Interview de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, à "France inter" le 4 décembre 2003, sur les inondations dans le sud de la France, la politique de plan de prévention des risques, notamment en matière de pratique agricole et d'attribution de permis de construire et sur l'indemnisation des victimes.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli-. Faudra-t-il désormais régulièrement s'attendre à de telles calamités météos ? Le sud de la France, pour la septième fois depuis 1992, est noyé sous les inondations. Un an après, au même endroit et pour les mêmes raisons, une digue a cédé sur la rivière Mosson (phon.), et comme l'an passé, il a fallu évacuer les habitants de Lattes, dans l'Hérault. Comme l'an passé encore, l'évacuation des 2.000 habitants d'Aramon, dans le Gard, pour ne citer que ces deux villes. Le réchauffement climatique, qui pourrait être à l'origine de ces phénomènes, n'impose-t-il pas de prendre désormais des mesures de sécurité à long terme ?
En 2000, 2001, 2002 et 2003 : violences des événements météos et, l'an passé, à peu près pour les mêmes raisons d'ailleurs, nous avions invité à France Inter un spécialiste de la prévision, qui disait que peut-être l'une des fragilités de la France était qu'il nous manquait des systèmes de prévision à long terme. Avons-nous progressé dans ce domaine ? Avons-nous été, cette fois encore, pris de court par les calamités météos ?
- "Nous avons fait d'énormes progrès dans le domaine de la prévention des crues, grâce à une réforme profonde qui a été menée l'an dernier. Nous avons transformé, réformé, doté de moyens humains, financiers et matériels nos services d'annonce des crues, pour les transformer en services de prévision des crues. Un service central hydrométéorologique a été créé à Toulouse, avec des personnes de très haut niveau technique. L'ensemble des observateurs est donc d'accord pour constater que la prévision des crues a été faite de manière correcte et très nettement améliorée cette année. Mais néanmoins, et pour rebondir sur ce que vous disiez en début de votre propos, nous voyons bien que des phénomènes que l'on pouvait considérer comme exceptionnels deviennent pratiquement annuels ou se reproduisent de façon très rapprochée. Cela nous impose donc aussi d'autres politiques et des contraintes évidemment à long terme beaucoup plus fortes."
Mais puisque cette répétition se fait sur des séquences très courtes, quasiment d'une année sur l'autre, si malheureusement des événements de cette nature devaient se reproduire dans quelques moins à peine, comment mettre en place des systèmes de protection efficaces ?
- "D'abord, il faut être beaucoup plus contraignant sur les possibilités de construire en zones inondables. J'ai relancé la politique de plan de prévention des risques, pour faire en sorte que dans les zones inondables, toute nouvelle construction soit interdite. Et on ne peut que constater, hélas - j'en faisais le point hier avec un certain nombre de préfets et de responsables - qu'encore, nous avons des demandes de construction, publiques ou privées, dans des zones inondables. Premier point. Donc plusieurs centaines de plans de prévention des risques ont été prescrits, qui imposeront des contraintes à l'urbanisme. Le deuxième point, très important, c'est la conscience du risque. C'est le but de la loi du 30 juillet 2003, sur laquelle évidemment nous avons travaillé pendant toute l'année qui vient de s'écouler. La pose de repères de crues sur les bâtiments publics : souvent, nos concitoyens ont oublié qu'il y avait des possibilités d'inondation. La question de l'information préventive : maintenant, dans les baux et dans les actes de location, le fait que vous soyez dans une zone inondable, que vous achetez ou que vous louez un bien dans une zone inondable, cette mention sera obligatoire. Et, bien entendu, il faut "s'attaquer", entre guillemets, à l'urbanisme existant : la loi maintenant, depuis le mois de juillet 2003, prévoit que les fonds assurantiels peuvent être utilisés, non seulement pour indemniser les victimes, mais pour leur permettre de déménager hors de la zone inondable ou de mettre la maison en sécurité, avec un certain nombre d'équipements qui permettent de mieux supporter l'inondabilité, quand la maison a été construite, hélas, en zone inondable."
Mais on voit la complexité des enjeux. Certes, il y a l'urbanisation, mais beaucoup de questions se posent aussi s'agissant par exemple des enjeux de l'agriculture. Faut-il interdire les digues qui empêchent l'écoulement des eaux ? Faut-il reposer la question du remembrement agricole et des conséquences qu'il a pu avoir sur les trente dernières années ? Comment gérer ces questions-là ?
