Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur le programme du gouvernement en faveur d'une meilleure intégration sociale des immigrés en situation régulière, Paris le 10 avril 2003.

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Circonstance : Conférence de presse à l'issue du comité intérministériel à l'intégration, à Paris le 10 avril 2003

Texte intégral

[...] Le mot intégration, d'ailleurs, est un débat en lui-même, nous l'utilisons parce qu'il est significatif d'une politique, mais au fond, nous voulons le dépasser, parce que la politique qui est proposée, s'appuie sur trois piliers : un pilier donc directement de l'intégration, mais qui s'adresse principalement aux primo-arrivants, c'est-à-dire à ceux qui, venant de l'étranger, légalement, entrent dans la République et donc, là, nous avons une intégration républicaine à assurer. Et puis il y a un deuxième pilier qui est très important, qui est celui de la promotion économique et sociale des Français, issus de l'immigration ; ceux-là sont intégrés, mais il s'agit de faire fonctionner pour eux l'ascenseur social, et de faire en sorte que toutes les formes de représentation, dans la société, leur soient ouvertes de manière beaucoup plus fluide, beaucoup plus rapide, et donc c'est un second pilier très important que nous voulons engager. D'abord donc l'intégration dans la République ; ensuite, la promotion économique et sociale, deuxième objectif. Troisième objectif : la lutte contre toutes les formes de discrimination. Et il est évident que nous sommes très sensibles à toutes ces discriminations, qui existent dans la société française, et en cette période internationalement particulièrement troublée, nous sommes évidemment très mobilisés contre le racisme, contre l'antisémitisme et contre toutes ces discriminations raciales, qui existent et contre lesquelles nous voulons mobiliser toute notre énergie. Nous avons donc engagé une réflexion, ministère par ministère, pour que chacun, dans sa propre politique, intègre cette ambition et puisse fournir des mesures concrètes pour valoriser l'intégration au sein de la République. Je voudrais dire aussi que nous avons engagé avec le Haut conseil à l'intégration, que préside madame Kriegel, évidemment un partenariat naturel, puisque nous avons là, un lieu de réflexion et de propositions, et que le Comité interministériel met en oeuvre, un certain nombre de réflexions, de stratégies élaborées, discutées au sein du Haut conseil à l'intégration. Et puis nous avons associé un certain nombre de partenaires. Je salue ici J. Toubon, auquel nous avons confié, nous confions, par ce Comité interministériel, une mission de réflexion sur la préfiguration d'un lieu de mémoire quant à l'Histoire et aux valeurs et aux ambitions de l'immigration. Il est clair que l'ensemble des populations issues de l'immigration, ont droit à leur histoire, ont droit à voir comment la République accueille, dans son propre patrimoine culturel, ces différentes histoires. Et je crois qu'il est important que nous travaillions sur cette perspective-là. Et nous confions à monsieur le conseiller d'Etat, J. Toubon, ancien ministre, une mission de propositions sur le sujet.
Cette démarche, vous le voyez, est pour nous, très importante. Elle correspond à deux grands débats qui nous semblent très importants aujourd'hui. Nous pensons au débat, notamment, de la laïcité, qui est un élément très important de notre pacte républicain. Il est évident que nous nous réjouissons que les uns et les autres s'intéressent à leur propre liberté et que les débats religieux puissent avoir lieu dans notre pays, parce que le fait que l'individu s'interroge sur les sources de sa liberté, ce n'est pas une mauvaise nouvelle. Mais dans la République, il y a une grammaire, pour cette interrogation, il y a un langage, et cette grammaire, ce langage, c'est la laïcité. Et nous ne voulons pas que, par les échecs de l'intégration, on développe un communautarisme qui entraîne un certain nombre de dérives, et ces dérives pouvant conduire justement à des caricatures de religion ou à un repli sur soi ou à un cloisonnement de la société française en communautarisme, qui affaiblit la République. Donc nous voulons vraiment valoriser ce triptyque de la liberté, de la laïcité et de l'intégration. Et puis nous pensons aussi que l'intégration est un élément très fédérateur de l'action du Gouvernement, que j'ai l'honneur de conduire. C'est en fait un élément d'équilibre, entre ce qu'il nous faut sur le plan de la société en terme d'autorité républicaine. Car nous pensons que l'autorité républicaine doit être renforcée. C'est pour cela que nous avons pris un certain nombre d'initiatives, c'est pour cela que nous disons qu'il y a une immigration légale dans notre pays, que cette immigration légale doit pouvoir faire l'objet d'une politique active de l'intégration, tout comme l'immigration illégale doit faire l'objet d'une politique active, en ce qui concerne la fermeté. Fermeté, humanité, ce sont deux éléments importants de cet équilibre. Equilibre entre, donc, une politique d'autorité républicaine et une politique d'intégration, et aussi, équilibre entre une politique sociétale de représentation, représentation dans la société, sous toutes ses formes, et en même temps, politique économique, parce qu'une des principales discriminations pour lesquelles nous voulons nous engager, c'est vraiment la discrimination par l'emploi et donc par la promotion économique et la promotion sociale.
