Déclaration de Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication, sur les stratégies de développement de la presse, notamment les nouvelles technologies, les circuits de distribution et les aides de l'Etat à la modernisation du secteur, Paris le 11 septembre 2000.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Diner des éditeurs de presse organisé par "L'Humanité" à Paris le 11 septembre 2000

Texte intégral

Messieurs les Ministres,
Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs, Chers Amis,
Je suis heureuse de me retrouver aujourd'hui parmi vous à l'invitation de l'Humanité. S'il y a quelque chose qui tous ici nous réjouit, c'est la permanence de ce dîner, cher Pierre Zarka, " confraternel et pluraliste " qui réunit la presse dans sa diversité, sa richesse et parfois aussi, ses oppositions.
Je me réjouis d'être là à un moment où, fort heureusement, à l'image de la société dont elle rend compte, la presse globalement va bien. La situation financière de la plupart des titres s'est sensiblement améliorée grâce au redressement de leur diffusion souvent liée à des efforts rédactionnels et de maquettes et surtout à des rentrées publicitaires qui, la reprise économique aidant, ont atteint des niveaux records.
Quelques chiffres de l'enquête presse de la Direction du développement des médias pour 1999 montrent que la hausse du chiffre d'affaire de la presse est la plus forte depuis le début des années 1990. Les recettes de vente ont augmenté de 2,2 % et celles de la publicité de 9,5 %.
J'ai eu l'occasion de dire que la véritable indépendance de la presse nécessitait santé économique et rentabilité. Il faut donc se féliciter de cette situation même si elle est inégalement partagée.
Confortés par ce contexte favorable beaucoup d'entre vous mènent une politique ambitieuse de développement.
Ce développement prend des formes différentes : nouvelle formule, rachat de titres, sites Internet, projets de télévision.
Vous connaissez le point de vue du gouvernement : toute la presse, quotidienne, magazine, doit pouvoir exister dans de bonnes conditions. Toute la presse contribue à la vitalité de notre pays, à l'information de nos concitoyens. La presse, prise globalement, est un secteur clé pour un pays démocratique. Or elle relève évidemment de l'initiative privée. Il y va d'ailleurs de sa liberté. Les choix économiques, les stratégies de développement sont de la responsabilité des groupes qui dirigent les titres. Au Gouvernement de trouver l'environnement juridique qui facilite leur développement dans le respect de la libre concurrence. C'est ce à quoi nous nous employons.
Si le bulletin de santé global de la presse est bon, en revanche, l'existence d'une presse d'information politique et générale se révèle plus fragile : le lectorat des quotidiens a tendance à diminuer un peu partout dans le monde. En outre, les habitudes de lecture de nos concitoyens ont conduit hélas notre pays à être dans le peloton de queue du nombre de lecteurs de journaux quotidiens. C'est pourquoi le Gouvernement a soutenu en 1997 une initiative d'origine parlementaire qui permet d'accélérer la modernisation et le développement de la presse. C'est le fonds de modernisation.
Depuis sa création le comité d'orientation de ce fonds a donné suite à 200 demandes d'attribution d'une aide, pour un montant global de 327 MF.
Pour 2001 le montant estimé du compte d'affectation spéciale est de 160 MF. Mais, comme vous le savez, le montant final de la ressource sera fonction du produit de la taxe sur la publicité destinée à financer le fonds.
C'est pourquoi je viens de demander à ma collègue, Mme Florence PARLY - Secrétaire d'Etat, chargée du budget - de veiller au meilleur fonctionnement possible de la perception de la taxe afin d'assurer la pérennité du Fonds de modernisation.
Pour nous, les aides sont prioritairement justifiées par le souci d'aider au maintien d'une diversité de titres, s'agissant de la presse d'information politique et générale. Aider cette presse à se moderniser pour conserver et acquérir de nouveaux lecteurs, compenser la faiblesse des ressources publicitaires de certains de ses titres, alléger les coûts de transports et de distribution : voilà quelques objectifs légitimes pour une intervention publique visant à garantir effectivement la liberté de la presse.
Le budget 2001 répond à ces principes.
Le plan social de la presse parisienne touche à sa fin. Comme le souhaitait le Syndicat de la Presse Parisienne le dernier avenant à la convention initiale porte sur 20 mois, du 1er janvier 2000 au 31 août 2001.
Pour cette dernière phase comme pour les précédentes le choix du gouvernement s'est porté sur un taux dérogatoire de 20%, taux favorable à la presse, comparé à celui généralement pratiqué.
Au total c'est près d'un demi milliard de francs qui auront été consacrés par l'Etat à l'accompagnement social de la modernisation de la presse parisienne sur 8 ans.
Par ailleurs des mesures propres aux NMPP ont conduit l'Etat à intervenir pour accompagner le plan social de cette entreprise de 1993 à 1999 à hauteur de 105 MF.
Mis à part les sommes consacrées par mon ministère à l'accompagnement du plan social, le budget des aides directes à la presse sera l'an prochain en augmentation de 1,8 % par rapport à cette année. Les aides directes à la presse pour 2001 s'élèveront donc à 255,7 MF. (247,3 en 2000).
