Déclaration de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'État et de l'aménagement du territoire, sur la réforme des retraites appliquée dans la fonction publique, au Sénat le 7 juillet 2003.

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Circonstance : Déclaration de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'État et de l'aménagement du territoire, lors de la discussion du projet de loi portant réforme des retraites, au Sénat le 7 juillet 2003

Texte intégral

Monsieur le Président,
Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Il m'appartient de vous présenter la réforme du code des pensions, mais à l'issue du débat à l'Assemblée Nationale, je voudrais vous rappeler nos principales positions.
Il n'y a pas d'un coté le secteur public, perpétuel accusé d'être privilégié selon les uns ou perpétuelle victime selon les autres, et de l'autre un secteur privé ; il y a, au dessus de nous, un pacte de solidarité à préserver: la répartition.
Ceux qui travaillent payent la retraite de ceux qui sont à la retraite.
L'une des avancées de ce débat est de montrer aux français et aux françaises les différences entre les régimes et donc leurs inégalités.
A cotisation égale, il n'y a pas aujourd'hui en France de retraite égale.
On peut critiquer ou adhérer à la réforme proposée par le Gouvernement ; mais nul ne peut contester que cette réforme réduit fortement les inégalités ; elle est juste.
Cette réforme permet de renforcer le pacte générationnel, en augmentant la durée de cotisation et donc en équilibrant davantage le partage actifs-retraités, on allège le fardeau sur les jeunes et on garantit le niveau de pension des retraités.
Cette réforme est crédible ; dans la fonction publique plus de 50 % du financement est assuré.
Elle est aussi crédible aux yeux de l'Union Européenne souvent méfiante et circonspecte à notre endroit sans notre capacité de réforme.
Enfin elle est crédible aux yeux de nos concitoyens car nous avons respecté nos engagements et notre calendrier ; cette réforme ne se conduit pas en catimini ou dans la précipitation.
Nous devons la vérité aux françaises et aux français. Notre système par répartition, et indirectement le financement des pensions des fonctionnaires, ne seraient plus garantis sans une réforme ambitieuse dont tous les gouvernements depuis des années savent l'importance.
Réformer, c'est aussi dire la vérité à celles et ceux qui servent l'Etat et donc la Nation : sans un allongement progressif de la vie professionnelle, sans un effort partagé par tous les actifs, le financement des retraites sera à court terme insupportable pour l'Etat, et donc pour les français.
L'Etat verse aujourd'hui 60 milliards d'euros de traitements et 30 milliards de pensions. En 2020, il versera 60 milliards de traitements et 60 milliards de pensions, en euros valeur 2003. En 2040, les règles actuelles conduiraient à 60 milliards de traitements et 90 milliards de pensions.
Ainsi, même si le régime des fonctionnaires de l'Etat n'est pas au sens strict un régime par répartition, puisque ses charges sont en grande partie budgétisées, il est évident que l'inaction conduirait rapidement à une rupture de l'équilibre économique sur lequel repose ce système. Sur 15 milliards de recette de l'Etat, 5 milliards financent la retraite et 5 milliards la dette ; gérer un pays, c'est se préoccuper de son avenir et ne pas laisser aux générations montantes le soin de régler nos factures.
La CNRACL, qui dispose pour l'instant d'une situation démographique plus favorable, n'échapperait pas longtemps à une dégradation rapide de ses ratios et serait en déséquilibre avec quelques années de retard, mais en déséquilibre quand même.
Je rappelle que dans le relevé de décisions du 15 mai 2001, à été retenu le principe de la suppression de la surcompensation.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Je limiterai mon propos à l'examen du titre III du projet de loi portant sur les trois fonctions publiques.
Tout d'abord, une remarque : ce projet prévoit, pour tous les fonctionnaires, de l'Etat, de la territoriale et de l'hospitalière les mêmes droits dans une même loi.
Ceci est la première pierre d'une plus grande unité des trois fonctions publiques légitimement réclamée par les organisations syndicales. Tous les fonctionnaires, quels que soient leur grade et leur corps méritent la même considération et les mêmes droits.
Ensuite, le Code des pensions civiles et militaires actuel est en vigueur depuis 1964, soit à quelques mois près depuis 40 ans !
