Interview de M. Philippe Douste-Blazy, président du groupe UDF à l'Assemblée nationale, dans "Le Figaro" du 18 août sur les propositions de M. Jospin pour déléguer une partie du pouvoir législatif à l'Assemblée de Corse, le développement de l'île et l'enseignement des langues régionales.

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Député-maire de Lourdes, candidat à la mairie de Toulouse, Philippe Douste-Blazy est président du groupe UDF à l'Assemblée. Après François Bayrou, qui le 21 juillet, avait salué "une méthode juste", après François Léotard, qui mercredi, avait apporté son plein soutien au processus de Matignon, il fait entendre une note critique.
Dans un long texte adressé au "Nouvelle Observateur", le premier ministre a expliqué et justifié son "pari pour la Corse." Qu'en avez-vous pensé ?
Avant-hier, Lionel Jospin exigeait le retour de l'ordre et de l'Etat de droit comme préalable à toute négociation. Hier, il négociait sans condition préalable et sans obtenir la condamnation de la violence par les nationalistes. Aujourd'hui, il semble ne plus vouloir assumer la décision de déléguer une partie du pouvoir législatif à l'Assemblée de Corse et fixe à nouveau l'arrêt de la violence comme préalable aux accords de Matignon. La succession de violences et d'attentats de ces derniers jours prouve que ce préalable n'aurait jamais dû être oublié. S'il le fallait, la surenchère permanente de la violence montre que le retour à l'Etat de droit est la première urgence en Corse. Le gouvernement improvise des politiques successives et trop souvent contradictoires. Pour être crédible, une politique exige de la continuité dans les actes comme dans les principes.
Depuis toujours, votre famille politique a défendu la plus large décentralisation. Les accords de Matignon ne devraient-ils pas vous enthousiasmer ?
C'est bien parce que j'appartiens à la famille politique la plus attachée à la décentralisation et la plus respectueuse du fait régional que je suis aujourd'hui inquiet. La France doit faire face aujourd'hui à deux dangers. D'une part, la dislocation de la République, par la remise en cause des principes d'unités de la loi et d'égalité des citoyens. D'autre part, une crispation jacobine, contraire aux intérêts d'un pays ouvert, multiculturel, et essentiel à la construction européenne. Pour sortir de cette alternative inacceptable, il faut entièrement repenser la décentralisation et opérer de véritable transferts de compétences et de ressources vers les collectivités territoriales dans la nécessaire réconciliation entre nation et fait régional.
Alain Madelin propose justement d'étendre les accords de Matignon - et en particulier les fameuses délégations de pouvoir législatif - à l'ensemble des régions françaises.
Il n'est pas sain que le débat régional s'ouvre en France à partir de la situation corse. Ce n'est pas par des dispositions dérogatoires et des droits particuliers que nous corrigerons les erreurs de l'histoire et les injustices de la géographie. Remplacer une injustice par une autre n'abolit pas l'injustice. Elle rend au contraire le remède pire que le mal. Nous devons être très attentifs aux réflexes défensifs de nos concitoyens qui, s'ils jugeaient que l'essentiel est en jeu, pourraient prêter une oreille attentive aux arguments les plus centralisateurs. Ce serait le triomphe du jacobinisme de droite comme de gauche.
Alain Madelin et Lionel Jospin sont des centralisateurs plus audacieux que vous ?
Qui peut croire à une véritable conversion décentralisatrice de Lionel Jospin alors que, depuis trois ans, tout, de la fiscalité régionale au refus gouvernemental de la rénovation de l'Unedic, en passant par la politique environnementale de l'eau, trahit un renforcement des pouvoirs de l'Etat?
Cela n'a pas empêché vos amis de l'UDF, François Léotard de soutenir les accords de Matignon et François Bayrou d'approuver la méthode du premier ministre.
L'affaire corse touche à l'essentiel. N'en faisons pas une affaire de personne. Mais accepter le principe d'une Assemblée territoriale dotée de pouvoirs législatifs propres c'est d'accepter qu'il existe en France deux citoyennetés. L'une française universelle et l'autre régionale, où prime l'identité du groupe contre la liberté de l'individu. Or, depuis 1789, le champ politique est justement conçu pour détacher chacun de son appartenance culturelle ou religieuse.
Rien ne trouve grâce à vos yeux dans les accords de Matignon ?
Tout le volet concernant le développement économique me paraît nécessaire, bienvenu, équilibré. L'île a, bien sûr, besoin de développement pour sortir de l'ornière politique dans laquelle elle est prise depuis vingt-cinq ans.
L'enseignement obligatoire du corse et la "corsisation" des emplois vous paraissent également bienvenus ?
Le français doit rester la langue obligatoire et les langues régionales doivent pouvoir devenir facultatives. Seul l'enseignement privé offre aujourd'hui la possibilité d'apprendre l'occitan aux jeunes toulousains qui le souhaitent. Cette situation doit changer L'éducation doit fournir crédits et enseignants pour permettre l'apprentissage de l'occitan à ceux qui le souhaitent.
Quant à la "corsisation" des emplois, elle me paraît une voie dangereuse et impraticable. Qui est corse ? Les habitants de l'île ? Ceux qui y sont nés ? Ceux qui votent en Corse tout en résidant sur le continent ? Ceux dont les parents se disent corses ? Je ne me suis pas opposé à ceux qui prônaient la préférence nationale des emplois et des prestations sociales pour accepter aujourd'hui dans un projet de loi le principe d'une préférence régionale pour le recrutement de la fonction publique.
Comment jugez-vous les interventions pour le moins prudentes du Président de la République sur ce sujet ?
Le Président de la République n'a pas cherché à politiser la question corse, qui touche à la fois aux institutions, dont il est garant, et à la paix civile. Il a clairement marqué son attachement à la décentralisation, dit oui au dialogue, mais un non catégorique au démantèlement de la République. Lui comme nous n'accepterons jamais la désagrégation de la société sous les coups de corporatismes ethniques, religieux ou particularistes.
(propos recueillis par Eric Zemmour)

(Source http://www.udf.org, le 18 août 2000)