Texte intégral
La procédure de préparation du budget pour 2005 est lancée. Déjà, des ministres s'inquiètent pour leurs crédits. Que leur dites-vous ?
Nicolas SARKOZY. - Que certains ministres s'inquiètent ou réclament davantage, rien n'est plus naturel ! C'est un jeu de rôle classique à cette époque de l'année. N'oublions pas pourtant que, si ce gouvernement compte 43 ministres, il n'y a pas 43 budgets, mais un seul : celui de la nation. L'augmentation systématique de la dépense n'est pas une solution aux problèmes de la France. Je n'étais pas candidat pour être ministre des Finances. J'ai accepté cette responsabilité très lourde. La barre doit être tenue. Autant que cela dépend de moi, elle le sera.
Faut-il parler de politique de rigueur ?
Non. Quel Français peut penser qu'on est trop rigoureux quand les dépenses de l'Etat sont supérieures de 20% à ses recettes ? Depuis vingt-trois ans, tous les gouvernements successifs ont présenté un budget en déficit. Cela ne peut plus durer ! Je suis là pour mettre de l'ordre dans nos finances publiques. Nous devons avoir une conduite budgétaire raisonnable pour rétablir durablement la confiance et en même temps soutenir la demande pour conforter la croissance. Nos déficits pèsent sur la confiance et l'absence de confiance pèse sur la croissance. Les déficits expliquent le niveau de nos impôts. Ils freinent l'initiative. Le président de la République et le premier ministre ont pris des engagements devant les autorités européennes : une augmentation zéro des dépenses de l'Etat et un retour du déficit public à un niveau inférieur à 3% de la production de richesse nationale en 2005. Je veux donc être clair : les recettes supplémentaires issues de la croissance seront en priorité affectées à la réduction du déficit. Je rappelle qu'il s'agit de l'argent des Français, du fruit de leur travail. Nous devons le gérer de façon responsable.
On vous prête la volonté de toucher à la loi de programmation militaire...
Tout le monde fera des efforts. Ils seront partagés pour être justes ! Je veux rappeler que les gels de crédits militaires pour 2004 ne portent pas sur les efforts d'équipement. Je suis parfaitement convaincu de la nécessité d'un effort de défense soutenu pour la France. Notre pays a des responsabilités internationales, il doit se préoccuper de sa sécurité et de celle des autres, notamment en Europe. C'est bien pour cela que les crédits d'équipement de la défense ont augmenté de 20% au cours des deux dernières années. On voit bien que la polémique sur la réduction des crédits militaires n'a pas lieu d'être.
Donc Michèle Alliot-Marie peut être tranquille...
Ne personnalisons pas. C'est le président de la République qui fixe les priorités. Il me reviendra ensuite de dégager les moyens financiers adéquats. Il faudra faire des choix. Tout ne peut pas être prioritaire. Si l'on veut engager des dépenses nouvelles, notamment en faveur de la cohésion sociale, il faudra bien les financer par des économies. Ou alors cela sera des déficits supplémentaires. Et cela ne serait pas acceptable au regard de notre situation et de nos engagements européens.
Intermittents, "recalculés", TVA sur la restauration : comment tenir la dépense ?
S'agissant de la TVA sur la restauration, le premier ministre a pris un engagement, je l'appliquerai avec loyauté. Mais je le dis solennellement : je ne donnerai ces moyens financiers que dans la mesure où ils serviront à créer des emplois. J'attends donc de la profession des engagements précis et vérifiables. Pour les "recalculés", je pense que la décision était inévitable du point de vue social. Mais elle ne sera viable d'un point de vue économique que si on va au bout de la logique : il ne peut pas exister de contrat sans obligations réciproques. Et l'obligation contractuelle à la charge du chômeur qui touche les allocations payées par les cotisations des Français qui travaillent, c'est de s'engager à rechercher un emploi et à l'occuper, même s'il ne correspond pas à toutes ses aspirations.
On a le sentiment que la baisse des impôts est remise à plus tard...
Non, elle reste nécessaire. Encore faut-il savoir comment la financer. J'ai proposé, pour cela, une méthode : recycler l'argent des niches fiscales qui sont injustes ou inefficaces pour réaliser une baisse des taux qui, elle, profitera à tous les contribuables.
Envisagez-vous une augmentation de la CSG dans le cadre de la réforme de l'assurance-maladie ?
Je suis très réservé vis-à-vis de cette idée. A l'heure où la croissance revient, un alourdissement de la CSG aurait un impact récessif. Sur le dossier de l'assurance-maladie, il faut avant tout responsabiliser les patients et les intéresser financièrement à l'équilibre des comptes. C'est pour cela que je suis partisan d'une franchise quelle que soit sa forme. J'ajoute qu'une bonne réforme sera une réforme vécue comme juste. Aucune catégorie ne doit se sentir désignée à la vindicte et aucune totalement épargnée par un effort qui doit lui aussi être partagé.
Jean-Pierre Raffarin a proposé une amnistie fiscale en vue de financer le plan de cohésion sociale. Qu'en pensez-vous ?
Nous sommes en train d'étudier les conditions de sa mise en oeuvre, même si nous savons tous que le premier obstacle à la relocalisation des capitaux est le niveau de la fiscalité du patrimoine qui pèse sur eux.
N'est-ce pas l'occasion de réformer la fiscalité sur le patrimoine, et notamment l'ISF ?
Les chantiers sont innombrables et j'ai, pour l'heure, d'autres priorités. Cela dit, engager le débat est toujours utile pour faire reculer des postures idéologiques et résoudre de vrais problèmes.
