Déclaration de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, sur les risques et opportunités de la mondialisation, Paris le 12 mai 2004.

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Circonstance : Forum de l'OCDE, à Paris les 12 et 13 mai 2004 : intervention de Michel Barnier le 12

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames, Messieurs,
D'abord, je suis heureux de vous saluer dans la diversité de vos responsabilités, de vos engagements, de vos nationalités et à mon tour, heureux de vous accueillir et de vous apporter en quelques instants où je vais solliciter votre attention, quelques éléments de réflexion au nom du gouvernement français.
Vous avez d'ailleurs oublié, Jean-Marc Sylvestre, en rappelant rapidement mon parcours, de dire que pendant cinq ans, j'ai en effet eu la chance de voir, de l'intérieur, la gouvernance européenne comme membre de l'exécutif européen en charge de cette belle politique, une des plus belles politiques : la cohésion économique, sociale et territoriale à l'échelle maintenant d'un continent presque réunifié - 450 millions de citoyens, consommateurs, vingt-cinq bientôt vingt-sept pays - cela commence à être significatif de faire fonctionner de manière très intégrée un tel ensemble. J'étais également, pendant ces quelques années, chargé de suivre les questions institutionnelles et donc d'être l'un des ouvriers de la Constitution européenne dont j'espère qu'elle sera bientôt plus qu'un projet.
Donc merci de m'avoir permis, en m'invitant, de vous dire ces quelques mots sur la marche du monde telle que nous la voyons aujourd'hui et dont la manière dont elle se déroule peut inspirer, en effet, le sentiment que nous manquons collectivement d'instruments de compréhension et de contrôle. Et là, je voudrais d'emblée répondre à votre interpellation : oui, je pense que l'OCDE, que cette enceinte, que de tels forums doivent permettre de mettre les faits, les chiffres - qu'ils soient positifs, un peu plus positifs en ce moment, ou négatifs - en perspective et de faire avancer la réflexion commune sur la gouvernance mondiale. Et je trouve que le thème que vous avez choisi cette année, le "bien-être des nations ; aider à construire un monde meilleur " s'y prête bien. En mettant l'accent sur cette notion de bien-être, vous nous invitez à adopter une nouvelle approche de la mondialisation, plus globale et plus humaine, et je m'inscris personnellement dans cette ligne, en prenant la tête du Quai d'Orsay, de ce grand et beau ministère de l'action extérieure de la France et de l'influence française. Naturellement, parler du bien-être, chercher les moyens d'une solidarité, d'une meilleure gouvernance, d'une mondialisation humanisée, ce n'est pas théorique mais c'est tout de même un peu décalé par rapport à la situation du monde aujourd'hui. Et vous me permettrez, non pas pour verser dans une sorte de pessimisme, mais tout de même pour dire les choses telles que je les pense, d'évoquer les crises auxquelles nous sommes confrontés aujourd'hui, parce que nous devons traiter ces crises. Je pars demain à New York pour travailler avec Kofi Annan, je serai à Washington vendredi, je visiterai Haïti samedi. Nous avons, en ce moment, comme ministre des Affaires étrangères, à passer tout notre temps sur ces crises, ces spirales de violence, de sang, ces corps déchiquetés, ces décapitations, ces tortures. Pour trouver le chemin de cette mondialisation plus humaine, de ce monde meilleur, nous devons réaffirmer qu'il faut d'abord régler ces conflits, qu'il faut ramener la paix et la stabilité, qu'il faut organiser, comme l'avait dit avec beaucoup de force mon prédécesseur Dominique de Villepin à New York, participer à l'organisation du monde autrement qu'il ne l'est aujourd'hui, sinon toutes ces réflexions, toutes ces idées, tous ces voeux seront quelque part vains parce qu'ils ne trouveront pas à se mettre en oeuvre et à s'appliquer sur des continents en rupture ou en fracture politique, comme nous le voyons aujourd'hui aussi bien au Proche-Orient, au Moyen-Orient, en Afrique que dans bien d'autres endroits du monde. Je voulais faire cette remarque préalable peut-être même en