Déclaration de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, sur l'adhésion de la Slovénie à l'Union européenne et à l'Otan, Ljubljana le 23 octobre 2003.

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Circonstance : Voyage en République de Slovénie de Dominique de Villepin du 23 au 25 octobre 2003 : allocution devant les parlementaires slovènes de la commission des affaires étrangères et de la commission des affaires européennes à Ljubljana le 23

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Je suis heureux de me trouver parmi vous, sur cette terre profondément marquée par l'histoire européenne. Aujourd'hui, une étape majeure s'accomplit : l'Union européenne accueille la Slovénie. Le 1er mai prochain, votre pays en sera un membre à part entière. Vous participez désormais à cette grande aventure qui sera déterminante pour chacun d'entre nous, pour chacun de nos pays. Au moment où s'ouvre un nouveau temps de cette marche des peuples d'Europe vers l'unité, la Slovénie doit prendre toute sa part à cette entreprise ambitieuse. Car elle a beaucoup à y apporter.
Territoire longtemps ballotté entre trop d'empires, la Slovénie témoigne de plusieurs paradoxes : jeune démocratie, elle est l'héritière d'une nation antique ; territoire à la croisée de plusieurs mondes, elle offre une passerelle entre l'Europe latine, l'Europe germanique et l'Europe slave ; terre maintes fois envahie, ses résurrections rappellent ces fleuves souterrains aux résurgences imprévues. C'est cette identité que je veux évoquer ici avec vous, cette alliance de l'esprit et de la culture inscrite dans le destin d'un peuple. Elle vient enrichir cette diversité qui est au coeur de la démarche européenne.
Si la nécessité de faire l'Europe s'impose désormais à nous comme une évidence, d'autres questions se posent : quelle Europe voulons-nous dans le monde ? Quel rôle souhaitons-nous jouer ensemble ? Quelles relations devons-nous établir avec les autres pôles, avec l'Amérique, avec l'Afrique, avec l'Asie ?
Je voudrais évoquer avant tout deux personnalités marquantes de votre pays. Celle de France Preseren d'abord, dont l'oeuvre rappelle l'attachement de votre peuple aux idéaux des Lumières et à la Révolution française. Poète majeur de l'éveil national, il illustre le courage avec lequel vous avez toujours manifesté votre fidélité à vos convictions. N'était-il pas prédestiné à devenir l'auteur de votre hymne national ?
Joze Plecnik ensuite. Cet architecte lie nos deux pays à travers l'Obélisque qui, depuis votre place de la Révolution française, honore notre nation. Il illustre l'esprit européen dans ce qu'il a de plus noble, en l'incarnant dans le paysage de vos villes et de vos jardins.
S'ils ont tant marqué votre pays, c'est qu'à travers leur oeuvre, ponts jetés sur la Ljubljanica ou poèmes clandestins, Plecnik et Preseren personnifient l'identité slovène et l'aspiration farouche de tout un peuple à la préserver. Si Napoléon a pu, en définissant les modalités de l'administration des provinces illyriennes, rendre à votre nation l'usage officiel de sa langue, et élever Ljubljana - la Laibach d'alors- au rang de capitale, c'est parce qu'il y avait trouvé une culture prête à retrouver la lumière, une culture que vous-même aviez sauvée.
La figure de Napoléon et vous savez qu'elle m'est chère, cristallise parmi d'autres ce lien profond entre nos deux pays. La France est particulièrement sensible au souvenir que vous gardez de lui. Car au-delà de l'image du conquérant, c'est celle du visionnaire que vous maintenez vivante, de l'homme déterminé à secouer le joug d'une féodalité d'un autre âge, de l'artisan d'un Code civil respectueux de la personne.
Cette relation si forte entre nos deux pays, bâtissons-la d'abord sur le socle de nos relations bilatérales entre la Slovénie et la France. Donnons-leur une vitalité nouvelle en développant une coopération plus dynamique et plus fructueuse.
Coopération économique d'abord. Le ministre français du Commerce extérieur, François Loos, était votre hôte il y a deux jours à peine, accompagné de nombreux chefs d'entreprises désireux d'investir en Slovénie. Il faut donner un nouvel élan à ce mouvement dont Renault et Revoz ont été les pionniers. Nos industries, complémentaires l'une de l'autre, ont vocation à renforcer leur partenariat au coeur du grand marché européen élargi.
Coopération scientifique ensuite : elle a permis de mettre en oeuvre plus de 120 projets de recherche depuis 1994 et de conforter les échanges de chercheurs entre nos deux pays. Vous recevrez demain la visite de Claudie Haigneré, notre ministre de la Recherche. Nos échanges scientifiques doivent contribuer à l'indispensable mobilisation de l'Europe pour retrouver sa pleine capacité d'innovation face à la concurrence mondiale.