J'ai tenu à ce que le fonds d'aide au portage progresse à nouveau ainsi que les fonds spécifiques aux quotidiens nationaux et locaux à faibles ressources de publicité, fonds qui concerne bien entendu " l'Humanité " et à la presse hebdomadaire régionale. Quant au fonds d'aide au Multimédia, il accompagne désormais, efficacement les développements en ligne des diverses catégories de presse.
Reste l'aide postale qui représente 1,9 Milliards de Francs par an.
L'ensemble de la presse participe aujourd'hui à la bonne mise en uvre des accords GALMOT. Je veux saluer la responsabilité des éditeurs sur ce dossier. Dans ce contexte la Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse travaille heureusement d'une façon constructive.
Comme vous le savez, un nouveau rendez-vous Etat-Presse-Poste doit avoir lieu. Je compte m'entretenir prochainement avec mon collègue Christian PIERRET de ce dossier. Dans la mesure où les éléments de comptabilité analytique de la Poste pour l'année 2000 ne seront connus et utilisables qu'à la fin de 2001; il me paraît raisonnable d'envisager les renégociations des accords Galmot au cours du premier semestre 2002.
J'attends de l'observatoire Etat-Presse-Poste qu'il serve de lieu d'échanges sur l'évolution des tarifs et les perspectives d'avenir des relations entre les parties concernées.
Parmi les axes de développement et de modernisation de la presse arrivent désormais en tête les sites Internet et la télévision de proximité. Dans la masse d'information que véhicule l'internet, la presse apporte aux citoyens un contenu identifiable et identifié - Une sorte de label. L'une des questions qui se pose à vous à travers le développement des sites Internet est celle de l'utilisation des articles rédigés par vos journalistes et cela quels que soient le support et le mode de diffusion. C'est une question qui touche au droit de la propriété intellectuelle et artistique, et aux modalités de son application dans le contexte spécifique de l'entreprise de presse.
Là comme ailleurs, face à ces évolutions, il nous faut trouver, ensemble de justes équilibres. Certains voudraient opposer droits des créateurs et droits des éditeurs. Je ne crois pas que ce soit une bonne méthode. Je remarque d'ailleurs que dans de très nombreux cas, les concertations et les négociations permettent de trouver un accord. C'est aujourd'hui le cas, pour la plupart des grands titres de la presse écrite, ce dont je me réjouis. Je vous encourage à les multiplier.
Dans un contexte de mutation technologique rapide, générateur d'incertitude, il ne me paraît guère souhaitable de nous engager dans la voie législative tant que toutes les voies de négociation n'auront pas été épuisées.
A cette condition, l'Etat est prêt à modifier le droit si cela s'avérait nécessaire pour donner pleine portée juridique à ces accords.
Je suis également très attentive au débat sur les droits des photographes de presse dans l'univers numérique, débat qui a dominé la dernière édition du festival " Visa pour l'image ". Là aussi, j'observe que l'heure paraît être à la négociation, du côté des photographes comme des agences ou des titres. C'est la bonne voie.
Je souhaite aborder à ce moment de mon intervention la question de l'accès à la publicité télévisée des sites Internet des secteurs d'activités interdits.
Je n'ai jamais manifesté d'opposition de principe à une modification des règles en la matière. J'ai insisté en revanche sur la répartition des compétences qui confie au seul gouvernement le soin de fixer ces règles. Dès la décision du Conseil d'Etat connue, qui a confirmé que ce pouvoir n'appartenait pas au CSA, j'ai demandé aux services du ministère d'ouvrir secteur par secteur, une concertation avec l'ensemble des parties prenantes. Cette concertation est engagée. Elle sera menée à son terme, le plus rapidement possible, mais sans la bâcler ou la simplifier exagérément. Elle sera conduite en toute transparence. Nous sommes en démocratie, et en démocratie, aucun intérêt, aussi puissant soit-il, ne doit assujettir d'autres intérêts.
Une campagne agressive, plus polémique que constructive, a été menée récemment par le Comité " Pourquoi ". Outre, sa forme, non respectueuse des règles concernant les écrans publicitaires, j'ai noté qu'elle avait le soutien de plusieurs organes de la presse. Dois-je y voir l'acceptation par ceux-ci de l'abolition de l'interdiction pour le secteur Presse ?
Nous devons faire bouger les choses, prendre en compte les avancées technologiques et profiter de la nouvelle richesse économique que procure un développement nouveau. Dans le même temps nous devons garder présent à l'esprit que la presse, le cinéma ou encore l'édition, sont des acteurs majeurs de la vie culturelle, et qu'à ce titre ils ne sauraient être liés, sans autre précaution, au seul jeu du marché. Je serai donc attentive à parvenir à des solutions qui pourront respecter les uns et les autres et je vous demande, bien sûr, pour y parvenir, votre concours plein et entier.
Autre axe de diversification : la télévision.
