Texte intégral
LE MONDE du 6 novembre 2003
" Au total, comme d'habitude, le débat interne nous renforcera "
Le Monde - Une majorité des cheminots s'apprête à quitter la CFDT, après d'autres départs. Quelle analyse faites-vous de la crise que traverse votre confédération ?
François Chérèque - Les départs, tous secteurs confondus, pourraient atteindre 6 à 8 000 adhérents, ce qui n'est pas négligeable mais peu comparé aux 900 000 syndiqués à la CFDT. Nous sommes face à deux situations. D'une part, nous connaissons des départs collectifs d'opposants de longue date à la ligne confédérale, qui n'ont jamais accepté notre évolution réformiste depuis les années 1980. Ceux-ci ont voulu organiser une CFDT bis par la création du courant Tous ensemble en 1995, à la suite du plan Juppé. Ils ont été mis en échec par les militants qui n'ont pas voulu de la création de cette tendance. Aujourd'hui, la direction de la fédération FGTE (transports, équipement), alors qu'elle avait annoncé un départ majoritaire de ses 55 000 adhérents, ne réussit à faire partir qu'une minorité de cheminots, environ 2500. C'est un deuxième échec.
D'autre part, des adhérents s'interrogent sur la meilleure manière de faire vivre la démocratie dans la CFDT. Je ne veux pas mélanger ceux qui ont fait le choix politique de la rupture avec ceux qui souhaitent un débat légitime dans la confédération.
Ne craignez-vous pas une baisse de l'activité de la CFDT dans certaines branches, comme dans la santé où votre syndicat a reculé lors des dernières élections professionnelles d'octobre 2003 ?
Par endroits, il nous faudra reconstruire des collectifs CFDT. On le fait en Haute-Loire, par exemple, où une équipe vient de se remettre en place. On sait que ces départs sont déjà compensés en partie par de nouvelles adhésions. Quant au recul électoral dans le secteur public de la santé, de l'ordre de 4 % selon nos chiffres provisoires, il recouvre à la fois des baisses et des progressions, ce qui rend difficile une explication par la seule réforme des retraites. Le retard dans l'application de la réforme dans les hôpitaux a peut-être joué. Celui-ci vient de l'incapacité du gouvernement à sortir les décrets d'application qui montreront effectivement les effets positifs de cette réforme pour les personnels hospitaliers, notamment l'intégration des primes pour le calcul de la retraite et la validation d'années supplémentaires pour les personnels soignants. Autre raison de ce recul, dans les régions oppositionnelles, comme Auvergne ou Provence-Alpes-Côte d'Azur, la CFDT était dénigrée par les responsables régionaux eux-mêmes, d'où une sanction évidente lors des élections professionnelles.
Vous avez annoncé lors du conseil national d'octobre une année de débats concernant la démocratie interne. N'est-ce pas un peu long pour rassurer votre base ?
Si on veut donner la possibilité au maximum de militants et d'adhérents de s'exprimer, il faut prendre un peu de temps. Il faut aller jusqu'aux militants d'entreprise et voir avec eux comment nous pouvons faire évoluer la participation des adhérents à notre vie collective.
N'est-ce pas reconnaître un fonctionnement défaillant de la CFDT ?
Le choc démocratique du 21 avril 2002 interroge d'abord les partis, mais aussi tous les syndicats. Ce qui m'étonne, c'est que la CFDT semble seule à se poser la question de la relation entre les adhérents et les dirigeants, tout en osant affronter les réalités en face, comme elle l'a fait pour les retraites avec l'harmonisation public/privé. Dans ces conditions, un débat à 900 000, c'est forcément difficile. Mais c'est notre démocratie.
Une opposition interne est-elle encore viable au sein de la CFDT ?
Ma volonté, c'est que la CFDT reste un syndicat où l'on puisse débattre et exprimer ses différences. À condition de respecter les décisions collectives et de les mettre en uvre ensemble. Certains dirigeants de la FGTE nous ont dit, lors du dernier conseil national, vouloir continuer leur engagement dans la CFDT et le débat dans la confédération. Et les responsables du SGEN-CFDT, bien qu'en désaccord avec notre décision sur les retraites, nous ont affirmé qu'il n'y avait pas d'avenir pour eux hors de la CFDT. Au total, la CFDT reste la CFDT, et le débat, comme d'habitude, nous renforcera.
Propos recueillis par Rémi Barroux.
(source http://www.cfdt.fr, le 6 novembre 2003)
FRANCE SOIR 6 novembre 2003
- La CFDT est-elle en crise ?
François Chérèque - Non. Il n'y a pas de crise à la CFDT. Il y a d'un côté une minorité de militants qui décident collectivement de quitter la CFDT. Ils le font à l'occasion de la réforme des retraites mais ils sont en désaccord avec toutes les orientations réformistes de la CFDT depuis une vingtaine d'années. C'est une clarification logique. Il y a de l'autre côté un débat, normal, avec la grande majorité des militants, pour faire évoluer la participation des adhérents aux décisions collectives.
Quelle est votre évaluation des départs de votre syndicat ?
Nous comptons entre 6 000 et 8 000 départs possibles sur 900 000 adhérents. Cette estimation sera affinée l'an prochain au moment du renouvellement des adhésions. Les opposants de longue date quittent la CFDT, mais les adhérents ne les suivent pas forcément ! Depuis quinze ans, la CFDT augmente son nombre d'adhérents. Nous avons presque doublé depuis 1988. Aura-t-on cette année plus de départs que d'arrivées ? Je ne suis pas en mesure de le dire.
Vous sentez-vous affaibli ?
