Déclaration de M. Georges Sarre, porte-parole du Mouvement républicain et citoyen, sur le principe de défense de la laïcité en tant que fondement de la communauté nationale et rempart contre les communautarismes, Paris le 5 juin 2003.

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Circonstance : Lancement du club Laïcité à Paris le 5 juin 2003

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,
Chers Amis,
Je vous remercie d'être venus ici, aujourd'hui pour le lancement du club Laïcité. Ce club, c'est la réunion de gens venus d'horizons divers, mais unis par la même volonté, relever le gant, et par une même inquiétude, celle de voir se déliter le lien qui a, jusqu'à aujourd'hui, tissé la France. Si j'ai voulu ce club, c'est parce que nous constatons tous que notre pays est malade, que quelque chose s'est enrayé dans le mécanisme qui nous permettait de vivre en harmonie, forts de nos différences, mais sûrs d'appartenir à une même communauté, celle des citoyens de la République Française. Le pacte républicain fondé sur la laïcité sépare l'espace du débat public de la sphère de la vie privée. Alors, en tant que citoyen, chaque individu partage avec les autres les aspirations communes qui font avancer la société toute entière. En même temps, en tant que personne, chaque individu cultive comme il lui sied les différences et les particularismes qui lui conviennent, pourvu qu'il n'empiète pas sur la liberté des autres, pourvu qu'il ne les impose pas aux autres.
Aujourd'hui, la France est malade d'avoir oublié que République et laïcité sont intrinsèquement liées, que dans un pays qui ne veut exister depuis plus de deux siècles que par le choix de ses citoyens de former un corps politique, le principe de laïcité est ce qui garantit le respect des différences par leur cantonnement dans la sphère privée. Dans la sphère publique, il n'y a que des citoyens, tous égaux. Alors quoi ? Tout cela serait dépassé ? Ringard ? La France aurait changé, serait devenue "multiculturelle", et pour cela devrait abandonner son modèle de laïcité ?
Nous le voyons, celui-ci est attaqué de toutes parts. Quand des jeunes filles voilées viennent expliquer sur des plateaux de télévision que ce voile, porté à l'école, à l'université, au travail ou sur une photo d'identité, serait l'expression de leur liberté individuelle. Quand les droits individuels viennent se heurter à l'intérêt de la collectivité, répondre systématiquement en faveur de l'individu, c'est renoncer à la laïcité qui cimente notre société et permet de vivre ensemble. Mais gardons-nous de focaliser sur une religion, sur un fait, même problématique.
D'ailleurs, la question soulevée par le voile ne concerne pas la seule laïcité. Le port de ce voile est aussi révélateur d'un malaise, celui de la difficulté de l'intégration des enfants issus de l'immigration. Le chômage, les difficultés de logement et, plus généralement les carences dans l'accès à la citoyenneté sont à l'origine de cet illusoire repli identitaire. Le combat pour le recul de toutes les discriminations est donc une nécessité absolue. La croissance et l'emploi sont les remèdes décisifs. Cela se résume d'une phrase : faciliter l'accès à la citoyenneté est la priorité absolue.
Mais il n'y a pas que cette version nécessairement économiste.
Devant la mondialisation ultra-libérale, il y a un peu partout sur la planète des phénomènes d'enfermement, qui idéalisent des passés bien souvent reconstitués. C'est le mythe du retour aux origines, avec toutes les dérives possibles d'une telle approche. Ces phénomènes conduisent à une fragmentation de la société qui, loin de combattre la mondialisation libérale, la favorise.
Le seul rempart efficace contre les dégâts de la mondialisation libérale reste le rassemblement autour de la République, la République qui renvoie dans la sphère de la vie privée tant les origines ethniques que les appartenances religieuses. Mais alors des cultes qui avaient vu dans la laïcité une protection contre la culture dominante à une certaine époque, y voient aujourd'hui une menace pour la cohésion et la persistance de leur identité. Elles pensent avoir besoin d'être présentes dans l'espace du débat public pour affirmer leur existence.
