Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, sur l'aide de l'Etat à la Corse, le statut de la Corse, la décentralisation et les institutions régionales, Ajaccio le 30 octobre 2003.

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Circonstance : Déplacement en Corse les 29 et 30 octobre 2003

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je m'exprime devant les élus de la Corse pour la première fois depuis la consultation du 6 juillet. Une majorité de corses n'a pas voulu dire "oui" au projet de collectivité unique. On peut le regretter, ou s'en réjouir, c'est ainsi. Le 6 juillet 2003 a été un épisode important de la vie publique de la Corse, puisque ce sont 60 % des corses qui se sont exprimés, et cela pour la première fois. Mais cet épisode, pour important soit-il, ne doit pas être considéré comme un drame ou une déchirure supplémentaire. Il n'est pas un point d'arrivée, mais un point de départ. Il nous faut prendre acte de ce résultat. Il ne faut pas nous laisser prendre au piège d'une nouvelle division, qui serait celui d'une nouvelle paralysie. Plus que jamais il nous faut rassembler les forces de la Corse de façon à construire.
Car les problèmes demeurent, intacts depuis le mois de juillet. Ce sont ceux du développement économique d'abord. Le gouvernement proposait des instruments nouveaux pour les résoudre. Son souhait était de créer une dynamique grâce à des simplifications institutionnelles. Les corses ne l'ont pas souhaité, mais ils n'ont pas souhaité pour autant que tout s'arrête !
Je veux croire que ces quatre mois de réflexion sur l'avenir de la Corse n'auront pas été inutiles. Les corses ont été amenés à réfléchir. Les épisodes de recrudescence de la violence clandestine, la dégradation de l'image de la Corse, tout cela a beaucoup heurté les esprits. On a eu le sentiment du creusement d'un fossé entre Corse et continent. Mais à toute chose malheur est bon. Il faut faire de ces difficultés une opportunité. Aujourd'hui, beaucoup de corses se mobilisent contre la violence, et disent à juste titre leur sentiment d'injustice devant l'image souvent caricaturale qui est donnée d'eux.
Je l'ai dit il y a quinze jours, ici même, à Ajaccio : les tourments de la Corse, même s'ils sont bien à elle, sont aussi ceux de la France.
Il faut maintenant agir.
L'Assemblée de Corse a débattu, à l'initiative du président José Rossi, de la violence, et elle a bien fait. Tous les corses doivent comprendre, quelles que soient leurs convictions et leurs sympathies, que les forces de sécurité dans l'île ont un seul objectif : que chaque corse puisse vivre ici sans avoir peur, sans être menacé. Personne ne doit se résigner à capituler devant la violence. C'est le préalable, incontournable, à tout progrès collectif.
Pour que la parole soit libre, il faut que chacun puisse s'exprimer. Or, je sais qu'aujourd'hui , ce n'est pas le cas .Rendre cette liberté aux corses, c'est leur permettre de préparer leur avenir.
C'est pour cela que nous avons décidé de nous attaquer, non pas à des idées ou à des individus, mais à des pratiques affairistes ou mafieuses. Car c'est seulement lorsque ces dérives cesseront que seront vraiment en place les conditions du développement. Comment demander aux corses de faire des projets s'ils ont peur ? Si l'argent qu'ils gagnent est détourné par le racket ? Si ceux qui vivent du racket vivent mieux que ceux que ceux qui travaillent ? Ce problème existe dans la France tout entière, et nous luttons contre ces phénomènes depuis dix huit mois. C'est maintenant la même chose pour la Corse, ni plus ni moins .
La lutte contre la violence sous toutes ses formes y est engagée. Elle se poursuivra avec résolution, sans excès, mais sans faiblesse. Parce que les corses ont droit au respect de la loi qui protège, et parce qu'ils ont le droit de construire leur avenir sans crainte pour leurs initiatives.
Pour autant, et je l'ai toujours dit, la réponse au problème corse ne peut résulter de la seule réponse policière ou judiciaire. Elle est la construction d'un projet de développement qui prenne en compte la diversité territoriale de la Corse et la nécessité de dépasser les blocages traditionnels.
Les mois qui viennent vont voir se rapprocher les échéances cantonales et territoriales, et ces sujets du développement vont être largement abordés. Avant que de nouvelles équipes soient désignées par les électeurs, prenons le temps de réfléchir un moment, en dehors de toute préoccupation partisane, à ces enjeux qui sont ceux de la Corse.
