998, près d'un traitement sur deux était dispensé en officine de ville.
Deuxième point, et nous sommes là dans un des axes d'information retenu cette année, j'ai, en Juillet dernier, adressé aux coordinateurs médicaux des CISIH une lettre indiquant clairement la possibilité de prescrire une chimioprophylaxie anti-rétrovirale dans des cas d'exposition à un risque de transmission du VIH hors des situations déjà définies pour les soignants.
Depuis, les différents groupes d'experts (groupe du Pr DORMONT, groupe chargé du diagnostic précoce) ont pu formaliser et établir des recommandations qui permettent d'aider les médecins à prendre leur décision.
J'ai donc quelque peu anticipé ces recommandations. Pour autant, il m'apparaît que, dans ces situations difficiles, angoissantes, même si la réponse, qui d'ailleurs ne se résume pas uniquement à la question de savoir s'il faut traiter ou pas, ne peut pas, ne pouvait pas uniquement être laissée à la seule "intime-conviction" du praticien. Nous avions, depuis la fin de l'année 1996, trop d'attitudes diverses, source d'inégalité et sans possibilité d'évaluation. Cela m'est apparu inacceptable.
Je sais que certains praticiens s'inquiétaient de l'afflux de ces demandes. Force est de constater que cet afflux n'a pas eu lieu.
Au cours des premiers mois, quelques centaines de personnes ont pu avoir accès à cette chimioprophylaxie.
Je connais aussi la crainte, parfois exprimée, d'un relâchement de la prévention. C'est pourquoi les efforts d'information sur la prévention doivent être, et seront encore cette année poursuivis.
Mais je voudrais aussi souligner, qu'au travers d'une demande de chimioprophylaxie, on peut aussi poser la question de la prévention, à l'échelle individuelle.
L'analyse, la discussion d'une défaillance peuvent permettre d'en éviter d'autres.
Même si le phénomène est à ce jour difficilement quantifiable, il est clair que pour les personnes qui vont bien, avec l'arrivée des nouveaux traitements, la sexualité se pose aujourd'hui différemment qu'au cours des dernières années.
Ce n'est pas une démarche médicale habituelle, mais je crois qu'elle est bien au centre d'un nouveau dialogue entre le médecin et son patient. Ce n'est pas dans la pratique habituelle des médecins que d'aborder les problèmes de sexualité ! Or, il m'apparaît important que, hors du cadre de l'urgence, que j'évoquais à l'instant, un dialogue sur ces question puisse être développé entre les médecins et les personnes touchées par le VIH.
Afin de mieux faire connaître les recommandations des experts et surtout d'améliorer l'organisation nécessaire, une circulaire précisant les recommandations de mise en oeuvre de ce traitement antirétroviral après exposition à un risque de contamination, a été diffusée au début du mois d'Avril.
Il s'agit, en effet, de fournir aux professionnels des outils d'aide à la décision, de favoriser un suivi cohérent entre l'équipe hospitalière, le médecin traitant, les CDAG, le réseau associatif.
Nous souhaitons, en effet, que le dispositif, les lieux et les possibilités de prescription, puissent être facilement identifiés afin que les personnes concernées puissent, si nécessaire, accéder à un traitement dans les meilleurs délais.
Aussi, l'effort d'information et de prévention cette année sera axée sur deux thèmes principaux :
- l'accès au diagnostic précoce,
- une campagne sur l'usage du préservatif, qui, en l'absence de vaccin, reste, pour les personnes qui ont une "vie sexuelle", la seule méthode de prévention, et l'effort en ce domaine pour banaliser l'usage reste indispensable.
Concernant l'accès au diagnostic précoce : je souhaite préciser certains points.
Malgré les évolutions satisfaisantes que je viens de rappeler, il n'en demeure pas moins que :
- on estime que 5 000 personnes sont nouvellement contaminées, et qu'il reste une personne contaminée sur quatre qui l'ignore, ce qui a deux conséquences :
1. elle ne peut prendre des mesures de prévention pour éviter la contamination d'autres personnes,
2. elle ne peut que bénéficier que tardivement de traitements qui auraient freiné l'évolution de l'infection vers la maladie.
C'est pourquoi il faut informer largement, compte tenu des nouvelles possibilités de dépistage car, comme l'indique la signature de la campagne télévisée et qui sera relayée dans la presse audio-visuelle "Aujourd'hui on peut faire beaucoup, mais rien sans vous".
Ainsi, les tests biologiques disponibles et qui sont tous pris en charge à 100 %, qu'il s'agisse des tests Elisa de 3ème génération (qui peuvent dépister des actions dès le premier mois qui suit la contamination), de l'antigénémie P24 (qui peut être positif dans les 15 jours), voire dans certains cas, la mesure de la charge virale, permettent de diagnostiquer plus tôt une séropositivité et ainsi de pouvoir accéder à une prise en charge voire un traitement efficace.
