Interview de M. Dominique Perben, ministre de la justice, à Europe 1 le 17 mai 2004, sur la succession d'Alain Juppé à la tête de l'UMP, la politique gouvernementale, la position de l'UMP sur la future constitution européenne et les prochaines élections européennes, le mariage homosexuel et la situation des prisonniers français à Guantanamo.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q- C. Delay-. La course à la présidence de l'UMP a été relancée ce week-end. J.-P. Raffarin n'exclut pas d'y aller et N. Sarkozy confirme ce matin, dans les colonnes du Figaro, ses ambitions. Est-ce qu'il n'y a pas plus urgent que l'élection à la tête de l'UMP ?
R - "Ce qui est urgent, c'est l'action pour le Gouvernement. C'est favoriser le retour de la croissance, c'est faire en sorte que cette croissance soit riche en emplois, c'est régler un certain nombre de grosses difficultés comme l'assurance maladie, c'est par exemple mon texte sur les entreprises en difficulté... C'est ça le travail de tous les jours."
Q- Mais pourquoi ne dépasse-t-on pas ce débat autour de la succession d'A. Juppé ?
R - "A. Juppé a annoncé son départ de la tête de l'UMP, c'est bien normal qu'on en parle. Mais il ne faut pas effectivement que le bruit médiatique autour vienne, en intensité, recouvrir tout le reste, c'est-à-dire tout ce qui est important pour la vie quotidienne des Français."
Q- Je faisais allusion aux européennes. On a le sentiment, encore une fois, que le scrutin à la tête de l'UMP est plus important que les européennes. Vous n'avez pas cette impression ?
R - "On en parle plus dans un certain nombre de journaux. Pour autant, les européennes, qui sont un sujet toujours un peu difficile à traiter, je le reconnais volontiers, en termes de commentaires de l'actualité, c'est important. Ce que je voudrais personnellement, c'est que cette campagne des européennes soit l'occasion de parler vraiment de la construction de l'Europe, d'en parler avec un peu d'enthousiasme, un peu d'optimisme, pour dire que c'est une chance pour les Français, c'est une chance pour l'avenir."
Q- On va y revenir... D'abord, les lettres de cadrage : elles vont être envoyées dans tous les ministères dans les jours qui viennent. "Tout le monde fera des efforts", répète une nouvelle fois N. Sarkozy, ce matin dans les colonnes du Figaro. J'ai l'impression que vous aussi, au ministère de la Justice, vous allez devoir faire des efforts, puisqu'on envisage l'étalement d'un an de la loi de programmation de la justice. Vous le confirmez ?
R - "Non, je ne confirme pas, c'est un sujet qui est en discussion, qui a été évoqué dans un certain nombre d'organes de presse, que N. Sarkozy ne m'a pas confirmé directement. Nous devons en parler entre ministres, au cours de la semaine. Ce qui est certain, c'est que chacun devra faire un effort sur l'année 2004, parce qu'il faut que l'exécution du budget se fasse dans les meilleurs conditions possibles pour la France. Et, bien entendu, chacun devra faire un effort dans la perspective de 2005. Mais il faut en même temps préserver les grandes orientations du quinquennat..."
Q- Vous ne taillerez donc pas dans vos projets ?
R - "Ce n'est pas moi qui taille ou qui ne taille pas, c'est l'ensemble du Gouvernement, c'est le Premier ministre, c'est le président de la République. Il faut une cohérence à l'action globale du Gouvernement et nous discuterons entre nous, bien entendu, de ces choses. Mais faire un effort, cela veut dire quand même un petit peu réduire des dépenses, là où on aurait préféré réduire un peu moins. C'est cela que ça veut dire..."
Q- Sur quoi êtes-vous prêt à faire un effort ?
R - "Il faut faire un effort sur l'ensemble du fonctionnement, sur des choses qui ne sont indispensables. Par exemple, moi, je ne peux pas faire d'efforts trop importants sur des choses aussi prioritaires, comme l'a indiqué lui-même le président de la République, comme les contrats éducatifs fermés, comme la situation dans les prisons, qui est difficile, vous le savez, et qui nécessite bien sûr un certain nombre de dépenses, aussi bien d'investissement que de fonctionnement. Je souhaite aussi moderniser les juridictions et continuer à créer un certain nombre d'emplois de magistrats et de greffiers, pour faire face à la situation."
Q- Ca, c'est sanctuarisé pour vous. Mais sur quoi êtes-vous prêt à faire un effort, puisque de tout le monde doit en faire ?
R - "Ce sur quoi on peut faire des efforts, c'est le fonctionnement courant de l'ensemble des services. Alors il faut tous faire un petit effort pour y arriver."
Q- Moins de fonctionnaires dans les services de la Justice, c'est ce que cela veut dire ?
R - "Non, ce n'est pas ce que cela veut dire, puisqu'il est prévu, sur les cinq années, d'augmenter le nombre de magistrats, de greffiers et de surveillants de prison."
Q- Du côté administratif alors ?
