Déclaration de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, lors du point de presse conjoint avec le ministre italien des affaires étrangères, M. Franco Frattini, sur les relations franco-italiennes, les questions internationales liées à la situation en Irak et au Proche-Orient et les questions européennes liées à la politique africaine et méditerranéenne de l'Union et à la future constitution de l'Europe élargie, Turin le 29 avril 2004.

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Circonstance : Forum franco-italien à Turin le 29 avril 2004

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Bonjour à chacune et à chacun d'entre vous. C'était une belle occasion, aujourd'hui, dans cette capitale d'une grande région, dont j'ai toujours été très proche, de se retrouver ensemble, Franco Frattini et moi-même et tous nos collaborateurs, pour ce qui est, pour ce qui me concerne comme ministre des Affaires étrangères, ma première visite bilatérale officielle en Italie. Je suis très heureux que cela ait été ici, à Turin, aujourd'hui, pour ouvrir, avec le ministre Frattini, ce forum qui va, avec les acteurs de la société civile, donner du contenu, de la durée, je pense de la créativité, aux relations bilatérales dans tous les domaines de l'économie, de la culture, des médias, de la recherche scientifique.
Nous avons beaucoup de choses à faire, comme je l'ai dit tout à l'heure dans mon allocution, parce que nous sommes deux des pays fondateurs de l'Union ; cinquante ans après, il faut consolider cette base, cette fondation, de telle sorte que ce qui se construit dessus, les nouveaux étages, soit également solide.
Je remercie à nouveau les organisateurs et responsables de ce forum pour le travail qu'ils ont fait. Le ministre Frattini a évoqué les questions internationales que je voudrais à mon tour évoquer, et mes premiers mots seront, s'agissant de la tragédie irakienne, pour dire la solidarité de la France avec l'Italie à la suite du tragique assassinat de M. Quattrocchi. Nous avons pour sa famille une pensée très sincère et très profonde, comme nous éprouvons de la solidarité pour les familles des trois otages dont nous souhaitons, comme le gouvernement italien, la libération très rapide et sans conditions. Nous sommes d'accord pour considérer que, pour sortir de cette tragédie, il n'y a que la voie politique. C'est donc cette voie politique qu'il faut explorer, étape par étape. Et la première étape est à nos yeux un véritable transfert de compétence et de souveraineté le 30 juin au gouvernement intérimaire à Bagdad. Voilà pourquoi nous soutenons totalement les propositions de M. Brahimi telles qu'il les a faites hier aux Nations unies. Nous voulons dire la nécessité d'une restauration rapide, complète, sincère sincère et non pas artificielle, visible, de la souveraineté irakienne : un gouvernement irakien, par les Irakiens ; la possibilité pour ce gouvernement intérimaire d'organiser, de préparer, comme cela est prévu et nécessaire, des élections pour janvier 2005, de telle sorte que ce soit le moment de la légitimité populaire.
Encore faut-il, la France le dit avec beaucoup de rigueur, de force, que toutes les étapes conduisant à ce moment démocratique de janvier 2005, soient franchies les unes après les autres concrètement et sincèrement et que l'on puisse, durant tout ce processus, ménager un rôle pour les Nations unies, pour accompagner la mise en place des institutions, aider à l'organisation d'une conférence inter-irakienne aussi rapidement que possible pour légitimer la mise en place des nouvelles institutions irakiennes.
Naturellement, il y aura cette période de stabilisation avec les étapes que je viens d'évoquer, et puis il y aura, nous le souhaitons, très vite, la période de la reconstruction économique et politique et la France prendra sa part, le moment venu, à cette reconstruction économique et politique de l'Irak. Nous faciliterons évidemment en participant à l'aide humanitaire nécessaire à cette période de reconstruction.
Nous avons évoqué, une fois de plus, comme au CAG de Luxembourg lundi, une autre tragédie qui nous concerne, elle aussi, celle du Proche-Orient, pour réaffirmer qu'il n'y a pas d'alternative, dans une sorte de chaos, à cette Feuille de route pour laquelle nous nous sommes entendus, les Américains, les Nations unies, la Russie et l'Union européenne, qui a été acceptée par Israël et par l'Autorité palestinienne et qui fixe un objectif sur lequel nous sommes d'accord, un objectif de deux Etats, vivant côte à côte, dans la communauté et dans la paix. Un Etat palestinien viable et un Etat d'Israël dans la sécurité. Et je redis que la France ne transigera jamais avec la sécurité d'Israël.
