Tribune de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies, dans "Le Figaro" du 8 décembre 2003, sur la société de l'information, notamment ses perspectives et l'action de la France pour son développement.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Du monde clos à l'univers infini
Les avancées de la science et de la technologie, conquête de l'espace ou quête de l'infiniment petit, n'en finissent pas de nous projeter "du monde clos à l'univers infini" pour reprendre le titre de l'ouvrage écrit au siècle dernier par l'historien des sciences Alexandre Koyré.
Depuis l'avènement des Nouvelles technologies de l'information et de la communication, grâce à l'abolition des distances et la compression du temps qu'elles entraînent, c'est notre espace individuel qui se voit décloisonné et devient par-là même susceptible d'expansion quasi infinie. Cette révolution inaugure une nouvelle relation de l'individu au monde et à autrui, fondée sur les notions d'ouverture, de transmission et d'échange. Doit-on y voir la promesse d'un nouvel humanisme ? En facilitant l'accès au savoir et à l'information à l'échelle mondiale, les échanges par-delà le temps et les frontières, la compréhension d'autrui, ces technologies répondent à deux des besoins les plus fondamentaux de l'Homme : la soif de connaissance et le désir de communication.
C'est dire les défis qui attendent la communauté mondiale, et notre responsabilité pour que cette nouvelle révolution technologique se double d'un véritable progrès de civilisation.
Le Sommet mondial pour la Société de l'Information (SMSI) qui se tiendra du 10 au 12 décembre 2003 à Genève, et dont l'ONU a planifié la seconde phase pour novembre 2005 à Tunis, a pour objectif de préciser les multiples enjeux attachés au développement de ces nouvelles technologies.
Moins médiatisé sans doute que le Sommet, pour le développement durable qui s'est tenu à Johannesburg il y a un an, ce Sommet mondial pour la Société de l'Information n'en est pas moins un événement de première importance, ne serait-ce qu'en regard de la rapidité avec laquelle la Société de l'Information se construit et se développe : en cinq ans, le nombre d'utilisateurs d'Internet dans le monde a été multiplié par vingt.
Dans ce contexte, l'orientation que nous choisirons de donner à la Société de l'Information pour les dix prochaines années est cruciale, et cela à de multiples niveaux. Même si l'on entend parfois décrier, notamment en France, l'essor fulgurant des nouvelles technologies (téléphone portable, micro-informatique, courriel, Internet) à usage de tous, leur apport pour la croissance économique, notamment par les usages induits en fait un phénomène d'une ampleur comparable à celle de la révolution industrielle.
Notre responsabilité collective en est ainsi accrue : permettre l'accès de tous à Internet, faire partager par tous ces nouveaux outils, donner du sens à leur utilisation et rendre possible, grâce à eux, une meilleure compréhension d'autrui.
La France participe activement à la préparation du SMSI. Dans l'esprit de concertation développé par le gouvernement.
Cette préparation, comme la participation effective au Sommet associe des acteurs de la société civile, des entreprises, des associations, des organisations non gouvernementales. Cette concertation a d'ores et déjà permis de souligner un certain nombre d'enjeux pour les dix prochaines années parmi lesquels la réduction de la fracture numérique, la gouvernance de l'Internet, l'accès à la connaissance pour tous, la diversité culturelle francophone sur l'Internet.
La réduction de la fracture numérique est un sujet qui se posé à l'échelle de chaque nation comme au niveau mondial. En mars dernier, le président du Sénégal, Abdoulaye Wade, rappelait, à propos du prochain SMSI, l'opportunité que représente l'accès à Internet pour les pays du Sud et il développait le concept de solidarité numérique Nord-Sud.
Or cette solidarité répond des besoins essentiels pour les pays du Sud. Ainsi, dans le sud de la Guyane, grâce à l'Internet par satellite, un service de télémédecine tout à fait vital a été mis en place au profit de populations isolées. Dans ce cas comme dans bien d'autres, la réduction de la fracture numérique, loin d'apporter le superflu, contribue à apporter aux citoyens les éléments indispensables à leur bien-être.
Mais la coopération avec le Sud doit aussi se faire en termes de contenus : la politique des campus universitaires numériques, en associant nos universités et centres de recherche à des universités du Sud, est un facteur de coopération essentiel, qui se développe au bénéfice de chacun de ses acteurs.