R - "Après, c'est une affaire de rythme. Mais nous parlerons d'abord de tout cela avec le ministre des Finances, ensuite le Premier ministre."
Q- On va parler un petit peu de l'UMP. Il paraît que l'autorité de J. Chirac est de plus en plus contestée. On entend beaucoup de députés de base qui contestent certains choix du président de la République. On a entendu beaucoup de choses autour de la Charte de l'environnement, des députés qui l'ont contestée. Comment vivez-vous cela ?
R - "Le débat est normal. L'UMP est un très grand mouvement politique, avec des diversités d'ailleurs, des nuances, des points de vue un petit peu différents selon les uns et les autres, sur des sujets comme par exemple celui de la Charte de l'environnement. Mais d'ici à parler de contestation de l'autorité de J. Chirac, je crois que c'est faire un grand pas. Qu'est-ce que l'on peut dire, qu'est-ce qui c'est passé ? Al'occasion des régionales et des cantonales, beaucoup de nos amis parlementaires ont eu le sentiment que le résultat médiocre de ces élections résultaient d'un manque d'écoute de la part du Gouvernement. Et donc la réponse que nous devons apporter à ces collègues parlementaires, c'est bien entendu une plus grande écoute vis-à-vis d'eux-mêmes, c'est-à-dire qu'il y ait un meilleur débat, une meilleure préparation des décisions, une plus grande discussion entre le Gouvernement et bien sûr le groupe parlementaire et le mouvement politique. Et puis aussi que nous fassions collectivement un effort d'écoute de la population, de ceux qui la représentent, du tissu associatif, de ce que l'on appelle la société civile. Je crois que c'est ça qui est important et c'est ça, au fond, que nous demandent en profondeur beaucoup de députés et beaucoup de sénateurs."
Q- Apparemment, de nombreux députés n'hésitent plus à dire ouvertement que le président de la République n'est plus en phase ?
R - "Je crois que c'est marginal. Je suis beaucoup avec mes amis députés et sénateurs. Ne généralisons pas quelques exceptions."
Q- Pour les européennes, on va maintenant voter dans moins de quatre semaines. Et disons-le : on n'y voit pas très clair. Il y a beaucoup de débats au sein des partis, notamment au sein de l'UMP, entre ceux qui sont pour ou contre l'adhésion de la Turquie, pour ou contre le référendum sur la Constitution. Comment s'y retrouver lorsque l'on est électeur ?
R - "S'agissant de l'UMP, les choses sont très claires. Nous avons tenu un conseil nationale il y a quelques jours, pour définir la ligne de l'UMP en matière européenne. Il y avait plusieurs motions, il y avait plusieurs orientations. Il y a eu des votes, après des amendements. Alors, vraiment, sur ce sujet, je voudrais dire combien l'UMP a montré sa capacité, un, à débattre, deux, à trancher, à adopter une ligne. Donc c'est très clair : nous sommes pour le projet de Constitution qui a été préparé par l'équipe de Giscard d'Estaing et un certain nombre de représentants de l'ensemble des pays de l'Europe. Nous sommes favorables à la mise en place d'un référendum pour adopter cette Constitution, si elle devait être négociée positivement par les différents Etats. Et l'UMP a fait savoir qu'elle était hostile à l'entrée de la Turquie dans l'Europe. Donc les choses sont parfaitement claires au niveau des positions de l'UMP. Plus fondamentalement, ce que propose l'UMP aux Français, c'est effectivement, une attitude volontariste en matière de construction de l'Europe, de l'Europe élargie à 25, mais avec une capacité, pour les Etats de cette nouvelle Europe, d'aller de l'avant pour que nous puissions construire ce continent fondé sur des valeurs de liberté, de responsabilité, et assumer son rôle dans le monde. Je pense en particulier aux jeunes. L'Europe, c'est ce qui permet à des jeunes d'aller faire des études dans d'autres pays, c'est ce qui permet à des jeunes de pouvoir aller occuper des emplois, éventuellement, dans d'autres pays..."
Q- Mais comment convaincre les Français de ne pas voter contre le Gouvernement, contre l'action du Gouvernement de J.-P. Raffarin, mais bien pour l'Europe ? Parce que c'est une ode à l'Europe que vous prononcez là !
R - "Il faut par ailleurs que le Gouvernement développe le bien-fondé de sa politique en général. Mais je crois que ce qui serait dommage, c'est que sur une affaire aussi importante pour le destin de chaque Français et pour le destin du pays, on passe à côté de ce débat sur l'Europe. Et puis, je voudrais rappeler l'essentiel : les femmes et les hommes qui sont candidats sur ces listes, ce sont des gens qui vont, au Parlement européen pendant les 5 années prochaines, nous représenter, débattre des grands sujets européens. Et franchement, l'Europe, cela mérite de l'enthousiasme, cela mérite un engagement ! J'espère que cette élection sera l'occasion de le montrer."
Q- Là encore, il y a un problème de lisibilité : comment interpréter, comment comprendre que certaines personnalités de l'UMP choisissent de concourir sur des listes souverainistes, en l'occurrence, celle de P. de Villiers ?