Il faut cependant dire que le diagnostic de certitude pour confirmer définitivement l'absence de contamination demande toujours trois mois.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, il ne faut plus avoir peur du dépistage, au contraire, car en cas de séropositivité il y a un intérêt réel, indiscutable de bénéficier aux traitements.
Il faut insister sur le fait que les personnes qui pour l'instant sont réticentes au dépistage ou n'accèdent pas à une prise en charge n'appartenant pas à un groupe de transmission particulier, elles sont en réalité confrontées à des situation de vulnérabilité sociales, culturelles. Parfois, pour certaines de ces personnes, le sida, les problèmes de santé ne sont qu'un des problèmes parmi bien d'autres priorités plus aigues, que sont "où vais-je manger, où vais-je dormir ce soir ?"
C'est ainsi que le programme de lutte contre les exclusions, actuellement présenté au Parlement, contribuera aussi à la lutte contre l'épidémie. C'est aussi des actions concrètes qu'il faut rappeler et qui seront complétées à l'automne de la présentation de la couverture médicale universelle.
Des actions d'information ciblées sont prévues en direction des groupes à risque, mais aussi en direction des personnes en précarité.
Mais je souhaite aussi insister sur le rôle des CDAG qui a été élargé à l'accompagnement vers le soin de ceux qui manifesteraient de façon libre et volontaire le souhait d'être pris en charge médicalement. Les CDAG assureront l'orientation du patient vers les structures spécialisées, notamment les réseaux ville hôpital. Le dépistage peut rester anonyme, la prise en charge relève des obligations du secret médial. L'équipe de la CDAG a un rôle essentiel dans le maintien des stratégies de prévention.
Les équipes des CDAG sont renforcées et diversifiées pour proposer aux patients une prise en charge globale, médicale mais aussi psychologique et sociale.
Je voudrais indiquer que cet effort d'information grand public a été préparé par une action de sensibilisation des médecins, en particulier des généralistes.
J'ai adressé en Avril dernier une lettre aux médecins, pharmaciens et associations, les informant de cette campagne, ainsi que des documents leur permettant de mettre à jour leurs connaissances sur les questions liées au dépistage précoce et aux manifestation de primo-infection. Cet envoi a été diffusé à 180 000 exemplaires.
Il est en effet indispensable que l'ensemble des médecins susceptibles d'être sollicités au décours de cette campagne soient bien informés sur l'évaluation des risques et des possibilités qui existent, et qui peuvent justifier d'une orientation vers une prise en charge spécialisée.
De façon complémentaire, deux millions de brochures destinées à l'information des patients ont été préparés et sont mises à disposition des professionnels.
Enfin et j'en terminerai par ce point, j'avais indiqué en décembre dernier qu'une amélioration de la surveillance épidémiologique du Sida était nécessaire, justement dans le but de mieux connaître, donc mieux adapter les stratégies de prévention face aux nouvelles contaminations.
Les différentes instances concernées (Académie de médecine, Conseil National du Sida, et il y a une quinzaine de jours le Conseil Supérieur d'Hygiène Public de FRANCE) ont rendu leur avis.
Je note que toutes les instances ont rappelé que le système actuel de surveillance des cas de Sida garantissait une confidentialité, ce qui est éthiquement indispensable.
Aussi, le système de surveillance du Sida sera modifié et étendu à la séropositivité. Un décret en ce sens est en cours de préparation et une mise en oeuvre effective est prévue pour la fin de cette année.
Je voudrais faire quelques remarques à ce sujet : d'une part, vous le savez, l'amélioration de notre système de surveillance épidémiologique est nécessaire. Il est prévu dans la loi de sécurité sanitaire et avec la transformation du Réseau National de Santé Publique et en Institut de Veille Sanitaire. C'est dans cette démarche globale qu'il peut situer cette décision mais une réflexion sur les cancers, comme sur d'autres pathologies comme par exemple l'Hépatite C doit être conduite dans les prochains mois.
D'autre part, je voudrais tout particulièrement insister sur un point. Il ne faut pas qu'il y ait de confusion entre la surveillance épidémiologique dont l'obligation porte sur les médecins et qui demeure confidentielle et anonyme, et une velléité de dépistage obligatoire, dont on connâit très bien le caractère inefficace et contre-productif.
Je souhaite être très clair sur ce sujet et il est aussi de votre responsabilité de ne pas entretenir de confusion sur ce point. Il n'est pas question d'un dépistage obligatoire.
Ultime précision, je vous indique que le caractère anonyme et gratuit des CDAG n'est pas remis en question. Aucune justification d'identité ne sera demandée au préalable ni au cours de la remise des résultats dans ces centres.
Un groupe de travail dirigé par le RNSP sera amené à faire des propositions précises sur les conditions d'une participation des CDAG à ce système de surveillance. Au minimum, la déclaration simple sans indication des données individuelles (date de naissance ou prénom) peut être envisagée.
(Source http://www.sante.gouv.fr, le 4 octobre 2001)