Ainsi, est plus compréhensible l'attitude actuelle de certains responsables, et non des moindres, des cultes protestants et israélites qui remettent en cause cette laïcité, dont leurs prédécesseurs furent, il y a un siècle, les plus fermes et les plus constants partisans. Si vous me permettez cette facilité, je dirais qu'ils se cachent derrière le voile pour remettre en cause l'un des socles de la République. En choeur, ils réclament la révision de la loi de 1905, qui instituait la séparation de l'Eglise et de l'Etat.
J'avais déjà proposé une loi (19 janvier 2000) interdisant le port de tout insigne religieux à l'école, et je pense qu'elle est aujourd'hui plus que jamais nécessaire pour apaiser les esprits. D'ailleurs, mes amis François Autain, Jean-Yves Autexier et Paul Loridant ont déposé le 13 mai dernier le texte d'une proposition de loi en ce sens au Sénat. Pourtant, au-delà de l'école, au-delà du voile, il est nécessaire de se poser la question de la laïcité comme élément nécessaire à une construction du collectif, de la seule communauté existante, la communauté nationale.
Croire que parce que les conditions ont changé, un principe doit changer, c'est ne pas comprendre ce qu'est un principe, et le confondre avec une idéologie. La laïcité est un principe, comme la liberté ou l'égalité. Les formes qu'elle prend peuvent évoluer ; sa substance est invariable. En revanche, le laïcisme est une idéologie qui a été légitime à un moment de l'histoire de notre pays. Car, on ne peut, on ne doit pas oublier que la laïcité ne s'est imposée qu'à travers un dur combat pour la République. Ce combat aurait en son temps une incontestable dimension anticléricale.
Aujourd'hui, la défense et la promotion de la laïcité sont un combat d'une autre nature, mais il ne faut pas en sous-estimer la difficulté. J'ai déjà cité les offensives qui la menacent sur le plan interne.
La laïcité protège chaque individu contre l'enfermement communautariste. Avec la laïcité, chacun choisit de dire ce qu'il veut être. Rien ne l'oblige à se conformer à telle ou telle appartenance en fonction de ses origines ethniques ou religieuses, de son aspect physique, de son sexe, de ses penchants sexuels ou de tel ou tel autre comportement qui relève de la seule sphère de la vie privée. Au contraire, le communautarisme brise cette sphère et impose ces caractéristiques individuelles, intimes presque, dans l'espace du débat public. Alors, le citoyen n'est plus que secondairement français, car il est avant tout membre de sa communauté ou même de ses communautés, il est français par leur intermédiaire. Si nous en arrivons à ce stade, la citoyenneté serait en fait disloquée et la république déconstruite.
Mais la laïcité est aussi montrée du doigt du fait de l'Europe. Le Vatican ne vient-il pas d'accuser l'Europe de dérive laïciste ? Certains ne se battent-ils pas avec vigueur pour introduire une référence religieuse dans le texte d'une future constitution européenne. Et chacun de rappeler que la laïcité à la française serait une "exception", une de ces fameuses exceptions dont il faudrait se débarrasser. N'avons-nous donc plus rien à construire collectivement, q'il faille s'en remettre à la confrontation des intérêts et des convictions de chacun ? Voulons-nous vraiment que les droits à l'avortement et à la contraception puissent être remis en cause par n'importe quel individu en référence à ces textes ?
C'est pour réfléchir à ces questions que nous avons décidé de nous réunir, et pour qu'il en sorte des propositions susceptibles de reconstruire le cadre de notre "vivre-ensemble". Il n'y a pas de fatalité au délitement de notre lien social, il n'y a que de la confusion dans les esprits, et ce n'est pas irrémédiable.
(Source http://www.mrc-France.org, le 6 juin 2003)