Interview de M. Charles Pasqua, président du RPF, à Europe 1 le 24 juillet 2000, sur les propositions de Lionel Jospin sur la Corse, son soutien à Jean-Pierre Chevènement et ses relations avec Philippe de Villiers.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Monsieur Pasqua, bonjour.
Bonjour.
Vous êtes Corse, vous avez été ministre de l'Intérieur. Alors quand vous voyez que les propositions de Lionel Jospin sur la Corse, recueille une large majorité des élus, vous dites "bravo Jospin" ?
Une large majorité des élus de l'Assemblée Territoriale. Qui n'ont reçu aucun mandat de quiconque pour s'engager sur cette affaire. L'assemblée de Corse n'est pas une assemblée politique. Et lors de la consultation électorale, aucun d'entre eux, en dehors des nationalistes, dont je reconnais bien volontiers qu'ils sont les seuls à rester sur une ligne cohérente, aucun d'entre eux n'avaient donné la moindre indication sur leurs projets pour l'avenir.
Oui, mais enfin quand on discute, on est bien obligé de discuter avec ceux qui ont été élus, par les Corses. Il y a l'assemblée de Corse, et puis il y a les parlementaires aussi ?
Les parlementaires c'est une chose, les parlementaires eux sont légitimes
L'assemblée de Corse, elle n'est pas légitime ?
Non, l'Assemblée territoriale de Corse n'a aucune légitimité pour discuter avec le gouvernement français de l'avenir de la Corse. Si le gouvernement souhaitait s'engager dans cette voie, il aurait dû au préalable dissoudre l'Assemblée, et demander aux Corses de se prononcer clairement. Les choses, alors, eussent été normales. On n'est pas dans cette situation. J'ajouterais que discuter avec ces élus parmi lesquels, il y a des représentants des nationalistes qui n'ont jamais prononcé le moindre mot de condamnation sur l'assassinat du préfet Erignac, je trouve ça particulièrement scandaleux.
Monsieur Pasqua, vous savez ce que l'on va vous répondre, on va vous dire : pourquoi donnez vous des leçons, le gouvernement discute ouvertement avec les élus, et vous, vous avez négocié clandestinement avec des représentants des nationalistes et du FLNC Canal Historique
Moi, je n'ai pas négocié clandestinement et, je n'avais qu'un seul objectif - comme ceux qui m'ont précédé, et ceux qui m'ont succédé aussi - c'était d'obtenir la cessation de la violence. Quand il s'est agit de discuter d'une manière publique, j'ai clairement indiqué les limites de ce qu'éventuellement le pouvoir national pouvait consentir comme concessions : en aucun cas, ne s'est jamais posé à nous, l'éventualité d'un transfert de pouvoir législatif, encore moins l'obligation de l'enseignement du Corse à tous les enfants dans l'île.
Vous êtes sur la ligne Chevènement ?
Oui, je considère que Chevènement avait très bien posé le problème dans l'interview qu'il avait donné au Monde. Mais je crois que Jean-Pierre Chevènement, qui est républicain et conséquent, devra tirer, un jour, les leçons de tout cela. Parce que de surcroît
C'est à dire démissionner, quoi ?
Oui, parce que de surcroît, ces accords, pour obtenir cette unanimité de façade, reposent sur l'équivoque, sur le flou. Certains disent, il s'agit du transfert de compétences dans le domaine réglementaire ; d'autres disent, non ce sera des transferts de compétences dans le domaine législatif. Il y a le plus grand flou.. En réalité, Jospin se comporte comme un politicien, ce qu'il a voulu faire : c'est se débarrasser du dossier corse avant les élections. Et dans le même temps, il ne doit pas être mécontent, de "refiler" si j'ose dire, ce dossier, de refiler le bébé à Jacques Chirac, qui maintenant devra se prononcer.
Est ce qu'il faudra à ce propos, comme le propose Jean Louis Debré, président du groupe RPR, un référendum le moment venu, une consultation des Français en 2004 sur un éventuel transfert de compétences ?
Cela me paraît évident. Moi je n'ai jamais transigé là-dessus. Je constate simplement que Jean Louis Debré aurait mieux fait de se poser ce genre de questions lors de la ratification du traité d'Amsterdam, parce que les transferts de compétence et les transferts de souveraineté sont deux choses différentes. Le transfert de souveraineté, ça ne peut pas se faire, comme réformer la Constitution sans l'accord du peuple français. Tout ce qui peut être fait dans le domaine des transferts, de responsabilités, dans le cadre de la décentralisation, tout le monde y est favorable. Mais on a mis le doigt dans un engrenage qui est d'une autre nature, puisqu'on dit d'ores et déjà qu'il y aura des transferts de pouvoir législatif. Le pouvoir législatif ne peut pas être transféré à qui que ce soit. Il appartient au Parlement et à personne d'autre. Que l'Assemblée de Corse, dès lors qu'elle aurait été renouvelée, et qu'elle aurait reçu mandat pour le faire, propose au gouvernement et au Parlement français des adaptations de la législation concernant la Corse c'est une chose, mais ces adaptations ne peuvent être décidées que par le Parlement français. Et par personne d'autre.
Mais pourquoi, alors, à votre avis, dans l'opposition, on voit à l'UDF, François Bayrou ou Démocratie Libérale aussi qui approuve ce qui se passe. En disant que c'est une évolution qui va dans le bon sens ?
