Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur la situation économique, la hausse de la croissance, la création d'entreprises, le développement de la nouvelle économie, la lutte contre les délocalisations et sur la coopération européenne en matière industrielle et agricole dans le cadre de l'élargissement, Bordeaux le 15 mai 2004.

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Texte intégral

Monsieur le député maire, mon cher Alain,
monsieur le président de la foire,
mesdames messieurs les présidents,
mesdames et messieurs,
Je voudrais vous dire combien je mesure l'importance de ce rendez-vous sur le plan économique, mais aussi sur le plan populaire, de cette foire, de ce rendez-vous commercial, cette étape de cohésion sociale aussi parce que je sais combien une foire rassemble, réunit et permet aussi le rayonnement de votre ville, de votre département et de votre région. Le destin international de Bordeaux s'est déjà affirmé dans le passé et nous avons tous intérêt en France à faire de nos grandes villes des phares de notre identité nationale dans ce grand espace européen. Les villes ont un rôle très important à jouer dans la lisibilité de l'action nationale notamment en Europe. Lille, Strasbourg, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Rennes sont des sites qui sont perçus comme des grandes cités à vocation européenne et nous devons faire apparaître cette vocation. Dans ces perspectives-là, il nous faudra trouver des formes de travail entre l'État et ces cités européennes
Cette foire, aujourd'hui, s'ouvre dans un contexte économique plus favorable. J'espère que, monsieur le président, les 300.000 visiteurs qui vont venir à la rencontre des 2.500 exposants vont rencontrer ici ce nouveau climat économique que nous percevons parce que la France a touché, au premier semestre 2003, le point bas d'un cycle baissier entamé en 2000 avec un taux de croissance qui a été divisé par deux chaque année. Au fond, la France et les Français ne se sont pas rendus compte de cette situation. Mais nous avions 4 % de croissance en l'an 2000. 1 % de croissance c'est 150.000 emplois. Quand vous perdez 1 point de croissance, vous détruisez 150.000 emplois, 4 % en l'an 2000. 2 % en 2001. 1 % en 2002 et au dernier trimestre de ce premier semestre 2003 moins 0,4. Nous sommes passés donc d'une situation de +4 à une situation de -0,4 entre 2000 et 2003 ce qui est une rupture particulièrement brutale et aujourd'hui, à partir de cette mi 2003, la courbe s'est infléchie. Et le redémarrage est rapide puisque nous sommes à 0,6 % de croissance au troisième trimestre, à 0,6 au quatrième trimestre de 2003. Et donc, nous venons d'avoir les résultats du premier trimestre 2004 : nous sommes à 0,8 % de croissance. Donc c'est notre troisième trimestre de croissance reprise, 0,6 - 0,6 - 0,8, et donc nous sommes largement sur le rythme de 1,7 que nous avons prévu dans le budget 2004. La croissance est vraiment de retour. Les Français la sentiront progressivement dans leur vie quotidienne, mais elle est là. Elle est là grâce à la consommation qui se développe - 2 % supplémentaires au premier trimestre de l'année 2004, - les investissements qui repartent - + 5 % pour la prévision par les industriels eux-mêmes pour l'année 2004 -. Je rappelle à tous les industriels qui sont dans la salle qu'ils sont exonérés de taxes professionnelles pour tous les investissements qu'ils feront entre le 1er janvier 2004 et le 30 juin 2005. Profitez de ces circonstances, vous participez ainsi à la croissance de notre pays. C'est une bonne nouvelle que cette reprise ne vienne pas seulement de l'extérieur ; elle vient aussi de l'intérieur, soutenue par la consommation parce qu'elle aussi soutenue par l'investissement, ce qui fait que aujourd'hui nous sommes parmi les pays qui font le mieux dans la zone euro en matière de croissance. C'est la première bonne nouvelle.
La seconde bonne nouvelle c'est que les Français, contrairement à ce qu'on entend ici ou là, ont le goût de l'avenir. 200.000 entreprises ont été créées en 2003, 300.000 logements ont été mis en chantier au cours des douze derniers mois. Je veux vous donner ces deux chiffres parce que quand on construit, quand on prend un permis de construire, quand on construit 300.000 logements, quand on met en chantier 300.000 logements, c'est qu'on pense à l'avenir. Quand on crée aujourd'hui 28.000 entreprises par mois, 28.000 personnes qui s'engagent individuellement dans un projet d'entreprise, c'est qu'on choisi l'avenir et cette dynamique-là elle est nouvelle. Elle est très importante et elle va accompagner la croissance. Nous sommes maintenant sur des rythmes de 250.000 - 300.000 entreprises, ce qui veut dire 500.000 salariés, ce qui veut dire une croissance de l'emploi derrière la croissance des entreprises.
