Interview de M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement et porte-parole du Gouvernement, à France 2 le 3 juin 2003, sur l'application progressive de la loi de décentralisation dans l'Education nationale.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde-. Nous allons évoquer les grèves, les mouvements de protestation et de contestation, mais aussi le ton nouveau, ou peut-être le tournant dans ce conflit avec les enseignants, et l'annonce faite hier par N. Sarkozy d'un report. Est-ce que, finalement, vous reculez sur la loi sur la décentralisation ?
- "Non, pas du tout, ce n'est pas un recul, c'est un apaisement. Il ne faut pas se tromper. J.-P. Raffarin a réuni, la semaine dernière, l'ensemble de ses ministres, et on a parlé Education. Il a pris deux engagements. Premier engagement : que la loi sur la décentralisation, qui est un sujet énorme qui concerne l'ensemble des ministères de l'Etat, sera adaptée au 1er janvier 2004 ; et d'ici là, il faut prendre tout le temps nécessaire - et on a le temps - pour donner toute sa place au dialogue social, avant le débat parlementaire de l'automne."
C'est-à-dire qu'il y aura un guichet spécial pour l'Education nationale, dans cette loi sur la décentralisation ?
- "D'une manière générale, sur tous ces sujets, il faut bien entendu que pour chaque ministère concerné, ce dialogue existe. Pour ce qui concerne l'Education nationale, N. Sarkozy et L. Ferry, qui ont reçu les syndicats hier, l'ont rappelé : le dialogue social a maintenant toute sa place. Et c'est important qu'on consacre les semaines qui viennent, voire les mois qui viennent - on a le temps : juin, juillet, pas août parce que c'est les vacances, mais au-delà éventuellement, septembre si c'est nécessaire -, pour discuter de tout cela. Et ensuite, on entre dans la phase parlementaire, pour que le texte sur la décentralisation qui, je le répète, concerne de très nombreuses administrations, puisse être adopté, comme J.-P. Raffarin l'a dit, au 1er janvier 2004."
Pour les observateurs, il est quand même un peu inattendu de voir que c'est le ministre de l'Intérieur qui finit par établir le dialogue avec le corps enseignant et que ce n'est pas forcément une culture très commune entre les enseignants et le ministre de l'Intérieur, là où le ministre de l'Education, au fond, n'était pas arrivé à trouver le fil. Qu'est-ce que cela veut dire ? Que politique, c'est un métier, et que philosophe, cela ne suffit pas pour faire un bon ministre de l'Education ?
- "Je sais que c'est le grand sujet du moment chez un certain nombre de vos confrères. Mais je crois que les choses, parfois, peuvent être un peu plus complexe. La méthode qui a été retenue par J.-P. Raffarin a été dire que, face à une espèce d'ambiance où on mélange tous les sujets, peut-être des fois d'ailleurs avec certaines arrières-pensées, nous, on veut bien au contraire passer tout le temps nécessaire à dialoguer, à condition de sérier les questions. On ne peut pas tout mélanger. Quand on parle décentralisation, ce n'est pas la même chose que quand on parle retraite, quand on par le carrière des enseignants ou réforme de l'Education nationale. Il y a donc trois groupes de travail. Un premier groupe de travail sur la décentralisation, avec un binôme Ferry-Sarkozy, parce que L. Ferry, c'est l'Education nationale et N. Sarkozy, c'est le ministre de la Décentralisation, au-delà de celui de l'Intérieur. Il y a un deuxième groupe, où il s'agit de L. Ferry et de J.-P. Delevoye, pour parler du métier d'enseignant, car cela fait des années qu'on n'en parle plus, et que c'est bien là un des sujets essentiels : quelles sont les contraintes, les difficultés, les bonheurs aussi, du métier d'enseignant ?"
Et les évolutions de salaire ? Parce que l'Etat n'est pas toujours un DRH exemplaire !
- "Exactement. Aujourd'hui, il y a une réflexion à avoir sur ce que c'est que d'être directeur des ressources humaines quand on pilote une grande administration comme l'Etat. Réfléchir à la difficulté de la condition d'enseignant, à la crise que connaissent profondément les enseignants aujourd'hui, qui dépasse les simples inquiétudes du moment, qui fait qu'aujourd'hui, un enseignant, dans beaucoup de nos écoles - je peux en témoigner dans ma ville de Meaux -, arrive aussi la peur au ventre, parce que c'est compliqué aujourd'hui, dans certaines classes, d'être seul face aux élèves, c'est compliqué d'être seul face à une administration qui est très puissante, qui est anonyme. Il y a une réflexion à avoir sur l 'organisation de tout cela, qui est distincte des questions liées à la décentralisation puisque les enseignants ne sont pas du tout concernés par la décentralisation. Et troisième thème sur lequel vont travailler L. Ferry et X. Darcos, c'est la réflexion sur l'avenir de l'école, avec une nouvelle loi d'orientation sur l'école, qui succéderait à celle de 1989, qui a montré beaucoup de faiblesses."