Coopération politique enfin : la présence de trois ministres français cette semaine en Slovénie en est une illustration prometteuse. Nos deux pays ont travaillé ensemble à la préparation de l'intégration européenne de la Slovénie, notamment à travers la formation aux affaires européennes de jeunes fonctionnaires. La toute récente visite de votre président, M. Pahor, à Paris, a permis de densifier les liens qui unissent nos élus et nos parlements. Ses propos ont été écoutés dans mon pays avec beaucoup d'attention.
Dans tous ces échanges, c'est la voix singulière et respectée de la Slovénie qui se fait entendre, empreinte de fierté nationale et d'une volonté nouvelle pour construire un avenir à la hauteur des enjeux de l'Europe.
Au-delà, il nous faut approfondir le dialogue entre nos deux cultures. Dans une Europe élargie, chacun doit trouver sa place. Le slovène est à l'image de la richesse de votre patrimoine. Je me réjouis que vous participiez à cette communauté de valeurs qu'est la francophonie, cette grande famille qui a le français en partage. Je salue la mise en oeuvre des projets qui permettront d'ancrer davantage la présence de notre langue en Slovénie et je sais tout le dynamisme de votre action dans ce domaine.
La culture doit devenir un domaine d'excellence de notre partenariat. La publication en France de l'oeuvre de Vladimir Bartol a réveillé l'intérêt pour cet écrivain slovène qui a si bien décrit la montée du fondamentalisme religieux dans notre civilisation. Certains de vos artistes entretiennent avec la France un rapport privilégié ; je pense en particulier à Zoran Music dont les oeuvres évoquent aussi bien les mosaïques de l'Orient byzantin que la grande peinture européenne, de Goya à Monet. Je veux rendre hommage également à l'un de vos plus grands romanciers, Boris Pahor, que vous avez fêté il y a quelques semaines dans la grotte de Vilenica, dans un festival qui, depuis dix-huit ans, porte le flambeau de l'Europe des poètes. Hymne à la liberté avant la chute du mur de Berlin, cette célébration de la poésie fait vivre les textes de nos plus grands auteurs contemporains dans les lieux les plus variés, depuis le recueillement de la chapelle Saint-Michel de Lokev, jusque dans l'atmosphère si particulière de Stanjel, ou encore dans les belles clairières de la forêt de Lipica. Ces manifestations irriguent cette diversité culturelle qui fait battre le coeur de l'Europe.
La Slovénie a pris avec détermination le chemin de l'Union européenne. Cette direction, elle l'a tracée dès son indépendance en 1991 et ses dirigeants successifs - à commencer bien sûr par le président Kucan et son successeur, le président Drnovsek - ont fait de l'adhésion à l'Union européenne et de l'entrée dans l'OTAN un objectif majeur de la politique étrangère slovène.
C'est avec détermination que votre pays s'est engagé dans ces négociations d'adhésion. Une excellente équipe de négociateurs, une idée très précise de vos intérêts et de vos priorités, le sens des responsabilités vous ont rapidement placés dans le peloton de tête des pays adhérents. Vous avez su conclure plus rapidement que d'autres ces longues discussions. L'enthousiasme de votre peuple, de votre opinion publique, symbolisé par le brillant succès du référendum de mars 2003, est venu couronner la réussite de votre diplomatie et confirmer votre engagement très fort vis-à-vis de l'Europe. La France, qui a apporté, d'emblée, son soutien résolu à votre démarche, reste et restera, vous le savez, à vos côtés sur ce chemin.
Cette volonté d'agir, vous l'avez également démontrée tout au long des travaux de la Convention. Au sein de son présidium, la voix de M. Alojz Peterle, le premier chef de gouvernement de la Slovénie indépendante, a porté avec dignité et conviction les espoirs des pays adhérents. Dans le cadre du Conseil européen, où je siège aux côtés de Dmitrij Rupel, la Slovénie est un membre écouté. Comment mieux traduire cette part active que vous prenez désormais à la construction de l'Europe ?
L'Union européenne est en passe de franchir une étape sans précédent : qui aurait cru, il y a seulement quinze ans, à une Europe réunifiée ? Face à cette accélération de l'histoire, des hésitations, des interrogations, des doutes ont pu se faire jour. Et les différences apparues au moment de la crise irakienne ont pu créer l'impression d'une Europe en difficulté. Nous avons eu raison de ne pas céder aux facilités de la division ou aux facilités de la polémique. Aujourd'hui nous avons retrouvé le chemin de l'unité sur les grandes crises du monde, qu'il s'agisse du Proche-Orient, de la Corée du Nord, de l'Iran et même de l'Irak. Notre Europe témoigne ainsi de sa capacité à se renouveler. Elle manifeste surtout la nécessité de préserver l'exigence de dialogue et de tolérance qui est au coeur de la démarche européenne, que nous devons maintenir vivante.
