Déclaration de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur l'application de la loi sur la réduction du temps de travail à 35 heures ("réconcilier l'économique et le social"), le bilan des accords signés (document du 23 septembre en annexe) et la préparation d'une seconde loi en 1999, Lille le 5 octobre 1998.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des Affaires Sociales de l'Assemblée Nationale
Mesdames et messieurs les Parlementaires, Mesdames et Messieurs les Élus,
Mesdames, Messieurs,
Cette rencontre de Lille est une étape importante dans la dynamique de réduction de la durée du travail qui est désormais lancée dans notre pays. L'action commune des partenaires sociaux, des élus, des collectivités locales, votre action est en effet capitale pour la réussite et donc pour l'emploi.
Trois mois après la promulgation de la loi, la signature de la première convention état/Région me donne l'occasion de redire le sens de cette démarche, qui nous offre la perspective historique de réconcilier l'économique et le social, et de repréciser la méthode originale que le gouvernement a adoptée.
1°) Réconcilier l'économique et le social, c'est avant tout ne plus laisser les chômeurs à la porte des entreprises.
C'est la raison pour laquelle l'emploi est évidemment le premier objectif.
Même si le chômage recule depuis une année, il est clair qu'il faut aujourd'hui consolider et amplifier cette tendance. Il est évidemment encore trop tôt pour faire un bilan ou une prévision. Et de plus, comme je l'ai toujours dit, je souhaite que les entreprises prennent le temps nécessaire pour étudier l'organisation du travail et pour négocier. Nous ne souhaitons pas des accords bâclés.
Je constate avec satisfaction que les 321 accords signés au 23 septembre ne le sont pas.
Ce qui me frappe, c'est que l'effet sur l'emploi est d'environ 7,5 % (3 583 emplois dont 2 675 créations d'emploi), ce qui est très encourageant pour l'avenir et montre que les chômeurs aussi seront gagnants.
Quelques exemples récents et concrets :
- le laboratoire pharmaceutique Shering Plough, à Lys les Lannoy (près de Lille) qui a créé 38 emplois ;
- Samsonite dans le Pas-de-Calais 20 emplois créés ; beaucoup de petites entreprises entre 5 et 20 personnes, dans toutes les régions mais en particulier dans le Nord-Pas-de-Calais qui embauchent un salarié supplémentaire ;
- une sucrerie dans l'Aisne (Origny Sainte Benoîte) de 625 salariés qui a pu, grâce aux 35 heures, sauvegarder 87 emplois, ce qui n'est pas rien quand on se rappelle l'hémorragie d'emplois que connaît le secteur depuis 15 ans ;
- l'entreprise de transport Cabri dans les Côtes d'Armor (101 salariés) dont l'action sur l'emploi s'est donné aussi pour objectif la lutte contre les exclusions ;
- la caisse chirurgicale mutuelle de l'Yonne (88 salariés) qui va embaucher en priorité des jeunes chômeurs ou des chômeurs de longue durée ;
- l'entreprise de bâtiment Carretier Robin (Lot-et-Garonne ; 162 salariés) qui non seulement embauche mais vise à développer -la polyvalence en misant sur la formation.
2°) Réconcilier l'économique et le social, c'est ensuite discuter dans l'entreprise, c'est prendre en compte en compte les attentes de chacun.
C'est pourquoi la négociation est essentielle.
En juin dernier, j'ai fait le constat au cours de la Commission Nationale de la Négociation Collective que le cru 1997 était décevant. Peu de négociations à tous les niveaux.
Il est clair que la loi sur le temps de travail a donné une impulsion nouvelle.
Plus d'une vingtaine de branches sont déjà dans une négociation active :
- c'est le cas notamment dans le bâtiment et les travaux publics où, après l'accord CAPEB, une autre négociation a démarré avec les fédérations du bâtiment et des travaux publics,
- autre négociation, les services de l'automobile, branche de 420 000 salariés où 93 % des entreprises ont moins de 50 salariés, qui viennent d'entamer une négociation avec l'objectif d'un accord d'accès direct,
- je citerai enfin le textile et l'habillement, où des accords d'application immédiate sont recherchés,
Les accords de branches viennent ainsi faciliter les négociations d'entreprises sans en constituer pour autant un préalable. Ils sont en fait d'autant plus importants qu'ils concernent des petites entreprises.
L'ampleur des discussions engagées aujourd'hui dans les entreprises de toute taille est impressionnante. Les discussions se soient ouvertes dans un nombre d'entreprises qui est sans commune mesure avec ce qui était observé ces dernières années.
Il y a incontestablement une reprise du dialogue social avec de nombreux cas de mandatement (dans plus du quart des cas). Les signatures des accords concernent toutes les organisations syndicales : plus de 80 % des syndicats présents dans les entreprises concernées ont ainsi signé.
A partir de là, je fais confiance au dialogue pour que des solutions concrètes soient trouvées au cas pas cas.
Un exemple de qualité du dialogue social, les laboratoires Shering qui ont prévu une mise en place en deux étapes avec bilan après la 1ère étape et un suivi minutieux.
