Interviews de M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, à RTL et dans "La Tribune" le 20 octobre 2003 et dans "Paris-Normandie" le 23 octobre 2003, sur la hausse des taxes sur le tabac et la grève des buralistes en réaction à cette décision.

Prononcé le

Média : Emission L'Invité de RTL - La Tribune - Paris Normandie - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie Les taxes sur le tabac - qui avaient déjà beaucoup augmenté au début de cette année - augmentent ce matin à nouveau, à votre initiative, de 20 %. Du coup, vous êtes devenu la bête noire des 34.000 buralistes, dont beaucoup seront en grève aujourd'hui. Comment justifiez-vous ces hausses à répétition de la fiscalité du tabac ?
- "Pour une raison extrêmement simple : la seule raison de la santé publique. Et ce n'est pas un problème franco-français, c'est un problème qui est européen. L'Union européenne vient de transposer une directive interdisant la publicité pour le tabac transfrontalière et s'engage dans une voie d'harmonisation du tabac. L'Allemagne va financer tout ce qui tourne autour de la grossesse et des maternités, par l'augmentation du tabac, et l'Organisation Mondiale de la Santé nous invite à signer une convention, la France est en train de la ratifier. Le tabac est l'ennemi public numéro un de la santé !"
Et vous déclarez la guerre au tabac... Vous espérez que ces taxes réduiront la consommation. Mais, on le voit, cela augmente aussi la contrebande, cela favorise la consommation d'autres produits. Une buraliste disait qu'elle vendrait plus de tabac à rouler, peut-être les jeunes se procureront davantage de shit. Vous savez bien que la hausse des taxes ne fait "que" baisser la consommation de tabac ?
- "Vous avez raison, sauf qu'on n'est pas obligé de renoncer au motif qu'il y aura des tentatives de contournements. On s'occupera des choses les unes après les autres. Je crois qu'il appartient aux services des douanes de prendre les mesures nécessaires et de renforcer les contrôles. Je crois que pour ce qui concerne la drogue, nous allons revoir la loi de 1970 pour maintenir l'interdit, et surtout en mettant des contraventions beaucoup plus faciles à appliquer que des peines de prison, qui étaient totalement inapplicables. Nous avons de ce point de vue des réponses. Mais je vais vous dire : le seul but qui m'anime, c'est quand je vois ces jeunes à la sortie du lycée - et je sais qu'ils font la même chose à l'intérieur dans la plupart des lycées - et que je les vois fumer, je sais que neuf fumeurs sur dix ont commencé avant dix-huit ans. Je sais que la moitié d'entre eux vont mourir d'un cancer et je sais qu'un quart d'entre eux va mourir, prématurément, avec une vie raccourcie, de vingt à vingt-cinq ans. Et ça, ce n'est pas acceptable ! Ce qui n'est pas acceptable non plus, on le sait, c'est le tabagisme qui nuit à l'entourage. 3.000 morts par tabagisme passif, c'est-à-dire des gens qui n'ont pas eux-mêmes fumé, mais qui vivent aux côtés de fumeurs. On ne peut pas laisser filer cela naturellement. Il faut donc réagir. Et que voulez-vous ? Tout le monde l'a démontré, dans tous les pays, et la France avec, chaque fois qu'on augmente le prix du tabac, on diminue la consommation... Et c'est vrai que le meilleur moyen pour rendre plus difficile l'accès au tabac, c'est d'augmenter les prix !"
Une précision : est-ce que la fiscalité sur le tabac augmentera encore l'année prochaine ? On avait cru comprendre que oui. L'hôtel Matignon d'ailleurs, lundi dernier, avait confirmé qu'une augmentation de la fiscalité serait inscrite dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Et ce matin, vous donnez une interview à La Tribune, où vous semblez moins catégorique. Alors, le 1er janvier, les taxes augmenteront-elles encore ?
- "Je ne sais pas si elles augmenteront le 1er janvier. Sur le plan de la santé publique, je viens de défendre, à l'Assemblée nationale, un objectif de santé publique : baisser le nombre de jeunes fumeurs de 30 % en cinq ans et baisser le nombre de fumeurs adultes en cinq ans de 20 %. Eh bien, la hausse du tabac sera utilisée de manière à nous permettre d'atteindre cet objectif."
Précisément, est-ce qu'au 1er janvier la fiscalité augmentera, oui ou non ?
