Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, au "Quotidien du médecin" le 15 mars 2004, sur la désaffection des médécins libéraux pour le système conventionnel et sur les attentes de FO concernant la réforme de l'assurance maladie.

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Le Quotidien du Médecin .- Dans la déclaration commune que vous avez faite avec la Csmf ("le Quotidien" du 5 mars), vous soulignez la nécessité de "rebâtir un système conventionnel". Or de nombreux médecins libéraux de secteur I, en particulier les spécialistes, perçoivent aujourd'hui le système conventionnel comme un carcan du fait du blocage de leurs tarifs pendant plusieurs années. Comment renouer avec eux ?
Jean-Claude Mailly .-Il faut partir de plusieurs éléments.
Le premier, c'est que, d'une certaine manière, il n'y a plus de politique conventionnelle. Je rappelle qu'en 1995 nous avions dénoncé le plan Juppé, notamment parce qu'il allait conduire à une étatisation de la Sécurité sociale. On sait très bien que ce plan avait été fait à l'époque pour des raisons ni sociales ni médicales, mais économiques, afin de se préparer à la mise en place de l'euro et aux contraintes européennes. Dans les faits, on considère que notre analyse était bonne, au sens où, du point de vue des relations avec les professions de santé libérales, on a assisté depuis 1995-1996 à une politique conventionnelle au rabais qui n'a pas réellement fonctionné. Chaque fois qu'un problème a surgi, les discussions se sont déroulées essentiellement, non pas avec la Caisse nationale d'assurance-maladie et les autres régimes obligatoires, mais avec les pouvoirs publics, quels qu'ils soient. D'où une forme d'étatisation.
L'égalité d'accès aux soins, quelle que soit la situation financière, est l'un des plus grands acquis, non seulement sociaux, mais républicains.
Nous, nous continuons à considérer que si l'on veut effectivement une politique conventionnelle active et dynamique entre les caisses obligatoires - dont le régime général - et les professions de santé, cela suppose des discussions à deux, sans que l'Etat intervienne comme troisième interlocuteur.
Deuxième élément: si l'on veut tordre le cou à la maîtrise comptable des dépenses, il faut entrer dans une logique de maîtrise médicalisée. Elle avait été amorcée en 1993 [convention instituant des références médicales opposables ou RMO, lorsque FO détenait la présidence de la Cnam, Ndlr] avant d'être remise en cause après le plan Juppé. Il faut revenir sur des bases de relations saines. Si l'on veut réguler de manière intelligente les dépenses d'assurance-maladie, dans une lecture médicale des choses, cela ne peut se faire que dans le cadre d'une convention unique au niveau national, qui aurait éventuellement des avenants pour les spécialités et serait déclinée au niveau local.
Notre souci, c'est de retrouver une politique conventionnelle active et dynamique, signifiant la restauration de la confiance entre médecins et assurance-maladie.
Le Quotidien du Médecin.- S'il est possible de restaurer la confiance, avec quels moyens peut-on aujourd'hui garantir aux médecins libéraux une rémunération de leurs actes médicaux "à leur juste valeur avec toutes les garanties de qualité", comme vous l'avez écrit avec la Csmf ?
Jean-Claude Mailly.- Cela fait partie des sujets de discussion que les caisses de Sécurité sociale devraient avoir avec les médecins. La valeur de l'acte - y compris la notion d'investissement pour les actes techniques - et la maîtrise médicalisée forment un ensemble. La politique conventionnelle doit aussi aborder les questions de démographie médicale. Tout doit être sur la table et on en discute.
Une politique conventionnelle active et dynamique entre les caisses et les professions de santé, supposée une discussion à deux, sans que l'Etat intervienne.
Le Quotidien du Médecin.- En matière de démographie, les médecins libéraux s'inquiètent justement aujourd'hui des menaces qui pèsent sur la liberté d'installation. La question se pose-t-elle pour vous, dès lors que vous défendez "l'égalité d'accès aux soins" ?
Jean-Claude Mailly.- En tout cas, les insuffisances de présence médicale dans certaines zones - rurales mais pas obligatoirement - font partie des discussions que l'on doit avoir dans le cadre conventionnel pour faciliter l'installation de médecins libéraux dans les zones déficitaires. Il y a aussi dépérissement du système conventionnel quand, dans certaines zones, des spécialistes sont en nombre insuffisant et tous en honoraires libres. Ce n'est pas normal non plus. Tout cela se discute afin de rendre le secteur I plus incitatif. Nous n'avons jamais parlé de conventionnement sélectif, mais il est normal et logique que l'on puisse discuter des moyens que l'assurance-maladie serait prête à prendre en charge pour favoriser l'installation dans les zones en manque de médecins libéraux.
Le Quotidien du Médecin.- Bref, l'incitation plutôt que la contrainte ?
Jean-Claude Mailly.- Bien sûr. Si l'on est dans le cadre d'une politique conventionnelle, on n'est pas dans un système de contraintes mais dans un système négocié où il y a un accord dont les interlocuteurs acceptent les modalités.
Le Quotidien du Médecin.- Quels sont vos souhaits pour cette réforme de la Sécu ?
Jean-Claude Mailly.- Ce qui a été mis en place en 1995-1996 n'ayant pas fonctionné, il faut remettre la Sécurité sociale sur de bons rails. Les critères d'une bonne réforme, pour nous, c'est la clarification des comptes et des responsabilités entre l'Etat et la Sécurité sociale. Dans le mode de fonctionnement actuel, c'est le flou le plus absolu entre, d'une part, la responsabilité de l'Etat (qui couvre notamment la politique de santé publique et de prévention pour nous) et, d'autre part, la responsabilité de la Sécu et les financements qui vont avec. FO a toujours regretté que le ministère de la Santé publique soit un ministère faiblement doté financièrement. La campagne de vaccination de l'hépatite B l'a montré : le gouvernement décide et la Sécurité sociale paie sans discussion préalable.