Deux points me paraissent très importants pour pouvoir progresser, quels que soient les engagements politiques des uns et des autres. De quels instruments la Corse dispose-t-elle aujourd'hui ? Comment les utiliser au mieux pour aller vers un vrai progrès ?
Les "instruments", ce sont les outils institutionnels : une collectivité à statut particulier, avec six offices, deux départements, trois cent soixante communes. Je pourrais y ajouter deux communautés d'agglomérations, et neuf communautés de communes. C'est beaucoup, mais ce n'est pas trop si au-delà des clivages politiques tout le monde accepte de "tirer" dans le même sens, celui de l'intérêt général. Est ce possible ? Nous n'avons pas le choix, la réponse doit être positive car le gouvernement n'a pas l'intention de rouvrir le débat institutionnel dans les mois qui viennent. Je suis optimiste car là encore, je pense que les esprits ont évolué au cours des derniers mois, que la nécessité d'aller de l'avant est davantage partagée.
Le premier outil, c'est celui du statut actuel de la Corse, un statut qui est particulier depuis plus de vingt ans, mais qui a changé de nature avec la loi du 22 janvier 2002. Cette loi a transféré, ce qui est sans équivalent, des compétences qui couvrent maintenant l'essentiel des affaires de la Corse. Elle a aussi transféré la pleine propriété de biens aussi importants que des forêts, des routes, des ports, des aéroports, des monuments historiques. Elle a transféré - et non pas simplement mis à disposition - les personnels de l'Etat correspondant aux compétences nouvelles. Elle va permettre le transfert des ressources correspondant à ces nouvelles compétences.
L'application de cette loi ambitieuse a nécessité dix huit mois, ce qui peut paraître long. Pourtant, il a fallu ces dix huit mois, et cela parce que beaucoup de problèmes étaient inédits. Appliquer cette loi a finalement demandé autant d'énergie que la préparer. Il faut remercier le président Jean Baggioni de sa collaboration mais aussi de sa très grande vigilance dans la défense des intérêts de la Corse.
Il a fallu élaborer quatorze décrets d'application, dans des domaines aussi variés que les réserves naturelles ou le crédit d'impôt pour investissement. Il a fallu, avant de transférer quatre vingt un agents de l'Etat, se mettre d'accord, emploi par emploi, sur ce qui était nécessaire: une mission d'inspection a passé des mois à l'étudier, et l'Assemblée de Corse a statué sur ce sujet pour parvenir à un accord avec l'Etat. 81 agents de l'Etat ,cela représente près d'un quart des emplois actuels de la collectivité territoriale, ce n'est donc pas tout à fait rien. Il a fallu obtenir la décision interministérielle de principe de création d'une ligne budgétaire unique pour le PEI, qui accueillera au cours des 15 ans qui viennent près de 2 milliards d'euros et s'agissant là encore d'une procédure nouvelle, amorcer son alimentation en crédits. Il a fallu se mettre d'accord sur une méthode de transfert des ressources, qui ne désavantage pas la Corse, en conservant la réalisation des opérations exceptionnelles du contrat de plan tout en transférant à la collectivité les crédits correspondant aux autres opérations.
Partout où la loi avait tracé le pointillé des transferts, le gouvernement a du découper les secteurs de compétence, les effectifs, les crédits, et cela est difficile, parfois même douloureux. J'ai veillé, sur chacun de ces sujets, avec l'accord du Premier ministre, à ce que l'esprit de la loi soit scrupuleusement respecté. C'est à dire à faire en sorte que la Corse dispose de tous les moyens pour prendre ses responsabilités en main. Il a fallu pour cela vaincre les résistances naturelles de l'Etat à abandonner ses compétences. C'est maintenant chose faite. Je vais tout à l'heure signer avec le président Jean Baggioni les conventions de transfert de personnel de l'Etat à la collectivité, qui engagent dix ministères différents. Voilà aujourd'hui la collectivité territoriale de Corse au pied du mur.
Je devrais plutôt dire : nous voilà, ensemble au pied du mur pour exercer ces responsabilités. Car l'Etat ne disparaît pas du paysage et, au delà bien sûr de ses missions régaliennes qui demeurent, reste attentif à ce que les choses fonctionnent. Je pense aux deux milliards d'opérations du programme exceptionnel d'investissement, co-programmées et cofinancées par l 'Etat et les collectivités. Je pense aux demandes d'assistance technique de la collectivité, tout à fait naturelles pour des responsabilités nouvelles .Il faut en effet pouvoir gérer au mieux le programme exceptionnel d'investissement, et la collectivité se tourne normalement vers les compétences du ministère de l'équipement pour gérer le programme exceptionnel d'investissement. L 'Etat doit être au rendez-vous. Je pense aussi à certaines compétences qui restent partagées, par exemple en matière d'éducation.