À chaque fois que la CFDT a eu dans son histoire de vraies clarifications sur son orientation, elle s'est toujours renforcé. Ce sera encore le cas. Le débat interne est : comment faisons-nous vivre une démocratie participative avec 900 000 adhérents ? Comment créer des consensus sur des réformes aussi importantes que celle des retraites avec autant d'adhérents ? Ce débat est ouvert à la CFDT pendant un an, je ne vais pas aujourd'hui le clore par des décisions personnelles.
En 2002, vous annonciez l'objectif d'1,2 million d'adhérents en 2007 ?
Cet objectif est maintenu. Un bilan est prévu à la fin d'année et nous verrons à ce moment-là les moyens supplémentaires à mobiliser pour l'atteindre. Nous développerons la CFDT auprès des salariés et dans les entreprises où il n'y a pas de présence syndicale. Que ce soit dans le privé ou bien dans la fonction publique d'État, où nous sommes moins présents. Cette progression se poursuit depuis quinze ans. Il n'est pas question de relâcher nos efforts. Les salariés ont besoin de nous.
Avez-vous des regrets sur la réforme des retraites ?
Nous pouvons toujours nous demander si nous avons été trop vite et s'il fallait demander un ou deux jours de réflexion avant de reprendre les négociations. Ca fait partie de notre débat. Il reste l'essentiel : cette réforme profitera d'abord aux plus modestes. 200 000 salariés partiront avant 60 ans dès 2004 et les salariés au SMIC vont voir leur retraite augmenter.
N'allez-vous pas être tenté de durcir le ton face au gouvernement ?
On le fera si c'est nécessaire. On a des objectifs ambitieux sur la sécurité sociale, et nous les défendrons. S'il faut durcir le ton, par exemple sur la suppression du jour férié, à laquelle nous sommes franchement opposés, nous le ferons comme nous l'avons toujours fait.
(source http://www.cfdt.fr, le 6 novembre 2003)
20 MINUTES 7 novembre 2003
20 minutes - Hier, les cheminots CFDT ont voté à 50,16 % pour leur départ du syndicat, vous reprochant d'avoir approuvé la réforme des retraites. Comment analysez-vous ce vote ?
François Chérèque : Les dirigeants de la fédération Transports qui ont décidé de partir sont en échec. Ils annonçaient le départ de la majorité de leurs adhérents. Or les routiers, les salariés de l'aérien, des transports urbains et de l'équipement ont choisi de rester, et la moitié des cheminots aussi. Ces mêmes dirigeants sont en désaccord depuis vingt ans avec la démarche de la confédération : un syndicalisme de négociation plus que de contestation, indépendant des partis politiques, avec des résultats concrets pour les salariés. Pour les retraites, nous avons ainsi obtenu que 200 000 personnes ayant commencé à travailler jeunes partent avant 60 ans, dès 2004. Et une augmentation des pensions pour les bas salaires.
Mais cette crise ne se limite pas à votre fédération Transports....
Il n'est pas question de nier le débat à la CFDT. Nous devons faire vivre une démocratie de 900 000 adhérents. Chez les cheminots ou en Auvergne, la CFDT sera temporairement affaiblie, mais de nouvelles équipes prennent déjà la relève, je suis confiant.
Comment ? Allez-vous vous revoir votre stratégie et vos revendications en conséquence ?
Nous n'allons pas remettre en cause les choix de la majorité des adhérents. A chaque fois, nous jugeons sur pièces ce que proposent nos interlocuteurs, à partir de nos propres revendications.
Justement, comment vous positionnez-vous face au plan annoncé hier par Jean-Pierre Raffarin ?
Autant nous sommes d'accord sur la nécessité d'un plan pour aider les personnes âgées, autant nous sommes en total désaccord sur son financement.
Pourquoi ?
D'abord, parce que le gouvernement prend une revanche sur la réduction du temps de travail. Il veut faire peser sur les salariés, et essentiellement sur eux, le financement du plan. Les professions libérales, les retraités et les revenus du patrimoine sont exonérés. On veut culpabiliser les salariés.
Quelle alternative auriez-vous souhaité ?
La solidarité c'est l'affaire de tous. Le plan aurait dû être financé par tous les revenus, avec une CSG à 0,2 %. Cela aurait apporté davantage. Il a décidé avant d'avoir écouté les syndicats. Il ne devra pas compter sur la CFDT lors de la renégociation des conventions collectives. Il y aura un blocage de la CFDT.
L'année 2004 s'annoncerait donc tendue ?
Elle le sera si le gouvernement ne nous écoute pas.
Propos recueillis par François Krug.
(source http://www.cfdt.fr, le 7 novembre 2003)
France Inter 7 novembre 2003
S. Paoli - Quelle est la réalité de la crise à la CFDT ? Une faible majorité de cheminots CFDT de l'Union Fédérale a voté hier en faveur d'une désaffiliation de la Confédération. Mais cette rupture au sein du pôle Transports se verra-t-elle aggravée d'autres départs annoncés d'ici au printemps prochain ? La direction de la CFDT évoque entre 6 et 8000 départs, les opposants parlant de 50 000 à 70 000 défections. Ne s'agit-il que d'une clarification politique entre réformistes et conservateurs, ou d'un malaise plus profond, et quelles en seraient les conséquences sur le dialogue social et sur les enjeux du réformisme ?
Invité de " Question Directe ", F. Chérèque, secrétaire général de la CFDT, bonjour..
- "Bonjour."
Quel est le terme que vous utilisez ce matin : crise ? rupture ?
- "Le terme que vous avez utilisé dans votre présentation, de clarification politique..."