Est-ce qu'au fond, dans cette crise de l'Education nationale aujourd'hui, il n'y a pas l'angoisse diffuse de se dire que tous les malheurs de la société reviennent comme un boomerang sur les enseignants, qu'ils ont les sentiments qu'on les pointe du doigt, qu'on leur rapproche de ne pas être adaptés, de ne pas savoir apprendre à lire et à écrire à nos enfants, de ne pas savoir contrôler... Il y a une sorte de mal-être et ils vous soupçonnent aussi, d'une certaine façon, de vouloir privatiser ce qui va mal dans l'Education nationale...
- "Je partage tout à fait cette analyse et j'en suis le témoin en tant qu'élu local, de la difficulté que nous voyons tous les jours à vivre ce métier d'enseignant. Les témoignages, on les a tous. Bien entendu, comme toujours dans ces cas-là, on peut être tenté de chercher des boucs-émissaires. La mission de ce Gouvernement, c'est aussi pour cela qu'on s'est engagé vis-à-vis des Français : c'est de redonner à la fonction publique, au service public, à l'Etat, ses lettres de noblesse, c'est-à-dire d'avoir une vraie réflexion sur la manière de faire, dans les meilleurs conditions possibles, son métier au service de l'intérêt général. Et je trouve que l'intérêt général, on a un peu tendance, avec la désinformation ambiante, à en perdre la substantifique moelle. Cela veut dire quoi, derrière tout cela ? Cela veut dire qu'on travaille pour l'avenir de nos enfants et qu'aujourd'hui, on a fait peser sur les épaules des enseignants, on a laissé faire cela depuis une quinzaine d'années, tous les maux de la société française : les problèmes de sécurité, les problèmes de santé scolaire, le problème des parents, le problème de la politique de la Ville et des quartiers difficiles. Tout cela serait, si on entend certains, de la faute aux enseignants. Et que raconte-t-on ? Ce n'est pas cela, la réalité. La réalité, c'est tout l'inverse. Il faut aujourd'hui avoir un discours courageux, réfléchir avec les enseignants sur la manière de faire évoluer leur métier, de le rendre plus heureux, de faire en sorte effectivement, de les décharger de certaines contraintes qui n'ont rien à voir avec la mission des enseignants. Par exemple, la lutte contre la violence ne relève pas, à l'évidence, des enseignants. Et il y aurait bien d'autres sujets."
Donc, pas d'arrières-pensées, pas d'idée de privatisation, en aucune façon de l'Education nationale...
- "Là aussi, vous avez raison, on va tordre le cou à ce canard sauvage ! Il n'a jamais été question, nulle part, de parler de privatisation. Cela n'a aucun sens, cela ne ressemble à rien, nous sommes pleinement attachés au service public, nous voulons simplement dire qu'il y a quelques problèmes constatés, des crises profondes, matérielles, de considération matérielle, de considération morale, dont sont victimes les enseignants, et auxquelles il faut apporter des réponses. Cela n'a rien à voir avec la privatisation, tout cela ne ressemble à rien. De même que tout ce que l'on peut lire sur certains tracts relève de la désinformation. J'entends dire qu'on veut supprimer les maternelles, où je ne sais quoi ! Mais non, cela n'a pas de sens ! Il y a une réflexion sur la décentralisation qui concerne les personnels techniques, qui concerne d'autres personnels non-enseignants, pour lesquels on a constaté que cela marchait mieux quand c'était fait en partenariat avec les collectivités locales. Ce sont d'ailleurs des suggestions qui ont été faites en leur temps par certains responsables socialistes, même si le PS d'aujourd'hui a copieusement oublié tout cela."
Un mot sur les examens : on a vu, tout à l'heure, qu'à Perpignan, une université un peu tendue, on reprend les examens. Cela concerne le retrait du projet sur les universités. Est-ce que vous pensez que le Baccalauréat se passera dans de bonnes conditions ? Est-ce que les contacts qui ont été ré-établis avec les syndicats vous permettent de l'espérer ?
- "Je le souhaite en tout état de cause. Nous multiplions les appels à la responsabilité individuelle et collective. Là, il s'agit de l'avenir de nos enfants, et je ne veux pas croire, d'ailleurs, on le voit bien, de très nombreux professeurs ont pour objectif de faire réussir leurs élèves... Chacun doit être conscient, bien entendu, de la nécessaire responsabilité vis-à-vis des enfants."
Concernant les transports, on assiste à une grève à la RATP et à la SNCF, régimes spéciaux qui ne sont pas concernés par la réforme de la retraite et qui, pourtant, arrêtent le travail. Ont-ils raison ou ont-ils tort de penser que peut-être que demain, ils seront concernés par une réforme ?
- "On l'a dit sur tous les tons : les régimes spéciaux ne sont pas concernés par la réforme des retraites. C'est sans doute l'un des paradoxes de voir cet appel à la grève dans certaines entreprises publiques de transport qui, pour autant, ne sont pas concernées. Je note d'ailleurs qu'à la RATP, cet aspect de l'explication a été mieux compris, puisque je crois que six organisations sur sept n'ont pas appelé à la grève, tenant compte du fait que la réforme des retraites ne concernait pas les régimes spéciaux. Chacun doit l'entendre, parce que chacun doit en même temps comprendre qu'une grève massive, cela a des conséquences économiques dramatiques, dont les premières victimes seront ceux de nos concitoyens qui sont les plus faibles et les plus fragiles. Il faut donc que chacun, là aussi, entende bien ce message."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 juin 2003)