Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, à "RTL" le 9 avril 2004, sur la politique budgétaire du gouvernement et sur le changement de statut d'EDF.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie - N. Sarkozy était hier soir sur TF1. C'était sa première intervention médiatique, comme ministre de l'Economie et des Finances. Vous l'avez regardé, bien sûr. Avant de parler du fond, une question de forme : comment avez-vous reçu ses attitudes, ses expressions ?
R - "C'est toujours le même ton : une volonté très affichée, très affirmée, comme si la parole allait tout changer."
J.-M. Aphatie - Il y aura peut-être un "effet Sarkozy" aux Finances, comme il y en a eu un à l'Intérieur ?
R - "Je crois que chez Monsieur Sarkozy, la parole est d'or. Il a dit des vérités d'ailleurs. Mais je crains que cela se termine mal, que cela ne se termine par un chèque en bois. Parce que pour lui, c'est la quadrature du cercle : il doit faire rentrer dans les 3 % de déficit de la France, il s'y est engagé publiquement à Dublin. En même temps, le déficit public, depuis deux ans, a été multiplié par trois, celui de la sécurité sociale par cinq. La dette explose et atteint des records avec mille milliards. Alors, il y a des choses à changer, c'est sûr, des économies à faire, il l'a dit. Mais il ne présente pas une nouvelle politique. Il a dit : "Je vais gérer la France en bon père de famille"..."
J.-M. Aphatie - Qu'est-ce que vous pensez de l'expression ?
R - "C'est exactement la même expression que J.-P. Raffarin, il y a deux ans. Donc cela veut dire que c'est la même politique. Et j'ai écouté les mesures qu'il a annoncées. C'est exactement les mêmes que Monsieur Mer, il n'y a rien de nouveau, rien de plus : on vend les actifs, c'est-à-dire qu'on privatise pour boucher des trous. On va vendre 12.000 mètres carrés de bureaux - mais Monsieur Mer l'avait déjà engagé. On va diminué le coût de la collecte de l'impôt - c'était déjà engagé par Monsieur Mer. Où sont les mesures nouvelles ? Par exemple, pour encourager la croissance, pour lutter contre les délocalisations, est-ce qu'il y a des politiques industrielles qui sont proposées ? Rien. Pour le pouvoir d'achat des ménages, les classes moyennes et les classes populaires, rien qui pourrait relancer la croissance et créer la confiance. Je ne vois rien venir. Je suis comme soeur Anne. Je regarde et je ne vois rien venir, sinon un style Sarkozy qui est le même qu'au ministère de l'Intérieur, mais ça ne suffira pas."
J.-M. Aphatie - "On ne peut pas vivre au-dessus de nos moyens", a dit N. Sarkozy hier soir...
R - "Oui, ça c'est vrai..."
J.-M. Aphatie - Donc cela annonce sans doute des mesures d'économies importantes dans le budget de l'Etat, le train de vie de l'Etat. 5.000 fonctionnaires, dit-il, ne seront pas remplacés au ministère des finances...
R - "Oui très bien, mais alors, concrètement, quelles sont ces économies ? J'ai posé plusieurs fois la question. Depuis le soir du deuxième tour des élections régionales et cantonales, il y a une nouvelle donne politique. Nous demandons que l'opposition soit écoutée et respectée. Et je répète ma question : où vont être faites les économies ? Qui paiera la note ? Est-ce que le plan d'austérité annoncé par Monsieur Mer, c'est-à-dire les 4 milliards de suppression de crédits, va être confirmé ? Et sur quel type de dépenses ? Et vraiment, c'est pour ça que je demande un audit des finances publiques, qui a été balayé d'un revers de main."
J.-M. Aphatie - Refusé hier soir...
R - "Oui, refusé, comme ça, "circulez il n'y a rien à voir"."
J.-M. Aphatie - Mais vous pensez qu'on nous cache des choses, qu'un audit nous révélerait des choses que nous ne savons pas sur l'état budgétaire de la France ?
R - "J'en suis certain. Parce qu'il ne suffit pas de dire que Bruxelles fait les comptes. La commission européenne, bien sûr, fait les comptes, mais les comptes à un niveau général, les grands équilibres. Mais en 2002, lorsque Monsieur Raffarin est arrivé, il a demandé un audit, pour connaître les marges de manoeuvres financières. Si on veut un vrai débat politique à l'Assemblée nationale, qui intéresse les Français, qui ne soit pas qu'une simple polémique, qui ne soit pas simplement la recherche systématique du bouc émissaire comme on l'a entendu ces deux derniers jours avec Monsieur Raffarin et Sarkozy contre les socialistes, il faut qu'on ait tous les éléments, toutes les cartes en main, pour connaître exactement les marges de manoeuvres et discuter des solutions. Et les solutions existent. Il y a des économies à faire, c'est vrai, mais si on veut relancer la croissance, je le répète, il faut du pouvoir d'achat. Il faut aussi une politique de l'emploi beaucoup plus volontariste - et on sait que depuis deux ans, le Gouvernement a cassé tous les outils qui avaient été mis en place par L. Jospin, pour permettre par exemple aux jeunes d'accéder à un emploi. Et puis il faut une réforme fiscale, qui n'a pas du tout été évoquée. D'ailleurs, on ne sait plus s'il y aura des baisses d'impôts - elles sont injustes, ces baisses d'impôts. Mais nous nous sommes pour une réforme fiscale, qui favorise le travail, qui soit favorable aux salariés et non pas au capital. Il n'y a rien d'annoncé. Cela pourrait donner de la confiance, tout ça."
