Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur le développement de l'industrie aéronautique à Toulouse, la coopération européenne en matière aéronautique et spatiale et sur la construction de l'Airbus A 380, Toulouse le 7 mai 2004.

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Circonstance : Inauguration de l'usine d'Airbus à Toulouse (Haute-Garonne) le 7 mai 2004

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
D'abord à vous, merci de cette émotion, merci de ce formidable visage qu'est aujourd'hui Airbus, de notre Europe nouvelle. Du fond du coeur, je vous dis bravo ! Et merci.
Mesdames, Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs les présidents
Madame,
cher Arnaud,
Nous sommes aujourd'hui, en effet, très fiers d'être avec toutes les autorités industrielles et géographiques et politiques, qui ont construit cette démarche aujourd'hui qui, à quelques jours de la Fête de l'Europe, est pour nous tous une étape extraordinaire vers ce formidable défi de ce nouveau siècle qu'est l'Airbus A 380.
Merci donc, à chacune et à chacun d'entre vous. Un mot d'amitié pour les trois maires de Toulouse réunis ici, et un mot pour D. Baudis, que je suis heureux de retrouver après avoir travaillé avec lui par le passé. Je salue tous les élus ici présents, la région, le département, la communauté. Je salue les parlementaires. Je salue tous ceux qui partagent aujourd'hui cette émotion en découvrant ces deux grandes réalisations exceptionnelles, le plus grand avion au monde en construction et la plus grande usine aéronautique d'Europe.
A mon tour donc, je rends hommage à l'ensemble des artisans de ces deux témoignages d'une excellence collective et partagée. Les architectes et les ingénieurs qui les ont conçus. Et l'ensemble des ouvriers et des salariés, dont les précieux talents et l'implication ont rendu possible la concrétisation de ces grands projets.
Plusieurs intervenants avant moi ont déjà souligné, à juste titre, la magnifique épopée que constitue l'histoire d'Airbus. Elle s'impose comme l'une des plus belle pages du grand livre de l'histoire industrielle française et européenne. Et mes pensées vont naturellement à celui qui a écrit cette page parmi tant d'autres, avec tant d'autres, à J.-L. Lagardère, ingénieur, amoureux de nos montagnes, de nos chevaux, homme de médias, homme d'industrie, homme à l'intelligence pertinente et pénétrante, homme qui a mis son combativité et toute sa force de conviction au service d'aventures industrielles extraordinaires : l'automobile, l'espace, la téléphonie, les satellites, l'électronique de défense et bien évidemment, la création et le développement du groupe européen EADS.
C'est pourquoi il ne pouvait pas y avoir de meilleur choix que de dédier à J.-L. Lagardère, la plus grande usine d'assemblage aéronautique d'Europe. La présence aujourd'hui de très nombreux clients d'Airbus et d'EADS complète admirablement l'hommage que toute l'industrie d'Europe lui rend à nouveau aujourd'hui.
Je me réjouis de voir son fils, Arnaud, reprendre les rênes du groupe avec le même enthousiasme et la même énergie. Je suis certain qu'il saura puiser en lui-même et dans l'exemple de son père les ressources nécessaires pour écrire des nouvelles pages de cette grande et merveilleuse aventure de notre industrie. C'est ce même esprit de construction de l'industrie européenne du XXIe siècle qui doit évidemment tous nous animer. Le monde change très vite, sachons changer avec lui sans jamais nous résigner, sans jamais renoncer. Ici, à Toulouse, capitale européenne de l'aviation, chacun se souvient d'Air France, lorsque cette grande entreprise française était en difficulté il y a dix ans. Cette semaine, en fusionnant avec KLM, Air France, est devenue la plus grande compagnie aérienne européenne et même mondiale, selon certains critères. D'une entreprise hier moribonde, ses salariés ont sur faire aujourd'hui, en partenariat avec l'Etat une des compagnies les plus rentables, permettant ainsi son développement et permettant ainsi son rayonnement. Je suis heureux devant tous de saluer cette exceptionnelle réussite qui montre les capacités du volontarisme industriel quand on cherche à le mobiliser.