La société française n'est plus la même. Pour répondre à l'objectif de justice que nous nous sommes tracé, nous faisons converger avec le régime général les éléments qui sont objectivement communs, comme la durée de cotisation, et nous préservons les paramètres qui sont spécifiques au métier de fonctionnaire. Il s'agit d'une réforme des retraites, pas d'une réforme du statut des fonctionnaires.
Pour parvenir à cette conciliation, nous avons défini une méthode, fondée sur le dialogue social et sur les travaux du Conseil d'Orientation des Retraites.
Le dialogue a été soutenu. F. FILLON et moi-même avons rencontré longuement les partenaires sociaux. J'ai tenu, avec mon cabinet, plusieurs groupes de travail très détaillés sur les questions touchant à la fonction publique. J'ai tenu deux cycles de rencontres avec les fédérations de fonctionnaires. Je me suis rendu devant une quinzaine de conseils économiques et sociaux dans les régions. J'ai participé aux conseils supérieurs des trois fonctions publiques civiles, qui ont tous approuvé la réforme. Comme vous le voyez, nous avons mené intensément un dialogue approfondi.
Nous nous sommes appuyés sur les travaux du Conseil d'orientation des retraites, mis en place par le précédent Gouvernement. Il s'agit d'un organisme où sont représentés le Parlement et les partenaires sociaux. Il a remis un excellent rapport sur la problématique d'ensemble qui pose un constat partagé, et qui nous aidé à progresser dans la définition des orientations de la réforme.
Nous avons choisi d'aligner les durées de cotisation de tous les français et donc de demander aux fonctionnaires de cotiser deux années et demi de plusNous leur demandons ainsi à durée de cotisation égale avec les salariés du secteur privé, de consolider notre pacte national de solidarité.
En même temps, la retraite au taux plein d'un fonctionnaire ayant accompli une carrière complète est préservée : pour un agent titulaire à temps complet, au plafond de la durée de cotisation (37,5 ans avant la réforme, 40 ans en 2008), la retraite sera toujours de 75 % du traitement de référence, hors bonifications. Il n'y a donc pas de baisse du niveau des pensions, comme je l'entends dire par les opposants à la réforme. Il suffit de cotiser deux années et demi de plus pour partir comme aujourd'hui au taux plein. C'est notre nouveau contrat social.
La réforme fait le pari de la modification des choix des fonctionnaires en ce qui concerne l'âge de leur départ en retraite. La mise en place d'une surcote permettra d'augmenter la pension de ceux qui compteraient 40 annuités après l'âge de 60 ans. Parallèlement, une décote, sera appliquée aux années manquantes, comme dans le régime général, pour ceux qui choisiraient de partir à compter de l'ouverture des droits avec une carrière incomplète.
La réforme est progressive, très progressive ; le projet de loi a prévu des dispositions transitoires très longues, la décote ne commençant à s'appliquer qu'à partir de 2006 et atteignant son intensité maximale en 2020 seulement. Les fonctionnaires proches de la retraite auront ainsi le temps de se préparer et pourront faire évoluer leurs choix de départ sur une longue période.
Pour permettre aux agents d'acquérir des droits à retraite dans de bonnes conditions, des dispositions sont prévues : assimilation du temps partiel familial au temps plein, possibilité de racheter des périodes de formation, institution d'une période d'assurance " tous régimes ", évitant de pénaliser ceux qui ont travaillé dans plusieurs régimes successivement. Une mesure particulière vise les personnels classés en service actif de la fonction publique hospitalière, lesquels recevront une année d'assurance supplémentaire tous les 10 ans de carrière.
Les avantages familiaux sont maintenus et sont modernisés pour tenir compte des évolutions sociologiques. La majoration de 10 % pour les parents d'au moins 3 enfants demeure inchangée, comme dans le régime général ; la pension de réversion des hommes est alignée à la hausse sur celle des femmes ; le droit au départ avec disposition immédiate de la pension après 15 ans de service des femmes ayant élevé trois enfants est conservé.