R - "Mais qu'est-ce que ça peut faire ? Ce n'est pas cela qui va empêcher les Français d'avoir envie de l'Europe, de considérer que c'est une chance pour la France et que..."
Q- Mais avouez que cela ne fait pas très sérieux !
R - "Mais c'est le problème de ces personnalités-là !"
Q- On pourra exclure ces personnalités de l'UMP ?
R - "Bien entendu, si elles poursuivent dans des démarches concurrentes. Mais ce n'est pas cela l'important. L'important, c'est de savoir ce que l'Europe représente pour les Français qui ont 15 ans, 18 ans, 20 ans, 25 ans aujourd'hui. C'est ce qui est important, et c'est ce qui m'intéresse."
Q- Vous allez sûrement faire campagne ; quelle est l'idée que vous allez mettre en avant pour convaincre ces jeunes de participer, de voter pour l'Europe et non pas contre le Gouvernement ?
R - "L'Europe, pour un jeune, c'est son univers de demain. C'est là que ça va se passer pour lui. Et puis, cette réunification de l'Europe, c'est la paix. Dans un monde si difficile, l'Europe peut être ce pôle de paix et de développement, et de respect du droit des personnes. Aujourd'hui, quand on observe ce qui se passe dans le reste du monde, je crois qu'il est important de préserver cette idée, cette construction européenne qui a été si porteuse de droits, de liberté et de développement économique."
Q- Avez-vous été surpris par la sortie de L. Jospin sur le mariage homosexuel ?
R - "Je n'en ai pas été surpris, puisqu'il a dit ce que je dis depuis trois semaines, à savoir que la loi exclut ce type de mariage. Par contre, je redis ce matin sur votre antenne que j'ai engagé des discussions, des réflexions, pour faire l'évaluation juridique du Pacs, en liaison avec l'ensemble des associations, pour faire en sorte que ce mode de contrat puisse apporter davantage de résultats positifs à ceux qui souhaitent adopter ce dispositif."
Q- En dépit de ce débat qui s'amplifie, vous êtes toujours aussi réticent à y entrer, à l'ouvrir ?
R - "J'observe que la course à la présidence au PS fait qu'il y a une véritable cacophonie sur ce sujet à gauche. Donc, essayons de faire en sorte que les débats de société soient traités avec sérieux, avec calme, avec pondération et rappelons le droit d'abord - c'est ce que j'ai fait - et ensuite, essayons d'améliorer par une évaluation juridique du Pacs que j'ai proposée et que je vais faire dans les prochaines semaines."
Q- Mais encore une fois, pas d'ouverture de débat sur cette notion ?
R - "Le débat est ouvert."
Q- Vous ne changerez pas, vous n'évoluerez pas sur cette notion ? Certaines associations disent "D. Perben ne veut pas ouvrir ce débat - j'ai lu cela ici ou là -, parce qu'il veut préserver le futur électorat lyonnais qu'il convoite pour les municipales". Qu'est-ce que vous répondez à cela ?
R - "Les bras m'en tombent ! Soyons sérieux ! Le débat est ouvert ! Vous me posez la question sur Europe 1 le matin, cela veut bien dire que le débat est ouvert. Simplement, je rappelle la loi. La loi sur le mariage, aujourd'hui, est satisfaisante. Je crois que c'est une institution qui permet à un mari et une femme de se marier. Par ailleurs, je pense qu'il faut prendre en compte des choix différents que chacun doit respecter. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé, comme l'ont d'ailleurs dit le président de la République et le Premier ministre, de faire une évaluation juridique du Pacs. Et ce n'est pas quelque chose de renvoyé à plus tard. Le groupe de travail va être mis en place dans les tout prochains jours, et j'ai d'ores et déjà des rendez-vous avec les associations représentant les uns et les autres."
Q- Vous avez annoncé, il y a quelques jours, le futur retour des prisonniers français de Guantanamo. Est-ce que vous en savez un peu plus sur le calendrier ce matin ?
R - "J'ai effectivement rencontré la semaine dernière le ministre de la Justice américain, J. Ashcroft. Je lui reparlais, comme je le fais chaque fois que je le rencontre, de cette affaire car je considère que ces jeunes français - comme les autres d'ailleurs - sont dans une situation de non-droit qui ne peut durer. Je peux vous confirmer ce matin que des discussions entre le Gouvernement américain et le Gouvernement français sont en cours pour envisager les modalités d'un transfert. Je ne peux pas donner la date aujourd'hui, car les choses peuvent tout à coup aller vite ou prendre encore un peu de temps. Il y a encore des discussions sur le nombre de personnes concernées, sur les modalités de ce transfert. Mais j'ai maintenant bon espoir que ces personnes puissent sortir d'une situation de non-droit qui n'était pas acceptable."
Q- Ces jeunes, de retour en France, seront libérés, incarcérés ?
R- "Ils seront sous l'autorité de la justice, la justice française, avec ses règles à elle, qui s'appliqueront. Les juges prendront les décisions qu'ils estimeront devoir prendre."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 18 mai 2004)