Déclaration de M. Frédéric de Saint-Sernin, secrétaire d'Etat à l'aménagement du territoire, sur la contribution des politiques d'aménagement du territoire à un meilleur développement de la santé au niveau local, Paris le 25 mai 2004.

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Circonstance : Allocution au Conseil économique et social à Paris le 25 mai 2004

Texte intégral

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les conseillers,
Gilles de Robien, empêché d'être parmi vous aujourd'hui du fait d'un déplacement prévu de longue date, vous prie de l'en excuser. J'ai donc l'honneur et le plaisir de pouvoir m'exprimer pour la première fois devant votre assemblée.
Il est inutile, je crois, de vous rappeler l'importance que le gouvernement accorde au Conseil économique et social. Vos avis nous sont précieux : leur influence dans l'élaboration de nombreuses lois est bien connue. J'attache pour ma part la plus grande attention à vos travaux, car ils sont le fruit d'une réflexion qui engage les représentants de toute la société française et ils intéressent à ce titre de nombreux domaines parmi ceux qui entrent dans le champ de l'aménagement du territoire.
Je voudrais par ailleurs rendre hommage au président Jacques Dermagne, que j'ai eu le plaisir de rencontrer récemment. J'ai pu apprécier son sens du dialogue et sa volonté d'impliquer votre assemblée dans les enjeux qui renouvellent notre approche de l'aménagement du territoire. Je sais combien cela est important dans une assemblée qui réunit autant de points de vue et d'intérêts différents, mais tous soucieux de contribuer à éclairer utilement nos choix collectifs.
Le sujet qui nous réunit aujourd'hui est sans doute l'un des premiers dans l'ordre de préoccupations des Français. La présence des équipements de santé est aussi un dossier prioritaire dans la mission d'aménagement du territoire qui m'a été confiée.
Le rapport de M. Picard, dont je veux souligner la qualité, s'appuie sur un constat et des propositions qui rejoignent, pour l'essentiel, les politiques récentes d'aménagement du territoire, comme les travaux et les expérimentations qui les accompagnent.
Nous savons bien que l'offre de soins représente une activité économique importante de l'ordre de 10 % du produit intérieur brut, englobe de nombreux emplois et induit une importante activité de recherche et d'industrie pharmaceutique.
Si l'on observe la carte épidémiologique et celle des équipements de santé, nous voyons pourtant, à partir des données que nous fournissent les indicateurs tels que l'espérance de vie, le taux de mortalité ou celui de mortalité infantile, que l'état de santé de la population ne correspond pas nécessairement à la quantité de soins offerte et consommée. Dans telle région où l'espérance de vie est l'une des plus élevées en France, les hôpitaux sont parmi les moins nombreux. Dans une autre région plutôt bien dotée en matière de soins, nous constatons à l'inverse une espérance de vie inférieure à la moyenne nationale, un plus grand nombre de cas de cancer ou de maladies cardio-vasculaires.
Pourtant, nous devons tenir compte d'une autre réalité : plus une offre de soins est éloignée moins elle est utilisée. Et il est clair que l'offre de soins, notamment hospitalière, compte beaucoup pour une entreprise et pour une famille dans le choix d'un territoire. Il est donc nécessaire, comme vous l'avez fait, de bien hiérarchiser les objectifs et de bien clarifier les notions.
L'aménagement du territoire en matière de santé est à mes yeux un triple défi. Il s'agit d'abord et avant tout d'assurer sur l'ensemble du territoire une réelle équité dans l'accès aux soins de qualité. La constitution française, dans son préambule de 1946, fait de l'accès à la santé un droit fondamental et le code de santé publique stipule par exemple que l'aide médicale urgente se doit d'apporter aux malades, blessés et parturientes, en quelque endroit qu'ils se trouvent, les soins d'urgence appropriés à leur état.
Deuxième défi : mieux articuler la santé de la population avec le développement économique local. Nous savons que la santé dépend d'un ensemble de facteurs économiques, sociaux et culturels qui s'inscrivent dans un territoire et dans des cadres de vie plus ou moins sains - je pense notamment à la pollution, au bruit que nous devons mieux prévenir.