Ainsi je vais signer tout à l'heure avec le président du conseil exécutif la convention relative à la généralisation de l'enseignement de la langue corse : bel exemple de travail en commun. Il a fallu de longs mois de consultation pour arriver à ce texte, des débats nourris à l'Assemblée de Corse, pour parvenir à cet accord, même si certains auraient souhaité aller encore plus loin. Cette convention, première du genre, généralise l'enseignement du corse depuis la maternelle, et organise un enseignement bilingue, à raison d'un site par secteur de collège. Ainsi se trouve respecté l'engagement de l 'Etat de généraliser l'enseignement. Ainsi l'usage de la langue corse va être revitalisé, ce qui est essentiel pour l'identité culturelle, qui passe par un usage courant ,vivant, naturel de la langue, au delà de l'école.
Voilà un bel exemple de partenariat. En effet, la décentralisation, même si elle est très avancée, même si elle aboutit de fait, dans certains secteurs, à une autonomie qui ne dit pas son nom, n'exclut en rien le partenariat bien compris. Vous le savez, "autonomie", ce n'est pas un mot qui me fait peur .La solution aux problèmes de la Corse, cela doit être davantage d'autonomie dans le cadre de la République française. Ce que le gouvernement n'a pu vous donner par la réforme institutionnelle, il va vous le donner, par le contenu de sa politique en Corse. Je prendrai un autre exemple. Nous avons voulu répondre aux souhaits exprimés par l'université de Corte, pour prendre en compte sa spécificité. Nous l'avons fait en mettant fin à l'application des normes San Remo, qui régissent la répartition des moyens nationaux entre les universités. A la place, nous réactivons une convention tripartite entre Etat, université, et collectivité territoriale, qui fixe des objectifs et des moyens. Ce sont trente emplois d'enseignants et de personnels administratifs qui peuvent d'ores et déjà être programmés. Plus d'autonomie, c'est donc plus de moyens mais aussi plus de dialogue. Une règle qui s'applique dans un pays comme elle s'applique dans une famille.
Pour que ce dialogue entre Etat et les collectivités fonctionne, il faut que la Corse parvienne à unir ses forces. Cette règle doit aussi s'appliquer aux collectivités de Corse dans leur ensemble. Un dialogue constructif, une coopération doit absolument s'instaurer entre elles. J'en prendrai deux exemples.
Le président Jean Baggioni a pris l'initiative de réunir au début du mois d'octobre la conférence de coordination des institutions prévue par la loi du 22 janvier 2002. Les quatre présidents d'institutions concernés ont pris cet exercice très au sérieux. L'objectif a été fixé de concevoir des dispositifs d'intervention conjoints, en n'excluant aucun secteur, mais en mettant l'accent nécessitant un traitement prioritaire : incendies, eau assainissement, déchets , tous sujets essentiels pour la Corse. Mais à cette occasion a aussi été organisé un échange d'informations sur des questions d'intérêt commun, tels que le PEI ou le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse. Cette concertation entre les collectivités me paraît être une nécessité absolue, et je me réjouis de la voir s'instaurer. Je me réjouis tout autant que les présidents des deux communautés d'agglomération, les maires d'Ajaccio et de Bastia, soient associés, comme le permet la loi, à la prochaine réunion du mois de décembre .
Il faut en effet que les collectivités de corse travaillent, enfin, ensemble. J'ai rencontré cet été les deux associations de maires de Corse, avec lesquelles un travail a aussi été engagé. D'accord pour prendre en compte, autant qu'il est possible, les problèmes particuliers qui se posent aux 360 communes de Corse, et particulièrement aux plus petites d'entre elles. Pourquoi ne pas, par exemple, envisager un relèvement du plafond des subventions d'investissement pour les petites communes ? Il faut tenir compte de la réalité des difficultés des villages corses. Mais il faut voir plus loin : là aussi , ne pas tout attendre seulement de l'Etat, accepter l'intercommunalité, qui doit progresser considérablement pour vaincre l'isolement des villages. Une intercommunalité qui fasse, non pas survivre, mais revivre les communes de Corse, et qui en fasse des interlocuteurs du département, de la collectivité territoriale, de l'Etat. Nous allons en reparler tout à l'heure dans une nouvelle réunion de travail avec les deux bureaux d'associations de maires.