Sachons également retrouver cette alchimie unique de l'Europe qui, depuis la réconciliation historique de la France et de l'Allemagne, a permis à chacun d'associer son destin aux autres, tout en faisant vivre son identité propre. Dans l'édifice européen, chaque pays apporte une pierre indispensable à la stabilité de l'ensemble. Dans cette enceinte où vous rédigez les lois de la République de Slovénie, vous savez combien le travail du législateur est oeuvre de compromis, toujours soucieux de l'intérêt général. Ce même état d'esprit doit animer aussi les travaux de l'Europe, à l'heure où l'Union est à la recherche de son identité.
Les bases d'un nouveau cadre institutionnel ont été jetées par la Convention sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing. Ce travail indispensable pour rendre l'Europe plus efficace bénéficie d'une légitimité forte ; chacun a pu prendre part au débat vif et sincère qui a réuni à Bruxelles les représentants nationaux et européens. Le texte adopté propose un projet ambitieux pour l'Europe et les Européens : il s'agit maintenant d'apporter plus de démocratie et plus d'efficacité à l'Union européenne et de renforcer chacune des institutions tout en préservant l'équilibre fondateur du traité de Rome. Certains pays ont, à partir de là, des revendications fortes et nous devons les entendre. Mais il est dans notre intérêt à tous, c'est notre conviction, de ne pas remettre en cause les acquis et d'avancer avec un esprit constructif.
Car l'Europe a aujourd'hui un grand rendez-vous avec l'histoire. Regardons en face l'ampleur des défis qu'il nous faut relever ensemble.
Le grand défi de l'économie, d'abord. Première puissance économique et monétaire au monde, forte d'un demi-milliard d'hommes dont le destin est désormais lié, l'Europe a le devoir de retrouver le chemin de la croissance : il y va de la crédibilité du modèle européen devant ses citoyens. Pour cela, nous devons réformer la gouvernance économique européenne et parvenir à une meilleure coordination de nos politiques.
Nous avons bien sûr à coeur de contenir nos dépenses publiques comme de réduire notre déficit structurel. Et la France est naturellement attachée au Pacte de stabilité. Mais notre responsabilité est aussi d'encourager la reprise économique et de défendre l'emploi à un moment où des signaux positifs apparaissent à nouveau.
Pour créer les conditions d'une prospérité durable, l'Europe doit retrouver sa pleine compétitivité, à la pointe de la concurrence internationale. La recherche, l'innovation technologique, la formation des hommes doivent figurer au coeur de la stratégie européenne. Donnons-nous des objectifs ambitieux, mettons en commun nos énergies, mobilisons nos talents pour faire de l'Europe ce pôle de croissance et de créativité qu'elle n'a jamais cessé d'incarner.
La force de l'Europe réside dans notre exigence d'équilibre entre esprit d'initiative et volonté de partage, entre liberté d'entreprendre et responsabilité sociale. Notre projet ne se résume pas à une zone de libre-échange : nous voulons construire un espace de solidarité. C'est le sens des politiques communes d'accompagnement du marché, qui visent à protéger les secteurs les plus fragiles. C'est aussi le sens des aides régionales, qui permettent de lutter contre les inégalités et de remettre à niveau les régions qui peinent le plus à s'inscrire dans les grands circuits de l'économie européenne. Nous souhaitons un effort particulier pour que les prochaines perspectives financières profitent en priorité aux pays qui en ont le plus besoin et aux pays adhérents. L'esprit de solidarité figure au coeur même de la démarche européenne, projet de nature politique tout autant qu'économique.
Cette ambition politique, nous devons l'affirmer aussi sur la scène internationale. C'est tout le défi d'une politique étrangère et de défense commune. Les Etats européens ont une responsabilité à exercer tant pour la sécurité de leurs citoyens que pour défendre leurs intérêts et leur vision de l'ordre international.
Le monde a changé depuis la chute du mur de Berlin. Il forme désormais un tout ; les crises se répercutent en ondes de choc face auxquelles les frontières et les barrières n'offrent plus de protection suffisante à elles seules. Le terrorisme frappe partout, et porte atteinte à notre sécurité à tous. La prolifération des armes de destruction massive constitue une menace globale à laquelle il n'est d'autre réponse que collective.