Voilà pourquoi l'intégration est au coeur de l'action gouvernementale, est un élément fédérateur de l'ensemble de l'action des ministères. C'est pour cela que nous sommes attachés à développer un programme annuel. Ce programme, dont F. Fillon va vous présenter les grandes lignes, sera validé tous les ans par le Comité interministériel, en liaison donc avec le Haut conseil à l'intégration. Je vous remercie et je laisse la parole au ministre des Affaires sociales.
[...]
[Question inaudible]
"A partir du moment où nous allons définir ce qu'est, pour nous, un élément majeur, l'organisation de l'accueil, tous ceux qui seront en situation, c'est-à-dire à peu près 100 000 personnes par an, d'être légalement accueillis pourront se voir proposer un dispositif d'intégration par le contrat tel qu'il est proposé. Et donc c'est une population qui est autorisée légalement, à avoir accès à cette intégration républicaine, ce qui veut dire, clairement, que nous faisons une politique de l'immigration, pour laquelle nous voulons un volontarisme. C'est-à-dire que nous disons que l'immigration zéro est une illusion ; ce que nous voulons, c'est le taux zéro d'immigration clandestine."
[Question inaudible]
"Nous ne sommes pas, là, dans le sujet, le président de la République s'est exprimé ce matin et j'aurai l'occasion de dire quelques mots sur le sujet, cet après-midi au Sénat."
[Question inaudible]
"Vous revenez à la question par un autre chemin ? Eh bien, je prendrai pour la réponse, le même chemin."
[Question inaudible]
"Nous n'aimons pas beaucoup l'expression "discrimination", positive ou négative. Le mot "discrimination" est, pour nous, un mot que nous voulons combattre. Nous avons quelque sympathie pour des démarches comme celles qui ont pu être engagées à Sciences Po, et notamment, nous souhaitons que les établissements prestigieux puissent organiser - et c'est une de nos propositions - des partenariats avec des établissements qui connaissent plus de difficultés, et qu'on n'ait pas ce dispositif éducatif avec des établissements qui bénéficient d'une certaine forme de noblesse et les autres qui sont ceux à la marginalité voire à l'exclusion. Donc nous souhaitons développer des partenariats et faire en sorte qu'il y ait une représentation des Français issus de l'immigration dans tous les grands lieux de la République, notamment dans les grandes écoles, notamment dans tous les grands lieux, les médias, les lieux politiques. La représentation, pour nous, est un élément très important. Partout où la République s'affirme, il faut qu'il y ait une représentation forte des Français issus de l'immigration.
[Question inaudible]
"Par définition, je vous parle de quelque chose qui est en préfiguration, donc c'est le rapport de J. Toubon qui nous permettra de délibérer sur le sujet. Ce que nous pensons, c'est qu'il faut que la communauté nationale, la République, regarde son histoire dans sa diversité, avec clarté et lucidité. Et donc la République n'a pas à cacher des parts de son Histoire. Il faut regarder l'Histoire en face et faire en sorte que les Français, d'origine de l'immigration, ont droit à leur Histoire et ont droit à ce que leur Histoire appartienne aussi à l'Histoire de la République. Donc ce n'est pas un lieu qui est un lieu seulement historique, mais c'est un lieu vivant, où ce qui peut être l'apport d'un certain nombre de cultures à notre patrimoine républicain, puisse être valorisé. Nous avons vraiment une volonté de vivre ensemble et donc de rassembler, de surmonter les différences. La République reconnaît la diversité, mais la République n'accepte pas le cloisonnement et le communautarisme, et donc il faut que ces différents apports à notre patrimoine national, puissent être connus, étudiés. C'est la méconnaissance, très souvent, de l'Histoire, c'est la méconnaissance de l'autre qui génère le non-respect de l'autre. Et nous pensons que si nous voulons vraiment que la société française puisse porter, en elle, vraiment le respect de l'autre, comme une valeur essentielle - vous savez que c'est un message, auquel tient particulièrement le président de la République, qui est au cur de ce qu'on appelle "l'esprit de mai", qui est au cur de la mission gouvernementale qui nous a été confiée au lendemain de ce printemps 2002 -, c'est de faire en sorte que ces valeurs républicaines puissent se nourrir de la diversité, mais soient dépassées par les valeurs de la République. C'est pour cela, quand on parle de discriminations négatives ou positives, elles nous paraissent être contraires à ce que nous voulons, qui est le principe d'égalité. La République porte en elle des valeurs claires : Liberté, Egalité, Fraternité. Nous mettons la laïcité dans ce patrimoine républicain et nous voulons que les Français, issus de l'immigration, aient accès à toutes ces valeurs sans aucune discrimination. C'est pour cela que cet accès, je dirais, par l'Histoire, par ce que peut représenter la diversité dans l'unité républicaine, nous paraît très important. Donc c'est une mission qui est une mission complexe. C'est pour cela que nous avons trouvé une personnalité complexe et de nuance, intéressante, un homme de culture et un homme de droit ; c'est un élément très important de notre stratégie, finalement, d'apaisement de tous ces sujets par la connaissance. C'est comme quand nous pensons qu'il faut renforcer l'éducation des religions dans le système éducatif pour que l'Histoire des religions soit mieux connue ; nous pensons que c'est souvent l'ignorance qui génère l'intégrisme. Et notre adversaire, c'est et l'intégrisme et l'ignorance ; c'est pour cela que ce lieu peut être un lieu de connaissance et notamment de connaissance de l'autre. Je vous remercie. "
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 juin 2003)