Les communes rurales doivent être au coeur du développement économique. En effet, il est grand temps que la Corse, et l'Etat avec elle, regardent en face la réalité de ses problèmes. Et au premier rang de ceux-ci, la dualité de la Corse d'aujourd'hui. Tous les instruments du développement doivent prendre en compte le fait que la Corse c'est à la fois une montagne et 1 000 km de littoral, une situation qui est bien spécifique.
Lorsque nous sommes allés, avec dix sept d'entre vous, plaider l'exception corse à Bruxelles au mois de janvier dernier, vous avez pu constater la réticence de la Commission européenne à admettre cette spécificité corse, dans la mesure où ses règlements ne l'y obligeaient pas. C'est pourquoi le chef de l'Etat va défendre, à la demande du gouvernement, un amendement au traité de Rome, au sein de la conférence intergouvernementale sur l'avenir de l'Europe. Cet amendement tient compte des difficultés corses : insularité, montagne, déséquilibre de répartition de la population sur son territoire. Car la Corse c'est tout cela à la fois. Et si les chefs d 'Etat européens vont être sensibilisés à cet état de fait, il est grand temps qu'en Corse d'abord, et à Paris aussi, on regarde en face la dualité territoriale, sociologique, culturelle de la Corse.
Je crois qu'il faut avoir deux démarches, parallèles : la mise en place d'outils servant à tous les acteurs du développement, et la réflexion sur l'aménagement du territoire.
Sur les outils du développement , il nous faut poursuivre la démarche initiée à l'hiver 2002, alors que nous préparions l'entrevue de Bruxelles, c'est à dire ne pas forcément considérer que tous les instruments économiques et fiscaux sont déjà en place pour aider au mieux le développement de la Corse. Je n'en veux pour preuve que la taille et la fragilité des entreprises corses. Lorsque l'on doit batailler avec la Commission européenne pour sauver 52 emplois, soit la deuxième entreprise de l'île, celle de fabrication de cigarettes, on est obligé de réfléchir à un dispositif de renforcement des entreprises. Il faut creuser les idées qui viennent des représentants socio-professionnels, en passant à la deuxième phase du groupe de travail présidé en décembre 2002 par Jean Claude Hirel, pour aborder des questions "sectorielles" telles que celles des très petites entreprises, ou bien "horizontales" comme de celle de l'encouragement à l'investissement de l'épargne en Corse, ou de la création d'un outil de crédit bail immobilier .
Mais il faut aussi réfléchir en termes d'aménagement du territoire, à la dualité de la Corse. La Corse du littoral, où se concentrent plus de la moitié de la population, autour de Bastia et d'Ajaccio. La Corse de l'intérieur, où on trouve moins de 10 habitants au km2. Au delà de ce simple déséquilibre démographique, ce sont tous les problèmes de la Corse qui se dessinent. Il y a cinquante ans, il était admis et sans problème de travailler en ville et de monter au village le samedi, pour profiter à la fois de la modernité et de la tradition. Aujourd'hui, les mêmes habitudes demeurent, mais le paysage a bien changé. Les banlieues de Bastia et d'Ajaccio connaissent un afflux de population, un urbanisme désordonné, une insécurité urbaine longtemps inconnue, vols avec violence ou trafic de stupéfiants. Comme sur le continent, l'immigration a pris de l'importance, elle représente même un dixième de la population. Les media diffusent comme partout ailleurs une culture internationale, qui imprègne les jeunes de la même façon. Et ici plus qu'ailleurs, on craint d'être envahi par l'extérieur, parce qu'on craint de voir disparaître son identité, et cette crainte est à l'origine de beaucoup de tensions.
La Corse de l'été, celle qui va bien, n'est pas la Corse tout court, où les difficultés économiques sont réelles et ne diminuent pas. Je sais que se sont tenues, il y a quinze jours, des assises de la ruralité, ouvertes aux communes de moins de 200 habitants. Même si ce critère n'est pas scientifique, même s'il a été contesté, il révèle une prise de conscience de la nécessité de traiter des problèmes très concrets, pour revitaliser l'intérieur, depuis l'eau et l'assainissement jusqu'à l'indivision.