C'est aussi ce que vous dites pour les 35 heures.
Le bilan des 35 heures reste à dresser. Les socialistes ont fait un choix qui n'est pas cohérent avec notre engagement européen. Imposer les 35 heures aux entreprises françaises alors que l'Allemagne, par exemple, est en train de réfléchir aux 40 heures, c'était engager une politique contre l'emploi. Et, indépendamment des conséquences pour la compétitivité des entreprises et pour le pouvoir d'achat, ce que personne ne veut vraiment regarder en face aujourd'hui, c'est que le désastre financier des 35 heures est supporté par l'Etat, c'est-à-dire le contribuable. Les exonérations de charges au titre des 35 heures se chiffrent à 11 milliards d'euros. Et bientôt 16 milliards ! Voilà la réalité ! Les socialistes ont imposé à la France 100 milliards de francs chaque année pour travailler moins ! On ne pourra pas vivre longtemps dans un pays où les dépenses sociales ne sont pas maîtrisées et où les charges sociales sont payées par l'Etat. Le budget de la nation n'est pas le réceptacle des irresponsabilités des autres. Le budget n'est pas une caisse sans fond.
Comment, alors, sortir des 35 heures ?
On peut y arriver, en prenant son temps, et à condition de ne brusquer personne. Le rapport Ollier-Novelli contient des propositions innovantes. Pour une partie de la population, les 35 heures sont un acquis social. Je le comprends. Mais au nom de quoi obliger tous les salariés à marcher au pas cadencé ? Deux systèmes pourraient cohabiter dans les entreprises : un pour le salarié qui veut rester aux 35 heures et un pour celui qui souhaite travailler plus. Chacun pourrait même changer de régime d'une année sur l'autre. Je crois à la souplesse. Y compris dans la fonction publique. On doit y faire des gains de productivité, mais je souhaite aussi pouvoir récompenser ceux qui travaillent plus en les faisant bénéficier de systèmes indemnitaires et de plans de qualification qui augmenteront leur pouvoir d'achat. Cette question du pouvoir d'achat n'est pas un tabou.
Etes-vous partisan d'une réforme de la gouvernance économique européenne ?
L'Europe, aujourd'hui, c'est un marché unique, une monnaie unique, une banque centrale unique, mais, hélas, il n'y a pas de politique économique commune. Pour le prochain budget, j'ai proposé à nos partenaires de prendre ensemble des initiatives nouvelles qui permettront d'harmoniser nos approches macroéconomiques, de concerter l'évolution de nos fiscalités, de promouvoir ensemble des initiatives en faveur de la recherche et de l'emploi. Nous devons retenir des mesures identiques dans nos budgets. L'Allemagne, la Belgique et la Grande-Bretagne sont prêtes à cet engagement en commun.
Cela doit-il conduire à réformer le pacte de stabilité ?
La règle tendant à maîtriser les déficits publics en dessous de 3% du produit intérieur brut me paraît pertinente. Mais le pacte doit être réformé dans son esprit. Le niveau du déficit doit être apprécié sur la durée d'un cycle. Ce qui est préoccupant, c'est d'être en déficit sur tout le cycle, pas sur un ou deux exercices. Par ailleurs, un déficit supérieur à 3% n'est pas aussi préoccupant lorsque la dette est inférieure à 60%. Je ne dis pas cela pour exonérer la France des efforts nécessaires. Les gels de crédits, le changement d'organisation juridique d'EDF sont d'ailleurs autant de preuves de notre volonté de respecter nos engagements. Mais il faut que la priorité de nos politiques économiques en Europe soit la croissance et l'emploi.
Vous allez à nouveau rencontrer le commissaire européen à la Concurrence aujourd'hui. Pouvez-vous éviter un démantèlement d'Alstom compte tenu des contreparties exigées par Bruxelles ?
Nous sauverons Alstom du démantèlement ! Je crois à l'émergence de champions européens, mais, pour faire un champion européen, il faut des entreprises nationales vivantes, et fortes ! L'économie française ne saurait se résumer aux banques et aux compagnies d'assurances, aussi importantes soient-elles ! Les Américains se disent libéraux, mais ils multiplient les mesures protectionnistes pour défendre leur industrie. Et nous, qui craignons tant d'être accusés de libéralisme, nous laisserions notre industrie disparaître ? Ne comptez pas sur moi pour consentir à cet abandon. Il n'y a pas de fatalité aux délocalisations et à la désindustrialisation.
Vous présenterez mercredi en Conseil des ministres la réforme du statut d'EDF. Etes-vous prêt, sur le statut des salariés, à de nouvelles avancées pour emporter l'adhésion de la base syndicale ?
Le statut des salariés d'EDF ne sera pas modifié. Les réseaux de transport de l'énergie resteront entièrement publics, la distribution restera commune à EDF et Gaz de France, comme le souhaitent les agents. Simplement, pour respecter nos engagements européens, il nous faut changer l'organisation juridique de l'entreprise. Mais, je le confirme, il ne s'agit pas d'une privatisation. L'Etat restera très largement majoritaire dans l'entreprise. EDF a besoin de capitaux pour affronter des concurrents en Europe et en France même dans une Europe ouverte à la concurrence. L'ouverture de son capital lui donnera les moyens dont elle a besoin. Je n'exclus pas que l'Etat fasse de son côté un effort pour donner à EDF les moyens de son développement.
(Source http://www.u-m-p.org, le 17 mai 2004)