Troisième bonne nouvelle, c'est que la nouvelle économie arrive. En peu de temps nous avons rattrapé notre retard sur la société de l'information et le numérique. Nous avons 23 millions d'internautes aujourd'hui ; nous avons eu 2 millions d'internautes supplémentaires en une année, et 4 millions d'abonnés supplémentaires au haut débit. Les collectivités territoriales ont fait beaucoup d'efforts, mais nous sommes en train de rattraper complètement notre retard sur le haut débit et la société de l'information, ce qui crée beaucoup de richesse dans la nouvelle économie, va enfin atteindre notre pays avec des niveaux de pénétration qui sont parmi les meilleurs d'Europe . Nous avions du retard sur ces sujets. Vous savez, en France on a souvent l'habitude, tels des oiseaux de proies, de tourner autour des problèmes un certain temps et puis d'un seul coup, de s'engager à fond. Eh bien finalement, on a tourné autour de ces grandes valeurs. Je me souviens, il y a trente ans, que Jean-Jacques Servan-Schreiber, quand j'étais étudiant, nous faisait des livres sur la cybernétique, sur tout ce qui allait changer dans notre vie quotidienne. Un jour, nous aurions des téléphones qui feront aussi télévision et tout ça finalement, nous en avons parlé pendant trente ans, nous sommes en train de le réaliser pendant trois ans. C'est ça, la France, c'est son génie. Naturellement, cela bouscule un peu les habitudes, cela pose un certain nombre de problèmes. Mais c'est très important de voir que la France aujourd'hui est dans le temps du mouvement du monde. La société de l'information est en train d'entrer en profondeur dans les pratiques de l'économie française et de la société de notre pays.
Alors je crois que tous ensemble et c'est le rôle du gouvernement, nous avons à poursuivre nos efforts pour accélérer cette reprise et bâtir une nouvelle prospérité partagée par tous les Français. Cela demande un effort important à notre pays. Nous le ferons en ce qui concerne la hausse du pouvoir d'achat. Nous nous sommes engagés : nous le ferons notamment au 1er juillet avec une augmentation de 5 % du SMIC à nouveau, ce qui produira une augmentation de 3,7 % du pouvoir achat du SMIC horaire, ce qui touche plus d'un million de personnes et donc avec tous les effets que tout ceci peut induire et ceci est de nature à simuler également la consommation et donc la croissance. Et puis nous avons une action engagée avec le ministre d'État sur les questions économiques, une action contre les marges et les tarifs excessifs de manière à ce que, entre les producteurs et les distributeurs, il y ait un peu de justice dans la filière et que l'on ne concentre pas les marges simplement dans l'aval, mais qu'elles soient mieux réparties dans l'ensemble, dans l'intérêt des consommateurs et dans l'intérêt de l'ensemble de la filière. Nous voulons travailler dans cette direction et l'État fera lui-même preuve de sa capacité de faire des économies puisqu'il faut aujourd'hui maîtriser nos dépenses et nous voulons, comme l'an passé, faire en sorte que nous ne dépensions pas un euro de plus que ce que le Parlement, mesdames et messieurs les députés sénateurs et députés européensNous ne dépenserons pas un euro supplémentaire, ce qui nous impose de faire donc des économies. Je tiendrais mercredi un séminaire à Matignon spécialement sur ce sujet.
C'est donc cette perspective du pouvoir d'achat qui anime d'abord la politique économique. Je voudrais dire aussi que la perspective de l'emploi, évidemment est pour nous très importante dans cette croissance, parce que, encore faut-il rendre la croissance le plus riche possible en emploi. C'est ce à quoi nous nous employons les uns et les autres, et c'est l'objectif de cohésion sociale fixé par le président de la République, de manière à ce que, avec les textes qui sont en préparation, avec Jean-Louis BORLOO et Gérard LARCHER, nous puissions avoir un certain nombre de nouvelles dispositions qui nous permettent d'accompagner davantage ceux qui sont aujourd'hui en dehors de l'emploi pour les aider à entrer dans l'emploi, avec des logiques qui sont des logiques de parcours, parcours individuel de formation, parcours individuel d'intégration, des logiques de parcours plutôt que des logiques de parking où les gens stationnent hélas dans des situations d'exclusion beaucoup trop longtemps.