Autre exemple : malgré ses engagements, le gouvernement devrait théoriquement compenser à la Sécurité sociale l'ensemble des exonérations de cotisations patronales - c'est 20 milliards d'euros par an, dont 3 ne sont pas compensés. A partir de là, que l'Etat finance par des dispositifs budgétaires et fiscaux ce qu'il doit financer et que le champ de responsabilité de la Sécu soit mieux défini.
On souhaite aussi que le régime obligatoire - le régime général pour les salariés - reste le régime pilote avec un niveau élevé en termes de taux de couverture et de taux de remboursement.
Donc, a contrario, si la réforme devait conduire à diminuer la prise en charge par l'assurance-maladie de l'accès aux soins, il y aurait un problème. FO n'est pas d'accord avec l'idée d'un forfait de 1 ou 2 euros [par acte ou boîte de médicaments, Ndlr]. Il faut améliorer et développer tout ce qui relève de la prévention, comme la campagne sur les antibiotiques, qui relève de la bonne responsabilisation, au lieu de culpabiliser les assurés sociaux.
Nous serons très vigilants sur le taux de couverture et le taux de remboursement du régime général, afin que les assurés sociaux n'aient pas à leur charge une part plus importante des dépenses. Vigilants également sur un éventuel glissement, d'une manière ou d'une autre, vers un système plus étatisé ou un système privatisé.
Je fais le parallèle avec les retraites : après la diminution de leur niveau, on fait appel à des fonds de pension, même si on n'appelle pas ça comme ça. Nous ne voudrions pas que ce soit pareil demain pour l'assurance-maladie, avec une part obligatoire qui serait restreinte progressivement, quelle que soit la formule retenue (panier de soins), et une part complémentaire qui prendrait de plus en plus d'importance et constituerait une privatisation du système. Il s'agit de points clés qui seraient le signe d'une contre-réforme pour nous.
Le Quotidien du Médecin.- Quel bilan tirez-vous des réunions intersyndicales en présence de la Mutualité française, et des rencontres bilatérales que vous avez eues avec les leaders des centrales syndicales ?
Jean-Claude Mailly.- En matière d'assurance-maladie, plusieurs organisations - notamment celles qui faisaient partie du "G7" (1) - partagent certaines orientations, comme la nécessité d'avoir un haut niveau de couverture sociale et de remboursement et le fait de maintenir le rôle pilote du régime général. Après, on peut avoir des différences d'appréciation sur les modalités de financement, sur l'assiette de cotisation, etc. En revanche, on a avec d'autres organisations des différences d'appréciation entre la part obligatoire et la part des complémentaires dans la " gouvernance " du système. Certains [la Cfdt en particulier, Ndlr] pourraient accepter un système de copilotage, d'autres non.
Le Quotidien du Médecin.- Une unité d'action intersyndicale est-elle possible sur la Sécu comme pour l'hôpital ?
Jean-Claude Mailly.- Pour le moment, chacun expose ses positions. Le gouvernement, dans les consultations officielles, ne se découvre pas beaucoup. Après, on verra. Si les décisions amorcées nous conviennent, tant mieux. Sinon, on verra comment on va réagir, on n'exclut rien. Si le gouvernement s'engageait dans ce qu'on appelle une "contre-réforme", on sensibiliserait et on mobiliserait si nécessaire.
Le Quotidien du Médecin.- Y compris sous la forme d'une grève interprofessionnelle ?
Jean-Claude Mailly.- On n'exclut rien dans ce dossier car il est capital. L'égalité d'accès aux soins, quelle que soit la situation financière, est l'un des plus grands acquis, non seulement sociaux mais républicains.
Tout dépend de ce qui va primer dans la réforme. Est-ce une logique d'efficacité, de qualité de soins et d'égalité d'accès ou une logique purement comptable? Parce que, si demain la contrainte, c'est de dire en 2005 "on a pris l'engagement de réduire le déficit budgétaire à 2,9 %" (contre plus de 4 % aujourd'hui), que fait-on concrètement? Si l'objectif consiste à revenir à l'équilibre financier de l'assurance-maladie en 2007 [comme l'a promis Jacques Chirac, Ndlr], il faut nous expliquer comment on peut y arriver : soit on veut diminuer les remboursements, soit on veut augmenter les prélèvements de manière importante. Sur la piste du financement, nous avons déjà suggéré une hausse des cotisations patronales, tout simplement parce que la dégradation des conditions de travail est telle (à travers la précarité, la flexibilité, le stress, le harcèlement) qu'elle influe sur la santé des salariés et donc sur les dépenses de santé.
Pour le moment, la finalité de la réforme n'est pas encore très claire du côté des pouvoirs publics. Si la finalité de la réforme consiste à se mettre dans les clous par rapport au déficit budgétaire, il y a danger pour les assurés sociaux et les médecins, car ce serait d'une certaine manière un retour à la logique comptable avec un système de sanctions. C'est l'un des problèmes clés du dossier, même si personne n'en parle beaucoup.
(1) Le "G7", constitué de FO, la CGT, la Cftc, la CFE-CGC et trois syndicats de médecins libéraux (Csmf, SML et FMF), a publié en mai 2001 un projet de réforme vers "une maîtrise médicalisée et concertée des dépenses de santé".
(source http://www.force-ouvriere.org, le 23 avril 2004)