Texte intégral
Monsieur le président du Sénat,
Madame le ministre,
Monsieur le Premier président,
Mesdames, Messieurs les présidents,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux d'être avec vous autour de ce thème ambitieux : Vivre et faire vivre le Code civil". Je vous remercie d'être présents et de vous engager personnellement sur ce sujet. Je salue tout particulièrement le Premier président, parce que je sais que la Cour de Cassation, aujourd'hui, a une manifestation aussi importante cet après-midi. Je pense qu'il est très utile que les uns et les autres nous nous engagions pour "vivre et faire vivre le Code civil", tellement il est porteur, pour nous, d'éléments très structurants de notre vivre ensemble, et naturellement de notre communauté nationale, mais aussi de nos relations internationales. C'est un enfant de la période révolutionnaire, et c'est en même temps, l'aboutissement d'une tradition juridique. Il n'est pas facile d'être, à la fois, fils de Révolution de traditions. Eh bien, c'est cela le Code civil, cela lui donne cette originalité, qui lui donne aussi de la puissance que nous célébrons pour ce Bicentenaire.
C'est à la fois, une synthèse mais aussi une formulation originale d'un héritage mutliséculaire et constitution d'un nouveau droit commun. Il est au fond, une pierre angulaire sur laquelle reposent les fondements de ce que notre Nation a aujourd'hui de cohésion depuis deux siècles.
Il a rayonné bien au-delà de nos frontières, servant des sociétés combien différentes, qui ont ainsi salué ses qualités incomparables et je dirais, la pureté des principes qui l'animent. Au contact de multiples acteurs du droit, des professionnels, évidemment, et des magistrats, qui font vivre et incarnent le Code civil, le politique, chargé de garantir la pérennité et la cohésion de notre Nation, a toujours veillé à ce qu'il soit une oeuvre vivante et capable d'évolution et, si possible, de fécondité. Je salue les éminents orateurs que vous avez rassemblés pour ce colloque et les représentants des professions juridiques et judiciaires qui interviendront tout au long de cette journée, et qui contribuent ainsi à notre effort national de réflexion sur l'oeuvre de droit.
Situé au coeur de la vie de nos concitoyens, le legs, legs intemporel, que constitue le Code civil, s'enrichit ainsi continuellement des problématiques nouvelles qui caractérisent notre temps. Et je crois que là, nous sommes dans un des rôles majeurs du Code civil, d'être, on dirait, aujourd'hui "le logiciel central" de bien d'autres logiciels qui doivent répondre aux problématiques nouvelles que tous les jours la société pose aux citoyens. Cette démarche doit nous conduire à d'abord apprécier le Code civil comme le lieu des principes vivants auxquels nous sommes attachés, au confluent de nos traditions, et naturellement en pensant à tous ceux qui, avec les différentes étapes constituantes de cette réflexion, ont pu permettre la création de ce Code civil et son développement. Et je suis heureux de voir que le président du Sénat, quand il préside, du haut de son Plateau, est toujours sous le regard de Portalis et de quelques autres, ce qui naturellement ne fait qu'ajouter à sa sagesse légendaire.
Mais je me souviens aussi de tout ce que sont les sédimentations qui ont conduit au Code civil, et naturellement la période révolutionnaire. Mais je pense aussi au droit des Pays de Languedoc et de langue d'Oy, partout cette diversité qui est celle de la France a pu aussi contribuer là à cette cohésion qui nous a rassemblés jusqu'à cette oeuvre napoléonienne.
C'est une loi unique mais qui est accessible à tous ; le Code civil, lui aussi, a fondé de nouveaux Codes qui ont été adaptés à notre modernité et qui réagissent aujourd'hui, et qui donnent la possibilité de guider le citoyen face aux complexités de notre société. Donc, loin de remettre en cause évidemment son essence, l'émergence des autres Codes s'est appuyée sur les fondations même que constitue le Code civil. Il est la clé de voûte de la pensée juridique française et je crois que c'est un élément clé - on le voit dans cette société désorganisée -, qui ne manque pas de technique, qui ne manque pas de procédure, ni de directives, mais qui quelquefois manque de pensée, à la source de toutes les actions, et quand quelquefois on trouve les actions incohérentes, c'est parce que la pensée n'apparaît pas de manière claire. Il y a un des sujets sur lesquels la France a donné, à l'Europe et au monde, une pensée claire, c'est sa pensée juridique. On voit même qu'elle a créé des jalousies, voire l'opposition, d'autres pensées.
Le rayonnement exceptionnel du Code Napoléon, est un exemple de ce que peut faire la France quand elle organise sa pensée et qu'elle le fait savoir au monde. Ce rayonnement a été exceptionnel dès 1804 et pendant les deux siècles qui nous séparent de cette création du Code civil. Le Code civil, fut qualifié de véritable "constitution civile", guidant tous les aspects de la vie de nos concitoyens et organisant les institutions les plus fondamentales comme "le mariage", évidemment, "le contrat" ou encore "la propriété".
Le Code civil a ainsi vécu et vit au coeur de notre société et aujourd'hui, c'est assez impressionnant, près de la moitié des articles de 1804 subsistent encore. Ce qui montre la capacité qu'a eue le Code et surtout qu'ont eue ses fondateurs, de penser la société en dynamique. Ce qui doit aussi nous rendre modernes sur ce qu'est aujourd'hui la modernité qui a été pensée déjà depuis deux siècles avec beaucoup de pertinence.
Exceptionnel, le rayonnement du Code civil fut aussi mondial. Et s'il fut introduit d'abord dans toute l'Europe, sous la poussée des conquêtes évidemment napoléoniennes, la force des armes n'aurait pas suffit naturellement à imposer le Code civil dans la durée. Seule sa valeur propre et fondamentale, lui a permis en fin de compte d'inspirer de nombreux législateurs étrangers.
