Texte intégral
Mesdames, messieurs les présidents,
Sur le thème de la croissance par la réforme, je voudrais remercier Gérard Worms et Michel Didier de leurs travaux, de leur initiative et finalement de la cohérence de leur démarche. Je voudrais saluer chacune et chacun d'entre vous de vous impliquer dans cette réflexion, parce qu'au fond, vous êtes en train de faire de ce que fut et de ce que sera un concept économique, un vrai projet politique. Ce dont notre pays a besoin, c'est que la croissance devienne un véritable sujet de société, et qu'on puisse réfléchir autrement qu'en voyant ces variables et ces indicateurs, sur lesquels en général on se trompe beaucoup quand il s'agit de prévoir, mais dont on mesure aussi, dans le passé, combien on n'a pas su profiter des circonstances de la croissance, notamment pour mener la réforme, qui elle-même génère de la croissance. Vous êtes là avec un panel particulièrement brillant à la tête d'un militantisme pour ce cycle vertueux : la réforme pour la croissance et la croissance pour la réforme.
Je voudrais vous dire quelle est ma vision aujourd'hui de notre situation par rapport à ce cycle vertueux. D'abord, une bonne nouvelle : je crois qu'il y a une voie européenne de la réforme qui est en train aujourd'hui de s'imposer comme un trait commun de l'action des gouvernements et dans lequel s'inscrit le gouvernement français. Je crois - je vous en dirai quelques mots - que nous avons trouvé aussi une méthode de réforme à la française et que finalement, malgré toutes les difficultés, malgré ceux qui disent "ce n'est pas assez" et ceux qui disent "c'est trop", nous sommes en train d'affirmer que la France est un pays où la réforme est possible. Mais c'est vrai qu'il nous manque ce débat sociétal sur la croissance et l'emploi et je voudrais vous dire comment, au cours de l'année 2005, je souhaite mobiliser notre pays dans cette perspective. D'abord, cette voie européenne de la réforme : tous les pays européens ont maintenant pris le chemin de la réforme. Tout cela à partir de l'agenda de Lisbonne. Je suis, comme tous mes collègues Premiers ministres européens, frappé du contraste qu'il y a entre ce risque évident d'étouffement de la croissance européenne que comporte un scénario au fil de l'eau, c'est-à-dire au fond un scénario sans réforme, et les promesses de l'autre scénario, le scénario volontariste.
Sans réforme, la croissance européenne est menacée d'enlisement progressif, évidemment par une caractéristique qui nous atteint tous, qui est le vieillissement de la population, mais aussi par le faible nombre d'heures travaillées au total pour financer l'exigence sociale de nos pays, et puis aussi naturellement le poids de nos dépenses publiques.
A l'inverse, on ne peut qu'être sincèrement impressionné par l'importance des réserves de croissance qui sont rapidement mobilisables, quand elles sont mobilisées : je pense à la recherche, à l'épargne, et je pense aussi au développement des nouvelles entreprises, à la création d'entreprises, aux heures travaillées aussi productives qu'aux Etats-Unis, mais qui sont, pour l'Union européenne, beaucoup moins nombreuses.
On voit là les réserves de croissance clairement affirmées, et je le pense, des réserves mobilisables. C'est cette voie européenne, je crois, qu'il nous faut emprunter, et avec détermination, avec assez de conviction, dépasser finalement ce dans quoi on voudrait en permanence l'enfermer, c'est-à-dire le choix entre ce que serait une voie libérale et une voie sociale. C'est le degré zéro de l'analyse politique. On voit bien que dans la démarche européenne, aujourd'hui, dans notre démarche nationale, si l'on veut créer la dynamique nécessaire à la justice sociale, il faut concilier ouverture au monde et ambition sociale, et ceci, je crois comme élément stratégique d'un mouvement qui, pour progresser, se doit d'être équilibré. Systématiquement, avoir les lunettes : voilà une décision libérale, voilà une décision sociale, c'est, je crois, vraiment, fragmenter la pensée, la réduire, au sens où on réduit une fracture. Mais je crois vraiment qu'il faut, pour nous, mesurer quelles sont les conditions de ce mouvement.
Premièrement : valoriser le travail. C'est, je crois, très important, puisque c'est le nombre d'heures travaillées au total qui génère les moyens du progrès social. Et donc il faut valoriser le travail. C'est pourquoi le Gouvernement français a décidé d'assouplir les 35 heures - une première étape a été engagée, une deuxième étape prochaine mais aussi il faut revaloriser le SMIC - nous l'avons harmonisé pour permettre une organisation plus simple dans l'entreprise en ce qui concerne l'aménagement des conséquences des 35 heures, et notamment ce que fut l'éclatement des SMIC. Puis la Prime pour l'emploi, cet impôt négatif, qui nous permet de soutenir non seulement les Français en les incitant à reprendre le travail, mais aussi à essayer de faire en sorte que l'on puisse soutenir la consommation, ce qui est un élément majeur quand on compare la structure même de notre croissance et la part que prend la consommation dans sa contribution à notre croissance, ce qui est un élément satisfaisant, même si cela doit nous conduire à ne pas mésestimer la situation de l'Allemagne. Quelquefois, pour flatter la situation française, ce dont je me réjouis, je vois qu'on critique la situation allemande, j'aimerais bien quand même que le moteur de l'exportation française puisse fonctionner de la même manière que le moteur de l'exportation allemande, notamment par ses entreprises moyennes très présentes dans le monde.