Quant à la bonification pour enfants, la jurisprudence européenne nous oblige à adapter le dispositif antérieur pour pouvoir le conserver. Pour le passé, il a été décidé de ne pas diminuer les droits des femmes dont les enfants étaient déjà nés. Certains nous recommandaient de diviser l'avantage par deux, pour le baisser à 6 mois, et de l'étendre ainsi plus facilement aux hommes. Nous avons refusé cette solution qui ignorait la réalité sociologique : les femmes ont des carrières moins favorables que celles des hommes car elles s'arrêtent souvent pour élever les enfants. Nous avons donc fait le choix de traduire la jurisprudence en conservant pour le passé la bonification d'un an par enfant, qui est étendue aux hommes, mais qui nécessite de s'être arrêté de travailler pour la naissance ou l'éducation de l'enfant.
Pour le futur, la bonification est remplacée par une validation comme période de service des périodes d'arrêt en relation avec la naissance, l'adoption ou l'éducation de l'enfant. Cette validation pourra atteindre trois ans par enfant. La mesure sera accordée aux femmes et aux hommes. L'Assemblée Nationale a complété ce dispositif en accordant aux femmes qui auront des enfants à partir de 2004 une majoration de six mois de durée d'assurance, qui ne pourra pas se cumuler avec la validation des périodes non travaillées.
Par ailleurs, nous avons choisi de faire converger les règles d'indexation des pensions qui sont transformées pour se rapprocher du régime général. Les pensions seront ainsi revalorisées chaque année en fonction de la hausse des prix. Le niveau de vie des retraités de la fonction publique sera intégralement préservé.
Enfin, la réforme aborde la délicate question des primes. L'intégration de ces éléments dans la pension proprement dite n'était pas envisageable en raison notamment de son coût très élevé : 5 à 6 Milliards d'euros par an en 2020. Cependant, le Gouvernement est soucieux d'avancer sur ce point très attendu par les fonctionnaires.
Tout d'abord, il a souhaité tenir un engagement correspondant à un accord qui n'avait pas été honoré par le précédent Gouvernement au sujet des aides-soignantes. Leurs primes seront intégrées dans leur traitement, et compteront donc dans la pension, à hauteur de 10% du traitement indiciaire.
Ensuite, le projet de loi institue pour tous les fonctionnaires civils et militaires un nouveau régime, distinct du régime des pensions.
Ce régime par répartition et par points sera garanti par un mécanisme de provisionnement selon des modalités qui doivent être précisées d'ici à sa création. Il sera obligatoire.
L'assiette du régime sera constituée par les éléments de rémunération qui n'entrent pas actuellement dans l'assiette des pensions, dans la limite de 20% du traitement. Cette assiette est suffisamment large pour toucher la quasi-totalité des situations.
Notre projet de loi, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, établit une réforme qui garantit l'équité entre les différentes catégories de travailleurs; il établit une réforme qui protège la répartition pour les 20 ans qui viennent.
De ce point de vue cette réforme pose aussi les termes d'un débat sur l'avenir de la fonction publique et les garanties essentielles que nous devons lui apporter.
Ce débat national se fera avec les fonctionnaires et leur représentants et nous l'ouvrirons, car la Nation doit maintenir avec la fonction publique une relation de confiance et d'estime totale, une relation apaisée qui fasse que chaque fonctionnaire soit à nouveau intimement convaincu de l'importance de sa mission et surtout l'accomplisse dans la sérénité.
D'ores et déjà nous confirmons l'engagement donné aux partenaires sociaux signataires concernant une réunion des groupes fonction publique sur la pénibilité et les carrières longues.
Nous avons aussi à conduire une politique de gestion des ressources humaines afin d'améliorer les conditions de travail tout au long de la carrière et notamment à la fin (2ème carrière, CPA).
La France est un pays d'équilibre et de sagesse politique et je crois plus que jamais que cet équilibre repose aussi sur l'harmonie entre le public et le privé.
Pour conclure mon propos je voudrais vous dire mon sentiment : ce projet de réforme est juste et équilibré.
Juste, car il comprend de nombreuses avancées sociales notamment sur les petites retraites et qu'il rétablit une nécessaire équité entre les citoyens.
Equilibré, parce qu'il prévoit une grande progressivité dans son application, des rendez-vous réguliers pour l'amender, et qu'il renforce, en les sauvant, nos systèmes de protection sociale.
Notre débat est aujourd'hui important car il permettra à chacun d'exprimer sa différence et donc de prendre ses responsabilités par rapport à la consolidation souhaitée et nécessaire de notre pacte social.
Je vous remercie.
(source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 8 juillet 2003)