Déclaration de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, sur la Charte de l'environnement et la prise en compte de l'environnement dans le préambule de la Constitution, Paris le 25 juin 2003.

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Circonstance : Intervention de Mme Roselyne Bachelot-Narquin faite à l'occasion d'une conférence de presse à Paris le 25 juin 2003

Texte intégral

La nécessité de la Charte :
L'environnement se dégrade à un rythme accéléré : exploitation excessive des ressources naturelles (ex : pétrole consommation 2003 en 7 semaines de la même quantité qu'une année entière en 1950) ; atteintes à la biodiversité ; dégradation de la couche d'ozone ; pollution des milieux aquatiques terrestres et maritimes, etc.
L'homme a acquis sur la nature une puissance nouvelle : capacité de transformation du vivant (OGM) ; capacités de dégradations massives (déforestation) ; mais aussi innovations technologiques utiles à la protection de l'environnement (filtres à particules, pots catalytiques...).
Une meilleure protection de l'environnement est donc nécessaire : or il n'existe pas aujourd'hui dans notre droit de texte aussi fort que ceux qui garantissent les droits économiques et sociaux, pour contrebalancer en faveur de l'environnement, dans une logique de développement durable. C'est donc une nécessité juridique de doter notre droit de normes qui au plus haut niveau garantissent une meilleure prise en compte de l'environnement.
C'est aussi une nécessité de société : faire prendre conscience que l'environnement est aussi important que l'économie et le social, que les autres intérêts fondamentaux de la nation (que sont notamment la protection de son intégrité territoriale et de sa population). La Constitution, c'est visible et connu : tous les citoyens en ont entendu parler, alors qu'ils ne connaissent pas les directives ou conventions internationales qui peuvent, ici ou là, comporter de façon partielle et disparate, certaines règles qui sont reprises dans la Charte.
Nos concitoyens, que nous avons très largement consultés, nous ont dit qu'ils souhaitaient une Charte constitutionnelle, et que celle-ci marque une impulsion nouvelle incitant chacun à participer à la protection de l'environnement. La Charte n'est donc pas un texte de plus.
Un moment fort de démocratie participative :
La méthode pour préparer la Charte a été en soit porteuse d'une nouvelle conception de l'environnement : non pas un objet de querelles partisanes et politiciennes, mais un patrimoine commun de tous les êtres humains, qui sont donc chacun concernés par sa qualité. La préparation de la Charte a été l'occasion exemplaire d'appliquer les principes de participation et de transparence, que j'ai placés en tête de mon action au MEDD.
Les 14 000 réponses au questionnaire (55 000 diffusés) ont demandé que la Charte soit un acte politique fort, qu'elle incite chacun à exercer ses devoirs envers l'environnement.
Les 8 000 participants aux 14 assises territoriales ont vérifié la pertinence des principes de la Charte au regard des problèmes concrets qui se posent localement de la façon la plus sensible.
Les centaines d'internautes qui se sont exprimés sur le forum et les citoyens qui ont participé aux 4 groupes de discussion ont attiré notre attention sur certains points particuliers et certaines nécessités, comme celles de redéfinir des principes ou notions du code de l'environnement.
Bien sûr, la commission Coppens, ses comités juridique et scientifique et tous les experts qu'elle a sollicité (plus de 400 ont participé au colloque du 13 mars organisé avec les ministres de la Justice et de la Recherche), ont apporté l'expérience et l'expertise de toutes ces personnalités, volontairement choisies pour leur diversité. La Charte doit s'appliquer à tous, puisqu'elle sera dans la Constitution : cela ne sert à rien de faire un texte d'un groupe ou d'une catégorie particulière, auquel les autres ne puissent adhérer.
Le Conseil économique et social, saisi par le Premier ministre, a exprimé à l'unanimité un avis favorable au projet de Charte de l'environnement et mettant en valeur combien la notion de développement durable, qu'elle consacre, est de nature à susciter l'adhésion des acteurs économiques et sociaux à la protection de l'environnement.
Enfin, le Conseil d'Etat a rendu un avis favorable sur le projet de texte que le gouvernement lui a soumis, et sans trahir les secrets des délibérés, ce n'est pas si fréquent pour les révisions constitutionnelles récentes...
Nous avons donc très largement écouté. Notre Charte n'est pas un texte froid et technocratique, il a de la chair parce qu'il a été nourri de toutes les propositions, critiques, remarques de nos concitoyens.
Les effets concrets de la Charte :
Des normes plus exigeantes pour la protection de l'environnement.