C'est le vôtre !
- "C'est le mien, oui."
C'est celui que vous avez utilisé dans un entretien au Monde il y a 48 heures.
- "Tout à fait. C'est celui que je répète pour ce qui est de la crise à la fédération des transports. Maintenant, je ne néglige pas non plus le débat qu'il y a avec la grande majorité, l'unanimité des militants adhérents de la CFDT, sur est-ce qu'on a bien fait de soutenir la réforme des retraites ? En fait, le grand débat est sur, comment faisons-nous fonctionner une démocratie avec 900 000 adhérents qui - vous le savez, c'est rentré dans nos gênes, le problème de la démocratie ; à une époque on parlait de l'autogestion par exemple, et là, c'est : comment faisons-nous pour que chaque adhérent s'émancipe et puisse participer aux décisions ? Donc ça c'est le débat de fond qu'on a à la CFDT."
Oui mais là, il y a quand même un grand changement. Le débat en effet, c'est dans l'histoire de la CFDT. Mais là, il y a plus qu'un débat, il y a une rupture. En 95, il y avait eu déjà un débat ouvert sur la question des retraites, mais ce n'était resté qu'un débat, là il y en a qui s'en vont.
- "On avait eu, effectivement, déjà ce débat en 95, et les mêmes militants qui, en 95, étaient en désaccord avec les orientations de la CFDT, qui étaient en désaccord déjà depuis 15 ans - donc maintenant ça fait un peu plus de 20 ans qu'ils sont en désaccord -, en 95, ils avaient organisé une CFDT-bis, qu'on avait appelée " Tous ensemble " à l'époque, et les militants de la CFDT avaient dit " non " à ce fonctionnement-là. Ils avaient été en échec sur cette démarche. Et maintenant, la suite logique à ce débat c'est qu'ils quittent la CFDT, je dis bien ces militants-là. Aujourd'hui, ils mettent en cohérence leurs pensées avec leurs actes, c'est-à-dire qu'ils quittent la CFDT parce qu'ils sont en désaccord sur le type de syndicalisme. Ils sont en désaccord sur trois points particulièrement : d'abord, nous prônons, nous la CFDT, un syndicalisme de dialogue, de concertation, pour arriver à des résultats ; eux ils sont sur un syndicalisme uniquement d'opposition et de contestation. Nous sommes pour un syndicalisme d'autonomie, d'indépendance vis-à-vis des politiques ; eux, ils nous reprochent d'avoir négocié avec un gouvernement de droite. Or, nous ne choisissons pas les gouvernements, ce n'est pas la CFDT qui les choisit, ce sont les Français, et on négocie en fonction des sujets avec les gouvernements que les Français ont choisis. Et ils ne sont pas pour un syndicalisme de résultats. Nous, nous sommes pour un syndicalisme pour amener des résultats, et là sur les retraites on amène des résultats, les 200 000 personnes qui vont partir à la retraite, qui ont commencé à travailler jeunes, c'est un résultat. Eux, ils sont en général pour un syndicalisme des mains vides. Voilà, on a des différences de conceptions, ces différences maintenant ils les mettent en acte en quittant la CFDT, je les respecte."
Mais alors, c'est intéressant et complexe, F. Chérèque, parce que beaucoup de ceux qui vous quittent vont partir en effet à la CGT, au moment où la CGT, on a un M. Thibault qui nous dit : la CGT devient un grand syndicat réformiste. Qu'est-ce qui se passe là ? Qui fait quoi et pourquoi et comment ?
- "Alors on a noté, effectivement, et on voit, là, la Fédération des transports - je ne suis pas un secrétaire général qui voit des gauchistes partout, comme Blanche-Neige voyait des nains partout - mais la Fédération des transports est dirigée par un militant, était dirigée jusqu'à hier par un des militants de la Ligue communiste, et on voit que la plupart des syndicats qui décident collectivement de partir sont dirigés par ces militants politiques. Je les respecte, mais ils ont choisi de quitter la CFDT pour aller ailleurs. Alors effectivement, au moment où B. Thibault souhaite ouvrir son syndicat à plus de négociations, plus de réformisme, c'est ceux qui s'y opposent dans la CFDT qui y vont. Eh bien, ils seront le frein à cette évolution de la CGT comme ils ont été depuis 20 ans le frein à cette évolution de la CFDT."
Mais est-ce que c'est un frein possible, à vos yeux, au dialogue social ? Puisque la question du dialogue social se pose comme jamais, il est question de le réformer, la question du réformisme vous la faites à votre façon, vous essayez de la faire avancer, de même que B. Thibault, on a l'impression que tout est en train de se figer là.
- "Le frein au dialogue social, il vient effectivement d'une partie des syndicats qui se durcie, la radicalisation comme on dit beaucoup dans le discours, mais il vient aussi des politiques et du patronat, qui refusent vraiment de rentrer dans une vraie réforme du dialogue social, c'est-à-dire une réforme du dialogue social qui donne la possibilité, d'une part aux salariés de choisir les syndicats qui négocient pour eux, et d'aller vers une démarche majoritaire. Là, on a un projet de loi du ministre M. Fillon, qui va dans ce sens, c'est-à-dire faisons en sorte que les syndicats négocient avant qu'on change la loi et faisons en sorte qu'on est de nouvelles règles. Mais je vois bien effectivement qu'il y a une opposition générale pratiquement à cette évolution-là. La CFDT et la CGT la soutiennent, c'est une bonne chose, mais il serait bien qu'on puisse la partager effectivement aussi dans le monde politique. Les politiques reprochent souvent aux syndicats de ne pas assez s'engager, mais on le voit bien là sur la dépendance, ils aiment bien aussi prendre des décisions tout seuls avant de leur demander leur avis."