Première condition : valoriser le travail. Deuxième condition : promouvoir, je crois, et c'est un élément social, ce qu'on pourrait appeler, ce que le chef de l'Etat a appelé "l'assurance emploi". Le modèle européen de protection de l'emploi doit évoluer, et ne doit pas chercher à protéger coûte que coûte les emplois existants. On voit bien que ce n'est pas cela la voie ; il ne s'agit pas de protéger coûte que coûte les emplois existants. Mais, en contrepartie, il faut armer, il faut protéger, il faut équiper les salariés pour améliorer leur employabilité. Ce n'est pas une idée neuve, je le sais bien, mais je pense vraiment que c'est une idée sur laquelle nous devons avancer et qui est tout à fait compatible à l'histoire sociale de notre pays : l'assurance maladie, les droits à retraite ne sont pas attachés à un emploi. Il est clair que nous devons, sur ces sujets, progresser dans ces idées d'assurance personnelle avec la validation des acquis de l'expérience et la mise en place du droit individuel à la formation ; la formation tout au long de la vie, en fait, devient - et c'est une première - un droit portable, attaché à la personne, et non pas à la situation. Et je crois que c'est un des éléments majeurs de progrès, avec la réforme de restructuration que nous avons soumise aux partenaires sociaux, le droit au reclassement sera étendu aux salariés des PME. C'est un élément aussi important de cette "assurance emploi" qui me paraît être une condition du mouvement nécessaire.
Un : valoriser le travail. Deux : promouvoir cette assurance emploi et montrer qu'il y a un parcours et qu'on ne doit pas raisonner seulement en situation, mais dans une ligne de vie. De même, on ne doit pas raisonner - troisièmement - en structure mais aussi en projet. Je suis frappé de voir combien notre pays est passionné par ces structures et quelle énergie nous dépensons à défendre des structures plutôt qu'à porter des projets. C'est vraiment, je crois, un mal français, et il nous faut veiller à ce que la dynamique des projets soit affirmée comme vraiment une dynamique que nous voulons soutenir, car sur de nombreux marchés, il n'y a souvent place que pour un nombre limité de pôles d'excellence, et il nous faut en permanence être capable d'innover et de construire, notamment avec tout ce que nous offre aujourd'hui la société de l'information, ces percées dans cette dynamique de projets que doit faire notre pays. Nous devons y contribuer par un certain nombre de grands projets mobilisateurs - mobilisateurs pour l'énergie nationale, pour les compétences nationales - mais aussi pour les projets d'entreprises, pour les projets personnels, être dans une situation où chacun se place dans sa propre dynamique, ce qui est au fond une démarche très humaniste de dépassement. C'est, je crois, l'intérêt, et de la personne et aussi de la société.
Dans cette Europe en mouvement, ma plus grande satisfaction depuis deux ans et demi maintenant, est de nous permettre de constater que nous avons mis en place les "infrastructures de la réforme". On a construit un logiciel aujourd'hui de réforme, d'abord avec une méthode de clarification d'un certain nombre de responsabilités. Je crois que c'est un élément important, notamment avec la décentralisation, et ce que nous engageons dans la réforme de l'Etat, je vous assure, vous verrez, ces logiciels progressivement s'affirmer, et les processus sont enclenchés. Aujourd'hui, par exemple en remettant en cause un certain nombre de contrats dans la fonction publique qui étaient des sous-contrats de fonction publique qui masquaient en fait une intervention de l'Etat. Ces contrats, petit à petit, disparaissent massivement, et vous verrez que tout ceci conduit à des réorganisations de services de l'Etat. Vous allez voir, dans les mois prochains, toute l'organisation de l'Etat au niveau du département, toute l'organisation de l'Etat au niveau de la région, se restructurer à partir d'un certain nombre de logiques que nous avons mises en place. Je crois que cette ingénierie de la réforme en France, repose sur trois étapes. D'abord, c'est notre pays qui est comme ça. Nous avons toujours tendance à nous diviser. Peuple de Gaulois, nous ne pouvons engager une réforme que si nous avons d'abord un diagnostic partagé. Il faut accepter une base de départ commune. Si la réforme part d'un camp, à ce moment-là, la réforme est condamnée. Il faut que la réforme parte du cur, du cur du consensus. Attribuer une paternité à un projet, c'est en général le condamner ; c'est ça la France. Regardons la réalité du pays. Il faut partir d'un consensus, et quand mon prédécesseur a fait le COR, le Comité d'orientation des retraites, il a construit un consensus qui a permis ensuite de dégager une réforme. Nous avons fait la même chose avec le Haut Conseil de l'assurance maladie ; nous avons fait la même chose avec la Commission Thélot et avec ce million de participants à un grand débat qui fait que le texte " Miroir " rassemble aujourd'hui les idées sur lesquelles on peut essayer de s'appuyer pour déclencher un mouvement.
