Déclaration de M. Jean-François Mattéi, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, sur l'évolution des dépenses de santé en 2002, Paris le 10 juillet 2003.

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Circonstance : Présentation du rapport de la Commission des comptes de la santé à Paris le 10 juillet 2003

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames et Messieurs,
Il est très important pour moi d'être parmi vous aujourd'hui. Tout d'abord parce que la commission des comptes de la santé fournit chaque année l'occasion aux acteurs du système de santé de prendre connaissance des principales évolutions intervenues dans ce secteur au cours de l'année écoulée. Ce rendez-vous commun aux professionnels de santé, aux financeurs du système de santé, aux chercheurs et aux administrations, favorise la confrontation des approches et des opinions. Il nous fournit des éléments objectifs qu'il nous faut partager pour faire émerger une vision commune de l'avenir de notre système de santé.
Mais au delà des comptes proprement dits, des chiffres et des pourcentages, c'est l'occasion de donner un sens à ces indicateurs : que reflètent-ils, que nous apprennent-ils sur les forces et les faiblesses des évolutions observées ? Pour ce qui me concerne, ce sens est évidemment un sens politique. Et comme j'ai présenté au conseil des ministres du 21 mai dernier un projet de loi sur la politique de santé publique, c'est dans cette perspective que je souhaite vous livrer mon regard sur ces travaux.
Auparavant, cependant, je voudrais remercier très sincèrement toutes celles et toutes ceux qui par leurs savoirs et leurs compétences, ont permis la réalisation de ces comptes. Derrière l'aridité des tableaux statistiques, il y a des faits humains, il ne faut jamais l'oublier. Il ne s'agit pas d'abstraction. Il s'agit de la façon dont les femmes et les hommes souffrent et se soignent, de leur attitude face à la maladie et à la mort. Il s'agit d'un travail austère voire ingrat.
J'en ai conscience. Je veux vous dire merci et vous faire savoir que, grâce à votre travail, nous allons améliorer notre système de santé qui ne peut être piloté intelligemment que si nous avons des repères clairs et fiables. Merci, tout particulièrement, à la DREES et à son professionnalisme. Merci à vous tous qui donnez de votre temps pour rendre plus lisibles des évolutions et une situation si complexes.
Avant de vous parler de prévention et de santé publique, je voudrais faire quelques remarques préalables. D'abord, il faut se réjouir de ce que cette réunion ait lieu en juillet et non septembre, comme cela avait dû être le cas en 2002 et en 2001. Cette période de l'année est en effet plus propice à la réflexion sur les tendances de fond qui affectent notre système de santé, que l'automne qui, du fait de l'examen du PLFSS, est tout entier tourné vers les comptes sociaux de l'année courante et de l'année suivante.
Les comptes de la santé pour l'année 2002 sont, pour une part, dans le prolongement des évolutions constatées en 2000 et en 2001. J'en retiens que la dépense courante de santé atteint désormais 10,4 % du produit intérieur brut en 2002, soit environ 0,3 point de plus qu'en 2001. Au sein de cet agrégat, sa composante principale, la consommation de soins et de biens médicaux, qui regroupe l'ensemble des dépenses représentatives des soins reçus par les Français, a progressé de 6,4 % en valeur en 2002, après 5,7 % en 2001 et 5,5 % en 2000. La forte dynamique des dépenses de santé enregistrée au cours des dernières années se poursuit donc en 2002. Au niveau international, la France se situe au cinquième rang des pays membres de l'OCDE, derrière les Etats-Unis, la Suisse, l'Allemagne et le Canada. Ce sont donc des niveaux de dépenses considérables qui doivent nous conduire à nous interroger sur les résultats obtenus en termes d'état de santé. Car cette croissance, qui n'est pas en soi un problème pour peu qu'on l'accompagne, ne peut pas se prolonger indéfiniment à un tel rythme sans bouleverser l'équilibre économique général surtout dans un contexte de ralentissement de la croissance.
Ces comptes 2002 m'inspirent encore quelques réflexions plus spécifiques.
Si les comptes traduisent l'impact des revalorisations des honoraires de médecins généralistes intervenus au premier semestre 2002, ils indiquent aussi qu'elles sont associées à une modération de l'évolution du nombre des actes.
