Déclaration de Mme Georgina Dufoix, secrétaire d'Etat chargée de la famille, de la population et des travailleurs immigrés, au Comité départemental pour la lutte contre les trafics de main d'oeuvre, le 4 novembre 1983, publiée dans "Actualités-Migrations" de novembre 1983.

Prononcé le 1er novembre 1983

Intervenant(s) : 

Circonstance : Installation du comité départemental de lutte contre les trafics de main d'oeuvre

Média : Actualité de Paris - FRA - PARIS

Texte intégral

1 - POURQUOI LA LUTTE CONTRE LES TRAFICS DE MAIN-D'OEUVRE ?
L'immigration est stoppée depuis 1974.
La France doit selon les termes du Conseil des Ministres du 31 août 1983 "faciliter l'insertion des populations immigrées dans la vie sociale, économique et culturelle". Elle doit aussi assurer l'insertion des jeunes issus de l'immigration, comme elle doit à tous les jeunes, français et étrangers en situation régulière une insertion digne de notre pays.
Face à cette exigence deux préalables s'imposaient :
a) Une régularisation
Elle a permis de mettre fin à la situation de précarité que connaissaient 130 000 immigrés sans que cette opération bouleverse pour autant le marché du travail. Clarifier les situations administratives et normaliser les situations professionnelles tels étaient les objectifs du Gouvernement. Ils sont aujourd'hui pour notre société des acquis.
b) L'adoption d'un nouveau cadre juridique
Il convenait de définir les garanties que notre état de droit entendait adopter à l'égard des étrangers. Une oeuvre législative et réglementaire importante a été accomplie en ce domaine - ces textes ont :
- assuré certains droits fondamentaux aux étrangers (droit d'association, mariage sans autorisation)
- renforcé les droits juridiques des immigrés (régime des autorisations de travail)
- aménagé la sanction de la clandestinité sous le contrôle du juge
Cette exigence, ces mesures préalables entraînaient aussi la mise en place d'une politique rigoureuse en matière d'immigration clandestine.
Il apparaissait en effet clairement dès 1981 que la France ne pouvait accepter de nouveaux travailleurs étrangers compte tenu de la crise économique. La régularisation que nous avons menée à bien était exceptionnelle : il n'y en aura pas d'autre.
Cette politique de rigueur rendue possible par la régularisation exceptionnelle comprend l'examen des problèmes d'immigration avec les pays concernés et nos partenaires européens, le contrôle strict des conditions d'entrée et de séjour et la lutte contre les trafics de main-d'oeuvre. Elle est le complément indispensable de la régularisation et de l'adoption de nouvelles garanties pour les étrangers légalement installés dans notre pays. Elle est la condition d'une insertion réussie.
Il y a quelques jours, à Rome j'ai lancé un appel à une plus efficace concertation internationale afin que cessent les pratiques encourageant les migrations illégales et afin que soient réprimées comme autant de délits internationalement reconnus, toutes les actions qui visent à faciliter, où que ce soit, de telles migrations dans des conditions illégales.
Aujourd'hui je veux, en participant à ce premier Comité de Coordination pour la lutte contre les trafics de main-d'oeuvre vous préciser les mesures de contrôle interne et m'informer. Quel est le problème ?
Les travailleurs étrangers en situation irrégulière alimentent une économie parallèle qui échappe à de nombreuses contraintes. Leur utilisation préfigure sans doute de nouveaux modes d'organisation du travail en marge de la légalité : "l'offre d'emploi clandestin risque, à l'avenir de concerner des fractions de plus en plus larges de la main-d'oeuvre disponible sur le territoire".
Ceux qui font fonctionner et qui animent ces circuits parallèles, c'est-à-dire les entreprises en infraction et leurs responsables font porter par ceux qui se situent dans la légalité une charge plus lourde.
De plus en agissant ainsi de tels employeurs encouragent directement l'immigration illégale en faisant naître de faux espoirs.
Enfin dans la mesure où ces travailleurs se trouvent dans des circuits qui échappent à tout contrôle ils sont très généralement exploités : après avoir acheté leur passage ils sont transportés, déportés et n'ont qu'un recours aléatoire contre des employeurs qui bien souvent s'organisent pour disparaître quand ils sont démasqués. L'affaire récente de Rosny-sous-bois est l'illustration de cette réalité que nous ne pouvons admettre et que nous combattrons avec détermination.
Cette situation dont les travailleurs étrangers clandestins sont souvent les victimes doit en effet être résolue en premier lieu par la lutte contre les trafiquants et les employeurs qui transgressent la Loi.
Sur le passé récent, la Mission de Liaison Interministérielle pour la lutte contre les trafics de main-d'oeuvre a établi un rapport que je vous remets.
Ce rapport impose une prise de conscience collective des efforts qu'il nous reste à consentir.
2 - POURQUOI DES COMITES DEPARTEMENTAUX ?