Troisième élément de cette politique d'accompagnement, c'est la logique des grands projets. Je crois qu'il est très important que nous puissions, en France, nous mobiliser autour de quelques grands projets de dimension européenne qui puissent être des projets d'investissement, des projets de technologie, des projets d'avenir, des projets de mobilisation. C'est ce que nous allons faire en matière de lutte contre les délocalisations ; je pense à des grands projets industriels. Nous devons le faire en matière énergétique ; nous sommes intervenus récemment sur un gros dossier de la santé ; nous travaillons sur les dossiers des transports ; nous travaillons sur les dossiers évidemment d'Airbus ; nous travaillons sur le dossier du nucléaire. Mais nous voulons aussi travailler sur un certain nombre de grands dossiers pour lesquels des synergies européennes à base de capacité française puissent se développer et c'est comme cela que notre industrie européenne pourra rester ancrée avec ses laboratoires de recherches avec l'ensemble de son potentiel technologique sur notre continent. Nous avons là des efforts à développer, c'est ce que nous faisons avec la route des lasers ; c'est ce que nous voulons faire avec un certain nombre d'initiatives qui sont à la fois d'ambition européenne avec des localisations et un enracinement territorial, une qualité de vie parce qu'on sait très bien qu'on a besoin de cet espace qui joue un rôle de lien entre l'industrie, la science, la formation et l'ensemble des dispositifs que nous devons développer. Il nous faut aussi naturellement développer un certain nombre de projets d'infrastructures. Tout cela fait partie de la mobilisation nationale, je sais que l'Aquitaine, en terme de routes, et en terme de TGV évidemment, a fait partie des priorités du dernier comité interministériel d'aménagement du territoire. Je n'ai pas manqué de coups de fil, de lettres et d'interventions sur le sujet. Je vois que ces lettres ne sont pas individuelles mais collectives.
Dans ce contexte de dynamique économique, je voudrais vous dire combien je pense que des rencontres comme les foires internationales, et notamment celle de Bordeaux, sont très importantes. Au fond, nous voyons bien aujourd'hui qu'il faut aller chercher la croissance sur le terrain. Ce ne sont pas dans les grandes structures et les grands appareils, notamment les grands appareils administratifs que l'on peut dégager les marges de croissance, on le voit sur les grands pôles économiques, sur les dynamiques économiques, c'est sur le terrain, enraciné dans nos territoires, qu'il y a des marges de croissance et c'est pour cela que je crois que les évènements économiques qui rassemblent les acteurs, qui construisent des réseaux, qui développent des volontés, qui sont capables de construire des stratégies, c'est là où nous pouvons disposer d'une capacité de développement très très importante. La France, dans dix ans, aura des pôles de croissance géographique qui sont très localisés avec des grands secteurs.
Enfin, je vous disais que je voulais vous dire un mot important sur l'agriculture puisque je mesure bien la situation aujourd'hui de l'agriculture dans notre pays. Je vois les difficultés, celles de l'Aquitaine, celles de beaucoup de régions qui ont des structures agricoles comparables - je pense au secteur laitier, je pense au secteur forestier et naturellement au secteur viticole. Le sénateur CESAR sait pouvoir compter sur mon amitié pour ses initiatives parlementaires. Il sait que nous savons travailler ensemble et que nous aurons avec les professionnels, en ce qui concerne la viticulture, une réunion à partir des propositions du 15 juin pour essayer de bâtir une stratégie. Nous avons des étapes immédiates à franchir et puis des stratégies de long terme également à bâtir. J'ai demandé ce livre blanc pour qu'on puisse avoir une vision stratégique globale sur les problèmes qui sont posés à la profession. Il en va là non-seulement de l'intérêt de l'Aquitaine, mais l'intérêt de la France, puisqu'il s'agit d'une production très importante de qualité et je voudrais surtout qu'on ne décourage pas tous ceux qui ont fait le choix de la qualité, tous ceux qui ont fait le choix de la valeur humaine ajoutée, tous ceux qui ont fait le choix de l'identification. Ce sont pour nous des choix économiques majeurs et nous ne voulons pas que ces choix qui ont été faits puissent souffrir d'échecs économiques. C'est pour cela que la détermination du Gouvernement est totale sur cette question. Nous aurons, sur l'ensemble des questions agricoles, non seulement le compromis de Luxembourg, auquel il nous faut nous adapter puisque ce compromis était nécessaire, qu'il était nécessaire notamment pour avoir cette capacité à l'Union européenne aujourd'hui d'être une Union élargie à 25 pays. Et n'y voyons pas que des inconvénients, n'y voyons pas que des peurs et des craintes ! L'ouverture de dix pays est peut-être une chance formidable pour l'ensemble de l'Union européenne. Je suis favorable à cet élargissement, avec une vision heureuse de l'élargissement. Je souhaite que la zone euro après l'élargissement puisse encore