invitant à une sorte de sursaut pour que l'on retrouve un certain nombre de règles, de bornes, qui paraissent avoir été oubliées. Quand je vois tout ce qui se passe en moment, et depuis quelques jours en particulier, c'est une sorte d'appel à la conscience, à la raison, qu'il faut lancer de part et d'autre. La conséquence que nous tirons, nous, Français, le gouvernement français, de cette situation, c'est qu'il faut revenir, en termes de gouvernance politique, dans le seul cadre qui compte pour régler ces conflits : celui de la loi, du droit international et des Nations unies. Cette remarque étant faite - encore une fois je la crois préalable à toute efficacité ou à toute mise en oeuvre d'autres idées -, la mondialisation, parce qu'elle homogénéise, parce qu'elle unifie l'espace économique à l'échelle de la planète, est aujourd'hui une réalité. Je pense qu'elle est source de nombreux avantages et de beaucoup d'opportunités nouvelles, en particulier pour des pays périphériques, ultra-périphériques, et nouveaux ; je pense qu'elle facilite les échanges de toute nature, qu'elle diffuse le savoir plus rapidement que cela n'a jamais été le cas, qu'elle crée de nouveaux marchés, qu'elle stimule la croissance et qu'elle peut permettre, dans certaines conditions, le rattrapage de pays émergents, la Chine étant, de ce point de vue-là, l'exemple le plus puissant et le plus frappant.
Dans le même temps, vous avez été nombreux à le dire me semble-t-il, et vous le direz tout au long de ces débats, la mondialisation aggrave certains déséquilibres et en crée de nouveaux. Aussi, peut-être, devons-nous d'abord devenir lucides, analyser ce passif de la mondialisation. Face à ce bilan, la mondialisation de l'économie, comme l'a souligné le président de la République française, appelle à la solidarité. Loin d'évacuer le rôle du politique, la globalisation nous invite au contraire à un retour du politique, c'est d'ailleurs à cette réflexion préalable que j'ai voulu marquer l'importance du politique et c'est bien ce surcroît de coopération internationale entre les Etats que je voudrais brièvement évoquer devant vous.
D'abord, les déséquilibres contribuent à beaucoup inquiéter nos opinions. On le verra d'ailleurs en Europe dans le débat des élections européennes, l'opinion est inquiète, très inquiète de cette mondialisation et peut-être on ne lui parle pas assez, on ne lui explique pas assez. J'ai toujours pensé, à propos de l'Europe comme à propos de la mondialisation, que le silence entretient les peurs et nourrit la démagogie, qu'elle soit de droite ou de gauche. Certains de ces déséquilibres sont le résultat presque mécanique du développement d'une économie-monde. D'abord, le pilotage conjoncturel de l'économie est devenu plus difficile : les marges de manoeuvre des politiques nationales, qu'elles soient budgétaires et monétaires, sont désormais limitées en raison de la mobilité des capitaux. Cela impose un renforcement des mécanismes de prévention et de régulation des crises financières, davantage de coordination internationale.
D'autre part, dans le monde d'aujourd'hui, les mutations structurelles sont presque aussi rapides que les variations conjoncturelles, et elles interfèrent entre elles. Pour ne prendre qu'un exemple, la hausse actuelle préoccupante du prix du pétrole est due à divers facteurs conjoncturels mais aussi à l'accroissement de la demande à long terme de la part des pays émergents, à commencer par la Chine que j'évoquais tout à l'heure. Au-delà, chacun voit bien que la mondialisation crée des risques, voire des effets pervers qu'il faut corriger. Si la mondialisation accroît la richesse globale, elle ne fait pas disparaître spontanément les inégalités et tend même à les creuser entre les continents, comme le montre le retard économique de l'Afrique, mais aussi au sein d'autres pays et sur d'autres continents.
La mondialisation s'accompagne d'une utilisation plus intensive, souvent imprudente, des ressources naturelles dont j'ai toujours pensé, et pour lesquelles j'ai même écrit quelques livres, qu'elles n'étaient ni gratuites ni inépuisables. Cela menace nos écosystèmes: sols, eau, atmosphère, biodiversité.