Troisièmement : renforcer l'attractivité des territoires grâce à une meilleure offre de santé. Les dispositifs de soins et les consultations médicales jouent souvent un rôle essentiel dans l'attractivité locale. L'hôpital est souvent le plus gros employeur, notamment dans les petites et moyennes villes, et il s'inscrit dans une histoire urbaine économique et culturelle que vous avez bien rappelée.
La présence d'un établissement de santé constitue un élément certain d'attractivité pour un territoire. Et c'est en préservant les services sanitaires et sociaux de proximité que l'on peut inciter de nombreuses personnes à continuer de vivre dans des territoires isolés, faiblement peuplés, notamment dans les campagnes.
A une autre échelle, les hôpitaux et les centres de recherche qui leur sont liés ont un effet d'entraînement évident sur l'attractivité économique et industrielle du pays. Nous devons aujourd'hui l'envisager dans un cadre européen et même mondial.
Les conseils interministériels d'aménagement du territoire du 13 décembre 2002, fondateur d'une nouvelle politique d'aménagement du territoire, du 3 septembre 2003 sur le développement rural et du 18 décembre 2003, consacré à l'offre métropolitaine, ont comporté chacun un chapitre consacré à la santé. Ils ont permis de valoriser ces trois dimensions de la santé dans le cadre de l'aménagement du territoire.
Comme l'ensemble des services publics, l'offre de soins et de santé est une composante de l'aménagement du territoire, mais elle contribue également au développement local. Le CIADT du 13 décembre 2002 l'a rappelé en demandant aux préfets, je cite, de " veiller en liaison avec les collectivités locales, les ARH, les URCAM, et les URLM et les ORS à prendre en compte la santé dans les projets de développement des territoires ruraux. "
A ce titre, je voudrais rappeler que le CIADT de décembre 2002 approuvait " l'expérimentation de démarches locales partagées de santé, d'action sociale et médico-sociale dans le cadre des projets territoriaux de développement ". Il soutenait les projets de maisons médicales regroupant les professionnels de santé et facilitant l'organisation de la permanence de soins, ainsi que les réseaux de médecins, d'infirmières et d'assistantes sociales, qui assurent la continuité et la globalité des prises en charge.
Je rappellerai également l'effort mis en oeuvre pour soutenir le développement des nouvelles technologies d'information et de communication, notamment en milieu rural, qu'il s'agisse de sites internet voués à la santé, de vidéo conférences, de télétransmissions de données et de documents médicaux.
Le CIADT du 3 septembre 2003, consacré au développement des territoires ruraux, a confirmé ces orientations. Il a par ailleurs adopté tout un ensemble de mesures pour inciter les médecins et futurs médecins à s'installer dans les régions qui manquent de personnel médical : les médecins libéraux installés en zone de revitalisation rurale peuvent notamment être exonérés de taxe professionnelle pendant cinq ans. Leurs confrères qui veulent s'installer dans les zones déclarées déficitaires bénéficient, quant à eux, également durant cinq ans, d'une aide à l'investissement venant de l'Etat, de l'assurance maladie et des collectivités locales qui le souhaitent. Ces aides à l'investissement sont bien sûr assorties d'une obligation d'exercice dans le cadre de regroupements appropriés entre médecins et autres professions de santé. Le CIADT a réaffirmé son attachement aux mesures qui contribuent à rompre l'isolement des médecins et des diverses professions de santé.
J'ajoute que le même CIADT a insisté sur la mise en oeuvre de la plupart des propositions du rapport Descours. Je pense notamment aux mesures destinées à inciter les étudiants en médecine à s'installer dans des zones déficitaires. C'est l'objet en particulier de l'indemnité d'étude et de projet professionnel pouvant être attribuée par les collectivités territoriales et leurs groupements à tout étudiant en médecine à partir de la première année du troisième cycle, s'il s'engage à exercer comme médecin généraliste au moins cinq années dans l'une des zones déficitaires. Des aides financières sont aussi prévues pour les étudiants en médecine réalisant des stages en milieu déficitaires ainsi qu'une indemnité de logement et de déplacement.
