Interview de M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, à France 2 le 28 mai 2003, sur la mise en oeuvre de la décentalisation dans l'Education nationale et la réforme des retraites.

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Texte intégral

R. Sicard-. Hier, J.-P. Raffarin a tenté de désamorcer la crise de l'Education nationale. Il a proposé un aménagement de la réforme de la décentralisation. Les syndicats sont loin d'être convaincus. Pensez-vous qu'il fallait faire plus de concession ?
- "Quels sont les problèmes qui se posent à l'Education nationale - parce qu'il y a des problèmes. Première inquiétude de certains : l'éducation doit rester nationale. Deuxième préoccupation : les diplômes doivent rester nationaux."
J.-P. Raffarin a dit que l'Education resterait nationale.
- "Justement, puisque c'est une question de justice, d'équité, puisque c'est une question de solidarité entre territoires, il était important d'entendre le Premier ministre rappeler cet élément essentiel de la tradition et de l'histoire française. L'Education reste et restera nationale ; les diplômes reste et resteront nationaux. A ce moment-là, est-ce que les projets du Gouvernement sont préoccupants au regard de ce côté national de l'éducation ? Non. Il y a d'autres préoccupations, il y a d'autres problèmes dans l'Education nationale. Il y a les problèmes de sécurité. C'est vrai que dans nos établissements, aux abords des établissements, il y a des problèmes de sécurité. Il y a une seconde difficulté qui est la crise d'autorité et d'identité des professeurs. Je crois que le Premier ministre a eu raison de dire, sur ces problèmes qu'il ne faut pas nier, qu'on va faire une loi d'orientation et on va préparer, avec les organisations professionnelles, cette loi d'orientation. Donc, je ne vois pas où est l'inquiétude ; il y a des préoccupations que le Gouvernement a entendues. Préparons ensemble l'avenir d'un meilleur système éducatif."
Il y a une inquiétude sur la décentralisation et vous même, vous avez été le premier dès l'automne dernier d'ailleurs, à mettre en garde contre le risque de la décentralisation. Vous aviez parlé "des risques de l'intégrisme décentralisateur". Est-ce, à l'instar des syndicats, vous demandez le retrait pur et simple du projet ?
- "Je dis non, dans la mesure où dans ce projet, sur l'éducation, à la fois dans le projet lui même et dans les déclarations du Premier ministre, il n'y a rien qui remette en cause le caractère national l'éducation et le caractère national des diplômes. Le vrai problème concerne les retraites."
Pourquoi est-ce que les syndicats de l'Education réclament l'abandon pur et simple de ce projet de décentralisation ?
- "Parce que je pense qu'il y a quelque part, un peu de politisation. La France doit bouger, elle doit se réformer, elle doit regarder se qui se passe autour d'elle. Dans tous les pays européens, dans tous les pays du monde, on réforme le système éducatif. On a mis trop de temps à prendre conscience de la nécessité de modifier le monde de l'éducation parce que la société a évolué."
L'autre gros dossier, ce sont les retraites. F. Fillon présente ce matin son projet en Conseil des ministres. Les syndicats voulaient renégocier ; on a l'impression que l'on va tout droit au blocage ?
- "Là aussi, il faut faire attention. Une question : pouvons-nous continuer, actuellement, avec le même système de financement des retraites ? C'est ça la question. Il y a eu un premier temps, qui a été le temps du diagnostic et de la réflexion. Pendant 5 ans, il y a eu des tables rondes, des rapports... Et quelle est la conclusion de toutes ces tables rondes et de tous ces rapports, de tous ces symposiums ? Nous ne pouvons plus continuer avec le système actuel de financement de nos retraites. Car si nous ne faisons rien, c'est la remise en cause du système de retraite par répartition et c'est la remise en cause d'un niveau correct pour nos retraites. Alors s'est ouvert un second temps, c'est le temps de la concertation, de la discussion avec les organisations syndicales. Il a duré trois mois. Le 10 juin s'ouvrira un troisième temps, qui est le temps du débat politique, le débat à l'Assemblée nationale puis au Sénat. Le Gouvernement va présenter aux représentants de la Nation son projet. Il y a aura des amendements, il sera modifié, amélioré - je le souhaite. Enfin, arrivera le temps de la responsabilité politique. Il y aura ceux qui approuveront cette modification du régime des retraites et ceux qui ne l'approuveront pas. Ils assumeront leurs responsabilités face à l'ensemble des Français. C'est ça la démocratie !"
Il y a d'importants risques de blocage, il va perturber la vie des Français, la vie économique... Ne fallait-il pas faire des concessions ?
- "Le problème est très simple : il y a eu la réflexion, la concertation. Je note que pendant trois mois, le Gouvernement a rencontré les organisations syndicales - c'était normal et monsieur Fillon l'a très bien fait - et le projet a évolué, il a changé."
Il faut donc aller à l'épreuve de force ?
- "Il ne faut pas remettre en cause la démocratie. Il faut bien comprendre qu'après ce temps de la concertation, il y a en démocratie, un temps du débat politique. Il ne se situe pas dans la rue mais dans l'enceinte du Parlement. Dans ce débat politique, députés et sénateurs, en fonction de leurs âme et conscience vont décider. Ils assumeront leurs responsabilités face aux Français. Quel est le problème, encore une fois ? Pouvons-nous continuer comme si rien n'était ? Non. Parce que si nous continuons sans modifier les choses - et on a trop tardé -, alors, on ne pourra plus avoir en France un système de retraite par répartition. Les choses sont claires. Et donc, je ne comprends pas pourquoi certains syndicats disent aujourd'hui qu'il faut retirer le projet, car dans une démocratie, c'est aux élus du peuple, quels qu'ils soient, d'assumer cette décision. Soit de ne pas voter le texte, soit de l'amender, soit de l'approuver."
Un mot de ce qui se passe à Toulouse, où plusieurs magistrats sont mis en cause dans ce que l'on appelle le deuxième volet. En tant qu'ancien magistrat, comment jugez-vous cette situation ?
- "D'abord, je juge déplorable le fait que l'on rende publiques des déclarations. Il y a un principe qui est un principe absolu pour le respect de la dignité de la personne humaine, c'est le secret de l'instruction. Or je suis un peu effrayé de voir aujourd'hui toute cette affaire dévoilée. Deuxièmement, attention à ces dénonciations calomnieuses. Quand on part dans ce système, on ne sait plus où on s'arrête. Je fais confiance à la justice, aux juges d'instruction pour savoir quelle est la vérité et ce qu'ont fait les uns et les autres dans cette affaire. Donc, vous comprendrez - parce qu'on se sert un peu de vous dans cette affaire - que je n'alimenterai pas une rumeur."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 mai 2003)