Parce qu'à mon avis, ils confondent deux choses. Ce projet d'accord, c'est comme les auberges espagnoles, chacun y trouve ce qu'il souhaite. Alors je le dis une nouvelle fois tout ce qui est transfert de compétences supplémentaires dans le cadre de la décentralisation, j'y suis très favorable. De même que j'ai toujours été favorable à l'allègement des responsabilités de l'Etat dans un certain nombre de domaines. Mais ce n'est pas de cela dont il est question. Ce dont il est question, de la part d'un certain nombre de responsables de partis politiques français, ou de responsables régionaux, c'est de la Constitution de l'Europe des régions. Ce qui fait que la République est attaquée par les deux bouts. D'une part, on transférerait des pouvoirs aux régions, et le reste de la souveraineté on la transférerait à l'Europe. Qu'est-ce qui restera de la France ?
Est ce que vous iriez jusqu'à dire, comme Jean-Pierre Chevènement, la loi Corse risque d'exprimer des intérêts politico-mafieux ? C'est grave ça.
En tous les cas, que je sache tous les efforts que nous avons fait jusqu'à présent en Corse, et tout l'argent que nous y avons déversé, n'a pas profité directement à l'ensemble des Corses. C'est tout ce qu'on peut dire.
Vous étiez au Liban ces derniers jours, quand Philippe de Villiers, a annoncé qu'il quittait la vice-présidence du RPF. Vous avez dit "ouf !" ou "dommage !"?
Je n'ai dit ni "ouf", ni "dommage", j'en ai pris acte.
Cela vous fait de la peine ?
J'avais avec Philippe de Villiers, de bonnes relations, mais ce que je regrette, et, mon Dieu, c'est une idée qui ne m'avait pas effleuré, c'est que de Villiers ne respecte pas sa parole et ses engagements. Or, c'est bien ce qui s'est passé. Dans ces conditions, son départ a le mérite de clarifier les choses.
Alors dans les affaires de couples qui se séparent, il y a toujours des affaires d'argents. Villiers dit : "voilà, la gestion du RPF est opaque, et il y a même un trou, on parle de 5, 6, 7, millions de francs de trou dans le budget".
Je connais très bien ce genre de méthode, qui consiste à donner aux journalistes un certain nombre d'informations pour qu'ils les publient, et qu'ensuite on dise qu' on a appris dans la presse ceci ou cela. Premièrement, tous les mouvements politiques sont déficitaires. Donc le problème n'est pas là. Quant à la gestion, il n'y a pas de gestion opaque. Je considère ces termes comme particulièrement injurieux et diffamatoires.
Concernant à la fois le secrétaire général du mouvement, et le trésorier, qui est Edouard Lacroix, qui a été préfet de région, qui a été directeur général dans la police, qui était directeur de mon cabinet au ministère de l'Intérieur, qui n'est pas n'importe qui. Les comptes sont donc parfaitement clairs, et de Villiers le sait bien. Et si vous voulez les voir, vous n'avez qu'à venir. On vous les montrera avec plaisir.
Vous allez porter plainte ?
C'est ce que nous allons voir. De Villiers a pris des engagements, il faudra bien qu'il les tienne. Et d'une manière ou d'une autre, je m'y emploierai.
Le RPF existe encore ?
Le RPF existe encore, oui, et non seulement il existe encore, mais si j'en juge par le courrier qui arrive, les militants, les adhérents dans leur immense majorité, sont surtout préoccupés par autre chose. Ils sont préoccupés par l'échéance du référendum sur le quinquennat, c'est plus intéressant que les querelles de boutiques.
Ca veut dire que vous ferez campagne au nom du RPF pour le "non" au référendum ?
Non, je ne ferais pas campagne au nom du RPF. Le référendum, ce n'est pas l'affaire des partis politiques, c'est la réponse que les Français donnent à une question posée par le président de la République. Je serai soutenu par tous ceux qui le voudront. Le RPF certainement, et d'autres aussi.
Un mot quand même de la Mairie de Paris. Aujourd'hui Xavière Tibéri, va être entendue par les juges. Elle a déjà été mise en examen, sur l'affaire des faux électeurs. Si Monsieur Tibéri à son tour est mis en examen, dans cette affaire, à votre avis devrait-il renoncer à la mairie de Paris ?
Qu'est-ce que c'est que cette question ? Vous voulez que je me substitue à la justice et aussi à la confiance de mon ami Jean Tibéri. Attendons de voir
Mais vous pourriez dire il va perdre son camp, tout ça ?
Non, écoutez, non. Ce que je voudrais dire c'est ceci. D'abord chacun sait que j'ai pour Jean Tibéri et son épouse beaucoup d'amitiés. Et je n'ai pas pour habitude d'abandonner ou de faire en sorte que cette amitié disparaisse lorsqu'il y a quelques ennuis ou quelques déboires. Deuxièmement, je crois qu'au-delà de tout cela, il y a quelque chose de beaucoup plus important. Je veux dire par-là, que ce qui est important, c'est que s'il n'y a pas eu d'entente entre toutes les formations qui se réclament, de l'opposition à Paris, le risque de perdre la capitale est considérable. Donc je pense que Séguin d'une part, Tibéri d'autre part, auraient intérêt à se voir, plutôt que de discuter par journalistes interposés
Mais les faux électeurs, c'est grave monsieur Pasqua?
Et d'essayer de trouver une solution. Madame la justice le dira. Pour le moment, qu'est-ce qu'on sait ? Pour le moment, on sait qu'il y a une information d'ouverte.
Donc Philippe Séguin a tort de dire qu'il est le candidat de rupture contre un système ?
C'est assez compliqué à expliquer. Il faudra qu'il l'explique.
Et vous croyez qu'il va gagner Paris ?
Qui ?
Philippe Séguin.
S'il n'y a pas d'entente, entre les différentes formations, le risque de perdre Paris est considérable.
Merci, Charles Pasqua.
Merci à vous.
(source http://www.rpfie.org, le 25 juillet 2000)