Déclaration de Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, sur la politique sociale au sein de l'Union européenne et l'avenir des retraites, Varèse le 11 juillet 2003.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion informelle des ministres de l'emploi et des affaires sociales de l'Union européenne à Varèse le 11 juillet 2003

Texte intégral

Monsieur le Président,
Madame la Commissaire,
Mes chers collègues,
Comme les orateurs qui m'ont précédée, je voudrais, tout d'abord, M. le Président, vous remercier de la qualité et de la chaleur de l'accueil que vous nous avez réservé et vous féliciter pour l'intérêt du débat auquel vous nous invitez aujourd'hui.
Depuis plusieurs années, nos échanges portent régulièrement autour de la stratégie de Lisbonne :
Comment parvenir, dans une Europe élargie, à atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés ? Comment réussir un bon équilibre entre l'économique et le social, dans un contexte marqué par la mondialisation de l'économie, le vieillissement démographique et alors que la croissance n'est pas au rendez-vous, que l'écart se creuse avec les Etats-Unis, que la compétitivité européenne marque le pas, que la gestion des changements sociaux se heurte à des résistances, comme le démontre, par exemple, le débat dans nos différents pays sur l'avenir des retraites...?
Face à ces défis, nous ne pouvons qu'accueillir favorablement l'initiative de la Présidence en faveur d'une action européenne pour la croissance.
[Les trois questions : Les Etats membres sont-ils d'accord sur la nécessité d'établir une sorte de feuille de route du Bien-être dont l'objectif serait de lier les mesures dans le domaine des politiques sociales avec le développement des politiques d'emploi ?
En particulier :
Première question :
a)Quelles actions devraient développer ensemble l'Union européenne et le Conseil Emploi et Affaires sociales pour assurer une interaction dynamique entre l'économie, l'emploi et la politique sociale ?]
Comme la délégation française l'a indiqué lors du Conseil informel de Nauplie en janvier dernier, nous sommes, en France, favorables à toute proposition visant à mieux asseoir la politique sociale au sein de la stratégie de Lisbonne.
Le renforcement de la coordination dans le domaine de la protection sociale répond à une nécessité politique et doit permettre de donner aux citoyens européens plus de visibilité sur les objectifs poursuivis, assurer la viabilité financière de nos systèmes, créer les conditions d'acceptation sociale du changement.
Nous partageons donc entièrement les objectifs poursuivis par la Commission dans sa Communication qui visent à :
- rechercher une meilleure lisibilité d'ensemble des travaux d'inclusion et de protection sociale
- assurer une bonne synchronisation avec le nouveau rythme triennal des Grandes Orientations de Politique Economique et des Lignes Directrices pour l'Emploi.
- améliorer la coordination avec les autres processus,
et, ainsi,
- traiter la protection sociale à égalité avec l'économie et l'emploi.
Si la France est d'accord sur l'objectif, elle est en revanche réservée sur la mise en oeuvre proposée pour les travaux en cours :
Ainsi s'agissant de l'inclusion, nous sommes très soucieux de ne pas affaiblir la dynamique engagée avec la première génération de plans nationaux pour l'inclusion et nous souhaitons que cette démarche conserve son identité, sa spécificité, sa cohérence. Nous rejoignons d'ailleurs l'avis émis par le Réseau européen des associations de lutte contre la pauvreté (EAPN).
C'est pourquoi nous souhaitons que le nouveau calendrier triennal proposé vienne renforcer la dynamique actuelle de la méthode ouverte de coordination (MOC) et respecte ses outils actuels " plans nationaux, objectifs quantifiés, indicateurs ".
Il s'agit là, je le répète, d'une question extrêmement sensible pour les citoyens européens.
En ce qui concerne les pensions, je préciserai nos attentes dans le cadre de la 3ème question. A ce stade, je souhaite souligner que cette question doit impérativement être abordée globalement, dans sa double dimension sociale et financière, et je me réjouis de savoir que l'étape de 2006, qui actualisera la MOC retraite et intègrera les rapports des nouveaux Etats, sera menée conjointement avec la sphère finances.