La mondialisation de notre économie a aussi sa face noire et cela a été l'objet des réunions auxquelles les ministres français et ceux du G8 de la Justice et de l'Intérieur ont participé hier et avant-hier à Washington : la mondialisation des activités criminelles, des réseaux de drogue, des mafias, de la traite d'êtres humains, ou encore la corruption.
Enfin, la mondialisation met en cause les identités dans lesquelles les individus se reconnaissaient, et suscite un peu partout une tentation de repli communautariste, nationaliste et donc, comme l'avait dit un jour avec beaucoup de justesse François Mitterrand en évoquant ce nationalisme : "c'est la guerre des risques de conflits et d'instabilité", pas toujours ailleurs qu'en Europe, si je repense toujours au sud-est de notre continent. Pour prendre la mesure de tous ces phénomènes, de tous ces risques, pour les évaluer, le président de la République avait imaginé, en tout cas pour notre pays, un observatoire de la mondialisation. Cela avait été également souhaité par le Parlement et je pense que c'est une initiative utile, ne serait-ce qu'en fonction de cette idée que j'avais trouvée il y a quelques années dans le rapport sur la planète, des Nations unies, de Mme Bruntlandt "Comprendre pour agir" et donc bien observer et bien comprendre me paraît être, en effet, un préalable. Mon intention, sous l'autorité du Premier ministre, est de mettre en place rapidement cet observatoire, en tout cas de lancer sa préfiguration très rapidement.
Mesdames et Messieurs, les bénéfices globaux de la mondialisation ne l'emporteront sur les risques - il y a beaucoup de risques, je viens de les évoquer mais il y a aussi des opportunités - qu'à condition que ces déséquilibres soient contrebalancés, soient équilibrés par de nouvelles solidarités.
C'est afin d'assurer ces solidarités que la France plaide, plaidera, pour une régulation de la mondialisation. Notre objectif commun doit être, selon les termes du dernier Comité du développement une "croissance équitable et équilibrée".
Quel en est le chemin, si je puis me permettre d'esquisser quelques idées pour éclairer ce chemin ? Premier impératif, il faut améliorer les conditions de vie de la partie la plus pauvre de l'humanité, les conditions de vie et de développement. La communauté internationale s'est donnée, vous la connaissez, une feuille de route en adoptant, en 2000, les Objectifs du Millénaire. Au rythme actuel, il est possible que soit atteint le premier de ces objectifs, à savoir la baisse de moitié, et ce serait déjà beaucoup, du nombre de pauvres d'ici 2015. Mais ce résultat proviendra, pour l'essentiel, nous le savons bien, il sera concentré, et c'est déjà beaucoup, en Chine et en Inde. En revanche, on peut prévoir que la réalisation des autres objectifs sera très difficile, en particulier pour tout ce qui touche à l'alimentation, à la santé, à la gestion de l'eau, à l'éducation.
Deuxième idée sur ce chemin, celle de tenir les engagements souscrits à Monterrey pour augmenter l'aide publique au développement (APD). Ils doivent être respectés. Le Comité de développement a rappelé le mois dernier la nécessité d'atteindre cet objectif fixé pour l'aide publique au développement à 0,7 % du PNB. Notre pays s'y est engagé et son APD devrait atteindre 0,5% en 2007 puis progressivement 0,7% en 2012.
- Ce relèvement de notre APD est d'autant plus nécessaire que le poids du remboursement des dettes tend à réduire les transferts financiers nets à destination des pays en voie de développement. Or, ce sont bien ces transferts nets qu'il s'agit d'augmenter. Parallèlement, il convient de poursuivre les efforts engagés pour atténuer la charge de la dette. Parallèlement, nous devons aussi trouver des sources innovantes de financement. Cette idée, depuis longtemps soutenue par la France, n'est pas la plus facile, mais tend à être progressivement admise dans les débats internationaux. J'imagine que vous en parlerez lors de sa réunion d'avril, le Comité du développement est convenu d'examiner lors de sa prochaine session un rapport sur ce sujet. N'est-il pas légitime en effet de financer par un prélèvement universel, par un impôt mondial les biens publics mondiaux, dont la protection ou l'accroissement est dans l'intérêt de l'humanité tout entière ? Cette démarche, aurait l'avantage de concrétiser l'idée de solidarité à l'échelle de la planète.