Il nous faudra trouver les moyens de maintenir cette dynamique de négociation au-delà du cap de la réduction de la durée légale du travail, pourquoi pas, en liant le bénéfice de l'aide structurelle de 5 000 F à la conclusion d'un accord.
3°) Réconcilier l'économique et le social, c'est enfin rechercher ensemble, patrons et salariés, la meilleure organisation du travail, c'est réfléchir à l'articulation entre la vie professionnelle et personnelle et familiale.
a- La réduction du temps de travail améliorera la vie quotidienne des Français, j'en suis convaincue, les premiers accords le montrent.
En particulier, une piste importante a été ouverte par plusieurs entreprises de façon tout à fait intéressante, la conciliation entre besoins de l'entreprise et prise en compte des rythmes scolaires.
C'est le cas de l'entreprise Samsonite (326 salariés) dans le Pas-de-Calais, avec des jours libérés calés sur les rythmes scolaires,
Ou encore de l'entreprise Brucker (346 salariés, Haut-Rhin, fabrication de matériel médical) avec un temps partiel annualisé en fonction des rythmes scolaires.
Cette amélioration de la qualité de vie ne se fait pas au détriment des salaires, n'en déplaisent à ceux qui il y a quelques mois, nous expliquaient que les 35 heures commençaient à peser sur les salaires.
b- Les 35 heures sont aussi une chance unique pour moderniser nos entreprises.
Là aussi les négociations en cours et les accords conclus sont prometteurs. Beaucoup de chefs d'entreprises nous disent que cela leur a permis de mieux s'organiser notamment grâce à la modulation négociée, pour en définitive mieux répondre aux besoins de leurs clients.
Les exemples ne manquent pas :
- la petite entreprise textile CGEN, à Annoeulhin (au nord de Lille), 24 salariés, qui fabrique des articles textiles, a mis en place une modulation sur deux périodes dans l'année ;
- les ateliers mécaniques de St Florent, dans le Gard, une entreprise de 113 salariés, ont prévu une augmentation de la durée d'utilisation des équipements et une extension de l'activité
- les pâtes Alpina en Savoie, 84 salariés avec là aussi une augmentation de la durée d'utilisation des équipements et un lissage de la durée du travail en période de haute activité.
4°) Avec la loi sur le temps de travail, nous avons ouvert un processus original où les négociations qui S'ouvrent aujourd'hui vont aider à ce qu'une seconde loi à l'automne 1999 vienne moderniser le droit de la durée du travail.
La deuxième loi sera ainsi conçue pour tirer les enseignements des accords passés, je parle de ceux qui auront cherché à appliquer la première, c'est à dire à ce jour la très grande majorité des accords.
Cela signifie, bien évidemment, que les accords passés conformément au cadre légal en vigueur aujourd'hui devront pouvoir s'appliquer après la deuxième loi. Il n'est pas question de venir troubler l'application de tels accords.
En particulier, les systèmes de modulation pourraient être regroupés pour donner plus de lisibilité à un dispositif aujourd'hui inutilement complexe.
Les solutions innovantes, c'est à dire celle qui parviendront à concilier l'économique et le social, seront, comme je l'ai dit à plusieurs reprises, prises en compte de dans la deuxième loi.
Quelques pistes montrent que le champ de l'innovation est large.
Des innovations sont possible en ce qui concerne la formation. Je souhaite que les 35 heures soit l'occasion de développer les formations qualifiantes, qui pour les entreprises et les salariés le meilleur atout pour l'avenir.
Je suis ainsi avec intérêt la mise en place des co-investissements pour une partie minoritaire du temps libéré, avec à la clé des formations réellement qualifiantes et validées dans un cadre paritaire, plutôt que de vouloir sortir du temps de travail les formations de développement dans l'emploi.
Pour le contingent d'heures supplémentaires, il est clair que nous ne pouvons accepter des relèvements spectaculaires du contingent conventionnel qui visent à contourner la loi, ou les solutions de ceux qui spéculent sur l'idée que le repos compensateur à 100 % pourrait se déclencher à de tels niveaux qu'il n'y aurait pas de baisse effective de la durée du travail.
Enfin, la question du temps de travail des cadres est posée depuis longtemps en France. J'ai toujours considéré pour ma part qu'il y avait trois catégories de salariés
- des cadres dirigeants pour lesquels le forfait tous horaires a été créé ;
- des cadres qui bénéficient d'une large autonomie, mais qui aspirent à une meilleure maîtrise de leur temps, et pour lesquels le décompte en heure n'est pas toujours possible. Pour ceux là l'objectif n'est pas un comptage heure par heure, mais bien une véritable maîtrise du temps travaillé, avec une réduction réelle qui peut prendre des formes variées : journées entières, compte épargne temps... A nous tous d'inventer, pour cette catégorie, par la négociation, des modalités adaptées.
- enfin il y a des cadres dont 1'activité est pleinement intégrée dans le cycle de production de l'entreprise. Pour ceux, là, le droit commun de la durée du travail doit pouvoir s'appliquer.