Alors tenez ! entrons dans les travaux pratiques dialogue social. Un Premier ministre qui hier, seul, avec ses ministres derrière lui, présente un plan en faveur des personnes âgées et du handicap, on est dans quel espace là ?
- "Eh bien on est dans l'espace de la décision unilatérale, seul, sans concertation. Les confédérations n'ont été concertées nulle part sur ce plan là. Donc, on voit bien que dans le moment où le président de la République et le Premier ministre nous disent : on va faire en sorte qu'il y ait de la négociation avant de décider, là, on est dans l'inverse. Je crois que la culture française et ce qui fait notre difficulté c'est que les politiques ne veulent pas lâcher une partie de leur pouvoir. Or il me semble que s'ils veulent être crédibles sur les grands projets de société, sur l'intérêt général, ceux qui concernent l'intérêt du monde du travail, le dialogue entre les organisations syndicales et patronales, doivent rester dans ce domaine là. C'est une façon de réhabiliter, de redonner un peu plus de noblesse au politique et une façon aussi de donner du pouvoir aux syndicats. Je crois que la démocratie sociale doit aussi nourrir la démocratie politique, c'est notre problème. Et quand un syndicat, comme la CFDT, s'engage sur une réforme, eh bien on voit bien que globalement la démocratie sociale n'est toujours pas reconnue dans notre pays."
Mais est-ce que c'est le dialogue social par exemple qui nous aurait permis d'y voir plus clair sur une questiontenez, soyons très concrets, le cas du jour férié, ça fait une baisse du coût du travail de 0,46 %. Or la cotisation qu'on va demander aux employeurs c'est 0,3 %. La différence elle va où, et pour qui ?
- "La différence elle ira, selon les calculs, dans les entreprises. Mais là, vous avez raison de souligner. De quoi s'agit-il ? Il s'agit d'abord de faire un plan pour les personnes âgées, il est nécessaire. Mais sur le choix de la journée de travail, d'une part c'est une décision directe, mais quand même, on est dans une société qui évolue, qui change. Traditionnellement, notre système de protection sociale il reposait sur une génération pivot, qui travaillait pour d'une part financer l'éducation de leurs enfants et d'autre part financer la retraite de leurs parents, qui était réduite. On vient de demander à cette génération là de faire un effort supplémentaire parce que leurs parents vivent plus longtemps, c'est une bonne chose, donc on l'a fait, on l'a accepté, ce sujet à la CFDT aujourd'hui la réforme des retraites. Et maintenant, on a une quatrième génération qui est en train de se construire, celle des grands-parents, qui est en partie dépendante, et on demande par cette mesure, à la même génération, de financer tout, la quatrième génération. Alors qu'on sait très bien qu'il y a une génération nouvelle qui s'est créée et qui est importante, c'est celle des retraités, qui a aussi des revenus importants, on ne leur demande pas de participation. On ne demande pas de participation ni aux professions libérales, aux revenus des entrepreneurs, c'est-à-dire qu'on demande une nouvelle fois une participation aux mêmes, et sans concertation avec cette génération là. On ne va pas pouvoir continuer à faire évoluer la société en demandant toujours à la même génération de financer. Donc nous on avait proposé une CSG, qui a le mérite de faire financer tous les revenus, y compris ceux du capital et du patrimoine. Or le Gouvernement dit uniquement, au-delà de la revanche sur les 35 heures derrière ça - parce qu'on supprime... on a le débat sur la valeur du travail -, au-delà de cette revanche, on donne un signe où c'est toujours la même génération qui va payer."
Juste d'un mot, on voit bien les enjeux du dialogue social. Malgré les difficultés que vous connaissez, et donc peut-être même la crise, restez-vous ce matin un réformiste ? Et la CGT restera-t-elle sur cette ligne ou est-ce que vous allez vous calmer un peu pour ménager vos troupes ?
- "La CFDT restera réformiste bien évidemment. Et la critique que je porte au Gouvernement sur le problème du jour de retraite, c'est justement parce que nous voulons participer à la réforme, et cette réforme pour la dépendance nous voulons la faire avec eux, et nous voulons aussi y engager les moyens nécessaires. Quant à la CGT, nous avons des interrogations bien évidemment. Par exemple, des fois on a du mal à se comprendre, mais certainement faut-il dialoguer un peu plus. Sur la réforme des retraites, on a critiqué, nous, la CGT, on s'est mal compris. Ils ont appelé à une manifestation après les négociations, et ils l'ont fait avant, c'est-à-dire ils ont parié un petit peu sur l'échec de la négociation, c'était le débat sur manifestation le 13, négociations le 15, et puis cette fameuse manifestation du 25 qui était prévue avant. Là, sur la réforme des retraites complémentaires qui est en négociations, de la même façon on s'est mis d'accord sur un calendrier, avec tous les syndicats, pour finir à la mi-novembre, faire en sorte que les salariés qui ont commencé à travailler jeunes puissent partir à la retraite dès début janvier. Or la CGT, hier, nous interpelle en voulant organiser une manifestation début décembre. Donc, une nouvelle fois on tombe dans la même erreur : on est en train d'organiser une manifestation après la négociation, celle-ci n'est pas finie. C'est-à-dire qu'on est en train déjà de juger que cette négociation sera un échec. Donc vous voyez ! Nous, nous sommes dans cette démarche de réformisme, mais laissons la place au dialogue. On est dans un pays où, pour une fois, pouvons-nous régler un problème par le dialogue, avant de se cogner dessus ?"