Ces ressources accrues doivent être mises au service de priorités sectorielles bien identifiées : la lutte contre la faim, l'amélioration des politiques sociales, en particulier dans le domaine de la santé et de l'éducation, la mise à niveau des infrastructures de base, au premier chef l'accès à l'eau et à l'assainissement.
On évoquait tout à l'heure ma responsabilité pendant cinq ans comme commissaire en charge de la politique régionale, c'est-à-dire du budget de la solidarité à l'échelle de ce continent. J'ai donc, non pas un regard global mondial sur cette question où j'ai encore beaucoup à apprendre et où je vais prendre le temps d'apprendre et de comprendre, mais j'ai au moins l'expérience de ce qui a été fait dans ces domaines-là, aussi bien la lutte contre la pauvreté et quelquefois la faim, la très grande pauvreté qui existe plus qu'on ne le croit sur le continent européen, les infrastructures de base, la santé, l'éducation, la gestion de l'eau, l'assainissement, les défis de la compétitivité. J'ai au moins vu que c'était possible à l'échelle d'un continent gouverné comme l'est l'Europe, avec des politiques de solidarité qui ne se réduisent pas à des mots ou à des discours. Le budget dont j'ai eu la charge est le deuxième budget de l'Union européenne - 215 milliards d'euros sur la période 2000-2006 - et il s'applique à l'échelle d'un continent qui comporte, encore plus depuis le 1er mai avec l'accès heureux de dix pays en grande difficulté, de tels enjeux ou de tels défis que nous relevons. C'est donc possible déjà à l'échelle d'un continent avant de devenir, je l'espère, possible à l'échelle d'autres continents, de continents entre eux et de la gouvernance mondiale.
Enfin, la libéralisation du commerce mondial doit être menée non seulement selon des règles qui garantissent l'équilibre entre pays développés, mais aussi selon des modalités favorables d'abord aux pays en développement. C'est à cette double condition que nous pourrons dégager un consensus à l'Organisation mondiale du commerce, sur le dossier agricole comme sur l'ensemble des volets de l' "engagement unique" de Doha. L'enjeu du développement dans ce domaine du commerce international doit être véritablement au centre des règles à définir. Il nous faut notamment répondre aux vraies préoccupations exprimées par les pays les moins favorisés qui ont le plus de retard de développement , et d'abord ceux du continent africain, qui ont jusqu'à une date récente fort peu bénéficié de la libéralisation des échanges. Il faut en particulier veiller à préserver les préférences commerciales dont ils bénéficient et faciliter l'accès de leurs produits aux marchés de tous les pays développés et des grands pays émergents.
Mesdames et Messieurs, au-delà de ce premier impératif, celui d'améliorer concrètement la vie de la partie de la population mondiale la plus défavorisée des pays les plus pauvres, au-delà de cette exigence de réduire les fractures ou les inégalités, il me paraît nécessaire de dire que nous avons aussi à empêcher la dégradation continue - telle que nous la vérifions - de notre environnement mondial. Je resterai définitivement engagé, comme ministre français des Affaires étrangères, sur cet enjeu de l'écologie.
La préservation du capital naturel de la planète est un impératif littéralement vital. Il n'est pas moralement acceptable de laisser aux générations futures le poids des erreurs, du manque de courage et des imprévoyances tels que nous les acceptons aujourd'hui. C'est aussi le message qu'avait voulu lancé le président de la République à Johannesburg. Or, les dangers qui pèsent sur l'environnement augmentent puisque les pays émergents accroissent leurs atteintes à la biosphère tandis que les pays développés sont réticents à atténuer les leurs. Des deux côtés, il y a une mise en cause de notre patrimoine et de notre écosystème. C'est ensemble qu'il faut mettre en oeuvre les parades nécessaires, en utilisant les moyens techniques disponibles, en sachant accepter des limitations et répartir les efforts.
