Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, sur France 2 le 15 septembre 2003, sur la méthode employée par le gouvernement concernant la réforme du système de rémunération des fonctionnaires, le plan pluriannuel d'aide aux personnes agées et sur l'impact financier des départs anticipés à la retraite.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Françoise Laborde .- Avec François Chérèque, ce matin, nous allons évoquer quelques thèmes d'actualité, à commencer évidemment par la négociation qui va s'ouvrir aujourd'hui dans la Fonction publique sur la rémunération. Jean-Paul Delevoye, le ministre, a indiqué au cours d'une interview ce week-end, qu'il était favorable à la rémunération au mérite. On a entendu dire que les syndicats étaient furieux, mais ce n'est pas tout à fait vrai parce que vous, à la CFDT, vous n'êtes pas contre, au fond, la rémunération au mérite.
François Chérèque .- " Qu'il faille revoir le système de rémunération des fonctionnaires, ce n'est pas obligatoirement une bêtise. On sait très bien que ce système est, je crois, un peu obsolète. On a déjà un système de rémunération au mérite par la note, on augmente les fonctionnaires d'un quart de point par an, ce qui a une influence sur la note et la note inévitablement sur les prix manuels, donc tout ça vieillit, c'est bien évident. Mais je crois que la grande difficulté du ministre aujourd'hui, c'est qu'il n'a pas les moyens de sa politique. Il veut masquer par un débat sur la rémunération individuelle, sa grande difficulté : l'augmentation globale des fonctionnaires. Or, il nous semble qu'il y a deux préalables à la discussion qu'il nous propose, d'une part une négociation pour tous les fonctionnaires, je rappelle qu'à chaque fois que dans le privé on a eu un débat sur les rémunérations individuelles, il y a d'abord eu des négociations collectives, et puis ensuite un débat aussi sur le type de Fonction publique que nous souhaitons (nombre de fonctionnaires, projet). Après, une fois que le projet sera décidé, on pourra discuter de la rémunération ".
Au fond ce que vous voulez dire, c'est qu'il faut savoir exactement de quelle somme d'argent, pour dire les choses clairement, le ministre de la Fonction publique dispose pour l'augmentation des fonctionnaires, avant de savoir comment on la distribue, c'est ça que vous lui dites en gros ?
" Bien évidemment. Le gouvernement vient de décider par exemple de réduire de 4500 le nombre de fonctionnaires, sans aucune discussion avec les syndicats. Dans une entreprise privée, dès qu'un employeur supprime un emploi, il doit réunir son Comité d'entreprise, là on diminue de plusieurs milliers le nombre de salariés et on en parle pas. Alors discutons d'abord, quel est le projet, que veut-on faire de la Fonction publique ? "
Quel service public ? Quelles missions ? Quels objectifs peut-être, parce que pour rémunérer au mérite, il faut déjà..
" ... Avoir des objectifs collectifs, que veut-on donner comme services aux usagers, aux personnes qui ont accès à la Fonction publique, et ensuite des projets collectifs, et ensuite éventuellement savoir comment on voit les personnes individuellement. "
Mais François Chérèque, peut-on discuter de tous les objectifs ? Aujourd'hui les fonctionnaires sont-ils prêts effectivement à ce qu'on leur dise, voilà, vous serez augmenté de tant si vous, mettons dans La Poste, vous arrivez à avoir un bureau de poste qui est plus performant, ou vous enseignants, vous arrivez à avoir des élèves qui ont des meilleurs résultats en fin d'année, selon le système un peu britannique. Est-ce que ça on peut le faire ?
" Prenez l'exemple des enseignants, on va ouvrir un débat sur l'école, il faut d'abord que l'on sache quel est le projet pour l'école dans notre pays, que l'on sache quels sont les professionnels de l'Éducation nationale dont on aura besoin demain. Tant que l'on a pas eu ce débat, pourquoi voulez-vous que l'on ait une rémunération individuelle au mérite, alors que l'on ne sait pas encore de quel type de professionnels on aura besoin. Donc il faut qu'on ait un débat Fonction publique par Fonction publique sur les projets, ensuite sur les projets collectifs et de services, et ensuite éventuellement sur le type de rémunération. Or là, comme le gouvernement n'a pas les moyens de financer une augmentation salariale, il détourne le débat sur la rémunération individuelle. Il y a des débats préalables à avoir, et ensuite on discutera de ce sujet là. "
Autre sujet sur lequel vous avez longuement négocié avec le gouvernement, les retraites. Se pose aujourd'hui la question des retraites complémentaires pour ceux qui ont démarré tôt et qui devaient partir plus tôt. Alors, vous avez, si vous me passez l'expression, poussé un coup de gueule, les uns ont dit " ah bien oui, Chirac a signé trop vite, il a eu tort, il s'est fait avoir, il aurait pas dû, on avait raison ", alors les autres c'est tous ceux évidemment qui n'ont pas signé, je ne citerais pas de nom.
" Le coup de gueule a déjà donné ses effets, parce que ce fameux décret dont nous avons besoin pour négocier les retraites complémentaires, va sortir dans les semaines qui viennent, et qu'il va permettre, et c'est la première avancée concrète de la réforme des retraites, déjà à 200 000 salariés qui ont commencé à travailler à 14 ans, 15 ans ou 16 ans, à partir à la retraite avant 60 ans. C'est une avancée sociale considérable qui est à mettre au crédit de la CFDT qui s'est engagée dans cette réforme avec la CGC. Maintenant on est en désaccord avec le gouvernement sur 60 000 personnes en plus ".