Pour atteindre cet objectif, difficile mais nécessaire, nous avons un chemin qui a été tracé, c'est la Feuille de route, il n'y a pas d'alternative au respect de cette Feuille de route et il n'y a pas d'autre méthode pour y parvenir que la concertation, pas seulement entre Américains et Israéliens, on ne fera pas la paix de cette manière, on fera la paix aussi avec les Palestiniens. Voilà pourquoi l'Europe aura une part forte sur cette ligne à l'occasion de la prochaine réunion du Quartet.
Voilà les deux grands sujets de politique internationale, j'ai rendu compte à Franco Frattini du voyage très émouvant que je viens de faire à Pretoria avant-hier, à l'occasion du 10ème anniversaire de la fin de l'apartheid où une quarantaine de chefs d'Etat africains étaient présents. Je disais l'autre jour à Pretoria, je peux le redire ici à Turin, que la semaine que nous vivons a du sens pour la démocratie. La fin de l'apartheid, c'est une Afrique du Sud qui s'est libérée par la volonté des Sud-africains eux-mêmes et c'est un bel exemple ; cette semaine se déroule aussi l'accession, l'adhésion de dix pays à l'Union européenne, samedi, dix pays qui, il y a 15 ans, étaient de l'autre côté du Rideau de fer. Pour tous ceux qui doutent quelquefois de l'action politique, tous ceux qui perdent espoir, ces deux événements, à si peu de distance, qui consolident la démocratie dans le monde, prouvent qu'il y a un chemin pour l'espoir, tant qu'il y a des hommes et des femmes pour le porter.
J'ai rendu compte des contacts que j'ai eus en Afrique parce que je pense que l'Union européenne doit avoir une grande politique africaine et naturellement, d'abord, une grande politique méditerranéenne pour laquelle la présidence italienne à Naples a relancé le partenariat ; l'Espagne, la France et d'autres encore ont un engagement déterminé. Nous souhaitons donc consolider le processus de Barcelone avec cette politique méditerranéenne de l'Europe. Je pense qu'il nous faudra aussi mettre en commun, mutualiser davantage d'engagements, de moyens, de politiques à l'égard de ce partenaire, ce grand continent très jeune qui s'organise, le continent africain.
Je voudrais dire quelques mots en conclusion concernant les questions européennes, en ce moment ; historique, formidable, la réunification. Encore faut-il que cette grande maison qui accueille de nouveaux copropriétaires soit en ordre de marche et nous n'en serons sûrs dans le moyen et le long termes, que le jour où nous aurons une Constitution. Comme commissaire européen, j'ai beaucoup travaillé, comme l'a dit M. Frattini, à cette Constitution, y compris sur des sujets qui avancent comme la politique européenne de la défense ; j'ai en effet eu la chance de présider le groupe de travail de la Convention sur la défense. Mais nous n'avons pas encore cette Constitution. Elle est prête, elle a été élaborée démocratiquement dans la Convention, elle peut être encore améliorée, clarifiée, ajustée.
La France, par exemple, a souhaité que l'on renforce la dimension sociale de cette Constitution. Nous devons trouver, sur les quelques points qui restent en suspens et qui sont des points de mécanique, un accord. Nous devons donner un signal à l'opinion publique, aux citoyens avant le 13 juin prochain et, je l'espère, aboutir à une conclusion au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement au Conseil européen de Bruxelles le 18 juin. Il faut donner ce signal au moment où il y a tant de préoccupations, d'inquiétudes sociales, économiques un peu partout, avec notamment la menace du terrorisme qui nous touche au coeur. Nous avons tous été, avec l'attentat de Madrid il y a quelques semaines, très touchés.
Nous devons montrer que la maison européenne est en ordre de marche, et pour cela, nous devons disposer d'une Constitution ; ensemble, sur la base d'ailleurs que M. le ministre Frattini avait lui-même élaborée au sein de la présidence italienne à Naples où nous sommes parvenus à un bon résultat. C'est ce résultat-là qu'il faut préciser, clarifier, consolider, sûrement pas détricoter ou affaiblir. Nous n'accepterons pas non plus un affaiblissement de cet acquis de Naples, nous sommes prêts ensemble à travailler sur ce sujet et sur d'autres pour faire avancer les projets européens.
Enfin, nous avons travaillé sur un certain nombre de sujets bilatéraux de coopération sur le plan économique, sur la liaison Lyon-Turin mais il y a une occasion importante dans quelques jours, le 5 mai, avec l'arrivée du président Berlusconi à Paris. Il rencontrera le président de la République, le Premier ministre et j'espère que ce sera l'occasion, notamment pour cette grande liaison Lyon-Turin pour laquelle je me suis beaucoup battu comme président du Conseil général de la Savoie il y a quelques années, comme commissaire européen, ou aujourd'hui comme ministre, d'aboutir à un résultat qui engagera concrètement ce projet.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 mai 2004)