Mais je n'oublie pas les autres dispositifs prévus dans cet amendement au projet de loi sur les territoires ruraux dont la première lecture vient de s'achever : développement de l'assistanat et des cabinets multisites, facilitation de l'exercice des médecins libéraux à l'hôpital.
L'ordonnance du 4 septembre 2003 va dans ce sens, en modernisant le régime juridique des groupements de coopération sanitaire entre les établissements de santé, qu'ils soient publics ou privés. Les médecins libéraux sont désormais associés, ce qui devrait permettre de mieux intégrer au dispositif de soins régional les médecins qui pouvaient en être éloignés.
Quant au CIADT du 18 décembre 2003, il demandait, dans le cadre de la stratégie nationale de l'offre métropolitaine de la France en Europe, de confirmer les " canceropôles " comme lieu de recherche et de lutte contre le cancer à un niveau interrégional et européen. Ces structures contribuent, nous le savons, au développement de la recherche et à sa valorisation industrielle. Ce CIADT a également appelé les CHU à coopérer davantage dans le domaine de l'organisation des soins, de la recherche et de sa valorisation.
Comme vous le voyez, les politiques d'aménagement du territoire et des territoires contribuent à un meilleur positionnement de la santé dans le développement local, mais également dans le développement général de notre pays, enjeu dont mes collègues MM. Douste-Blazy et Bertrand sont tout à fait conscients, ce qui explique qu'ils portent un intérêt particulier à votre réflexion et à ses prolongements.
L'objectif est bien de rechercher une cohérence entre l'accessibilité aux soins, la prévention, la promotion de la santé et les diverses politiques publiques qui concourent au développement durable. Cela suppose, et votre rapport le souligne bien, une organisation en réseau de soins ambulatoires et hospitaliers qui puisse, à travers le médecin généraliste, rapprocher l'usager de l'ensemble du dispositif hospitalier, depuis l'hôpital local revalorisé, qui doit jouer pleinement son rôle, jusqu'au CHU. L'offre de soins graduée, de la première ligne aux soins très spécialisés, est en effet une garantie pour les malades d'accéder à l'ensemble du dispositif.
Il faut aussi que les réseaux locaux de soins soient davantage associés aux secteurs du médico-social et du social. C'est de cette manière que tous les acteurs de la santé pourront contribuer à la prévention des risques et des maladies et promouvoir la santé en s'appuyant sur les diverses politiques publiques qui y contribuent. Pour cela, il importe que les politiques définies au niveau de l'Etat et la région prennent en compte les projets locaux de santé, qui sont de plus en plus nombreux dans les communes, les intercommunalités, les pays, les communautés de communes ou d'agglomération.
Le niveau de la région s'est vu confirmé tout au long des années 90. Son rôle de gestion et de pilotage des politiques de santé devrait être sensiblement accru par les projets de loi de décentralisation et de santé publique. Le projet d'une agence régionale de santé, dont il faut déterminer le périmètre ou à tout le moins un étroit rapprochement entre les institutions régionales, est absolument indispensable.
Il reste cependant à permettre au niveau local, à travers un dialogue approprié avec les échelons régional et départemental, ce dernier ayant la charge du pôle médico social et social, de contribuer à des projets locaux de santé cohérents avec les futurs schémas régionaux d'organisation sanitaire, les SROS, et le futur plan régional de santé publique, mais aussi avec les schémas départementaux médico-sociaux.
C'est au niveau local que l'on peut vérifier de façon concrète l'efficacité des mesures prises. Il faut sans doute permettre à cet échelon d'élaborer avec l'ensemble des acteurs concernés et dans un contexte participatif, comme cela est suggéré dans votre projet d'avis, les projets qui répondent le mieux possible aux besoins spécifiques de la population, à partir d'un diagnostic partagé et de propositions d'actions appropriées discutées avec les interlocuteurs des niveaux supérieurs.
Je voudrais par ailleurs souligner les constats et les avancées très utiles que votre projet d'avis retient et qui jusque là n'ont pas été mis en lumière ou suffisamment soutenus. Avec mes collègues MM. Douste-Blazy et Bertrand, nous y serons très attentifs.