Vous l'avez compris, je souhaite que les cadres ne passent pas à côté de la réduction du temps de travail.
Dans ce contexte, la convention état/Région Nord-Pas-de-Calais m'apparaît exemplaire.
1°) Exemplaire sur la méthode, tout d'abord.
La région, l'État et les partenaires sociaux ont travaillé ensemble sur ce projet, avant même le vote définitif de la loi. Ceci permet aujourd'hui, peu après l'entrée en vigueur de la loi et malgré les vacances scolaires, d'aboutir à un texte qui recueille une adhésion très large
- un accueil qui dépasse les clivages traditionnels au Conseil Régional, même si certains, pour des raisons liées à leur engagement politique national n'ont pas souhaité l'exprimer par un vote positif en commission permanente,
- accueil favorable des organisations syndicales et patronales, qui co-piloteront avec l'État et la région l'exécution de cette convention. J'ai cru comprendre que des conventions seront signées dans les prochains jours avec la plupart d'entre-elles (UPR, CGPME, CFDT, CGT, CFTC, FO, CGC) et que d'autres suivront. J'attache une grande importance à cette participation active des partenaires sociaux qui sont trop peu souvent associés à 1 'action des régions, notamment dès que l'on quitte le champ de la formation.
Tout ceci n'est pas un hasard, c'est le fruit de votre effort commun que je tiens à saluer.
2°) Ce texte est exemplaire pour son contenu, ensuite et c'est là l'essentiel bien entendu.
Il fait la démonstration que les actions de l'État, la région, lorsqu'elles sont intelligemment combinées, se démultiplient plutôt que de s'ignorer ou de se faire concurrence, comme c'est malheureusement bien trop souvent le cas.
L'État a fixé un cap, les 35 heures, et un dispositif d'incitation financière par des exonérations liées aux créations d'emploi, je n'y reviens pas.
La région mobilise quant à elle ses moyens sur ce qui fait sa force, la proximité, la complémentarité, et sur sa compétence propre, la formation.
La proximité tout d'abord. Nous réussirons les 35 heures si les entreprises s'en saisissent, si patrons et salariés négocient pour que l'emploi soit gagnant. Le rôle de la région sera essentiel :
- par la mobilisation des réseaux - fédérations patronales et syndicales, chambres consulaires, comités de bassin d'emploi, clubs d'entreprises -, avec lesquelles notre région a su nouer des relations de confiance. Les têtes de réseaux seront soutenues dans leurs actions destinées à faciliter le passage à 35 heures de leurs adhérents,
- par la co-animation, avec l'État déconcentré et l'ARACT, du réseau des consultants : formation, échange de méthodes de travail, capitalisation des expériences,
- par le suivi et l'analyse des accords signés en Nord-Pas-de-Calais, au sein de l'Observatoire Régional. Les contributions de cet observatoire pourront être mises à profit pour l'élaboration de la 2ème loi.
La complémentarité ensuite, notamment en matière de conseil aux entreprises. L'État a mis en place, au niveau national, un dispositif de diagnostic et d'accompagnement, par des consultants, pour les entreprises qui s'engagent vers les 35 heures. La région, en liaison avec les services déconcentrés et l'ARACT, interviendra en amont, par des pré-diagnostics très courts pour apporter dans les meilleurs délais une information et des conseils adaptés au contexte de l'entreprise, et en aval par de l'ingénierie de suivi des accords, de l'ingénierie des formations d'adaptation à la nouvelle organisation, et de l'ingénierie sur les innovations de produits et de process nécessaires au développement.
La Formation des acteurs enfin. L'État, la région et les partenaires sociaux s'associeront pour renforcer l'offre de formation sur l'aménagement et la réduction du temps de travail, tournée vers les dirigeants d'entreprises et les représentants des salariés, notamment ceux d'entreprises qui envisagent un accord de réduction du temps de travail.
3°) Nous discutons avec d'autres régions dans un même esprit, et d'autres accords suivront, j'en suis convaincue.
Une convention sera signée dans les prochaines semaines avec la région Midi-Pyrénées ; 7 autres régions discutent également activement et pourraient aboutir dans les prochains mois (pour information, mais à ne pas citer à mon avis : Île-de-France, Limousin, Lorraine, Haute et Basse-Normandie, PACA, Poitou-Charentes, Pays-de-Loire.
Le cadre dans lequel les entreprises négocient aujourd'hui est ainsi parfaitement clair ; de même l'objectif, réduire la durée effective pour améliorer l'emploi, a été clairement affiché et peut, je crois, faire l'objet d'une mobilisation citoyenne à laquelle j'appelle de nouveau les chefs d'entreprises et les organisations syndicales. Faire reculer le chômage doit être une ambition partagée par tous.
L'emploi doit être gagnant.
On sait désormais que les entreprises et les salariés peuvent être gagnants mais l'emploi aussi peut et doit être gagnant. C'est la responsabilité de tous. Ceux qui ont déjà signé un accord ne s'y sont d'ailleurs pas trompé et montrent la voie.

(source http://www.35h.travail.gouv.fr, le 18 octobre 2001)