La gouvernance de l'Internet est un deuxième défi majeur pour les dix prochaines années. Il est indéniable que les choix techniques d'infrastructure (adressage IP, serveurs-racine attribution des noms de domaine et des adresses Ipv6...) établis par les pionniers de l'Internet indépendamment des Etats ont, de par leur expansion fulgurante, des conséquences éminemment politiques. C'est pourquoi le dispositif actuel doit à cet égard sensiblement évoluer dans le sens d'une véritable gestion internationale des ressources. Le développement équilibré de la Société de l'Information pour un nombre important de secteurs d'activités, mais aussi de pays et régions du monde en dépend.
Dans l'esprit de liberté qui a permis cette phase d'expansion, nous avons parallèlement à développer une conscience collective de vigilance, sur les réseaux comme sur les contenus. Sur les réseaux, la coopération internationale en matière de sécurité doit être renforcée. Sur les contenus, une gouvernance mondiale bien comprise de l'Internet doit aussi permettre une coopération sur la limitation des contenus illicites et la protection des mineurs, mais aussi sur la lutte contre le publipostage non sollicité.
Plusieurs initiatives, aux Etats-Unis, à la Commission européenne, en France, via le Comité interministériel de la Société de l'Information du 10 juillet réuni par le Premier ministre, témoignent d'une prise de conscience et d'une action en ce sens, qui n'aura sa pleine efficacité qu'à un niveau international. Lors du Sommet de décembre, la France prendra, en liaison avec ses partenaires européens, une initiative d'ampleur sur la gouvernance de l'Internet, y compris la gouvernance des contenus.
I.'éducation, l'accès à la connaissance pour tous, le rayonnement du monde francophone et de sa diversité culturelle constituent d'autres domaines à promouvoir, d'autres enjeux pour les années à venir.
L'Internet est, par la richesse de ses contenus éducatifs et culturels, un outil d'égalité des chances et de diffusion du savoir, de l'école à l'université. Il offre également des possibilités de formation pour tous les âges, quelles que soient les distances ou les lieux d'habitation.
Les expériences de mise en ligne des cours d'universités en libre accès sur Internet, comme aux Etats-Unis, sont un exemple tout à fait intéressant. A cet égard, un bon équilibre est à définir entre l'accès, de tous aux savoirs et la rémunération des droits d'auteurs, fondements de la création et de l'innovation : l'utilisation des données numériques dans un cadre d'enseignement et de recherche mérite à ce titre une attention particulière.
Cet enjeu de développement d'un Internet francophone, avec sa diversité culturelle et éducative, en associe d'autres, comme le rayonnement international de nos universités et grandes écoles, la diffusion élargie de nos travaux de recherche, la diffusion numérique de notre création et de notre patrimoine artistique.
Je souhaite enfin souligner combien l'usage d'Internet est étroitement lié aux enjeux les plus actuels et les plus cruciaux la science, notamment dans les domaines de la médecine, de l'humanitaire ou encore de l'environnement : autant de champs d'application qui n'admettent désormais plus ni le repli ni l'indifférence des nations.
Ainsi, le partage en temps réel des cartographies épidémiologiques et la communication de données entre spécialistes mondiaux a joué un rôle majeur pour limiter au printemps dernier l'expansion du SRAS De la même manière, l'historique des données climatologiques ou sismiques, l'observation météorologique par satellite en temps réel feront rapidement l'objet d'un meilleur partage au niveau mondial.
A maints égards, nous sommes redevables à la recherche fondamentale d'avoir inventé Internet Il n'est pas fortuit que le premier navigateur Internet soit né dans un laboratoire du CERN, à Genève, pour répondre au besoin de communication et de partage des connaissances par une communauté mondiale de chercheurs. Internet est sans conteste un oubli primordial au service de la science et, comme elle, son objectif doit être de préparer l'avenir et de contribuer au bien-être de tous. C'est pour toutes ces raisons que son usage éclairé et responsable doit être favorisé, et que, comme l'a fait le gouvernement, l'Internet doit être déclaré "d'utilité tout public". Une Société de l'Information au service de tous et au service de l'avenir : voilà la vision que la France souhaite partager avec les nations lors du prochain Sommet de l'ONU.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 décembre 2003)