Qui ont vécu des périodes de chômage ou de choses comme ça, et qui ne seraient pas pris en compte.
" Voilà. Le gouvernement refuse de compter leurs périodes de chômage indemnisé, leurs périodes de maladies, dans le calcul de leur durée de cotisations pour qu'ils puissent partir avant 60 ans, et là on a une injustice flagrante qui est en train de se mettre en place. "
60 000 personnes ce n'est pas énorme pour le régime de la retraite.
" Ça coûte je crois que le gouvernement se rend compte que la mesure obtenue par la CFDT coûte cher, donc il cherche des économies, mais surtout derrière il y a un problème de justice. On est en train de dire à ces salariés, quand vous êtes au chômage vous cotisez pour les régimes spéciaux, par exemple la SNCF, les mines, pour les avantages de ces régimes là, mais on refuse que vous cotisiez pour le seul avantage que vous avez, partir avant 60 ans parce que vous avez commencé à travailler jeune. En quelque sorte, vous êtes au chômage, vous cotisez pour certains, vous ne cotisez pas pour vous, là il y a un problème d'inégalité, c'est un problème de morale, il y a une injustice sociale qui est en train de se créer ".
Mais vous allez les obtenir, si je puis dire, les 60 000 supplémentaires, ou ?
" Je ne comprendrais pas comment le gouvernement puisse d'une part ponctionner dans la caisse du privé par la cotisation de ces personnes qui sont au chômage, de cette façon là financer les régimes spéciaux et ne pas leur permettre d'avoir un avantage, à ces 60 000 personnes, partir avant 60 ans, alors que, je le répète, qu'ils ont travaillé à partir de l'âge de 14, 15 et 16 ans. Donc 200 000 personnes c'est un acquis de la CFDT, c'est un avantage, maintenant il faut que ceux-là puissent en bénéficier ".
Alors on voit bien que c'est un appel, si je puis dire, à François Fillon, qui par ailleurs est en train d'étudier un plan pluriannuel pour les personnes âgées. Il envisage de supprimer notamment un jour férié, celui de Pentecôte. Vous en pensez quoi de cette idée là ?
" Alors déjà sur la forme, il y a des groupes de travail au ministère qui réfléchissent à ce problème là et les confédérations syndicales ne sont même pas invitées ".
Il ne vous a pas appelé François Fillon pour vous demander votre avis ?
" Non, c'est étonnant ; et là je crois qu'il y a un changement de comportement de la part du ministère, on travaille sur le financement de la dépendance, on invite même pas les syndicats à réfléchir sur ce sujet là. Deuxième chose, en donnant l'impression qu'on ne fera payer que les salariés, sur le problème de la dépendance, on leur montre, d'une part vous avez fait un effort sur les retraites, on va vous faire financer à vous tout seul la dépendance, et on ne va pas faire financer les entreprises, les professions libérales, les revenus du capital, les revenus du patrimoine, les retraités. Il n'est pas acceptable, et la CFDT le dit très clairement, qu'il n'y ait que les salariés qui financent la dépendance. Pour nous c'est la solidarité nationale donc tous les revenus qui doivent financer la dépendance par la CSG et non pas par la suppression d'un jour férié qui ferait, je le répète, participer uniquement les salariés au financement de cette dépendance ".
Donc vous dites " non " à la suppression du jour de Pentecôte ?
" " Non " à cette démarche, nous sommes pour un prélèvement sur tous les revenus, et il n'y a pas de raison qu'il n'y ait que les salariés qui financent ".
Vous avez dit, à l'instant, que vous trouviez que le gouvernement avait changé d'attitude, c'est-à-dire que vous avez le sentiment, que le dialogue, le côté comme ça un peu convivial, Raffarin, Fillon, c'est fini votre... ?
" J'ai le sentiment que le gouvernement a l'air de dire, on a fait une réforme avec les syndicats, on a fait notre travail. Sur la dépendance, on ne consulte pas, sur le décret qui va sortir pour les départs anticipés avant 60 ans, on donne le décret aux journalistes, on ne le donne pas aux syndicats, sur les emplois dans la Fonction publique, on en parle pas aux fonctionnaires, donc là il y a une panne de dialogue social actuellement ".
Et qu'est-ce que vous faites dans ces cas là, vous appelez monsieur Fillon, vous lui dites, qu'est-ce que c'est que cette pétaudière, pourquoi je n'ai pas les décrets ?
" Je profite de votre émission pour faire passer le message, inévitablement on fait pression sur le gouvernement, revenons à une discussion, on ne peut pas, le 14 juillet, entendre le président de la République qui dit "
" Vive le dialogue ".
" " On ne changera plus les choses sans négocier ", et de l'autre côté passer sans les syndicats ".
Voilà, monsieur Fillon si vous nous entendez, sachez que François Chérèque attend avec impatience de vos nouvelles. Très bonne journée à vous, très bonne journée à tous.
(Source http://www.cfdt.fr, le 15 septembre 2003)