J'ai trouvé ce même réalisme dans mes échanges avec les associations de maires. L'enjeu est économique, mais il est tout autant politique : il s'agit de faire revivre l'identité profonde de la Corse. De démontrer qu'un autre avenir est possible que le départ en ville ou sur le continent. Aujourd'hui, je sais que beaucoup de corses, nés dans les années d'après guerre, partis en ville, souvent sous la pression familiale, pour trouver un emploi et un salaire, s'interrogent sur leur parcours, et déplorent de ne pas avoir pu rester au village, pour relever une exploitation, éviter la désertification.
C'est pour cela que la question de l'agriculture en Corse est si importante, et c'est pour cela que j'ai tenu à pouvoir lui apporter une réponse. L'agriculture, c'est plus d'un tiers du territoire de la Corse! Le problème lancinant de l'endettement doit trouver une solution, et j'ai fait désigner une mission technique qui travaille depuis l'été pour préparer, d'ici à la fin de cette année , les décisions à prendre. J'ai voulu également , car c'est l'avenir de la Corse qui est en jeu là aussi, que soit examiné avec diligence les propositions de plan de relance de l'agriculture corse, élaboré par la profession. Bien des questions se posent depuis de nombreuses années et doivent trouver une réponse. Comment prendre en compte les handicaps naturels des communes agricoles ? Comment relever le défi de la qualité ?Ce défi de la qualité, il a été relevé pour le vin, pour les fruits, il peut l'être pour tous les produits qui font la Corse, qui doivent non seulement subsister comme un secret bien gardé, mais devenir une ressource sûre en accédant aux marchés extérieurs. Sur ces sujets, nous avançons, en confiance avec les organisations agricoles, que je rencontrerai une nouvelle fois cet après midi.
C'est aussi pour préserver et faire vivre la Corse de l'intérieur que plus jamais ne doit se reproduire la catastrophe des feux de forêt de 2003. Trois personnes tuées, dix blessées. 27 000 hectares détruits, le chiffre est considérable, c'est une partie - 3 centièmes - du patrimoine de l'île, une flore et une faune si précieuses, irremplaçables que l'on a vu partir en fumée . Sur ce sujet, très grave, la résignation n'est pas concevable à moins d'accepter l'idée d'une véritable dénaturation de l'île. L ' Etat a consacré à la Corse des moyens exceptionnels cet été. Au delà des moyens nationaux pré-positionnés dans l'île dès le mois de juin ,qui comportaient 5 avions bombardiers d'eau, un renforcement des moyens s'est poursuivi tout l'été. Nous avons mobilisé jusqu'à dix avions bombardiers d'eau supplémentaires , la totalité des UISC ont été engagées dans l'île, les hélicoptères militaires ont été mobilisés, 11 000 "hommes-jours" de renforts de sapeurs pompiers ont été envoyés du continent. Ceci ne minimise pas l'ampleur des sinistres, mais donne une idée de l'ampleur que ceux-ci auraient pu atteindre. Les causes en sont diverses. Il est vrai que la sécheresse a été exceptionnelle, mais elle n'explique pas tout. La faiblesse de la prévention, ajoutée à la pression des incendiaires, sont les principales explications de cette catastrophe, et sur elles, nous pouvons et nous devons agir, vous et nous.
Je suis prêt à renforcer encore l'apport de l'Etat dans le dispositif "feux de forêt". Dès l'été prochain , un hélicoptère de capacité de 10 tonnes de largage sera loué et affecté en Corse. J'ai demandé aussi la mise à disposition en permanence de deux hélicoptères du ministère de la défense, permettant d'assurer l'héliportage de commandos de feux de forêt. Enfin, je voudrais que les SDIS de Corse puissent acquérir une vingtaine d'engins de lutte contre le feu, pour constituer une colonne mobile de renfort, l' Etat finançant cette acquisition à 70 % grâce à une enveloppe spécifique du fonds d'aide à l'investissement des SDIS au taux maximum.
Mais je crois que tout le monde ici est conscient de l'effort indispensable à mener en matière de prévention .J'ai demandé au préfet de Corse de prescrire des plans de protection des forêts contre l'incendie en application du code forestier, auquel la collectivité pourrait bien sûr participer en se substituant s'il le faut aux communes déficientes. Je voudrais aussi que soient mis en place, comme pour la prévention de la délinquance, des instances locales de prévention des incendies .Je veux enfin soutenir la création d'un institut de gestion des risques à l'université de Corte, en prenant en charge la collaboration, décisive, d'un officier de sapeur pompier, expert formateur à l'école de Valabre, auprès de l'équipe des experts en place. Cet institut devra servir de pôle de recherche et de retour d'expérience. Son implantation au cur de la Corse sera non seulement emblématique mais précieuse aux acteurs de terrain .