Il est en effet indispensable que les travaux se poursuivent sur cette base pour apporter tant au Conseil européen, qu'à nos concitoyens une vision équilibrée qui ne perde pas de vue la finalité essentielle des régimes de retraite.
D'une manière générale, la France est très attachée à ce que la méthode ouverte de coordination (MOC) conserve une substance et une qualité suffisantes pour remplir sa double mission : adresser des messages forts au Conseil européen et permettre aux Etats d'apprendre les uns des autres.
La MOC contribue également à définir le modèle social européen, ce qui est particulièrement important dans le contexte de l'élargissement. Tout ceci requiert du sens et du contenu et donc un nombre suffisant d'objectifs et d'indicateurs pour couvrir la diversité des situations et des systèmes nationaux.
Pour résumer, je dirais que la France souhaite que les travaux sur la rationalisation de la protection sociale préservent les acquis essentiels des deux processus " inclusion " et " retraites ".
Quant au défi que représente l'avenir des systèmes de soins de santé et de soins longue durée, il mérite également des travaux approfondis. Mais là, nous sommes d'accord avec la Commission pour considérer qu'il faut attendre la conclusion des travaux en cours, à la Convention et au Groupe des ministres de la santé, pour déterminer l'action qui pourra relever du domaine de la protection sociale.
Je voudrais ajouter que, de manière générale, des efforts peuvent certainement être faits pour améliorer l'interaction entre les trois sphères.
Je viens de souligner la nécessité de poursuivre un travail conjoint avec la sphère finances sur la question des pensions. Il y a sans doute aussi beaucoup à faire pour mieux lier la politique de l'emploi et les politiques d'inclusion et de protection sociale, qu'il s'agisse de rendre le travail plus attractif ou d'encourager le vieillissement actif.
Seconde question
[b) quelle stratégie et politique intégrée considérez vous comme appropriée pour promouvoir l'emploi régulier et combattre l'emploi non déclaré ? ]
J'en viendrai maintenant à la lutte contre le travail illégal. Bien sûr, la France y est pleinement favorable.
La lutte contre le travail illégal, en effet, est au confluent des politiques sociales et des politiques d'emploi :
le travail illégal constitue un facteur d'exclusion; il perturbe le marché du travail tout en étant le révélateur de certains de ces dysfonctionnements; il affaiblit les budgets sociaux; il introduit des distorsions de concurrence inacceptables.
La lutte contre le travail illégal s'inscrit dans un objectif plus large de développement de l'emploi.
Je voudrais, ici, apporter une précision qui n'est pas simplement sémantique :
Du point de vue français il convient de ne pas réduire la démarche à la seule question du travail non déclaré. Il faut couvrir l'ensemble des formes illicites de relation d'emploi.
Il est donc préférable de parler de travail illégal ou de travail mal déclaré plutôt que de travail non déclaré. On constate d'ailleurs en France une diminution relative de la dissimulation pure et simple de travail, au profit de pratiques plus subtiles de déqualification de la relation d'emploi, notamment dans un cadre transnational.
Ces dérives appellent des réponses énergiques au niveau national et au niveau européen.
L'expérience que nous avons en France avec la création en 1997 d'une structure unique, la Délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal, nous conduit à penser, comme nous le suggère la Présidence, que seule une action conjuguant prévention et répression peut porter ses fruits.
La prévention passe par une amélioration de la connaissance, quantitative et qualitative, du phénomène et de ses causes. Ainsi que le reconnaissent le document de Présidence et la contribution d'Eurostat, les outils de connaissance et d'évaluation du travail mal déclaré sont insuffisants. Il conviendrait donc de les construire à partir de concepts communs en privilégiant une approche sectorielle et territoriale.
Il faut aussi favoriser les simplifications administratives. Ainsi, la France a-t-elle simplifié les modalités de déclarations et de paiement auprès de certains publics : les emplois domestiques, les employeurs de salariés occasionnels, les très petites entreprises.
L'exemple de la mise en place du chèque service a constitué une avancée importante en France.