C'est une oeuvre vivante, nourrie des défis de notre temps. Je voudrais insister sur ce point, parce que c'est ce qui vous rassemble aujourd'hui, c'est ce côté vivant du Code qui est très important, y compris pour le citoyen qui, quelquefois a le sentiment que le droit pourrait être une matière figée, alors que c'est une matière biologique, vivante. Et qu'il doit être en vie en permanence au coeur même de la société. Et donc, l'action des professionnels du droit, qui font vivre ce Code, est à saluer, ils sont au coeur de la société civile, ils concourent souvent l'élaboration des réformes que le Gouvernement porte avec le soutien du Parlement. J'ai noté votre peu de goût, Monsieur le président, pour les ordonnances. Cela ne m'a point échappé. C'est, en effet, sur ce type de sujet que le Parlement a le moins la parole, c'est vrai.
Mais quelquefois, il faut aller vite. Il y a quand même des lois d'habilitation qui permettent quand même un minimum d'expression, et je voudrais souligner, évidemment, sur tout ce travail de tous les partenaires, le rôle particulier de la Chancellerie.
Je voudrais dire un mot sur le droit des personnes et de la famille qui, naturellement, est un des points clés de notre réflexion aujourd'hui sur le Code civil. Ce droit se trouve en effet au coeur des mutations qui agitent notre société, parfois en rupture, parfois en continuité avec les modèles, les principes et les valeurs qui les fondent. N'ayons pas peur de tous ces changements ; d'abord, je voudrais le dire avec conviction : la société française connaît des mutations profondes. Regardons-les avec lucidité.
Il y a peu de temps, j'interrogeais tous mes ministres réunis en comité interministériel pour qu'ils me disent ce qu'ils ressentaient parmi les administrés qui sont au plus près en contact de leurs responsabilités. Ils me disent : " oh, ils changent ". " Les agriculteurs sont inquiets, parce qu'avec la nouvelle PAC, leurs repères changent " ; " les enseignants, les professeurs sont très inquiets, parce que leurs repères changent, leur métier change " ; " les ingénieurs sont très inquiets, parce que les technologies changent " ; " les cadres sont inquiets, parce qu'ils n'ont plus de secrétaires, avec les technologies " ; " le médecin de campagne est très inquiet, parce que son métier a changé, il n'y a plus de médecin de famille " ; " le médecin de ville est très inquiet, parce que les urgences ont une nouvelle fonction ".
Tous les métiers changent. Nous sommes dans une société où le changement est en train de s'installer très rapidement. Il faut le vivre comme une mutation, s'y adapter, y adapter nos règles, y adapter nos vivre-ensemble, et ne pas considérer que la nostalgie est forcément la solution d'avenir. Il y a quelquefois dans la nostalgie, une trace de paresse voire de renoncement. La mutation est devant nous. Il faut prendre les moyens de pouvoir vivre avec succès cette mutation, y compris dans nos comportements et dans nos textes.
Dans le domaine du droit de la famille, le Code de 1804 se caractérise par le souci de contenir les effets de l'égalité civile et de l'individualisme juridique né de la Révolution. Le mariage était ainsi réaffirmé avec force pour briser les élans révolutionnaires. C'est sa source même.
Autour de ce noyau, s'est construit un modèle unique : celui de la famille légitime marquée évidemment, à l'époque, par la prééminence maritale et paternelle, la hiérarchie des filiations et le principe de la transmission familiale des patrimoines.
Mais, les rapports au sein du couple se sont évidemment profondément modifiés depuis. Et, aujourd'hui, on a affirmé l'autorité parentale, qui est partagée, et l'autonomie de l'épouse traduit ainsi la parité des droits entre l'homme et la femme. Cette évolution est naturellement, profondément heureuse.
Les formes d'union ont évolué. Le mariage n'est plus la seule forme de relation contractuelle entre un homme et une femme. De nouvelles unions, reposant sur une libre organisation de la vie commune, sont reconnues. Le divorce, aujourd'hui, en commission mixte paritaire au Parlement, une nouvelle loi est soumise et il est admis - à titre d'exception en 1804 -, mais aujourd'hui, il est à une étape où nous voulons le rendre compatible avec la vie moderne. Et donc ce sont des éléments importants qui font vivre l'ensemble des relations familiales, et la capacité que nous avons à adapter le droit des personnes à la situation de la société.
Bien que la solidarité des familles fonde notre droit des obligations, il est clair que nous avons suivi, depuis 1804, un parcours qui a montré notre capacité d'évolution. Le Gouvernement s'est engagé dans un processus de rénovation du droit de la famille afin de l'adapter donc à ces évolutions et aux attentes de notre société.
Dans cette action, l'Etat s'entoure de tous ceux qui, au quotidien, sont les artisans de l'application de la loi. C'est pourquoi, je vous le dis avec sincérité, votre concours est essentiel, comme l'a prouvé l'élaboration de la réforme du divorce, dont je parlais à l'instant.
Ce texte qui a fait consensus - un Premier ministre, ça adore les textes qui font consensus, c'est tellement rare que cela se savoure - sur un sujet sensible. Au départ, je ne pensais pas qu'on pourrait avoir un tel consensus, le principe d'une intervention judiciaire ainsi qu'une pluralité des cas de divorce permettant de respecter la diversité des situations conjugales.
J'y reviendrai, parce que le fond de l'évolution de notre société, est ce couple liberté-complexité, qui passe par la diversité qui est la source même de notre besoin de droit dans la société. Cette nouvelle approche facilite le divorce par consentement mutuel afin de cantonner le divorce pour faute aux situations les plus graves. Il tend également à pacifier ce dernier notamment par le recours à la médiation familiale et incite les époux, dès le début de la procédure, à préparer les conséquences patrimoniales de leur séparation.