Dans le domaine des transports et de l'énergie, nous aurons aussi d'autres défis à relever : je pense au défi d'Alstom, entreprise également européenne, avec 75 000 personnes, dont 70 % hors de France. Son redressement est en cours mais il doit être conforté car chacun sait que dans cette entreprise, il y a aujourd'hui de réelles difficultés : bas de cycle dans l'énergie, conjoncture et navires de croisière considérablement dégradés depuis les attentats du 11 septembre. Mauvaises surprises résultant d'un engagement technologique mal maîtrisé lors du rachat d'un concurrent il y a maintenant quelques années. J'ai demandé au ministre de l'Economie et des Finances, de se charger de ce dossier difficile. Nous devons trouver des solutions ; Alstom est nécessaire à la concurrence en Europe. Cette entreprise ne peut ni disparaître, ni être démantelée. J'en appelle aussi, à la responsabilité de la communauté financière, elle détient pour une part les clés du succès d'Alstom. Je souhaite qu'elle prenne également la mesure de ces enjeux. Il n'y a pas de déclin industriel fatal. Nous sommes capables d'afficher cette mobilisation et de réussir les grands projets industriels qu'il faut à l'Europe. La désindustrialisation européenne n'est pas une fatalité. Nous avons montré avec le rapprochement entre Sanofi et Synthelabo et Aventis, de manière à ce que l'on puisse trouver, à partir d'une entreprise franco-allemande, les capacités de développement et ainsi les capacités de rayonnement comme l'a montré Airbus qui devance maintenant Boeing et qui affirme dans le monde son énergie, son intelligence et sa capacité de leadership.
Le rôle de l'Etat, dans cette dynamique doit être dicté par le pragmatisme et les intérêts stratégiques, le long terme. Il ne s'agit pas de se substituer aux initiatives privées mais de les compléter, là où elles sont encore nécessaires. Certes, EADS n'aurait pas su faire sans la volonté et sans le sens de l'intérêt de J.-L. Lagardère et de ses homologues allemandes de Daimler-Benz, sans oublier, évidemment, l'ensemble des partenaires. Je pense aussi à nos amis Espagnols. L'Etat ne peut s'engager qu'avec une vision de long terme. C'est pourquoi l'Etat français continuera de rester un actionnaire, certes minoritaire, mais de référence, dans cette magnifique entreprise qui doit continuer de s'affirmer et d'évoluer. Et je l'annonce : il n'est pas question de céder, ni à court ni à moyen terme, notre participation dans EADS, l'équilibre actionnarial me paraît être le bon.
Cette politique doit s'appuyer sur une base européenne, et des alliances avec quelques partenaires de confiance et de qualité hors d'Europe. C'est ce que nous démontre un rapport qui vient d'être remis au Gouvernement, réalisé par Y. Michot. Dans tous ces mouvements, nous ne devons pas hésiter à rechercher la puissance et l'ouverture à des alliances nouvelles. C'est ainsi que 35 % du capital de la Snecma seront ouverts au public dans les prochaines semaines. Il s'agit d'un premier pas essentiel avant la privatisation de l'entreprise, et la constitution autour d'elle d'une alliance confortée. La Snecma, comme Thalès, comme Sagem, comme EADS, comme DCN et sans doute aussi comme Dassault, doit être en effet capable de compléter ses alliances dans toute l'année prochaine, en saisissant, voire en provoquant les opportunités, lorsqu'elles se présentent, en France évidemment, mais en Europe aussi et parfois hors d'Europe.
La constitution de géants européens est une nécessité pour la place de l'Europe dans le monde. Mais ceci ne suffit pas pour constituer une stratégie. Là encore, nous devons tirer tous les enseignements de l'exemple d'Airbus. En effet, au-delà des mesures générales et fondamentales en matière de développement de l'initiative privée, de développement de l'activité économique, les politiques sectorielles conservent une place très importante dans notre politique industrielle : une politique de pôle d'excellence technologique, de l'université à la PME. Bien évidemment, il convient de partir d'une vision stratégique. Et la réponse apportée par Airbus a été claire et vaut pour beaucoup de secteurs. Elle est double : la maîtrise technologique d'une part, le travail en réseaux d'autre part. En réseaux, au niveau local mais aussi, évidemment au niveau européen et au niveau mondial.