La France attache la plus haute importance à la lutte contre le changement climatique, qui est sans doute la menace la plus grave pour l'humanité. Nous ne pouvons pas attendre la réduction des émissions de gaz à effets de serre de la mise en service, aléatoire, de nouvelles technologies à l'horizon de 2020 ou 2030. C'est dès maintenant qu'il faut agir. Aussi la France est-elle très attachée à l'entrée en vigueur du protocole de Kyoto.
Le caractère crucial des problèmes d'environnement doit nous amener à réformer l'organisation internationale. Dans ce domaine, le droit de l'environnement comporte désormais plus de deux cents conventions. Vous avez évoqué le temps où j'étais ministre de l'environnement et je me souviens précisément avoir travaillé avec beaucoup d'autres, peut-être certains sont-ils ici, à certaines de ces conventions que nous évoquions tout à l'heure : la convention alpine, la convention sur la forêt. Je crois qu'il est nécessaire de consolider cet acquis, peut-être d'y mettre un certain ordre, de l'évaluer, et de mettre en effet sur pied une structure capable de coordonner toutes les activités internationales dans ce grand domaine de l'environnement. Voilà pourquoi le président de la République française a proposé la mise en place d'une organisation des Nations unies pour l'environnement.
Mesdames et Messieurs, je voudrais conclure ces quelques réflexions, en vous remerciant pour votre attention et en vous disant ceci.
Pour instaurer les solidarités indispensables, il faut que la communauté internationale mérite vraiment son nom, c'est-à-dire se dote d'institutions possédant la légitimité et l'autorité nécessaires. La France a émis de nombreuses propositions en ce sens, tendant au renforcement du système des Nations unies, à la réforme des institutions financières internationales, et visant entre autres à une plus grande participation des pays du Sud aux instances de décision.
Au sein des institutions internationales, je pense que l'OCDE joue un rôle très précieux et assez irremplaçable, qu'il s'agisse de ces travaux d'analyse ou de ces travaux de statistiques d'évaluation, de la prise en compte de tous les éléments déterminant à long terme de l'évolution de nos économies, de son expertise unanimement reconnue en matière de gouvernance et en matière d'aide au développement.
Parmi toutes ces activités, il y a aussi une problématique sur laquelle l'OCDE apporte et va apporter beaucoup. Une des difficultés auxquelles se heurte la recherche d'un ordre mondial plus satisfaisant, plus juste, est la coexistence de règles de nature diverse, qui peuvent aboutir quelquefois à des solutions ou à des politiques contradictoires. Je pense au conflit entre liberté des échanges et normes sociales ou normes environnementales, entre respect de la propriété intellectuelle et urgence sanitaire. Dans le cas des médicaments, dans le système international actuel, il n'existe pas de vraies capacités, de vrais mécanismes d'arbitrage. Aucun moyen d'établir et d'avaliser une hiérarchie des normes. Pas de lieux désignés pour traiter toutes ces questions.
L'OCDE - c'est le Secrétaire général qui intègre toutes ces dimensions dans ces travaux - doit, peut, va contribuer à la réflexion sur les méthodes et sur les principes qui doivent inspirer dans toutes ces actions.
Voilà, je voulais exprimer ces réflexions, sans prétention, simplement pour vous dire les idées, les chemins, les bornes qui vont encadrer notre action. Face aux opportunités et aux défis qu'engendre cette mondialisation, je conclus par là où j'ai commencé : la réponse ne peut être que politique, concertée dans le cadre international. Et je pense que cet enjeu est considérable puisqu'il s'agit, au fond et simplement pour nos sociétés de retrouver la maîtrise de leur destin. Et cet enjeu-là est au coeur de nos démocraties et de l'avenir de nos démocraties. Voilà pourquoi, la France va continuer à jouer son rôle en formulant des propositions, en cherchant des réponses, en les proposant à ses partenaires, d'abord au sein de l'Union et au-delà ; des réponses audacieuses, qui permettront de décider avec d'autres réponses les contours de ce nouvel ordre international.