S'agissant des situations de violences conjugales, particulièrement préoccupantes dans l'état actuel de notre société, ce texte protège le conjoint victime qui pourra désormais, en urgence et en amont même de la procédure de divorce, saisir le juge aux affaires familiales pour qu'il soit statué sur la résidence séparée des époux, avec un principe d'éviction de l'auteur des violences du domicile conjugal. C'est une étape très importante à laquelle nous tenions beaucoup, parce que nous voyons bien combien les violences conjugales, aujourd'hui, sont non seulement particulièrement humainement difficiles à vivre, mais toutes les conséquences familiales qu'elles entraînent sont particulièrement lourdes pour les personnes et pour les familles.
Cette première étape de la modernisation du droit de la famille sera suivie de la réforme du droit de la filiation ainsi que de celle des successions et des libéralités ou encore de la protection des majeurs vulnérables.
Il faut également, je le crois, entreprendre aujourd'hui, la nécessaire évaluation de la loi du 15 décembre 1999 instituant le Pacte civil de solidarité en vue de son amélioration. Cette loi a créé - le Pacte civil de solidarité... On sait en effet qu'un certain nombre de dispositifs prévus par ce pacte d'un nouveau type ne fonctionnent pas toujours comme il serait souhaitable, de manière satisfaisante ou adaptée. Je crois qu'il nous faut, là, avoir un regard, vivre et faire vivre. Après la loi de 1999, faisons vivre en observant, en évaluant ce qui se passe exactement aujourd'hui avec ce pacte pour pouvoir l'améliorer et tenir compte de l'expérience sur ce sujet.
Un droit ouvert à l'évolution des techniques. C'est un des points très importants de notre société. Je suis frappé par l'évolution, aujourd'hui, de notre société en matière de technologie.
La France a un rythme d'évolution qui est bien un rythme qui est le sien. D'autres pays évoluent de manière très progressive. Notre pays regarde un certain temps, publie des livres, longtemps, à grand succès. Je me souviens encore, étudiant, il y a déjà bien longtemps, Monsieur Servan-Schreiber nous décrivant ce qu'allait être la cybernétique. Et pendant vingt-cinq ans, on a attendu que ça arrive, et quand ça arrive, ça arrive en trois ou quatre ans. Et là, en trois ou quatre ans, nous sommes en train de rattraper notre retard. Nous sommes passés de la 15e place parmi les premières places en Europe, en ce qui concerne le haut débit, l'équipement en ordinateurs, très très vite. La France, tel un oiseau de proie, survole le problème un certain temps, et puis, d'un seul coup, décide de s'y attaquer. Cela nous donne naturellement la capacité de réflexion en amont, mais cela nous exige ensuite une capacité d'adaptation en aval qui demande une véritable efficacité, et notamment, là, aujourd'hui, sur tous les problèmes posés par la société de l'information, en termes de droit, nous voyons combien, aujourd'hui, les problèmes vont plus vite que les solutions, et c'est bien pour cela que je suis heureux de vous rencontrer pour vous appeler, sur ce sujet, à l'aide, et qu'ensemble, on puisse trouver les solutions juridiques à ces problèmes posés par cette société de l'information, et la compétition qu'elle génère. Et notre code, qui contient désormais de multiples références aux technologies de l'information, doit être un des outils de la protection du citoyen, mais aussi de sa liberté pour les notions d'écrit, de signature électronique et un certain nombre de concepts qui sont des concepts opérationnels dont la société a besoin.
Je salue la Haute Assemblée qui vient d'examiner et de voter en seconde lecture le projet de loi portant " Confiance dans l'économie numérique ". Et on voit combien le Sénat peut être à la fois enraciné et très moderne. Cela ne surprendra personne que je suis un militant du Sénat, je le souligne.
Ce texte est le témoin de cette capacité d'adapter la loi civile au mode de communication électronique. Et je crois, très prochainement - c'est important -, l'acte sous-seing privé pourra être passé par voie électronique, au même titre que l'acte établi sur support papier. Là, nous allons vers un certain nombre de sujets qui sont très très importants, et dans tous les domaines. L'acte sous seing-privé, pour beaucoup de professionnels, cela va changer beaucoup de choses. D'ores et déjà, nous voulons, en ce qui concerne notre action administrative, sur des petits sujets, mais enfin, quand même, aujourd'hui, le Journal Officiel est sur Internet, et il a la valeur juridique sur Internet. Ce sont des initiatives de cette nature qui sont en train de transformer nos différentes règles de droit adaptées dans l'ensemble des droits à la nouvelle donne de ce qu'est aujourd'hui cette société dématérialisée, et pour lesquelles il faut trouver la place des actes authentiques sur support électronique.
Soucieux de l'adaptation du Code civil aux progrès de notre temps, c'est l'ensemble du droit et des obligations qui sera à l'avenir réformé, comme l'a souhaité, Monsieur le président de la République. Cet acte principal de la rénovation du Code civil sera mené dans un esprit qui devra être marqué par le pragmatisme. C'est ainsi que nous élaborerons ensemble ce droit rénové. Cette politique législative appelle le concours des experts de l'université, de l'élite de ses représentants, ainsi que celle de l'ensemble des praticiens du droit, toutes professions juridiques et judiciaires confondues. C'est un des sujets dans lequel la société a sa compétence partagée, c'est heureux. Pour avancer, il faut pouvoir la rassembler. C'est je crois très important, chacun ayant sa propre pratique, sa propre maîtrise de la matière. Enfin, pour faire vivre le Code civil à l'heure de l'élargissement de l'Union européenne, c'est aussi, pour nous, l'exigence de nous impliquer dans l'élaboration d'un droit européen des contrats, proposé par la Commission Cronté et enrichi par les autres pensées européennes, le Code civil saura trouver la place qui lui revient.