Au niveau local, la coopération entre entreprises et centres de recherches publiques est exemplaire. La création, il y a deux ans, du Centre national de recherches technologiques et aéronautiques de l'espace à Toulouse n'a fait qu'amplifier une collaboration qui était déjà solide. Ce centre coordonne une quinzaine de programmes de recherches. Il implique ainsi Airbus, Astrium (ph), Alcatel, Snecma, Thalès, Dassault, Liber Espace, le Cnes, le CNRS, l'Onera (ph), l'université Paul Sabatier, les écoles d'ingénieurs de Midi-Pyrénées, allant même jusqu'à associer l'Ecole nationale supérieure de mécanique, d'aérotechnique de Poitiers.
Le projet de fondation pour la recherche aéronautique, que vous portez tous, aéronautique et spatial, pourra faire l'objet d'initiatives soutenues évidemment par le Gouvernement, et ce dès 2004, à hauteur de 9 millions d'euros. Nous voulons développer cette coopération entre les entreprises et les territoires, entre les entreprises et les universités, pour constituer ces ensembles dynamiques qui peuvent être les sources de la croissance. C'est la thématique du rapport de C. Blanc, que je salue, ici présent, qui nous propose de constituer des pôles régionaux de recherche et d'innovation d'envergure européenne. C'est le chemin que nous devons prendre, c'est le chemin qu'Airbus, Toulouse et Midi-Pyrénées nous montrent, c'est ce chemin que nous devons développer, en mobilisant toutes les intelligences - universitaires, industrielles et territoriales - pour construire en France quelques pôles d'excellence, avec lisibilité européenne, et un pacte international.
Mes derniers mots seront pour remercier tous ceux qui ont participé à cette dynamique. Je veux saluer tout particulièrement P. Douste-Blazy, dont je bénéficie maintenant, au Gouvernement, de tous les conseils et de toute sa capacité intellectuelle et énergique. Je veux saluer ce qui a été fait ici non seulement dans le domaine de l'aéronautique, mais aussi dans le domaine du cancéropole qui est, là aussi, un exemple de fédération d'énergies, capable de porter un projet national, européen, enraciné, parfois dans une politique nationale, et dans des implantations territoriales. C'est, je crois, une bonne façon de répondre aux tragiques accidents qui menacent quelquefois l'industrie. Je pense, naturellement avec douleur, au souvenir de l'usine d'AZF. Je veux dire que nous appuierons toutes les initiatives. La Fondation [inaudible] est en cours de constitution, avec Aventis, avec Sanofi-Synthelabo, avec [inaudible], avec le CNRS, avec l'Inserm, autour des nano et des biotechnologies. Ce sont ces ensembles-là qui peuvent nous permettre, aujourd'hui, d'avoir une véritable capacité industrielle et de résister à toutes ces menaces de délocalisation auxquelles nous ne réussirons que par la valeur ajoutée, que par l'intelligence, et qu'à la capacité de dégager des cohésions territoriales.
Je voudrais saluer tout particulièrement, aux côtés d'A. Lagardère, N. Forgeard, et cet engagement qui est le sien, pour cette merveille qu'est l'Airbus A380, merveille technique, merveille scientifique, merveille industrielle, merveille européenne, mais aussi merveille française.
Merci de cette énergie, sur le plan technique, et aussi sur le plan commercial. Je crois que l'Europe peut être fière de ce visage. L'Europe, ce n'est pas que des procédures, ce n'est pas que des directives. L'Europe, c'est aussi une émotion et Airbus, ce n'est pas que de la technique, ce n'est pas que de la technologie, Airbus, c'est aussi de l'émotion. C'est pour cela qu'aujourd'hui, nous sommes rassemblés, vous avec fierté, nous avec sensibilité.
J'entendais tout à l'heure, ces mots qui nous ont touchés, ceux de J.-L. Lagardère : "Je suis avec vous dans les difficultés, je suis avec vous pendant que le programme se construit, et vous me trouverez à vos côtés. Mais je serai aussi avec vous quand l'avion volera". Il vous a fait cette promesse et, au fond, c'est R. Char qui répond. R. Char, parlant de l'amour, disant : "Ne te courbe que pour construire, car si tu meurs, tu construis encore".

(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 13 mai 2004)