De nombreux départements avaient insisté sur l'importance d'une coordination à l'échelon local, dans le bilan qu'ils avaient dressé à l'issue de l'opération de régularisation.
Celle-ci permet une circulation de l'information entre les services, la conjonction des efforts, l'élaboration de priorités de travail adaptées aux problèmes du département, le suivi des efforts des services opérationnels.
Tout cela constitue des atouts importants dans la lutte contre les trafics de main-d'oeuvre, parce que ceux-ci sont, par essence même, difficiles à démasquer, difficiles à démanteler.
Ces comités de coordination constituent, en outre, un outil d'observation et de proposition. A Paris, en ce qui concerne le secteur exposé qu'est la confection, le Commissaire de la République a fait des propositions. Elles sont à l'étude et ont été transmises aux départements ministériels concernés. Il ne faut pas en rester là.
Ce comité s'inscrit dans un dispositif plus large dont le gouvernement a décidé la mise en place le 31 août 1983 :
- augmentation considérable de la contribution spéciale payable à l'0.N.I. de 5.000 à 24.000 F,
- renforcement des moyens de la Mission de Liaison au niveau central et création d'une antenne de la Mission pour le Sud-Est de la France,
- renforcement des services opérationnels chargés des contrôles,
- circulaire en date du 30 septembre 1983, de Monsieur le Garde des Sceaux.
Ce plan d'ensemble permettra à la loi du 17 octobre 1981 d'être pleinement appliquée.
3 - CONCLUSION
Telles sont les décisions du gouvernement. Nous ne devons pas méconnaître les obstacles : manque de personnel, manque de moyens, délinquants difficiles à démasquer et à appréhender, mais il est essentiel de faire montre d'une égale rigueur, vis-à-vis de tous ceux qui contreviennent à la loi.
a) Si le gouvernement entend tisser avec le tiers-monde, et notamment avec les pays d'immigration, des liens permettant de renforcer une coopération indispensable dans le domaine de la main-d'oeuvre, s'il met en uvre une conception nouvelle des rapports avec les communautés immigrées présentes sur notre territoire, il n'en reste pas moins que les garanties prévues pour les travailleurs clandestins ne seront en aucun cas l'amorce d'une quelconque régularisation de la situation de ces clandestins. Les personnes étrangères en situation irrégulière au regard du séjour sont et seront poursuivies devant les tribunaux. Il n'est plus question d'accepter le fait accompli.
b) Cette rigueur est nettement perçue à Paris, depuis quelques mois par les communautés immigrées. Or, il est nécessaire que l'équilibre dans l'application de la loi, tel qu'il a été prévu par le législateur, en octobre 1981, soit affirmé et suivi d'effet. Cela nous impose de combattre avec fermeté les trafiquants de main-d'oeuvre. Nous devons démanteler les réseaux et dissuader les trafiquants : c'est-à-dire ceux qui tirent des profits illicites de l'introduction et de l'utilisation de cette main-d'oeuvre.
Tout déséquilibre dans l'application du dispositif prévu en octobre risque de conduire aux errements du passé : la présence d'étrangers en situation irrégulière ne peut en aucun cas justifier un glissement des discours politiques qui, par des généralisations abusives, vise à entraîner une suspicion qui s'étendrait à l'ensemble de la population étrangère résidant légalement en France.
Actuellement, nous sommes dans l'obligation de réprimer. Mais nous savons que les infractions que nous constatons peuvent être les symptômes de problèmes cachés, latents, de problèmes qui existent dans les secteurs les plus touchés.
Notre politique ne doit donc pas se limiter à la répression : il est indispensable, parallèlement, de mieux connaître :
1°) les fonctions économiques et sociales des activités souterraines auxquelles participe l'emploi des étrangers en situation irrégulière,
2°) les conséquences qu'entraîne l'éradication totale de ces activités, ce milieu de trafiquants a, on le sait des ressources importantes d'imagination pour transgresser la loi.
Cette démarche nous permettra d'envisager les mesures préventives et d'accompagnement les mieux adaptées à une solution concrète des problèmes qui peuvent objectivement se poser dans chacun des secteurs concernés.
J'attends également, sur ce point, des propositions des Comités départementaux pour la lutte contre les trafics de main-d'oeuvre. En fonction des problèmes et de leurs besoins, ces comités pourront associer à leurs travaux des représentants des organisations représentatives d'employeurs et de salariés.
Si nous luttons, aujourd'hui, avec acharnement contre les trafics de main-d'oeuvre et contre l'immigration illégale, c'est aussi parce que nous voulons que les étrangers qui vivent régulièrement en France soient reconnus dans leur dignité.
Nous devons affirmer et faire prendre conscience à tous nos concitoyens qu'ils contribuent au développement de notre pays.
Nous avons des devoirs envers eux, comme envers nos concitoyens.
C'est ensemble que nous devons oeuvrer.
Ce qui est en jeu, c'est le développement harmonieux de notre vie économique et sociale.