C'est peut-être, pour terminer, les deux missions, les deux missions sur lesquelles je voudrais appeler les professionnels, je dirais même les savants du droit, ici, rassemblés, deux sujets sur lesquels il nous faut être particulièrement engagés. C'est de militer pour notre pensée juridique. L'Europe est en train de changer profondément. Elle change sa géographie d'abord : 25 pays, avec un espace nouveau, avec des gens qui ont besoin de droit, mais aussi des gens qui subissent d'autres influence que la nôtre. Nous avons connu une Europe dans laquelle les Etats-Unis, par exemple, nos amis anglo-saxons, étaient parfois spectacteurs de l'Union européenne. Aujourd'hui, par leur influence, dans certains pays, ils sont acteurs de l'Union européenne, en termes de pensée, et pas seulement d'ailleurs, mais souvent en termes de pensée. Et donc, là, nous avons une exigence de défense de ce qu'est notre propre culture et de la diversité culturelle, y compris sur le plan du droit. Et là, nous ne pouvons le faire qu'en étant présents, qu'en veillant à ce que la France soit forte en Europe, et que nous soyons engagés dans cette mission-là qui est d'être fière de notre pensée juridique et d'être capables de pouvoir nourrir la pensée européenne. C'est un vrai défi. Je le dis pour le droit mais je le pense pour toute la France. Une des grandes ambitions de la France aujourd'hui, c'est de voir l'Europe se construire, se construire au-delà des procédures et des directives, de lui donner une âme et qu'une part de cette âme soit française. C'est cela notre défi. Si nous sommes pas capables de cela, l'Europe se fera d'une autre manière et la diversité culturelle en souffrira profondément. Non seulement pour nous, mais pour l'ensemble du monde, car la mission de la France est de faire exister cette diversité culturelle dans l'ensemble du monde.
Et donc, là, nous avons un devoir majeur, notamment sur les terrains sur lesquels, et en termes d'histoire et en termes de connaissance, nous avons des choses à dire au monde, c'est le cas du droit, c'est le cas de la pensée française en matière de droit, et notamment puiser aux sources du Code civil. C'est cette première mission, si vous me permettez d'employer ce mot, "militante", que je vous demande.
La seconde, est une vraie mission de réflexion. C'est de militer pour notre démocratie, et notre démocratie qui doit pouvoir concilier liberté, complexité, et donc, de fait, être capable de montrer combien le besoin de droit de notre société est fort, parce que c'est dans le droit que se trouvent arbitrées les logiques de liberté et de complexité. Chaque citoyen veut, et il a raison, être traité pour lui-même, avec sa différence, avec son cas spécifique, avec ses origines, avec sa ce qu'il est. De fait, avec sa personne. Et les personnalistes, les humanistes ne vont pas vivre avec l'espoir de transformer chaque citoyen dans un numéro ! On ne va pas avoir une organisation sociale industrielle qui va produire en masse des comportements et des attitudes. Il faut reconnaître à chacun sa place dans la société. Il faut traiter chacun de manière spécifique. Ce qui veut dire que la complexité est pour longtemps dans notre société. Seules les dictatures sont simples. Seules les dictatures peuvent traiter chaque individu d'une manière indifférenciée, ce qui n'est pas notre rêve.
Alors, méfions-nous de la promesse excessive de simplification. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas simplifier des procédures, je suis d'accord. Cela ne veut pas dire que le Gouvernement a sa part de responsabilité, je l'admets. Mais au-delà de cela, il faut bien montrer que la complexité n'est pas un adversaire systématique de la personne ; au contraire, c'est la reconnaissance de la différence. Et là, se trouve le besoin de liberté de la personne, dans le pacte républicain, si elle veut reconnue. La complexité naturellement, la conséquence. Mais cette complexité impose que, dans le droit, se trouvent les limites, les responsabilités et la capacité de faire vivre ensemble les différentes sensibilités et les différentes diversités.
Ce qui veut dire que nous avons besoin d'experts de complexité, capables d'être auprès du citoyen, ceux qui lui expliqueront, qui interpréteront. Parce que naturellement, le citoyen n'aura pas le Code civil rénové forcément, complètement dans la tête. Et quand je dis le Code civil, je ne vous parle pas du Code des impôts, et je ne vous parle pas d'autres Codes, évidemment.
Dans l'ensemble de ce contexte-là, cette complexité sera grande. Il faut donc des intermédiaires de complexité qui sont des facteurs de simplification, et qui doivent être ceux qui, pour le citoyen finalement, externalisent la complexité et ainsi, puissent permettre à notre société d'avoir, à la fois, la capacité de maîtriser ce en quoi le monde est complexe, mais en même temps de reconnaître la capacité de chaque individu d'avoir accès à sa propre liberté et à l'existence de sa propre diversité.
Donc, là, nous sommes sur des sujets qui sont très importants dans une société qui va donner à chacun la possibilité de s'exprimer. La société de l'information multipliera l'ensemble de ces sujets. Tout le monde aura accès à un maximum d'informations. Ce qui fait que tout ceci va générer un certain nombre de difficultés pour lesquelles il faut trouver, dans l'expérience du droit, dans l'expérience de la justice de la France, les capacités de faire face à cette mutation.
Mais qui pourrait croire que, dans un pays comme la France, un progrès de la liberté soit vécu comme quelque chose de difficile ?
Je vous fais confiance, et je vous remercie."