J.-M. Aphatie - Les ventes de stocks d'or qu'a évoquées N. Sarkozy, qu'en pensez-vous ?
R - "Oui, c'est une vieille lune, on l'a dit partout, mais si ça permet de financer quelques mesures d'investissements, pourquoi pas. Mais c'est pas une grande politique tout ça. On ne voit pas de dessein, on ne voit pas d'ambition, il n'y a rien ; j'ai l'impression que c'est la continuité de ce qui a déjà été engagé et que l'on ne va rien changer."
J.-M. Aphatie - N. Sarkozy a aussi beaucoup parlé d'EDF lors de son intervention. Il a redit qu'EDF ne serait pas privatisée. Lui faites-vous confiance sur ce point ?
R - "Non, je ne lui fais pas confiance du tout. Pourquoi ? Je ne suis pas contre la vente d'actifs de telle ou telle entreprise. Par exemple, nous l'avons fait pour Air France. Nous avons ouvert le capital d'Air France. Mais nous l'avons fait dans un projet de développement d'Air France, qui permet d'ailleurs à Air France de réussir, et nous n'avons pas à le regretter. Nous n'avons pas privatisé, c'est vrai, Air France, puisque l'Etat reste majoritaire. Mais là, il s'agit d'autre chose. On voit bien que le Gouvernement est à la peine et qu'il veut vendre les actifs d'entreprises, sans projet industriel derrière..."
J.-M. Aphatie - Changer de statut pour permettre à EDF de faire face à la concurrence internationale que vous avez organisée, que le gouvernement Jospin a organisée...
R - "Non, d'abord, ce n'est pas nous qui l'avons organisée. C'est faux. C'est encore une contrevérité de Monsieur Sarkozy..."
J.-M. Aphatie - Vous avez accepté les directives européennes qui organisaient cette concurrence.
R - "Nous les avons limitées. Je me souviens très bien comment cela s'est passé. La décision a été prise par tous les gouvernement européens. Monsieur Chirac était aussi président de la République, il ne faut pas l'oublier. Nous avons accepté l'ouverture au marché des entreprises, mais nous l'avons limitée au maximum. Et maintenant, la nouvelle directive s'applique aussi pour les ménages, mais cela n'oblige absolument pas à changer le statut des entreprises, la directive européenne ne le dit absolument pas. Et qu'est-ce que nous disons, nous, socialistes français : nous ne sommes pas, je le répète pour une politique du tout ou rien, et notamment concernant les entreprises publiques. Mais pour EDF, c'est différent. EDF, c'est le parc nucléaire, c'est la sécurité de l'alimentation électrique des Français, des particuliers, des entreprises. C'est une entreprise stratégique. Et on ne va pas faire jouer à la bourse une partie du parc nucléaire français."
J.-M. Aphatie - Donc il ne faut rien changer à EDF ?
- "Non, je parle du statut de l'entreprise."
J.-M. Aphatie - On ne le change pas le statut ?
R - "Nous sommes défavorables au changement de ce statut. Et c'est clair que Monsieur Sarkozy a dit hier qu'il était pour. Donc là, il y a une vraie divergence."
J.-M. Aphatie - Que pensez-vous des coupures de courant opérées hier par les agents d'EDF, qui sont opposés au changement de statut ?
R - "Je crois qu'il faut faire attention à la dégradation du climat social. Je suis préoccupé parce que, si le Gouvernement reste sourd à ce qui s'est exprimé démocratiquement par les urnes, et de façon très nette, du changement de politique, et que le Gouvernement continue à rester sourd aux demandes du changement de politiques, changement de méthodes, je suis inquiet à la fois sur le plan social mais aussi sur le plan du fonctionnement de nos institutions."
J.-M. Aphatie - Cela veut dire que vous soutenez les agents qui font des coupures à EDF ?
R - "Non, je demande que l'opposition, lorsqu'elle s'exprime à l'assemblée nationale - je ne suis pas responsable syndical -, je demande qu'on nous respecte, qu'on nous écoute, parce que nous disons aussi des vérités, nous défendons une grande partie des Français. Si on nous avait écoutés davantage avant les élections, les choses auraient été différentes. Regardez, sur la Recherche."
J.-M. Aphatie - Et les coupures EDF, c'est bien ou ce n'est pas bien ?
R - "Je ne suis partisan de la méthode dure sur le plan social. Je suis pour le respect du bon fonctionnement du pays. Donc c'est pas ma méthode. Si on me demandait mon avis sur ce plan-là, c'est pas ma méthode, mais je dis, attention, que le Gouvernement ne joue pas la politique du pire. Et j'entendais A. Duhamel dire qu'il faudrait que les socialistes proposent des choses. Eh bien, je propose qu'à l'Assemblée nationale soit mise en place une commission spéciale, pour travailler sur la sécurité sociale. Je suis favorable à ce qu'on le fasse. Et je suis favorable à ce qu'on le fasse parce qu'il y a urgence, et sur ce plan-là, il faut que le changement de méthodes intervienne très vite si on veut recréer la confiance, y compris dans la politique."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 9 avril 2004)