Le chèque service est un dispositif simplifié de déclaration et de paiement, pour les particuliers employeurs, assorti d'incitations fiscales sous la forme d'un abattement de l'assiette de l'impôt sur le revenu et d'incitations sociales sous la forme d'allègements de cotisations sociales.
Ce dispositif connaît un succès important et a permis, depuis 1995, de transformer de nombreux emplois non-déclarés en emplois légaux. Cet exemple me tient à coeur, puisqu'il s'agit bien souvent d'emplois occupés par des femmes (aides à domicile, assistantes maternelles...)
Nous avons également allégé très significativement les cotisations patronales pour l'emploi des salariés les moins rémunérés.
S'agissant des sanctions, il est important d'améliorer la formation des services de contrôle, renforcer l'implication des partenaires sociaux et consolider la coopération administrative européenne pour améliorer le contrôle et la sanction de la fraude transnationale.
Celle-ci tend, en effet, à se développer introduisant ainsi, de manière très significative, des distorsions de concurrence difficilement acceptables. Et cette tendance va certainement s'accroître dans le contexte de l'élargissement.
Ceci appelle donc une action au niveau européen. Au-delà de la connaissance statistique déjà évoquée, il faut favoriser un rapprochement des concepts concernant les catégories juridiques reconnues comme licites, et améliorer la coopération européenne en matière de contrôle de l'emploi transfrontalier.
A cet égard la France a conclu avec certains de ces partenaires européens des accords bilatéraux de coopération.
C'est le cas de l'Allemagne et de la Belgique.
Des négociations sont en cours avec l'Italie, l'Espagne, la Pologne, la Tchéquie.
Ces accords visent à lutter ensemble contre le travail non ou mal déclaré, et à mettre en oeuvre la recommandation du Conseil du 27 septembre 1996 sur la lutte contre le travail illégal ainsi que la résolution du Conseil du 22 avril 1999 relative à l'instauration d'un code de bonne conduite.
L'emploi non déclaré doit être apprécié au niveau européen dans toutes ses modalités.
Les différentes pratiques, permettant le développement de l'emploi non déclaré, doivent être identifiées. Je pense ici tout particulièrement aux pratiques de non-déclaration des revenus tirés d'une activité sur le territoire d'un Etat-membre, ainsi qu'au détournement des procédures de détachement du travailleur pour exercer une activité dans un autre Etat-membre, ou encore l'organisation d'établissements fictifs au sein de l'espace européen.
Pour parvenir à une plus grande coordination des politiques, la France souhaite que deux actions soient menées au niveau européen :
D'une part, il convient de renforcer des instruments et le champ de la coopération entre les différentes administrations nationales pour garantir un contrôle et un recouvrement plus efficaces des cotisations et impôts.
Dans ce cadre, la mise en place de bases d'information communes sur les travailleurs en activité dans un autre Etat-membre serait souhaitable. Ce renforcement devrait s'accompagner d'une attitude positive des Etats-membres. Dans ce domaine l'approche sectorielle et territoriale devrait être privilégiée
D'autre part, il faut mesurer pleinement l'impact des politiques de libre circulation et d'ouverture des frontières sur le développement du travail non déclaré. La coordination entre les législations de sécurité sociale ou de l'emploi doit être approfondie, l'essor de véritables zones franches sociales dans certains états membres devrait être combattu.
Troisième question
[c) Etant donné le défi européen du vieillissement et la diversité des systèmes sociaux, comment la MOC peut être utilisée pour établir des orientations et des indicateurs communs pour moderniser les systèmes de pension européens ?]
J'en viens maintenant à votre troisième question, M. le Président.
La France tient à réaffirmer combien elle partage le souci de la Présidence italienne, d'assurer la viabilité de nos régimes de retraites en s'attachant tout particulièrement à promouvoir le vieillissement actif.
A cet égard, en France, nous avons entrepris une grande réforme de notre système de retraites qui est actuellement en cours d'examen devant le Sénat.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle M. François Fillon n'a pu être parmi nous aujourd'hui et m'a demandé de le représenter.