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 novembre 2003)
" Au total, comme d'habitude, le débat interne nous renforcera "
Le Monde - Une majorité des cheminots s'apprête à quitter la CFDT, après d'autres départs. Quelle analyse faites-vous de la crise que traverse votre confédération ?
François Chérèque - Les départs, tous secteurs confondus, pourraient atteindre 6 à 8 000 adhérents, ce qui n'est pas négligeable mais peu comparé aux 900 000 syndiqués à la CFDT. Nous sommes face à deux situations. D'une part, nous connaissons des départs collectifs d'opposants de longue date à la ligne confédérale, qui n'ont jamais accepté notre évolution réformiste depuis les années 1980. Ceux-ci ont voulu organiser une CFDT bis par la création du courant Tous ensemble en 1995, à la suite du plan Juppé. Ils ont été mis en échec par les militants qui n'ont pas voulu de la création de cette tendance. Aujourd'hui, la direction de la fédération FGTE (transports, équipement), alors qu'elle avait annoncé un départ majoritaire de ses 55 000 adhérents, ne réussit à faire partir qu'une minorité de cheminots, environ 2500. C'est un deuxième échec.
D'autre part, des adhérents s'interrogent sur la meilleure manière de faire vivre la démocratie dans la CFDT. Je ne veux pas mélanger ceux qui ont fait le choix politique de la rupture avec ceux qui souhaitent un débat légitime dans la confédération.
Ne craignez-vous pas une baisse de l'activité de la CFDT dans certaines branches, comme dans la santé où votre syndicat a reculé lors des dernières élections professionnelles d'octobre 2003 ?
Par endroits, il nous faudra reconstruire des collectifs CFDT. On le fait en Haute-Loire, par exemple, où une équipe vient de se remettre en place. On sait que ces départs sont déjà compensés en partie par de nouvelles adhésions. Quant au recul électoral dans le secteur public de la santé, de l'ordre de 4 % selon nos chiffres provisoires, il recouvre à la fois des baisses et des progressions, ce qui rend difficile une explication par la seule réforme des retraites. Le retard dans l'application de la réforme dans les hôpitaux a peut-être joué. Celui-ci vient de l'incapacité du gouvernement à sortir les décrets d'application qui montreront effectivement les effets positifs de cette réforme pour les personnels hospitaliers, notamment l'intégration des primes pour le calcul de la retraite et la validation d'années supplémentaires pour les personnels soignants. Autre raison de ce recul, dans les régions oppositionnelles, comme Auvergne ou Provence-Alpes-Côte d'Azur, la CFDT était dénigrée par les responsables régionaux eux-mêmes, d'où une sanction évidente lors des élections professionnelles.
Vous avez annoncé lors du conseil national d'octobre une année de débats concernant la démocratie interne. N'est-ce pas un peu long pour rassurer votre base ?
Si on veut donner la possibilité au maximum de militants et d'adhérents de s'exprimer, il faut prendre un peu de temps. Il faut aller jusqu'aux militants d'entreprise et voir avec eux comment nous pouvons faire évoluer la participation des adhérents à notre vie collective.
N'est-ce pas reconnaître un fonctionnement défaillant de la CFDT ?
Le choc démocratique du 21 avril 2002 interroge d'abord les partis, mais aussi tous les syndicats. Ce qui m'étonne, c'est que la CFDT semble seule à se poser la question de la relation entre les adhérents et les dirigeants, tout en osant affronter les réalités en face, comme elle l'a fait pour les retraites avec l'harmonisation public/privé. Dans ces conditions, un débat à 900 000, c'est forcément difficile. Mais c'est notre démocratie.
Une opposition interne est-elle encore viable au sein de la CFDT ?
Ma volonté, c'est que la CFDT reste un syndicat où l'on puisse débattre et exprimer ses différences. À condition de respecter les décisions collectives et de les mettre en uvre ensemble. Certains dirigeants de la FGTE nous ont dit, lors du dernier conseil national, vouloir continuer leur engagement dans la CFDT et le débat dans la confédération. Et les responsables du SGEN-CFDT, bien qu'en désaccord avec notre décision sur les retraites, nous ont affirmé qu'il n'y avait pas d'avenir pour eux hors de la CFDT. Au total, la CFDT reste la CFDT, et le débat, comme d'habitude, nous renforcera.
Propos recueillis par Rémi Barroux.
(source http://www.cfdt.fr, le 6 novembre 2003)
FRANCE SOIR 6 novembre 2003
- La CFDT est-elle en crise ?
François Chérèque - Non. Il n'y a pas de crise à la CFDT. Il y a d'un côté une minorité de militants qui décident collectivement de quitter la CFDT. Ils le font à l'occasion de la réforme des retraites mais ils sont en désaccord avec toutes les orientations réformistes de la CFDT depuis une vingtaine d'années. C'est une clarification logique. Il y a de l'autre côté un débat, normal, avec la grande majorité des militants, pour faire évoluer la participation des adhérents aux décisions collectives.
Quelle est votre évaluation des départs de votre syndicat ?
Nous comptons entre 6 000 et 8 000 départs possibles sur 900 000 adhérents. Cette estimation sera affinée l'an prochain au moment du renouvellement des adhésions. Les opposants de longue date quittent la CFDT, mais les adhérents ne les suivent pas forcément ! Depuis quinze ans, la CFDT augmente son nombre d'adhérents. Nous avons presque doublé depuis 1988. Aura-t-on cette année plus de départs que d'arrivées ? Je ne suis pas en mesure de le dire.
Vous sentez-vous affaibli ?