Je connais l'intérêt de beaucoup de titres de la presse régionale et nationale pour accéder à une télévision de proximité.
La présence de la presse sur des fréquences analogiques est possible. Le CSA peut d'ailleurs lancer des appels à candidature, dans le respect de la réalité pluraliste de la presse, sous réserve que cela ne gêne pas l'attribution des fréquences nécessaires au déploiement du numérique hertzien qui sera à terme l'avenir de la télévision hertzienne et où la presse, qui le souhaite, devra aussi prendre sa place.
Certains éditeurs de presse régionale ont des projets de télévision sur Internet. C'est une approche différente de celle de la diffusion hertzienne, moins coûteuse, moins performante aujourd'hui, mais dont le potentiel d'avenir est réel.
Les deux démarches témoignent d'une même logique : la place essentielle de la presse dans le développement de l'information de proximité.
Je ne voudrais pas terminer ce bref tour d'horizon sans aborder un dossier dont je sais combien il préoccupe nombre d'entre vous, celui de la distribution de la presse. Cette question est évidemment centrale.
Un titre n'existe que s'il est lu. Il n'est lu que s'il est accessible.
Le système coopératif mis en place par la loi BICHET a fait ses preuves pendant un demi siècle au bénéfice conjoint du pluralisme des publications, des lecteurs et de l'ensemble de la chaîne professionnelle qui va de l'édition aux points de ventes.
Le Gouvernement reste attaché à la sauvegarde des principes fondateurs de cette loi.
Le Premier Ministre a lui même fixé le cap le 6 avril dernier devant les Editeurs européens en rappelant la préoccupation du Gouvernement de : " Préserver un système de distribution efficace où les journaux à diffusion plus restreinte soient offerts au choix du lecteur dans les mêmes conditions que les grands titres ".
Nous sommes nombreux, ici, ce soir, à partager cette volonté.
L'avenir des NMPP nécessite sûrement des transformations. Faut-il encore qu'elles ne soient pas dictées par le seul souci d'une meilleure rentabilité du système à travers notamment une baisse des barèmes sans véritable justification commerciale. Rien ne me paraît en effet justifier de rompre les solidarités économiques au sein de la profession, quitte à leur donner des formes nouvelles.
Au début de l'année les NMPP ont élaboré un plan. L'opérateur a fait savoir aux pouvoirs publics que, pour être mis en uvre, ce plan comportait la nécessité d'une aide de l'Etat.
Je rappelle qu'une telle demande doit s'appuyer sur une réelle transparence. Pour l'instant, celle présentée par la direction de l'entreprise, malgré de nombreux échanges, n'a fait l'objet d'aucune justification convaincante. Or l'aide de l'Etat ne pourrait être que ciblée et justifiée au franc le franc au regard notamment des règles de la concurrence tant nationales qu'européennes.
La pertinence et l'utilité d'un système de distribution fondé sur la solidarité entre les titres regroupés au sein de coopératives reste évidente. Il garantit la liberté d'accès au réseau de distribution, l'égalité de traitement pour les titres qui en dépendent, le pluralisme, grâce à la mise en commun des moyens industriels et logistiques bénéficiant à tous et en premier lieu aux journaux d'information politique et générale.
Le 4 septembre dernier, la profession a pris la décision de convoquer une table ronde réunissant l'ensemble des parties concernées.
Je me réjouis de cette initiative du Conseil supérieur des messageries. Elle doit permettre l'ouverture de l'indispensable concertation.
Si l'on veut assurer la pérennité du système français de distribution de la presse, il est nécessaire d'aborder tous les aspects de ce dossier, celui de la réforme industrielle, celui de la réforme commerciale, celui aussi peut-être d'une réforme institutionnelle des messageries. La question a été d'ailleurs posée récemment par l'Opérateur lui même de la poursuite de sa mission aux NMPP. Il a évoqué l'éventualité d'une évolution vers un nouveau mode de gestion de l'entreprise sous la responsabilité des éditeurs. Cela suscite un climat d'incertitudes. De la réponse dépend l'avenir de l'ensemble de la chaîne de distribution jusqu'aux dépositaires et aux diffuseurs. M. Jean-Claude HASSAN, dans son rapport avait avancé l'idée de l'émergence d'une véritable fonction d'actionnaire. Pourquoi pas ?
A l'opérateur et aux éditeurs de trouver la réponse adaptée.
Dans la perspective de cette rencontre, le Gouvernement rappelle les objectifs : pluralisme, large accès des lecteurs à la presse d'information politique et générale et d'opinion. Ces conditions ne sont pas comme d'aucuns l'ont dit une sorte de " servitude " mais bien la condition même du développement de la presse. C'est donc dans l'organisation de la distribution par la profession elle-même que réside à la fois l'indépendance et la viabilité économique de la presse.
Si pour les garantir, mieux, pour les développer, des initiatives doivent être prises et si les Pouvoirs publics sont saisis de propositions solides et consensuelles, nous les étudierons avec grande attention.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 18 septembre 2000).