Parmi les constats que je partage, je soulignerai la démocratisation de la santé, qui est amenée à se faire de plus en plus par le niveau local. Les politiques adaptées de santé publique et de prévention peuvent beaucoup s'inspirer, dans ce domaine, des politiques de développement.
Parmi les propositions que vous avancez, j'ai retenu également la nécessité de préciser la conception des divers niveaux de soins et de santé, à chaque niveau de territoire. Nous devons en effet prendre en compte les zones fragiles rurales et urbaines, en veillant à les rapprocher des futurs territoires de santé et des projets médicaux de territoire prévus dans les futurs SROS III.
Je crois aussi, comme vous, qu'il faut favoriser la revalorisation de l'hôpital local et le développement des alternatives à l'hospitalisation en collaboration étroite avec la médecine de ville. Le rapport évoque également le développement par étapes de la télémédecine et sur ce point, les études d'usage telles que préconisées par le ministère de la Recherche paraissent très opportunes pour les rendre les plus opérationnelles possibles, en y associant l'usager quand cela est souhaitable. Les politiques actuelles d'aménagement du territoire en matière de haut débit doivent y concourir.
Le renfort des observatoires de la santé est par ailleurs préconisé dans votre projet d'avis. Il s'agirait de créer un statut approprié les rapprochant des futurs groupements régionaux de santé publique, ce qui leur permettrait d'avoir à la fois une approche homogène sur l'ensemble du territoire et d'accroître leur rôle d'experts. Cette démarche se rapproche de l'observatoire des territoires mis en oeuvre actuellement par la DATAR, qui permettra de mieux caractériser les territoires au regard de leurs atouts et de leurs faiblesses et des disparités d'accès aux droits fondamentaux - éducation, santé, travail, formation. Cet observatoire pourra constituer un lieu de synthèse et d'échange particulièrement utile.
S'agissant des diverses formes de médecine de groupe et notamment des maisons de santé et des maisons médicales, je me contenterai d'indiquer qu'elles peuvent s'appuyer sur les hôpitaux locaux existants, mais qu'elles peuvent également, dans certains territoires, pallier en partie leur absence pour ce qui est des soins de première ligne, en liaison avec les établissements de santé les plus proches.
J'ai pris note également des mesures directives qui pourraient être prises dans le cadre du conventionnement des jeunes professionnels. Ils pourraient être appelés à exercer un certain nombre d'années dans des zones défavorisées avant de s'installer dans la zone de leur choix. Le rapport avance même l'idée de refuser le conventionnement d'un médecin qui s'installerait dans une zone considérée comme non prioritaire. Je vous dirai que ma préférence va bien sûr aux mesures incitatives et aux démarches d'autorégulation que pourrait adopter la profession.
S'agissant de l'évolution des institutions régionales vers une agence régionale de santé très large, je m'en tiendrai à ce que j'indiquais tout à l'heure : il est indispensable que les acteurs institutionnels se coordonnent - outre les instances sanitaires régionales, la région, les départements et les collectivités locales - pour élaborer ensemble une politique régionale cohérente de santé, qu'il s'agisse de prévention, de soins ou d'actions de promotion de la santé.
Dans un premier temps, la création d'un groupement régional de santé publique constitue peut-être une chance de prendre la mesure d'une véritable et complète politique de santé publique régionale. Il ne faudrait pas en effet que les politiques de soins et de prévention s'auto-censurent. Il n'est peut-être pas mauvais que chacune se développe de son côté dans un premier temps, sans ce concurrencer inutilement, avant d'envisager leur synergie.
L'agence régionale de santé gérant à la fois la politique de soins hospitaliers et ambulatoires semble rencontrer moins de difficultés, en répondant à des besoins tout à fait clairs que vous avez bien identifié.
Je me permettrai, pour conclure, d'évoquer une de vos propositions qui est de mon point de vue capitale : la recherche de la cohérence et de la qualité entre l'échelon local, celui de la proximité et de l'action des acteurs de santé, et l'échelon régional, celui de la cohérence et des grands choix d'aménagement. Il en va de l'intérêt d'une démocratie participative et créatrice de santé.
Je vous remercie.
(source http://www.ces.fr, le 1er juin 2004)