À chaque fois que la CFDT a eu dans son histoire de vraies clarifications sur son orientation, elle s'est toujours renforcé. Ce sera encore le cas. Le débat interne est : comment faisons-nous vivre une démocratie participative avec 900 000 adhérents ? Comment créer des consensus sur des réformes aussi importantes que celle des retraites avec autant d'adhérents ? Ce débat est ouvert à la CFDT pendant un an, je ne vais pas aujourd'hui le clore par des décisions personnelles.
En 2002, vous annonciez l'objectif d'1,2 million d'adhérents en 2007 ?
Cet objectif est maintenu. Un bilan est prévu à la fin d'année et nous verrons à ce moment-là les moyens supplémentaires à mobiliser pour l'atteindre. Nous développerons la CFDT auprès des salariés et dans les entreprises où il n'y a pas de présence syndicale. Que ce soit dans le privé ou bien dans la fonction publique d'État, où nous sommes moins présents. Cette progression se poursuit depuis quinze ans. Il n'est pas question de relâcher nos efforts. Les salariés ont besoin de nous.
Avez-vous des regrets sur la réforme des retraites ?
Nous pouvons toujours nous demander si nous avons été trop vite et s'il fallait demander un ou deux jours de réflexion avant de reprendre les négociations. Ca fait partie de notre débat. Il reste l'essentiel : cette réforme profitera d'abord aux plus modestes. 200 000 salariés partiront avant 60 ans dès 2004 et les salariés au SMIC vont voir leur retraite augmenter.
N'allez-vous pas être tenté de durcir le ton face au gouvernement ?
On le fera si c'est nécessaire. On a des objectifs ambitieux sur la sécurité sociale, et nous les défendrons. S'il faut durcir le ton, par exemple sur la suppression du jour férié, à laquelle nous sommes franchement opposés, nous le ferons comme nous l'avons toujours fait.
(source http://www.cfdt.fr, le 6 novembre 2003)
20 MINUTES 7 novembre 2003
20 minutes - Hier, les cheminots CFDT ont voté à 50,16 % pour leur départ du syndicat, vous reprochant d'avoir approuvé la réforme des retraites. Comment analysez-vous ce vote ?
François Chérèque : Les dirigeants de la fédération Transports qui ont décidé de partir sont en échec. Ils annonçaient le départ de la majorité de leurs adhérents. Or les routiers, les salariés de l'aérien, des transports urbains et de l'équipement ont choisi de rester, et la moitié des cheminots aussi. Ces mêmes dirigeants sont en désaccord depuis vingt ans avec la démarche de la confédération : un syndicalisme de négociation plus que de contestation, indépendant des partis politiques, avec des résultats concrets pour les salariés. Pour les retraites, nous avons ainsi obtenu que 200 000 personnes ayant commencé à travailler jeunes partent avant 60 ans, dès 2004. Et une augmentation des pensions pour les bas salaires.
Mais cette crise ne se limite pas à votre fédération Transports....
Il n'est pas question de nier le débat à la CFDT. Nous devons faire vivre une démocratie de 900 000 adhérents. Chez les cheminots ou en Auvergne, la CFDT sera temporairement affaiblie, mais de nouvelles équipes prennent déjà la relève, je suis confiant.
Comment ? Allez-vous vous revoir votre stratégie et vos revendications en conséquence ?
Nous n'allons pas remettre en cause les choix de la majorité des adhérents. A chaque fois, nous jugeons sur pièces ce que proposent nos interlocuteurs, à partir de nos propres revendications.
Justement, comment vous positionnez-vous face au plan annoncé hier par Jean-Pierre Raffarin ?
Autant nous sommes d'accord sur la nécessité d'un plan pour aider les personnes âgées, autant nous sommes en total désaccord sur son financement.
Pourquoi ?
D'abord, parce que le gouvernement prend une revanche sur la réduction du temps de travail. Il veut faire peser sur les salariés, et essentiellement sur eux, le financement du plan. Les professions libérales, les retraités et les revenus du patrimoine sont exonérés. On veut culpabiliser les salariés.
Quelle alternative auriez-vous souhaité ?
La solidarité c'est l'affaire de tous. Le plan aurait dû être financé par tous les revenus, avec une CSG à 0,2 %. Cela aurait apporté davantage. Il a décidé avant d'avoir écouté les syndicats. Il ne devra pas compter sur la CFDT lors de la renégociation des conventions collectives. Il y aura un blocage de la CFDT.
L'année 2004 s'annoncerait donc tendue ?
Elle le sera si le gouvernement ne nous écoute pas.
Propos recueillis par François Krug.
(source http://www.cfdt.fr, le 7 novembre 2003)
France Inter 7 novembre 2003
S. Paoli - Quelle est la réalité de la crise à la CFDT ? Une faible majorité de cheminots CFDT de l'Union Fédérale a voté hier en faveur d'une désaffiliation de la Confédération. Mais cette rupture au sein du pôle Transports se verra-t-elle aggravée d'autres départs annoncés d'ici au printemps prochain ? La direction de la CFDT évoque entre 6 et 8000 départs, les opposants parlant de 50 000 à 70 000 défections. Ne s'agit-il que d'une clarification politique entre réformistes et conservateurs, ou d'un malaise plus profond, et quelles en seraient les conséquences sur le dialogue social et sur les enjeux du réformisme ?
Invité de " Question Directe ", F. Chérèque, secrétaire général de la CFDT, bonjour..
- "Bonjour."
Quel est le terme que vous utilisez ce matin : crise ? rupture ?
- "Le terme que vous avez utilisé dans votre présentation, de clarification politique..."
C'est le vôtre !
