Interview de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, dans "Animation et éducation" de janvier février 2000, sur le bilan de la réunion du parlement des enfants, les actions menées vers les jeunes par l'Assemblée nationale et le développemlent de la citoyenneté chez les jeunes.

Prononcé le 1er janvier 2000

Intervenant(s) : 

Média : Animation et éducation

Texte intégral

1) Vous avez mené, en octobre dernier, avec l'Unesco, le premier Parlement mondial des enfants. Quels étaient les objectifs visés et quel bilan pouvez-vous en tirer ? Y a-t-il un élément durant ces journées qui vous a fortement étonné et séduit ?
Ce projet est né d'une utopie devenue réalité. A l'aube du troisième millénaire, le directeur général de l'Unesco et moi-même avons souhaité donner la parole à des jeunes de moins de 18 ans - qui représentent la moitié des habitants de notre planète - et leur permettre d'exprimer leur vision du futur. Notre objectif était double : d'une part, donner à ceux qui seront les citoyens de demain l'occasion unique de s'impliquer dans la construction d'un monde plus pacifique et plus juste ; d'autre part, faire entendre leur message aux dirigeants politiques, aux responsables d'associations, aux enseignants, aux parents.
Ce pari a été, je crois, réussi. Ces 350 jeunes du monde entier ont élaboré un "Manifeste de la jeunesse pour le XXIème siècle" qui traduit leurs constats, leurs attentes, leurs engagements pour le prochain siècle. Ils nous ont indiqué les pistes que nous devons suivre pour répondre aux enjeux de demain comme l'éducation, l'environnement ou le développement. Nous avons tous été frappés par l'intelligence, le pragmatisme, l'enthousiasme, la générosité de ces enfants. Pour ma part, je retiendrai une remarque qui m'a beaucoup touché : " nous forgerons notre futur lorsque nos rêves deviendront loi ".

2) Quelles sont les autres actions vers les jeunes menées par l'Assemblée nationale ?
L'Assemblée nationale a, depuis plusieurs années, mis l'enfance au coeur de ses travaux. J'ai souhaité en effet qu'au-delà de ses missions traditionnelles - voter les lois et contrôler l'action gouvernementale -, l'Assemblée se donne de nouvelles tâches tournées vers les enfants, futurs citoyens. L'apprentissage de la responsabilité, de la citoyenneté, de la démocratie relève des enseignants, des parents ; je crois qu'il relève aussi des parlementaires qui doivent donner la parole aux jeunes, les associer à la décision, leur montrer comment se déterminent l'intérêt général, le bien commun, bref contribuer à leur formation civique. Tel était l'objet du Parlement mondial des enfants. Tel est également l'objet du Parlement national des enfants que nous organisons chaque année et qui aboutit à l'adoption d'une loi désormais reprise par les députés et transformée en loi de la République. Nous avons également le devoir de protéger les droits des enfants. C'est parce que je suis persuadé qu'une société se juge par le sort qu'elle réserve à ses enfants que j'ai réuni, l'an dernier, une commission d'enquête parlementaire sur les droits de l'enfant. Elle a formulé un certain nombre de recommandations dont la plus importante est certainement l'institution d'un Défenseur des enfants qui constituera pour eux en recours permanent, une sorte de vigie sur l'application concrète des droits de l'enfant. J'espère que la mise en place de cette autorité indépendante, à laquelle je tiens beaucoup, sera très prochainement adoptée par le Sénat. D'autres dispositions doivent être prises : créer un journal pour les enfants sur chaque chaîne audiovisuelle du service public pour développer leur sens du jugement par rapport à l'image et à l'information ; inciter les communes à mettre en place des conseils municipaux d'enfants ou de jeunes ; développer les associations d'enfants grâce à un système de parrainage d'adultes qualifiés...

3) A l'avenir, que deviendra le Parlement mondial des enfants ?
Nous devons écouter le message de ces députés-juniors ; nous devons y répondre car ils ont exprimé un souhait, je dirai une exigence : que leur manifeste soit relayé et suivi, qu'il ne soit pas sans lendemain. C'est pourquoi je l'ai transmis à tous les chefs d'Etat et de gouvernement du monde ainsi qu'aux Parlements. Je le communiquerai à l'assemblée du millénaire à l'ONU en septembre 2000. Chacun doit désormais se saisir de ce manifeste, le faire vivre au quotidien. Je ne sais pas si le Parlement mondial des enfants sera institutionnalisé, mais je sais que nous avons ouvert une voie vers la participation et la démocratie que les enfants ont la ferme intention de suivre.

4) Quelles sont, selon vous, les actions à mener pour développer la citoyenneté chez les jeunes ?
La citoyenneté est faite d'information et de formation. elle s'exerce d'abord là où l'on passe le plus clair de son temps. L'école joue un rôle irremplaçable. Rôle des enseignants, rôle des équipes éducatives, mais aussi rôle des parents, rôle des associations, rôle des institutions politiques. La mission même de l'école est d'éduquer des consciences libres et autonomes, refusant les seuls arguments d'autorité ou de la tradition : il s'agit de suivre la maxime kantienne " penser par soi-même ". Mais la citoyenneté ne peut pas être le produit d'une simple instruction civique formelle, décrivant mécaniquement les institutions de la démocratie : à mes yeux, la citoyenneté n'a de sens que mise en oeuvre - pour bénéficier des droits qui nous sont reconnus et assurer les devoirs qui nous sont impartis.
C'est pourquoi je plaide en faveur d'une citoyenneté active, à l'école et hors de l'école. Pour les jeunes, il y a au moins deux devoirs de citoyens. Un devoir de vigilance : l'appréciation portée par un lycéen sur le collège ou par un étudiant sur le lycée peut permettre d'améliorer le système éducatif ; de même, en famille, les adultes qui disposent du droit de vote ont des comptes à rendre sont comptables envers leurs enfants qui eux brûlent de s'exprimer : l'actualité offre chaque jour des occasions de débattre, de confronter les idées, d'éveiller la citoyenneté. Un devoir d'engagement, aussi : afin de se préparer à exercer pleinement leur droit de vote, les jeunes doivent s'intéresser à la vie de leur classe, de leur quartier, de leur ville. Ils ne sont pas hors du monde, et la majorité civique n'est pas la majorité citoyenne. Rédiger des journaux, mettre à profit le droit de réunion, proposer aux équipes enseignantes ou municipales des projets humanitaires ou solidaires, puis les réaliser avec elles - c'est tout le sens de la citoyenneté active, de la citoyenneté tout court.
A nous tous d'avoir un peu d'imagination pour permettre à la jeunesse d'améliorer la réalité.

(source http://www.assemblee-nationale.fr, le 26 janvier 2000)