Voilà qui mérite réflexion. Car si l'on retient l'hypothèse d'une relation inverse entre le prix et le volume des actes, cela ouvre des pistes pour une meilleure qualité des soins. De même, l'une des évolutions de prix les plus remarquables concerne les médicaments, dont le prix moyen diminue à nouveau de - 1,1 %, comme en 2001. Ceci semble pouvoir être imputé au développement des génériques qui a été significatif en 2002 : les ventes ont en effet progressé de 43 %, et la part de marché des génériques dans l'ensemble des médicaments remboursables a progressé de plus d'un point. Ceci montre qu'avec de la volonté on peut vaincre des obstacles que d'aucuns prétendaient infranchissables dans la culture française.
J'ai été aussi particulièrement intéressé par la publication des informations relatives au financement des dépenses de santé depuis 1960. Ces évolutions montrent la puissance du mouvement historique d'extension de la part des dépenses de santé prises en charge par la sécurité sociale, corrélative à la généralisation de la couverture maladie de base aujourd'hui achevée. On observe la progression régulière de la part prise par les organismes dispensateurs de couvertures maladie complémentaires, liée à la diffusion très large de la propension des ménages (plus de 90 % aujourd'hui) à acquérir une couverture maladie complémentaire. La conséquence en est une diminution importante de la part des dépenses de santé restant à la charge des ménages, aujourd'hui stabilisée autour de 12 %.
Les travaux de la commission des comptes de la santé avaient été marqués, l'an dernier, par la présentation d'un premier prototype de ventilation des dépenses de santé par pathologies. Nous avons ainsi appris, et ce n'était pas intuitif, que la première catégorie de pathologies, pour les dépenses qu'elle entraîne, sont les maladies de l'appareil circulatoire, suivies des troubles mentaux. Ces travaux novateurs ont été poursuivis au cours de l'année écoulée, afin de mesurer plus précisément la part des dépenses de santé relevant de la prévention selon les différentes classes pathologiques. C'est là une initiative très opportune, puisque les résultats inédits que vient de vous présenter l'équipe du CREDES qui a travaillé avec la DREES sur ce sujet vont pouvoir être développés et contribueront ainsi à nourrir le débat qui s'ouvrira prochainement au Parlement sur la loi relative à la politique de santé publique.
Jusqu'à présent, les comptes de santé incorporaient seulement, dans la prévention, les dépenses correspondant aux budgets des organismes qui se dédient spécifiquement à la prévention. On parvient ainsi, en 2002, à un montant de dépenses de prévention de l'ordre de 3,7 milliards d'euros, soit 2,3 % de la dépense courante de santé. Il s'agit, pour l'essentiel des budgets de la CNAMTS et de chapitres budgétaires de différents ministères ou collectivités territoriales consacrés presque exclusivement à la prévention comme le Fonds National de Prévention, d'Éducation et d'Information Sanitaire (FNPEIS) et le Fonds de Prévention des Accidents du Travail et des Maladies Professionnelles (FPATMP). Ou encore les dépenses de Protection Maternelle et Infantile, de planning familial, des programmes de dépistage systématique, de santé scolaire et de médecine du travail. On y trouve encore les actions de prévention financées par le Ministère de la Santé et la MILDT.
Sur cette base, je me suis déjà exprimé pour souligner ce qui me paraît constituer un déséquilibre entre l'effort consacré à la prévention collective et celui destiné à financer l'accès aux soins curatifs individuels.
J'entends bien que le champ de la prévention ne se limite pas aux seules initiatives relevant du système de santé et que de nombreuses actions sont financées par d'autres organismes qui ne sont pas comptabilisées. C'est par exemple le cas des actions de prévention routière prises en charge par le ministère des transports ou de certains programmes de prévention contre les accidents domestiques ou les facteurs d'environnement.
Aujourd'hui, vous allez plus loin et vous nous apprenez que ce montant sous-estime en fait les dépenses en faveur de la prévention sanitaire parce qu'il ne tient pas compte des actes de prévention qui sont directement incorporés aux soins et aux prescriptions.
Avec la méthode mise en uvre par le CREDES et la DREES, qui prend en compte les dépenses liées à la prévention des principaux facteurs de risque (hypertension, hyperlipidémie, obésité, diabète, consommation excessive d'alcool et de tabac), on peut évaluer le montant total des dépenses de prévention, y compris celles incorporées aux soins, à 7 % environ de la dépense courante de santé, soit quelques 11 milliards d'euros en 2002.
Cela suggère que la prévention n'est pas seulement affaire de programmes publics, mais aussi de pratiques quotidiennes des professionnels de santé : c'est un éclairage intéressant et encourageant. Pour autant, il ne modifie pas ma vision globale de la situation. Il vient même la renforcer en signant une évolution des esprits.