- "C'est le mien, oui."
C'est celui que vous avez utilisé dans un entretien au Monde il y a 48 heures.
- "Tout à fait. C'est celui que je répète pour ce qui est de la crise à la fédération des transports. Maintenant, je ne néglige pas non plus le débat qu'il y a avec la grande majorité, l'unanimité des militants adhérents de la CFDT, sur est-ce qu'on a bien fait de soutenir la réforme des retraites ? En fait, le grand débat est sur, comment faisons-nous fonctionner une démocratie avec 900 000 adhérents qui - vous le savez, c'est rentré dans nos gênes, le problème de la démocratie ; à une époque on parlait de l'autogestion par exemple, et là, c'est : comment faisons-nous pour que chaque adhérent s'émancipe et puisse participer aux décisions ? Donc ça c'est le débat de fond qu'on a à la CFDT."
Oui mais là, il y a quand même un grand changement. Le débat en effet, c'est dans l'histoire de la CFDT. Mais là, il y a plus qu'un débat, il y a une rupture. En 95, il y avait eu déjà un débat ouvert sur la question des retraites, mais ce n'était resté qu'un débat, là il y en a qui s'en vont.
- "On avait eu, effectivement, déjà ce débat en 95, et les mêmes militants qui, en 95, étaient en désaccord avec les orientations de la CFDT, qui étaient en désaccord déjà depuis 15 ans - donc maintenant ça fait un peu plus de 20 ans qu'ils sont en désaccord -, en 95, ils avaient organisé une CFDT-bis, qu'on avait appelée " Tous ensemble " à l'époque, et les militants de la CFDT avaient dit " non " à ce fonctionnement-là. Ils avaient été en échec sur cette démarche. Et maintenant, la suite logique à ce débat c'est qu'ils quittent la CFDT, je dis bien ces militants-là. Aujourd'hui, ils mettent en cohérence leurs pensées avec leurs actes, c'est-à-dire qu'ils quittent la CFDT parce qu'ils sont en désaccord sur le type de syndicalisme. Ils sont en désaccord sur trois points particulièrement : d'abord, nous prônons, nous la CFDT, un syndicalisme de dialogue, de concertation, pour arriver à des résultats ; eux ils sont sur un syndicalisme uniquement d'opposition et de contestation. Nous sommes pour un syndicalisme d'autonomie, d'indépendance vis-à-vis des politiques ; eux, ils nous reprochent d'avoir négocié avec un gouvernement de droite. Or, nous ne choisissons pas les gouvernements, ce n'est pas la CFDT qui les choisit, ce sont les Français, et on négocie en fonction des sujets avec les gouvernements que les Français ont choisis. Et ils ne sont pas pour un syndicalisme de résultats. Nous, nous sommes pour un syndicalisme pour amener des résultats, et là sur les retraites on amène des résultats, les 200 000 personnes qui vont partir à la retraite, qui ont commencé à travailler jeunes, c'est un résultat. Eux, ils sont en général pour un syndicalisme des mains vides. Voilà, on a des différences de conceptions, ces différences maintenant ils les mettent en acte en quittant la CFDT, je les respecte."
Mais alors, c'est intéressant et complexe, F. Chérèque, parce que beaucoup de ceux qui vous quittent vont partir en effet à la CGT, au moment où la CGT, on a un M. Thibault qui nous dit : la CGT devient un grand syndicat réformiste. Qu'est-ce qui se passe là ? Qui fait quoi et pourquoi et comment ?
- "Alors on a noté, effectivement, et on voit, là, la Fédération des transports - je ne suis pas un secrétaire général qui voit des gauchistes partout, comme Blanche-Neige voyait des nains partout - mais la Fédération des transports est dirigée par un militant, était dirigée jusqu'à hier par un des militants de la Ligue communiste, et on voit que la plupart des syndicats qui décident collectivement de partir sont dirigés par ces militants politiques. Je les respecte, mais ils ont choisi de quitter la CFDT pour aller ailleurs. Alors effectivement, au moment où B. Thibault souhaite ouvrir son syndicat à plus de négociations, plus de réformisme, c'est ceux qui s'y opposent dans la CFDT qui y vont. Eh bien, ils seront le frein à cette évolution de la CGT comme ils ont été depuis 20 ans le frein à cette évolution de la CFDT."
Mais est-ce que c'est un frein possible, à vos yeux, au dialogue social ? Puisque la question du dialogue social se pose comme jamais, il est question de le réformer, la question du réformisme vous la faites à votre façon, vous essayez de la faire avancer, de même que B. Thibault, on a l'impression que tout est en train de se figer là.
- "Le frein au dialogue social, il vient effectivement d'une partie des syndicats qui se durcie, la radicalisation comme on dit beaucoup dans le discours, mais il vient aussi des politiques et du patronat, qui refusent vraiment de rentrer dans une vraie réforme du dialogue social, c'est-à-dire une réforme du dialogue social qui donne la possibilité, d'une part aux salariés de choisir les syndicats qui négocient pour eux, et d'aller vers une démarche majoritaire. Là, on a un projet de loi du ministre M. Fillon, qui va dans ce sens, c'est-à-dire faisons en sorte que les syndicats négocient avant qu'on change la loi et faisons en sorte qu'on est de nouvelles règles. Mais je vois bien effectivement qu'il y a une opposition générale pratiquement à cette évolution-là. La CFDT et la CGT la soutiennent, c'est une bonne chose, mais il serait bien qu'on puisse la partager effectivement aussi dans le monde politique. Les politiques reprochent souvent aux syndicats de ne pas assez s'engager, mais on le voit bien là sur la dépendance, ils aiment bien aussi prendre des décisions tout seuls avant de leur demander leur avis."