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 5 mai 2004)
Madame le ministre,
Monsieur le Premier président,
Mesdames, Messieurs les présidents,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux d'être avec vous autour de ce thème ambitieux : Vivre et faire vivre le Code civil". Je vous remercie d'être présents et de vous engager personnellement sur ce sujet. Je salue tout particulièrement le Premier président, parce que je sais que la Cour de Cassation, aujourd'hui, a une manifestation aussi importante cet après-midi. Je pense qu'il est très utile que les uns et les autres nous nous engagions pour "vivre et faire vivre le Code civil", tellement il est porteur, pour nous, d'éléments très structurants de notre vivre ensemble, et naturellement de notre communauté nationale, mais aussi de nos relations internationales. C'est un enfant de la période révolutionnaire, et c'est en même temps, l'aboutissement d'une tradition juridique. Il n'est pas facile d'être, à la fois, fils de Révolution de traditions. Eh bien, c'est cela le Code civil, cela lui donne cette originalité, qui lui donne aussi de la puissance que nous célébrons pour ce Bicentenaire.
C'est à la fois, une synthèse mais aussi une formulation originale d'un héritage mutliséculaire et constitution d'un nouveau droit commun. Il est au fond, une pierre angulaire sur laquelle reposent les fondements de ce que notre Nation a aujourd'hui de cohésion depuis deux siècles.
Il a rayonné bien au-delà de nos frontières, servant des sociétés combien différentes, qui ont ainsi salué ses qualités incomparables et je dirais, la pureté des principes qui l'animent. Au contact de multiples acteurs du droit, des professionnels, évidemment, et des magistrats, qui font vivre et incarnent le Code civil, le politique, chargé de garantir la pérennité et la cohésion de notre Nation, a toujours veillé à ce qu'il soit une oeuvre vivante et capable d'évolution et, si possible, de fécondité. Je salue les éminents orateurs que vous avez rassemblés pour ce colloque et les représentants des professions juridiques et judiciaires qui interviendront tout au long de cette journée, et qui contribuent ainsi à notre effort national de réflexion sur l'oeuvre de droit.
Situé au coeur de la vie de nos concitoyens, le legs, legs intemporel, que constitue le Code civil, s'enrichit ainsi continuellement des problématiques nouvelles qui caractérisent notre temps. Et je crois que là, nous sommes dans un des rôles majeurs du Code civil, d'être, on dirait, aujourd'hui "le logiciel central" de bien d'autres logiciels qui doivent répondre aux problématiques nouvelles que tous les jours la société pose aux citoyens. Cette démarche doit nous conduire à d'abord apprécier le Code civil comme le lieu des principes vivants auxquels nous sommes attachés, au confluent de nos traditions, et naturellement en pensant à tous ceux qui, avec les différentes étapes constituantes de cette réflexion, ont pu permettre la création de ce Code civil et son développement. Et je suis heureux de voir que le président du Sénat, quand il préside, du haut de son Plateau, est toujours sous le regard de Portalis et de quelques autres, ce qui naturellement ne fait qu'ajouter à sa sagesse légendaire.
Mais je me souviens aussi de tout ce que sont les sédimentations qui ont conduit au Code civil, et naturellement la période révolutionnaire. Mais je pense aussi au droit des Pays de Languedoc et de langue d'Oy, partout cette diversité qui est celle de la France a pu aussi contribuer là à cette cohésion qui nous a rassemblés jusqu'à cette oeuvre napoléonienne.
C'est une loi unique mais qui est accessible à tous ; le Code civil, lui aussi, a fondé de nouveaux Codes qui ont été adaptés à notre modernité et qui réagissent aujourd'hui, et qui donnent la possibilité de guider le citoyen face aux complexités de notre société. Donc, loin de remettre en cause évidemment son essence, l'émergence des autres Codes s'est appuyée sur les fondations même que constitue le Code civil. Il est la clé de voûte de la pensée juridique française et je crois que c'est un élément clé - on le voit dans cette société désorganisée -, qui ne manque pas de technique, qui ne manque pas de procédure, ni de directives, mais qui quelquefois manque de pensée, à la source de toutes les actions, et quand quelquefois on trouve les actions incohérentes, c'est parce que la pensée n'apparaît pas de manière claire. Il y a un des sujets sur lesquels la France a donné, à l'Europe et au monde, une pensée claire, c'est sa pensée juridique. On voit même qu'elle a créé des jalousies, voire l'opposition, d'autres pensées.
Le rayonnement exceptionnel du Code Napoléon, est un exemple de ce que peut faire la France quand elle organise sa pensée et qu'elle le fait savoir au monde. Ce rayonnement a été exceptionnel dès 1804 et pendant les deux siècles qui nous séparent de cette création du Code civil. Le Code civil, fut qualifié de véritable "constitution civile", guidant tous les aspects de la vie de nos concitoyens et organisant les institutions les plus fondamentales comme "le mariage", évidemment, "le contrat" ou encore "la propriété".
Le Code civil a ainsi vécu et vit au coeur de notre société et aujourd'hui, c'est assez impressionnant, près de la moitié des articles de 1804 subsistent encore. Ce qui montre la capacité qu'a eue le Code et surtout qu'ont eue ses fondateurs, de penser la société en dynamique. Ce qui doit aussi nous rendre modernes sur ce qu'est aujourd'hui la modernité qui a été pensée déjà depuis deux siècles avec beaucoup de pertinence.
Exceptionnel, le rayonnement du Code civil fut aussi mondial. Et s'il fut introduit d'abord dans toute l'Europe, sous la poussée des conquêtes évidemment napoléoniennes, la force des armes n'aurait pas suffit naturellement à imposer le Code civil dans la durée. Seule sa valeur propre et fondamentale, lui a permis en fin de compte d'inspirer de nombreux législateurs étrangers.