- "C'est tout à fait capital et c'est le sens du plan d'appel à projets des collectivités territoriales, que j'ai lancé et qui va mobiliser 400 millions d'euros de travaux, et avec lequel j'ai mené une concertation extrêmement approfondie avec la profession agricole, pour ralentir le débit des fleuves et des rivières en amont, et non pas se contenter d'ouvrages de protection au droit des zones urbanisées, pour changer les pratiques culturales : labourer parallèlement aux rivières et non pas perpendiculairement, pour retarder le flux hydraulique ; maintenir les bosquets, les arbres ; ralentir l'érosion en amont. Et les crues et les inondations que nous sommes en train de vivre dans le Sud-Est et le Sud-Ouest sont particulièrement réceptives à ce changement des modes de pratiques culturales. Mais on réalise bien que ce je veux faire, c'est-à-dire cette protection écologique contre les crues, ne se fera pas en quelques mois. Ce ne sont pas des mesures d'urgence, ce sont des mesures à long terme, qui prendront quelques années à se mettre en place."
Précisément, quels seront les moyens politiques - et j'entends aussi par là les moyens financiers qui seront mis à votre disposition ? Il y a en ce moment une exposition extrêmement intéressante, à la Cité des sciences et de l'industrie à Paris, qui s'appelle "Climax" et qui pose les questions de l'écologie et des évolutions climatiques. Les experts s'attendent, compte tenu de l'industrialisation, à un réchauffement qui pourrait être de l'ordre de 4 à 6 degrés d'ici 2100, ce qui est un réchauffement considérable. Aurez-vous les moyens suffisants pour engager une politique de développement durable dans ce champ-là ?
- "Il n'y a de sujet écologique plus important que la lutte contre le réchauffement climatique. Je le mets en tête de l'agenda. Bien entendu, d'abord par une action diplomatique tout à fait considérable, qui va d'ailleurs m'amener à participer à la conférence sur le climat, dans quelques jours à Milan, après avoir été en Russie pour tenter de convaincre les Russes, au Maroc ce dernier week-end puisque le Maroc est président du G77, pour expliquer aux pays en développement que les stratégies de développement peuvent être respectueuses de cette question climatique, dans une stratégie gagnant-gagnant. Mais nous aussi, Européens, nous devons avoir des politiques beaucoup plus affirmées - politiques d'énergies renouvelables, politiques de changement de nos modes de consommation et de production. Dans quelques jours, le 15 décembre, je présenterai, avec le Premier ministre, un "plan climat", qui se donne pour objectif d'économiser 60 millions de tonnes de carbone. Et nous voulons être extrêmement ambitieux dans ce domaine."
Comment ne pas penser, ce matin, à toutes celles et ceux qui sont en dehors de chez eux, une nouvelle fois les pieds dans l'eau ? Les indemnisations iront-elles plus vite que l'an passé ou pas ?
- "Les indemnisations ont été correctement menées l'an dernier. Rappelez-vous, très vite, les services de l'Etat se sont mobilisés. D'ores et déjà, des crédits ont été débloqués, comme l'a annoncé le président de la République, hier, quand il est allé au centre opérationnel de Valabre. N. Sarkozy a annoncé la tenue d'une cellule pour évaluer le montant des indemnisations nécessaires. Les décisions gouvernementales qui décrètent les catastrophes naturelles, puisque c'est évidemment cette démarche qui permet l'indemnisation des victimes, seront prises extrêmement vite. Et bien entendu, le ministère de l'Ecologie et du Développement durable participera au chiffrage des indemnisations, tant dans le domaine des catastrophes naturelles, des calamités agricoles, mais également de l'aide que pourra apporter l'Etat aux personnes publiques ou privées."
C'est une question difficile, parce que l'on est encore dans l'événement, mais peut-on évaluer ce matin le temps qui sera nécessaire pour que ceux qui sont concernés touchent les premières indemnisations ?
- "A l'heure actuelle, il faut bien entendu faire un chiffrage des dommages. La plupart de nos malheureux concitoyens sont encore les pieds dans l'eau et peut-être même plus. Donc le chiffrage et la nature des dégâts ne peuvent pas être faits à l'heure actuelle. Il faut attendre la décrue, qui devrait survenir dans quelques heures."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement,
le 4 décembre2003)