Car ce que révèle votre travail, en fait, c'est que la frontière entre la prévention et le soin est en train de s'estomper, ce qui représente une véritable révolution conceptuelle même si cette réalité n'est pas récente, je l'ai observée moi-même en génétique médicale. Quand on traite une hypertension artérielle, que fait-on au juste : soigne-t-on une maladie ou un facteur de risque ? On peut argumenter à l'infini puisque l'hypertension est un trouble sans symptôme et qu'on le soigne précisément pour éviter des complications qui, elles, seront symptomatiques comme les accidents vasculaires cérébraux. Donner une réponse précise à ce questionnement est en fait assez vain. Car le plus souvent, quand on soigne, c'est pour éviter une aggravation. Si bien que de proche en proche, la quasi-totalité du soin peut être rangé sous la bannière de la prévention. Ce n'est qu'une question de convention, de définition.
En vérité, ce n'est pas la distinction soins / prévention qui me préoccupe. On peut argumenter qu'elle est vaine et artificielle. Pour moi la bonne distinction est celle qui met d'un côté l'activité médicale tout venante, spontanée et répondant à une demande individuelle, et, de l'autre côté, l'activité sanitaire programmée pour une population ou un territoire définis. Or c'est là que réside le véritable déséquilibre. Répondre à la demande spontanée des patients qui consultent les médecins, c'est bien sûr important. Mais cela ne garantit pas que notre effort est orienté là où les besoins sont premiers. Vous constatez que les médecins dépistent de nombreux facteurs de risque. Très bien, il faut les y encourager. Mais en termes de santé publique, la question pertinente est de savoir quelle est la proportion de personnes porteuses de ces facteurs de risque et qui ne sont pas correctement prises en charge. Et nous devons mettre en place des stratégies d'intervention pour les identifier. Pour cela, il nous faut développer le programme de santé comme nouveau modèle de pratique dans le champ de la santé publique.
C'est l'objectif que je poursuis avec la loi relative à la politique de santé publique. Quelle est l'intention de cette loi ? D'abord d'affirmer que l'Etat doit être le garant de la santé de la population prise dans son ensemble. C'est une responsabilité de type régalienne. Ensuite, que nous devons nous fixer des objectifs en termes d'état de santé : une centaine d'objectifs sont ainsi proposés sur un horizon de cinq ans car l'année est manifestement un horizon trop court, inapproprié pour ce genre d'exercice. Je note d'ailleurs que seuls un tiers de ces objectifs proposés à l'issue d'une vaste concertation peuvent être quantifiés à l'heure actuelle, ce qui montre qu'à côté des comptes de dépenses, nous devons développer le recueil des données épidémiologiques. Enfin, nous avons à résoudre des problèmes complexes de santé publique comme la surmortalité masculine aux âges jeunes - une des plus fortes d'Europe - et la persistance d'inégalités territoriales et sociales des états de santé d'autant moins tolérables que les dépenses collectives engagées pour la santé sont importantes.
Pour résoudre ces problèmes, on ne peut pas compter sur l'adéquation spontanée entre la demande de soins et l'activité des professionnels et des établissements de santé. C'est pourquoi, je maintiens, en dépit d'une vision plus optimiste sur l'effort de prévention que vous nous montrez aujourd'hui, que nous devons développer résolument une approche programmée permettant d'atteindre des objectifs fixés à l'avance. C'est par cette méthode que nous arriverons à corriger le haut niveau de mortalité et de morbidité prématurées que nous déplorons aujourd'hui.
Ainsi, le vrai déséquilibre n'est pas tant entre soins et prévention qu'entre la part respective des activités spontanées et programmées pour une population cible dans notre système de santé.
Tels sont les enseignements que je souhaitais tirer avec vous de cet important travail sur les comptes de la prévention, qui nous aide à préciser nos intentions. Ce faisant, j'espère vous avoir montré l'importance que j'attache à ce que nos politiques publiques de santé soient fondées sur des faits, sur des preuves et non sur des opinions ou des intérêts catégoriels.
Soyez remerciés pour votre labeur et assurés de mon entière détermination à le traduire en actions pour améliorer sans cesse la santé dans notre pays.
C'est maintenant avec grand plaisir que je vous propose d'échanger avec vous et de répondre à vos questions.


(Source http://www.sante.gouv.fr, le 16 juillet 2003)