C'est une oeuvre vivante, nourrie des défis de notre temps. Je voudrais insister sur ce point, parce que c'est ce qui vous rassemble aujourd'hui, c'est ce côté vivant du Code qui est très important, y compris pour le citoyen qui, quelquefois a le sentiment que le droit pourrait être une matière figée, alors que c'est une matière biologique, vivante. Et qu'il doit être en vie en permanence au coeur même de la société. Et donc, l'action des professionnels du droit, qui font vivre ce Code, est à saluer, ils sont au coeur de la société civile, ils concourent souvent l'élaboration des réformes que le Gouvernement porte avec le soutien du Parlement. J'ai noté votre peu de goût, Monsieur le président, pour les ordonnances. Cela ne m'a point échappé. C'est, en effet, sur ce type de sujet que le Parlement a le moins la parole, c'est vrai.
Mais quelquefois, il faut aller vite. Il y a quand même des lois d'habilitation qui permettent quand même un minimum d'expression, et je voudrais souligner, évidemment, sur tout ce travail de tous les partenaires, le rôle particulier de la Chancellerie.
Je voudrais dire un mot sur le droit des personnes et de la famille qui, naturellement, est un des points clés de notre réflexion aujourd'hui sur le Code civil. Ce droit se trouve en effet au coeur des mutations qui agitent notre société, parfois en rupture, parfois en continuité avec les modèles, les principes et les valeurs qui les fondent. N'ayons pas peur de tous ces changements ; d'abord, je voudrais le dire avec conviction : la société française connaît des mutations profondes. Regardons-les avec lucidité.
Il y a peu de temps, j'interrogeais tous mes ministres réunis en comité interministériel pour qu'ils me disent ce qu'ils ressentaient parmi les administrés qui sont au plus près en contact de leurs responsabilités. Ils me disent : " oh, ils changent ". " Les agriculteurs sont inquiets, parce qu'avec la nouvelle PAC, leurs repères changent " ; " les enseignants, les professeurs sont très inquiets, parce que leurs repères changent, leur métier change " ; " les ingénieurs sont très inquiets, parce que les technologies changent " ; " les cadres sont inquiets, parce qu'ils n'ont plus de secrétaires, avec les technologies " ; " le médecin de campagne est très inquiet, parce que son métier a changé, il n'y a plus de médecin de famille " ; " le médecin de ville est très inquiet, parce que les urgences ont une nouvelle fonction ".
Tous les métiers changent. Nous sommes dans une société où le changement est en train de s'installer très rapidement. Il faut le vivre comme une mutation, s'y adapter, y adapter nos règles, y adapter nos vivre-ensemble, et ne pas considérer que la nostalgie est forcément la solution d'avenir. Il y a quelquefois dans la nostalgie, une trace de paresse voire de renoncement. La mutation est devant nous. Il faut prendre les moyens de pouvoir vivre avec succès cette mutation, y compris dans nos comportements et dans nos textes.
Dans le domaine du droit de la famille, le Code de 1804 se caractérise par le souci de contenir les effets de l'égalité civile et de l'individualisme juridique né de la Révolution. Le mariage était ainsi réaffirmé avec force pour briser les élans révolutionnaires. C'est sa source même.
Autour de ce noyau, s'est construit un modèle unique : celui de la famille légitime marquée évidemment, à l'époque, par la prééminence maritale et paternelle, la hiérarchie des filiations et le principe de la transmission familiale des patrimoines.
Mais, les rapports au sein du couple se sont évidemment profondément modifiés depuis. Et, aujourd'hui, on a affirmé l'autorité parentale, qui est partagée, et l'autonomie de l'épouse traduit ainsi la parité des droits entre l'homme et la femme. Cette évolution est naturellement, profondément heureuse.
Les formes d'union ont évolué. Le mariage n'est plus la seule forme de relation contractuelle entre un homme et une femme. De nouvelles unions, reposant sur une libre organisation de la vie commune, sont reconnues. Le divorce, aujourd'hui, en commission mixte paritaire au Parlement, une nouvelle loi est soumise et il est admis - à titre d'exception en 1804 -, mais aujourd'hui, il est à une étape où nous voulons le rendre compatible avec la vie moderne. Et donc ce sont des éléments importants qui font vivre l'ensemble des relations familiales, et la capacité que nous avons à adapter le droit des personnes à la situation de la société.
Bien que la solidarité des familles fonde notre droit des obligations, il est clair que nous avons suivi, depuis 1804, un parcours qui a montré notre capacité d'évolution. Le Gouvernement s'est engagé dans un processus de rénovation du droit de la famille afin de l'adapter donc à ces évolutions et aux attentes de notre société.
Dans cette action, l'Etat s'entoure de tous ceux qui, au quotidien, sont les artisans de l'application de la loi. C'est pourquoi, je vous le dis avec sincérité, votre concours est essentiel, comme l'a prouvé l'élaboration de la réforme du divorce, dont je parlais à l'instant.
Ce texte qui a fait consensus - un Premier ministre, ça adore les textes qui font consensus, c'est tellement rare que cela se savoure - sur un sujet sensible. Au départ, je ne pensais pas qu'on pourrait avoir un tel consensus, le principe d'une intervention judiciaire ainsi qu'une pluralité des cas de divorce permettant de respecter la diversité des situations conjugales.
J'y reviendrai, parce que le fond de l'évolution de notre société, est ce couple liberté-complexité, qui passe par la diversité qui est la source même de notre besoin de droit dans la société. Cette nouvelle approche facilite le divorce par consentement mutuel afin de cantonner le divorce pour faute aux situations les plus graves. Il tend également à pacifier ce dernier notamment par le recours à la médiation familiale et incite les époux, dès le début de la procédure, à préparer les conséquences patrimoniales de leur séparation.