Alors tenez ! entrons dans les travaux pratiques dialogue social. Un Premier ministre qui hier, seul, avec ses ministres derrière lui, présente un plan en faveur des personnes âgées et du handicap, on est dans quel espace là ?
- "Eh bien on est dans l'espace de la décision unilatérale, seul, sans concertation. Les confédérations n'ont été concertées nulle part sur ce plan là. Donc, on voit bien que dans le moment où le président de la République et le Premier ministre nous disent : on va faire en sorte qu'il y ait de la négociation avant de décider, là, on est dans l'inverse. Je crois que la culture française et ce qui fait notre difficulté c'est que les politiques ne veulent pas lâcher une partie de leur pouvoir. Or il me semble que s'ils veulent être crédibles sur les grands projets de société, sur l'intérêt général, ceux qui concernent l'intérêt du monde du travail, le dialogue entre les organisations syndicales et patronales, doivent rester dans ce domaine là. C'est une façon de réhabiliter, de redonner un peu plus de noblesse au politique et une façon aussi de donner du pouvoir aux syndicats. Je crois que la démocratie sociale doit aussi nourrir la démocratie politique, c'est notre problème. Et quand un syndicat, comme la CFDT, s'engage sur une réforme, eh bien on voit bien que globalement la démocratie sociale n'est toujours pas reconnue dans notre pays."
Mais est-ce que c'est le dialogue social par exemple qui nous aurait permis d'y voir plus clair sur une questiontenez, soyons très concrets, le cas du jour férié, ça fait une baisse du coût du travail de 0,46 %. Or la cotisation qu'on va demander aux employeurs c'est 0,3 %. La différence elle va où, et pour qui ?
- "La différence elle ira, selon les calculs, dans les entreprises. Mais là, vous avez raison de souligner. De quoi s'agit-il ? Il s'agit d'abord de faire un plan pour les personnes âgées, il est nécessaire. Mais sur le choix de la journée de travail, d'une part c'est une décision directe, mais quand même, on est dans une société qui évolue, qui change. Traditionnellement, notre système de protection sociale il reposait sur une génération pivot, qui travaillait pour d'une part financer l'éducation de leurs enfants et d'autre part financer la retraite de leurs parents, qui était réduite. On vient de demander à cette génération là de faire un effort supplémentaire parce que leurs parents vivent plus longtemps, c'est une bonne chose, donc on l'a fait, on l'a accepté, ce sujet à la CFDT aujourd'hui la réforme des retraites. Et maintenant, on a une quatrième génération qui est en train de se construire, celle des grands-parents, qui est en partie dépendante, et on demande par cette mesure, à la même génération, de financer tout, la quatrième génération. Alors qu'on sait très bien qu'il y a une génération nouvelle qui s'est créée et qui est importante, c'est celle des retraités, qui a aussi des revenus importants, on ne leur demande pas de participation. On ne demande pas de participation ni aux professions libérales, aux revenus des entrepreneurs, c'est-à-dire qu'on demande une nouvelle fois une participation aux mêmes, et sans concertation avec cette génération là. On ne va pas pouvoir continuer à faire évoluer la société en demandant toujours à la même génération de financer. Donc nous on avait proposé une CSG, qui a le mérite de faire financer tous les revenus, y compris ceux du capital et du patrimoine. Or le Gouvernement dit uniquement, au-delà de la revanche sur les 35 heures derrière ça - parce qu'on supprime... on a le débat sur la valeur du travail -, au-delà de cette revanche, on donne un signe où c'est toujours la même génération qui va payer."
Juste d'un mot, on voit bien les enjeux du dialogue social. Malgré les difficultés que vous connaissez, et donc peut-être même la crise, restez-vous ce matin un réformiste ? Et la CGT restera-t-elle sur cette ligne ou est-ce que vous allez vous calmer un peu pour ménager vos troupes ?
- "La CFDT restera réformiste bien évidemment. Et la critique que je porte au Gouvernement sur le problème du jour de retraite, c'est justement parce que nous voulons participer à la réforme, et cette réforme pour la dépendance nous voulons la faire avec eux, et nous voulons aussi y engager les moyens nécessaires. Quant à la CGT, nous avons des interrogations bien évidemment. Par exemple, des fois on a du mal à se comprendre, mais certainement faut-il dialoguer un peu plus. Sur la réforme des retraites, on a critiqué, nous, la CGT, on s'est mal compris. Ils ont appelé à une manifestation après les négociations, et ils l'ont fait avant, c'est-à-dire ils ont parié un petit peu sur l'échec de la négociation, c'était le débat sur manifestation le 13, négociations le 15, et puis cette fameuse manifestation du 25 qui était prévue avant. Là, sur la réforme des retraites complémentaires qui est en négociations, de la même façon on s'est mis d'accord sur un calendrier, avec tous les syndicats, pour finir à la mi-novembre, faire en sorte que les salariés qui ont commencé à travailler jeunes puissent partir à la retraite dès début janvier. Or la CGT, hier, nous interpelle en voulant organiser une manifestation début décembre. Donc, une nouvelle fois on tombe dans la même erreur : on est en train d'organiser une manifestation après la négociation, celle-ci n'est pas finie. C'est-à-dire qu'on est en train déjà de juger que cette négociation sera un échec. Donc vous voyez ! Nous, nous sommes dans cette démarche de réformisme, mais laissons la place au dialogue. On est dans un pays où, pour une fois, pouvons-nous régler un problème par le dialogue, avant de se cogner dessus ?"
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 novembre 2003)