Q - (Sur les conséquences de la mondialisation)
R - Il y a parmi vous sûrement des journalistes qui font des photographies, qui constatent une situation et qui peuvent en tirer un jugement pessimiste, fataliste et Dieu sait s'il y a dans l'actualité des échanges Nord-Sud, des conflits que j'ai évoqués au début de mon intervention tout à l'heure, des raisons d'être pessimistes ou fatalistes. Mais moi, je ne suis pas journaliste, je ne suis pas observateur. Donc, ne m'en veuillez pas, je prends le risque que vous me reprochiez une certaine utopie, de croire au volontarisme politique, de croire à la capacité que doivent garder dans leurs mains les hommes politiques, élus, avec le mandat dont les peuples les dotent, de faire bouger les lignes, de créer des régulations et des contrôles. Je crois aux vertus de la mondialisation, à ses opportunités, et de toute façon, comme je l'ai dit au début de mon propos, cette réalité n'est pas si ancienne que cela, en tout cas pas dans l'ampleur que nous connaissons aujourd'hui.
Il est souvent arrivé d'analyser l'audace des hommes politiques qui ont voulu organiser l'Europe et le projet européen. Je relisais l'autre jour la déclaration de Robert Schuman sur la Communauté du charbon et de l'acier. Il aura fallu beaucoup d'audace pour imaginer, c'était à l'échelle du continent, de créer ce marché, de mettre au début le charbon et l'acier européens en commun. Mais très franchement quand vous regardez le paysage mondial des années 1950 et le nôtre aujourd'hui, il est sans commune mesure, il n'y a pas de comparaison possible, s'agissant de la multiplication des échanges, des informations, des marchandises, des risques de toute nature. Et donc, je crois au volontarisme. Je crois que les hommes politiques doivent, par des conventions internationales, par la création de lieux d'arbitrage, - j'en ai évoqué tout à l'heure quelques-uns et j'ai dit qu'il en manquait sans doute d'autres, dans le cas des Nations unies et des organisations monétaires, économiques, internationales -, créer ces régulations. Et ne m'en veuillez pas si je parle un peu plus souvent du projet européen, mais il me semble que c'est la preuve que l'on peut, à l'échelle d'un continent, réussir la mondialisation. Voilà ce que je pense.
En tout cas, à l'échelle de notre continent, cela est possible. Bien d'entre vous sont originaires ou responsables sur d'autres continents, mais c'est déjà la preuve qu'à l'échelle d'un continent qui n'est pas rien - 450 millions de consommateurs et de citoyens -, on pouvait faire une mondialisation heureuse ou moins malheureuse qu'ailleurs. Nous avons créé une économie de marché et nous la développons avec tous les pays qui vont nous rejoindre et nous avons créé ces régulations, ces lieux d'arbitrage dont le rôle était parfois difficile, mal compris, mais nous avons fait cette preuve et je voudrais, en m'appuyant sur cette expérience qui m'a marqué durablement et sur la réussite du projet européen, agir avec d'autres et avec les autres Européens pour créer des formes comparables, et je l'espère progressivement aussi, efficaces, de régulation et d'arbitrage au niveau mondial.
Q - Ce modèle est-il exportable ?
R - Ne donnons pas de leçon ! Mais je pense que l'organisation continentale que nous sommes en train de réussir et qui n'est pas terminée, l'Europe, manque de certaines dimensions notamment la dimension économique, celle de la politique étrangère et de la défense. Le modèle européen n'est pas terminé. Je réponds à votre question à propos de la monnaie. Nous avons besoin d'un gouvernement de l'économie européenne et je vais travailler au-delà de la Constitution, à la mise en place de ce gouvernement de l'économie européenne, mais ce modèle peut être utile. L'expérience européenne, en tout cas, l'idée initiale, qui reste valable aujourd'hui, est une idée juste et utilisable sur d'autres continents. Et je pense qu'à l'échelle du continent voisin, de l'Afrique, en voyant ce qui se passe en Amérique du sud et dans certaines parties de l'Asie, nous avons une capacité de créer des partenariats et, en tout cas, de faire en sorte que cette expérience et ce modèle, je n'aime pas beaucoup le mot "modèle" et encore moins "exception", je pense qu'en tout cas l'expérience européenne, de mon point de vue, est utilisable par d'autres continents.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mai 2004)