S'agissant des situations de violences conjugales, particulièrement préoccupantes dans l'état actuel de notre société, ce texte protège le conjoint victime qui pourra désormais, en urgence et en amont même de la procédure de divorce, saisir le juge aux affaires familiales pour qu'il soit statué sur la résidence séparée des époux, avec un principe d'éviction de l'auteur des violences du domicile conjugal. C'est une étape très importante à laquelle nous tenions beaucoup, parce que nous voyons bien combien les violences conjugales, aujourd'hui, sont non seulement particulièrement humainement difficiles à vivre, mais toutes les conséquences familiales qu'elles entraînent sont particulièrement lourdes pour les personnes et pour les familles.
Cette première étape de la modernisation du droit de la famille sera suivie de la réforme du droit de la filiation ainsi que de celle des successions et des libéralités ou encore de la protection des majeurs vulnérables.
Il faut également, je le crois, entreprendre aujourd'hui, la nécessaire évaluation de la loi du 15 décembre 1999 instituant le Pacte civil de solidarité en vue de son amélioration. Cette loi a créé - le Pacte civil de solidarité... On sait en effet qu'un certain nombre de dispositifs prévus par ce pacte d'un nouveau type ne fonctionnent pas toujours comme il serait souhaitable, de manière satisfaisante ou adaptée. Je crois qu'il nous faut, là, avoir un regard, vivre et faire vivre. Après la loi de 1999, faisons vivre en observant, en évaluant ce qui se passe exactement aujourd'hui avec ce pacte pour pouvoir l'améliorer et tenir compte de l'expérience sur ce sujet.
Un droit ouvert à l'évolution des techniques. C'est un des points très importants de notre société. Je suis frappé par l'évolution, aujourd'hui, de notre société en matière de technologie.
La France a un rythme d'évolution qui est bien un rythme qui est le sien. D'autres pays évoluent de manière très progressive. Notre pays regarde un certain temps, publie des livres, longtemps, à grand succès. Je me souviens encore, étudiant, il y a déjà bien longtemps, Monsieur Servan-Schreiber nous décrivant ce qu'allait être la cybernétique. Et pendant vingt-cinq ans, on a attendu que ça arrive, et quand ça arrive, ça arrive en trois ou quatre ans. Et là, en trois ou quatre ans, nous sommes en train de rattraper notre retard. Nous sommes passés de la 15e place parmi les premières places en Europe, en ce qui concerne le haut débit, l'équipement en ordinateurs, très très vite. La France, tel un oiseau de proie, survole le problème un certain temps, et puis, d'un seul coup, décide de s'y attaquer. Cela nous donne naturellement la capacité de réflexion en amont, mais cela nous exige ensuite une capacité d'adaptation en aval qui demande une véritable efficacité, et notamment, là, aujourd'hui, sur tous les problèmes posés par la société de l'information, en termes de droit, nous voyons combien, aujourd'hui, les problèmes vont plus vite que les solutions, et c'est bien pour cela que je suis heureux de vous rencontrer pour vous appeler, sur ce sujet, à l'aide, et qu'ensemble, on puisse trouver les solutions juridiques à ces problèmes posés par cette société de l'information, et la compétition qu'elle génère. Et notre code, qui contient désormais de multiples références aux technologies de l'information, doit être un des outils de la protection du citoyen, mais aussi de sa liberté pour les notions d'écrit, de signature électronique et un certain nombre de concepts qui sont des concepts opérationnels dont la société a besoin.
Je salue la Haute Assemblée qui vient d'examiner et de voter en seconde lecture le projet de loi portant " Confiance dans l'économie numérique ". Et on voit combien le Sénat peut être à la fois enraciné et très moderne. Cela ne surprendra personne que je suis un militant du Sénat, je le souligne.
Ce texte est le témoin de cette capacité d'adapter la loi civile au mode de communication électronique. Et je crois, très prochainement - c'est important -, l'acte sous-seing privé pourra être passé par voie électronique, au même titre que l'acte établi sur support papier. Là, nous allons vers un certain nombre de sujets qui sont très très importants, et dans tous les domaines. L'acte sous seing-privé, pour beaucoup de professionnels, cela va changer beaucoup de choses. D'ores et déjà, nous voulons, en ce qui concerne notre action administrative, sur des petits sujets, mais enfin, quand même, aujourd'hui, le Journal Officiel est sur Internet, et il a la valeur juridique sur Internet. Ce sont des initiatives de cette nature qui sont en train de transformer nos différentes règles de droit adaptées dans l'ensemble des droits à la nouvelle donne de ce qu'est aujourd'hui cette société dématérialisée, et pour lesquelles il faut trouver la place des actes authentiques sur support électronique.
Soucieux de l'adaptation du Code civil aux progrès de notre temps, c'est l'ensemble du droit et des obligations qui sera à l'avenir réformé, comme l'a souhaité, Monsieur le président de la République. Cet acte principal de la rénovation du Code civil sera mené dans un esprit qui devra être marqué par le pragmatisme. C'est ainsi que nous élaborerons ensemble ce droit rénové. Cette politique législative appelle le concours des experts de l'université, de l'élite de ses représentants, ainsi que celle de l'ensemble des praticiens du droit, toutes professions juridiques et judiciaires confondues. C'est un des sujets dans lequel la société a sa compétence partagée, c'est heureux. Pour avancer, il faut pouvoir la rassembler. C'est je crois très important, chacun ayant sa propre pratique, sa propre maîtrise de la matière. Enfin, pour faire vivre le Code civil à l'heure de l'élargissement de l'Union européenne, c'est aussi, pour nous, l'exigence de nous impliquer dans l'élaboration d'un droit européen des contrats, proposé par la Commission Cronté et enrichi par les autres pensées européennes, le Code civil saura trouver la place qui lui revient.