Dans ce monde nouveau, l'Europe doit avoir des exigences nouvelles. Elle doit se doter des moyens de son autonomie stratégique pour pouvoir jouer tout son rôle dans la prévention des conflits et dans la recherche du règlement des crises, y compris lorsque c'est nécessaire, par la mobilisation de ses armées. Le conflit des Balkans nous a fait prendre conscience de ces enjeux. Je sais combien ces souvenirs résonnent douloureusement pour vous et je veux saluer ici l'action exemplaire de Mme Tvornik, ambassadrice de votre pays en France, qui, en tant que maire de Maribor, avait mis en place une structure d'accueil des réfugiés fuyant les combats d'ex-Yougoslavie aux heures sombres de la guerre.
Le chemin parcouru depuis ces moments tragiques est considérable. Cette année en particulier marque pour l'Europe une nouvelle étape : en Ituri, l'Union européenne a mené sa première opération militaire autonome ; en Macédoine, les Européens ont pris le relais de l'Otan pour garantir la stabilité du pays. En Iran enfin, ils montrent aujourd'hui qu'ils sont capables de prendre leurs responsabilités face à une crise de prolifération qui suscite les plus vives inquiétudes. Le voyage que nous avons effectué à Téhéran avec Joshka Fischer et Jack Straw a permis de rouvrir la voie d'une résolution pacifique fondée sur le dialogue.
C'est là aujourd'hui une réalité nouvelle : l'Europe est capable de changer la donne, de déjouer les pronostics les plus sombres, de faire évoluer les lignes. C'est une avancée pour tous les Européens et elle s'appuie sur la mobilisation nécessaire de tous. Allons plus loin : le monde a besoin de valeurs, il a besoin de paix, de réconciliation, de progrès, de justice. Nous nous sommes engagés ensemble en faveur du multilatéralisme et de la responsabilité collective, qu'il s'agisse de la légitimité internationale et du rôle de l'ONU, de la Cour pénale internationale ou encore de la ratification du protocole de Kyoto. Donnons-nous les moyens d'incarner nos principes et nos idéaux en nous dotant d'un ministre des Affaires étrangères européen comme le propose la Convention. L'Europe doit pouvoir agir avec efficacité au service de la communauté internationale et de la paix.
Nous sommes tous profondément attachés à la pérennité et donc à la rénovation du lien transatlantique. C'est bien dans cet esprit que nous voulons affirmer le rôle de l'Europe sur la scène du monde. Il y a là un souci d'analyse lucide : nul ne peut agir seul, et les Etats-Unis ont intérêt à pouvoir travailler avec une Europe forte et capable d'assumer toutes ses responsabilités. Ce nouveau partenariat transatlantique témoigne à sa manière des relations de coopération qu'il nous faut établir, dans le cadre d'un système multilatéral efficace, entre les différents pôles du monde de demain.
Enfin, l'Europe doit relever le défi de ses nouvelles frontières. Pour nous tous, les relations que nous construisons avec nos voisins sont essentielles. A nous d'inventer une politique plus ambitieuse autour de l'Europe, afin de redonner aux frontières leur vocation de lieu d'échange et de partage : ouvrir et non enfermer, relier et non cloisonner, multiplier les liens pour enrichir les identités et les cultures. Elargie, l'Europe doit plus que jamais jouer son rôle de trait d'union entre les peuples, à l'Est avec la Russie, l'Ukraine ou la Moldavie ; au Sud, avec le pourtour méditerranéen et le Moyen-Orient. A nous d'inventer de nouvelles formes de partenariat dans tous les domaines, politique, social, économique et éducatif, afin de mieux répondre à nos intérêts partagés.
Partie intégrante de l'Europe centrale, la Slovénie est aussi une porte vers le Sud-Est du continent. Pour les Balkans, la perspective de l'adhésion à l'Europe constitue un facteur essentiel de stabilisation. Et nous sommes en train d'inventer avec ces pays un nouveau type de relation. Vous mieux que quiconque connaissez l'importance et la complexité des enjeux, et la France a pleinement confiance en votre détermination pour surmonter, par le dialogue, les différends qui demeurent, et en particulier avec la Croatie. Et c'est bien la source même de l'inspiration européenne qui doit vous guider, fondée sur une logique de concertation et un esprit de responsabilité : du rêve des pères fondateurs de l'Europe à nos jours, ce sont ces valeurs qui nous ont permis de hisser partout sur le sol des anciennes déchirures le drapeau de la paix.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Votre entrée dans l'Union européenne est pour nous tous une chance, parce que vous êtes vous-mêmes un trait d'union entre plusieurs cultures, un carrefour entre plusieurs influences. Incarnant cette diversité qui est la vocation même de l'Europe, vous portez haut l'ambition qui est la nôtre, celle, proclamée par votre hymne national, de "vivre tous libres, non en chaos, mais en équilibre".
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 octobre 2003)