Cette réforme, la plus importante depuis 1945, vise à préserver notre modèle social en matière de retraites sur la base de quatre grandes orientations :
- assurer un haut niveau de retraite par l'allongement de la durée de l'activité professionnelle,
- préserver l'équité et l'esprit de justice sociale dans nos régimes,
- permettre à chacun de construire sa retraite, en donnant davantage de souplesse et de liberté de choix,
- garantir le financement des retraites d'ici 2020. Cette réforme constitue une première étape, majeure, pour franchir l'obstacle de plus long terme que représente l'échéance de 2040.
Ce vaste chantier, qui concerne les différents piliers des retraites des salariés du secteur privé, des fonctionnaires et des travailleurs indépendants, comprend de nombreuses mesures pour renforcer l'équité entre les différents régimes, pour maintenir un bon niveau de retraite, notamment à travers la garantie d'une retraite minimale de 85 % du salaire minimum.
Je me bornerai ici à souligner celles qui portent sur l'âge de la retraite et l'amélioration de l'emploi aux âges élevés :
-Une convergence vers 40 années d'assurance est prévue pour 2008 ; ensuite un dispositif ajustera cette durée d'assurance pour maintenir, d'ici 2020, le rapport observé d'aujourd'hui entre durée d'assurance et espérance de vie à la retraite. Ce qui devrait donner, d'après les prévisions actuelles, 41 ans de durée d'assurance en 2012 et près de 42 ans en 2020.
- Il est prévu également une action déterminée en faveur des travailleurs de plus de 55 ans :
suppression des préretraites qui ne sont pas liées à des travaux pénibles ou à des plans sociaux,
refonte des règles de retraite progressive, assouplissement des règles de cumul de l'emploi et de la retraite,
report à l'âge de 65 ans de la possibilité de mise à la retraite sur décision de l'employeur, et majorations de pensions pour les années de travail allant au-delà de la durée d'assurance requise.
Enfin, tout un volet de mesures est destiné à organiser une véritable mobilisation nationale pour augmenter l'emploi aux âges élevés dans les entreprises : la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, la situation des travailleurs de plus de 50 ans, les travaux pénibles et la cessation d'activité deviennent des thèmes obligatoires de négociation dans les entreprises; une négociation interprofessionnelle demandée sur la pénibilité du travail, la création d'une conférence tripartite entre l'Etat et les Partenaires sociaux, un calendrier de suivi et d'évaluation par le Parlement...
L'ensemble de ces mesures, très novatrices, va constituer une véritable rupture dans notre culture, en France, à l'égard de l'âge de la retraite.
Que pouvons nous faire au niveau européen pour contribuer à relever ce défi du vieillissement actif, particulièrement dans notre MOC sur les retraites ?
- En premier lieu, tout faire pour tirer le meilleur parti de nos difficultés et de nos expériences respectives pour apprendre les uns des autres.
Ainsi sommes-nous très demandeurs d'échanges de bonnes pratiques sur tout ce qui peut contribuer à augmenter le taux d'emploi des travailleurs âgés et à prolonger la vie active.
- En second lieu, il faut travailler ensemble à améliorer les statistiques d'EUROSTAT, dont on a mesuré l'utilité mais aussi les imperfections actuelles lors de l'élaboration du rapport conjoint sur les pensions.
- Il faut aussi accélérer l'élaboration d'indicateurs communs, particulièrement dans le domaine de notre responsabilité, celui de la réalisation des objectifs sociaux des pensions.
Je sais que c'est méthodologiquement complexe, mais il est politiquement essentiel que la dimension " sociale " des régimes puisse être également appréciée, c'est à dire que l'on soit en mesure d'évaluer correctement les taux de remplacement offerts par les régimes, tant actuellement qu'à terme, de manière prospective, comme on le fait pour les projections de dépenses publiques.
- Enfin, il me paraît également essentiel de favoriser le dialogue, sur ces importantes questions de vieillissement actif et de viabilité des régimes de retraites, avec les partenaires sociaux au niveau européen.
Je vous remercie, Monsieur le président.
(Source http://www.social.gouv.fr, le 18 septembre 2003)