s'agrandir ; elle nous protège. Aujourd'hui grâce à l'euro, nous sommes protégés des dévaluations compétitives. Aujourd'hui, grâce à l'euro, la majorité de notre commerce international est dans la zone euro et nous sommes moins exposés pour un certain nombre de sujets à des variations monétaires que dans d'autres territoires. L'élargissement de l'Europe, c'est une protection, y compris pour nos économies ; ce sont des marchés. Et quand je vois qu'on craint ici ou là qu'il y ait des délocalisations, c'est vrai qu'il faut être vigilant, c'est vrai qu'il faut être attentif. Mais ne vous faites pas d'illusion : les salariés des pays qui nous rejoignent ne rêvent pas d'être le prolétariat de l'Europe ; ils rêvent d'avoir le même niveau de vie que nous ; ils rêvent d'une harmonisation ; ils rêvent de l'augmentation des salaires ; ils rêvent d'une augmentation de pouvoir d'achat ; ils rêvent de pouvoir vivre comme nous. C'est cela, le projet européen. Il y a des phases transitoires, elles sont gérées. Mais vous êtes bien placés, ici, pour vous souvenir des peurs espagnoles et des craintes portugaises et de voir comment au total aujourd'hui la péninsule ibérique par sa croissance, par son développement a généré aussi une part du développement du grand sud-ouest français. Il y a donc là une mécanique qui est une mécanique de développement avec laquelle il nous faut nous engager. C'est pour cela que je suis très attentif naturellement à ce compromis de Luxembourg. Je sais qu'il ne suffira pas pour un certain nombre de productions ; je sais qu'il y aura des conséquences importantes. C'est pour cela que nous voulons avoir en même temps, pour le 1er janvier 2006, une loi agricole qui vienne compenser, par des initiatives nationales, les difficultés européennes. Comme cela, ensemble, nous aurons la nouvelle donne européenne, après le compromis de Luxembourg, et la nouvelle donne nationale, avec le texte au 1er janvier 2006. Et là, nous avons l'occasion de pouvoir préparer ces textes. Je le dis aux professionnels : nous avons 18 mois pour préparer efficacement ce texte pour notre Parlement.
Je crois qu'il est très important de bien veiller naturellement aussi à nos négociations avec le reste du monde. Je suis préoccupé par certaines attitudes aujourd'hui que je vois à Bruxelles. Je recevrai cette semaine monsieur PRODI ; j'en parlais tout à l'heure avec Alain LAMASSOURE : je dirais avec la plus grande fermeté que le Gouvernement français souhaite que la Commission reste dans le mandat qui lui a été confié pour les négociations internationales. Il est très important que nous respections les mandats de négociations. Nous avons là un certain nombre de sujets majeurs que nous ne voulons pas laisser dériver.
En ce qui concerne, monsieur le président de la Région, les aides européennes, j'ai entendu votre message. Je crois qu'il nous faut en effet être très attentifs sur ce sujet. Je pense que l'avenir, pour les aides, n'est pas le territoire mais le projet. Il faudra sortir un jour de la zone de territoire, car la zone de territoire fait que même notre cher Limousin, qui n'est pas si lointain, apparaît comme fragile par rapport aux régions françaises, mais comme développé par rapport à d'autres régions. Et donc la seule logique du PIB et la seule logique du développement, est une logique dans laquelle nous ne verrons pas suffisamment de projets soutenus. En revanche, si nous bâtissons des projets, des projets de développement, des projets enracinés tels que ceux dont on a reparlé, ces projets-là, peuvent participer à une dimension européenne et ont une légitimité aujourd'hui à avoir des financements européens. Un territoire ne vaudra que par sa capacité à bâtir des projets, à rassembler ses acteurs et en bâtissant des projets de dimension européenne, il pourra ainsi soutenir la demande que nous ferons avec eux de financement européen. C'est cette Europe-là que nous voulons, une Europe des projets, une Europe de la croissance, c'est cela qui est aujourd'hui l'enjeu dans ce monde qui est en train de bouger très rapidement. La croissance est dans le monde partout présente ; aujourd'hui, elle est diffuse, elle est parfois partagée à l'intérieur d'un même pays. Il y a en Chine aujourd'hui beaucoup de misère, mais il y a des Chinois plus riches que les Français et les Allemands réunis. Il y a, à l'intérieur de la Chine, des marchés particulièrement développés. Il y a, en Inde, et Bangalore et Bombay, il y a la misère et le développement qui sont quasiment adjacents. La croissance dans le monde est là. Il nous faut avoir une logique de dynamique et l'Europe doit être, pour nous, cet espace de croissance qui est donc un espace d'emploi. C'est toute la politique que nous menons pour la France. C'est toute la politique que, avec le président de la République, nous menons pour l'Europe. Voilà ce que je voulais vous dire, ici à Bordeaux, dans cette ville au rayonnement européen d'évidence. Ce que je souhaite, c'est que ce beau printemps girondin soit le signe du printemps de la croissance en France et en Europe. Je vous remercie.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 21 mai 2004)