Un élève de première année de droit sait que la Constitution est au-dessus des autres normes juridiques, s'impose à toutes les lois, alors qu'une loi dans le domaine de l'environnement n'a d'effet qu'à l'égard des actes réglementaires de ce domaine. La Charte est donc plus forte juridiquement que la loi Barnier codifiée. Celle-ci ne donnait d'ailleurs aux principes de prévention, précaution, pollueur-payeur et participation que la portée " d'inspirer " les politiques d'environnement. Nous faisons une Charte constitutionnelle qui impose à toutes les politiques publiques de prendre en compte l'environnement afin de garantir à tous nos concitoyens qu'il soit de qualité et favorable à leur santé.
Ensuite, s'il existe dans certains textes européens ou internationaux des normes en matière d'environnement, elles sont moins précises que celles de la Charte. Par exemple le principe de précaution n'est pas défini dans le Traité des Communautés européennes, il est seulement mentionné.
Une irrigation de tout notre droit : La Constitution s'imposant à toutes les lois, celles-ci vont devoir lui être conformes : soit dès leur promulgation pour les nouvelles ; soit être mises en conformité par une modification pour celles qui existent déjà (ex. code de l'environnement, code de l'urbanisme, minier...).
Un poids plus grand pour l'environnement dans la définition de l'intérêt général : dans les situations où le législateur ou le juge devront mettre en balance plusieurs éléments de l'intérêt général, l'environnement pèsera beaucoup plus lourd dans la balance et conduira à des arbitrages et des solutions différents de ceux rendus aujourd'hui.
Une véritable responsabilité environnementale est instituée :
Pour la première fois, est affirmée l'obligation claire et sans faille de réparer les dommages causés à l'environnement. Jusqu'à présent, seuls les atteintes aux biens et aux personnes peuvent être indemnisées, sur la base du code civil. L'article 4 de la Charte donne un fondement à un régime de responsabilité envers l'environnement, notre patrimoine à tous. Il s'agit là d'une formidable avancée. (Ex : aujourd'hui, lorsqu'une marée noire souille nos côtes, un pêcheur peut demander l'indemnisation de son bateau hors d'usage, de la perte commerciale qu'il a subit. Mais pour les oiseaux tués, les plantes souillées, le pollueur n'est pas tenu de réparer).
Il faut rappeler que le principe " pollueur-payeur ", qui n'a comme seule force juridique que celle, législative, " d'inspirer " la protection de l'environnement, n'est qu'une règle économique, définie dans l'article L 110-1 du code de l'environnement comme prévoyant que " les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur ". On n'y parle pas de réparation des dommages à l'environnement. Et nos concitoyens nous ont alerté au cours des consultation sur le risque qu'une telle règle soit interprétée comme donnant le droit de polluer dès lors que l'on paye.
Ce n'est pas ce que nous souhaitons : nous voulons responsabiliser les pollueurs.
Le législateur pourra donc mettre en place un vrai régime de responsabilité environnementale. Il faudrait n'avoir qu'un esprit bassement mercantile pour se plaindre de cette avancée...
Un principe de précaution clairement affirmé et précisément défini :
Par son champ d'application : les risques de dommages graves et irréversibles à l'environnement, dont la réalisation est incertaine en l'état des connaissances scientifiques.
Attention : un risque qui, en portant atteinte à l'environnement, menace la santé est inclus dans ce principe, puisque l'article 1er de la Charte défini, pour tout le texte, que l'environnement doit être équilibré et favorable à la santé. Nous sommes donc allés aussi loin qu'il était possible dans une Charte de l'environnement, en couvrant le lien santé-environnement de façon très explicite. Si nous avions ajouté à l'article 5 la santé seule, sans son rapport à l'environnement, nous aurions couvert le champ des maladies nosocomiales, des risques iatrogènes et autres pratiques médicales ou pharmacologiques sans rapport avec la Charte.
Par les règles à suivre : prendre des mesures provisoires, pour que la précaution soit un principe d'action à réexaminer dès que l'on connaît mieux les risques ; des mesures proportionnées aux risques encourus ; être en mesure de connaître les risques en mettant en oeuvre leur évaluation.
Par les personnes chargées de l'appliquer : au premier chef les autorités publiques, chargées de veiller à l'adoption des mesures, par elles-mêmes ou par d'autres. On évite ainsi à la fois la confusion qui pourrait régner si l'on ne savait pas qui est responsable de l'application du principe, et la déresponsabilisation des acteurs, puisqu'ils peuvent avoir à appliquer des mesures de prévention définies par les autorités publiques.
Voilà quelques uns des principaux éléments de notre Charte.
(Source http://www.environnement.gouv.fr, le 1er juillet 2003)