C'est peut-être, pour terminer, les deux missions, les deux missions sur lesquelles je voudrais appeler les professionnels, je dirais même les savants du droit, ici, rassemblés, deux sujets sur lesquels il nous faut être particulièrement engagés. C'est de militer pour notre pensée juridique. L'Europe est en train de changer profondément. Elle change sa géographie d'abord : 25 pays, avec un espace nouveau, avec des gens qui ont besoin de droit, mais aussi des gens qui subissent d'autres influence que la nôtre. Nous avons connu une Europe dans laquelle les Etats-Unis, par exemple, nos amis anglo-saxons, étaient parfois spectacteurs de l'Union européenne. Aujourd'hui, par leur influence, dans certains pays, ils sont acteurs de l'Union européenne, en termes de pensée, et pas seulement d'ailleurs, mais souvent en termes de pensée. Et donc, là, nous avons une exigence de défense de ce qu'est notre propre culture et de la diversité culturelle, y compris sur le plan du droit. Et là, nous ne pouvons le faire qu'en étant présents, qu'en veillant à ce que la France soit forte en Europe, et que nous soyons engagés dans cette mission-là qui est d'être fière de notre pensée juridique et d'être capables de pouvoir nourrir la pensée européenne. C'est un vrai défi. Je le dis pour le droit mais je le pense pour toute la France. Une des grandes ambitions de la France aujourd'hui, c'est de voir l'Europe se construire, se construire au-delà des procédures et des directives, de lui donner une âme et qu'une part de cette âme soit française. C'est cela notre défi. Si nous sommes pas capables de cela, l'Europe se fera d'une autre manière et la diversité culturelle en souffrira profondément. Non seulement pour nous, mais pour l'ensemble du monde, car la mission de la France est de faire exister cette diversité culturelle dans l'ensemble du monde.
Et donc, là, nous avons un devoir majeur, notamment sur les terrains sur lesquels, et en termes d'histoire et en termes de connaissance, nous avons des choses à dire au monde, c'est le cas du droit, c'est le cas de la pensée française en matière de droit, et notamment puiser aux sources du Code civil. C'est cette première mission, si vous me permettez d'employer ce mot, "militante", que je vous demande.
La seconde, est une vraie mission de réflexion. C'est de militer pour notre démocratie, et notre démocratie qui doit pouvoir concilier liberté, complexité, et donc, de fait, être capable de montrer combien le besoin de droit de notre société est fort, parce que c'est dans le droit que se trouvent arbitrées les logiques de liberté et de complexité. Chaque citoyen veut, et il a raison, être traité pour lui-même, avec sa différence, avec son cas spécifique, avec ses origines, avec sa ce qu'il est. De fait, avec sa personne. Et les personnalistes, les humanistes ne vont pas vivre avec l'espoir de transformer chaque citoyen dans un numéro ! On ne va pas avoir une organisation sociale industrielle qui va produire en masse des comportements et des attitudes. Il faut reconnaître à chacun sa place dans la société. Il faut traiter chacun de manière spécifique. Ce qui veut dire que la complexité est pour longtemps dans notre société. Seules les dictatures sont simples. Seules les dictatures peuvent traiter chaque individu d'une manière indifférenciée, ce qui n'est pas notre rêve.
Alors, méfions-nous de la promesse excessive de simplification. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas simplifier des procédures, je suis d'accord. Cela ne veut pas dire que le Gouvernement a sa part de responsabilité, je l'admets. Mais au-delà de cela, il faut bien montrer que la complexité n'est pas un adversaire systématique de la personne ; au contraire, c'est la reconnaissance de la différence. Et là, se trouve le besoin de liberté de la personne, dans le pacte républicain, si elle veut reconnue. La complexité naturellement, la conséquence. Mais cette complexité impose que, dans le droit, se trouvent les limites, les responsabilités et la capacité de faire vivre ensemble les différentes sensibilités et les différentes diversités.
Ce qui veut dire que nous avons besoin d'experts de complexité, capables d'être auprès du citoyen, ceux qui lui expliqueront, qui interpréteront. Parce que naturellement, le citoyen n'aura pas le Code civil rénové forcément, complètement dans la tête. Et quand je dis le Code civil, je ne vous parle pas du Code des impôts, et je ne vous parle pas d'autres Codes, évidemment.
Dans l'ensemble de ce contexte-là, cette complexité sera grande. Il faut donc des intermédiaires de complexité qui sont des facteurs de simplification, et qui doivent être ceux qui, pour le citoyen finalement, externalisent la complexité et ainsi, puissent permettre à notre société d'avoir, à la fois, la capacité de maîtriser ce en quoi le monde est complexe, mais en même temps de reconnaître la capacité de chaque individu d'avoir accès à sa propre liberté et à l'existence de sa propre diversité.
Donc, là, nous sommes sur des sujets qui sont très importants dans une société qui va donner à chacun la possibilité de s'exprimer. La société de l'information multipliera l'ensemble de ces sujets. Tout le monde aura accès à un maximum d'informations. Ce qui fait que tout ceci va générer un certain nombre de difficultés pour lesquelles il faut trouver, dans l'expérience du droit, dans l'expérience de la justice de la France, les capacités de faire face à cette mutation.
Mais qui pourrait croire que, dans un pays comme la France, un progrès de la liberté soit vécu comme quelque chose de difficile ?
Je vous fais confiance, et je vous remercie."
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 5 mai 2004)