Ce sujet de la protection de la forêt est essentiel pour l'aménagement du territoire en Corse .
Sur l'ensemble des sujets d'aménagement de l'espace, la loi du 22 janvier 2002 a donné à la Corse des moyens considérables. Pour n'en citer qu'un, mais pas le moindre, la collectivité de Corse devra élaborer son plan d'aménagement et de développement durable. Toutes sortes de questions vont surgir à cette occasion, car il s'agit de définir tout autant les voies et moyens du développement économique que ceux de la protection de l'environnement .Puissent elles ne pas se transformer en sujets de conflits, mais en occasions d'avancer ! Je crois pour ma part qu'une prise de conscience est intervenue en Corse, sur la nécessité de dépasser des points de blocage qui durent depuis trop longtemps et qui compromettent toute avancée. Je crois que les corses ont conscience que pour préserver leur identité, leur âme, la seule tradition ne suffit plus si elle est une simple répétition du passé. Même si la nostalgie est toujours forte ici d'un âge meilleur, plus clément, même si la peur de l'avenir est souvent forte aussi, vécue comme une menace, il me semble, à travers toutes mes rencontres depuis dix huit mois, que beaucoup de corses comprennent qu'aller de l'avant est la seule manière de pouvoir aussi conserver ses traditions. Car dans une société totalement immobile, ce n'est pas la tradition qui est la plus forte, mais au contraire tout ce qui tend à l'affaiblir : depuis les produits importés jusqu'à la culture venue d'ailleurs.
Une illustration de ce principe : le projet de télévision numérique porté par FR3, qui couvrirait par satellite le territoire insulaire , mais s'adresserait au delà à un public plus large, un public méditerranéen .Il y a là une formidable occasion, à la fois de diffusion de la culture corse, mais aussi d'ouverture à d'autres cultures du Sud, à travers les programmes et à travers les publics. Jean Jacques Aillagon et moi même soutenons activement ce projet, la collectivité de Corse est prête à soutenir les productions de cette chaîne, et j'espère que FR3 numérique pourra voir le jour en 2004.
L'aménagement de l'espace va demander à la Corse un effort d'imagination: pas dans une résignation à brader son environnement, qui serait absurde, mais au contraire dans le souci de le rendre plus fort. Pour cela, pourquoi ne pas recourir au pouvoir d'adaptation législative, expérimental, que prévoit la révision constitutionnelle d'avril 2003 ? Si des textes nationaux ne paraissent pas adaptés à la Corse, parce qu'ils freinent sans raison toutes les initiatives, pourquoi ne pas essayer de les adapter, au lieu d'attendre que le Parlement se saisisse un jour de la question, hypothèse lointaine et improbable. L'article 72 de la Constitution permet désormais aux collectivités territoriales de déroger à titre expérimental aux lois et règlements qui régissent leurs compétences .
Je sais que ces initiatives ont été proposées par certains d'entre vous concernant la loi montagne, la loi littoral, ou l'indivision. Pourquoi pas ,si c'est dans un souci de préserver l'environnement, un souci de nos jours très majoritairement partagé par les élus, comme il l'est à juste titre par la population .
Je sais à quel point le pouvoir législatif a cristallisé les débats politiques au cours des dernières années, en tant qu'emblème de l'autonomie. Je le répète, ce mot d'autonomie ne me fait pas peur, s'il est une prise en main locale de responsabilités. Aucune guerre, aucune violence n'est nécessaire pour y parvenir. Les instruments existent, c'est à la Corse de jouer.
Fort justement, j'ai entendu plusieurs d'entre vous déclarer après le 6 juillet : tout ne doit pas venir de Paris, à nous de nous retrousser les manches pour élaborer notre projet. Je pense qu'ici chacun adhère à cette pétition de principe. Cela une fois dit, rien n'est encore résolu. Mais deux pas sont franchis : celui de la prise de responsabilités qui permet d'identifier les vrais problèmes. Celui de la confiance en soi, qui permet de passer de la revendication au dialogue. C'est la démarche que je souhaiterais pouvoir amorcer avec vous tous aujourd'hui.
(source http://www.corse.pref.gouv.fr, le 31 octobre 2003)