- "Je ne suis pas en mesure de le dire aujourd'hui, car, pour le moment, nous avons une loi qui a été votée au mois de juillet, qui s'applique maintenant, et nous allons voir comment le marché réagit, comment les consommateurs réagissent. Donc je ne peux pas vous le garantir. Mais il est clair que je ne veux pas..."
C'est donc nouveau, parce que lundi dernier, une dépêche AFP citait l'entourage du Premier ministre - parce qu'il y avait déjà des rumeurs - ; l'entourage du Premier ministre a démenti lundi tout report de la hausse sur le tabac, inscrite dans le projet de loi de financement de Sécurité sociale, prévue pour janvier. Cela veut dire que vous donnez en quelque sorte satisfaction aux buralistes qui vous demandaient de reporter cette hausse de janvier ?
- "Ce n'est pas très exactement ce que je suis en train de dire. La porte n'est pas fermée, mais il est vrai qu'une augmentation était prévue en janvier - qui n'était pas d'ailleurs directement liée à la Sécurité sociale - et nous verrons bien s'il y a lieu de le faire en janvier ou de reporter un tout petit peu, la chose n'est pas réglée..."
C'est parce que vous entendez la colère des buralistes qu'aujourd'hui la chose n'est pas réglée ?
- "Pas du tout, ça n'a rien à voir. Encore une fois, la guerre au tabac n'est pas la guerre aux buralistes. Le secteur qu'ils représentent, le commerce de proximité doit être préservé et je peux dire quand même que des efforts ont été faits pour eux : un plan de 130 millions, en particulier pour les frontaliers et pour ceux qui ont le plus de difficultés à joindre les deux bouts. Ce n'est pas rien 130 millions ! Et enfin, il faut probablement étendre leur intervention au niveau du service public, ce qu'ils aiment à faire, et qui fait d'ailleurs tout l'intérêt de leur métier."
Mais ils vous demandaient justement de ne pas procéder à cette hausse au 1er janvier de la fiscalité. Vous les entendez, elle n'est pas automatique, c'est ce que vous dites ce matin ?
- "Elle n'est pas automatique, mais vous savez que dans cette affaire, il y a aussi le rôle des cigarettiers. Car l'année dernière, nous avions voulu augmenter de 17 % et les cigarettiers n'ont pas joué le jeu. Ils ont, pour compenser la hausse des taxes, rogné sur leurs marges. Ce qui fait qu'on a eu une augmentation de 11 % seulement. On est plusieurs acteurs dans cette affaire. Il y a les cigarettiers, dont je vous prie de croire que, eux, ne sont pas à plaindre, que leurs profits sont à la hausse, que leurs valeurs en bourse sont à la hausse, qu'ils réinvestissent au Maroc, et que donc, de ce point de vue là, eux..."
Pourquoi au Maroc ?
- "Mais parce que c'est une compagnie, Altadis, qui est franco-espagnole, et qui vient de s'installer au Maroc, en licenciant en France. Bref, les choses, de ce point de vue, ne me font pas faire beaucoup de souci pour le devenir de cette industrie. Les buralistes, eux, il faut les accompagner. Quant à tous ceux qui sont des fumeurs, plus ils sont jeunes et plus je leur demande, je leur demande pour leur santé de cesser. C'est le cancer du poumon, c'est le cancer de la gorge, c'est le cancer de la langue, c'est le cancer de la vessie, ce sont les bronchites chroniques qui vous clouent au lit et vous empêchent de travailler. Bref, c'est invraisemblable ! Des vies raccourcies !"
On a compris votre message...
- "Oui, il est fort !"
J'ose à peine vous demander si vous fumez vous-même...
- "Non !"
Demain soir, une commission d'enquête parlementaire va se créer sur la canicule. Et on va de nouveau vous demander des comptes sur votre action et votre inaction cet été. Cela vous pèse un peu, ce débat et ce dossier sur la canicule ?
- "Ce qui me pèse surtout, c'est que cette affaire ait été prise en une semaine pour ce qu'elle n'était pas et qu'on ait mal abordé ce problème de société ! On a présenté une crise sanitaire, qui était en fait une crise de société. Et on en a eu très rapidement la preuve, lorsqu'on a réalisé que le jour où on démontrait que les problèmes étaient des problèmes de santé, il y avait déjà 8.000 morts, silencieuses, soit chez eux, soit en institutions, et qui étaient restés totalement inaperçus."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 20 octobre 2003)