Premièrement, un diagnostic partagé : il n'y a pas de réforme sans diagnostic. Deuxièmement, il faut trouver les leviers de justice qui parlent à tous les Français. Notre malheur, c'est que notre pays est fait de multiples experts, et que la tendance en général, c'est de faire une réforme par des experts pour des experts. Et si la réforme ne parle pas aux Français, eh bien la réforme a peu de chances d'aboutir. Pour que la réforme parle aux Français, il faut qu'elle porte une dimension de justice. Donc, dans ce paquet de consensus, il faut trouver les leviers de justice qui peuvent nous permettre d'agir - ce que nous avons fait par exemple avec les carrières longues pour les retraites, avec la complémentaire santé pour des personnes à faibles ressources, pour l'assurance maladie ; ce sont des éléments importants. Sur l'école, il y a des idées de justice. Peut-on aujourd'hui accepter que 60.000 jeunes sortent du système éducatif sans qualification, sans que leur propre talent ait été reconnu et validé ? Alors qu'on sait tous qu'il n'y a pas d'enfant sans talent. Encore faut-il aller le chercher, encore faut-il lui permettre de s'exprimer, et quand on l'a trouvé, que ce soit un talent manuel ou un talent intellectuel, qu'on ne l'enferme pas, cinq ans durant, avant de lui donner la chance de pouvoir exprimer son propre talent. Il y a des idées que les Français comprendront dans la réforme de l'éducation ; il y a des idées que les Français voudront, pour peu qu'on les identifie, qu'on les porte, et qu'on en fasse le cur de la réforme. Ce qui est dans notre projet de réforme de l'éducation, qui est la réussite à l'école, c'est une réussite qui va apparaître comme un progrès de justice, et c'est pour cela que les Français seront acteurs de la réforme, et que l'éducation ne sera pas une réforme simplement des professionnels de l'éducation.
La troisième étape, naturellement, c'est qu'une fois qu'on a défini un diagnostic partagé, une fois qu'on a trouvé le message central qui peut déclencher une compréhension de l'opinion, il faut ensuite mener la réforme avec courage, disons, mais avec détermination et sans faiblesse. Car naturellement, il y a un moment dans notre pays, où si le pays sent que la main tremble, le pays bloque. Et si le pays sent que la main ne tremble pas, le pays comprend. Après avoir écouté, après avoir fait comprendre et partagé, il faut pouvoir mener la réforme jusqu'au bout sans trembler, car à ce moment-là, comme toujours en France, on critique la réforme et on est, au fond, au total, satisfait qu'elle soit faite quand elle est faite. C'est cela qui est pour nous la démarche aujourd'hui de la réforme à la française que nous voulons poursuivre. Nous voulons développer cette initiative en faisant en sorte que nous puissions profiter de la croissance que nous avons les uns et les autres permis de retrouver à un niveau en France satisfaisant, au moins par rapport à la zone euro, même si je sais bien que ce n'est pas l'Etat qui fait la croissance. Mais je sais que si on était en retard dans la zone euro, on dirait bien quand même qu'on a mal joué quelque chose quelque part. Permettez-moi ce petit bout de satisfaction mais je veux bien le partager avec vous. Cette croissance, il nous faut, malgré tous les aléas externes, pouvoir en consolider les dynamiques, et c'est pour cela que je voudrais que nous travaillions à ce qu'elle soit durable et partagée, ce qui me paraît être un vrai projet politique. Là, je vais dans le prolongement de la croissance par la réforme. Je crois vraiment que la croissance durable et partagée, c'est un projet politique pour notre pays. Tout cela, d'abord, doit commencer par une lucidité sur notre passé, de voir que nous avons eu un certain nombre de fragilités dans le passé et qu'il nous faut éviter de les retrouver. Il est évident que nous avons laissé filer les déficits et différé les réformes trop longtemps. C'est un élément très important, nous sommes engagés dans le processus inverse. Cela prend du temps mais nous continuerons à la fois à réduire les déficits. Déjà, dans cette année 2004, les déficits sont massivement réduits, et nous continuerons à réduire les déficits, et nous continuerons à poursuivre l'action de réforme.
Il faut aussi faire en sorte que l'on puisse retrouver un véritable consensus en faveur de l'emploi, parce que le consensus dans le passé s'est un peu délité et, finalement, chacun étant enfermé dans son propre statut, on a un peu oublié l'importance de l'emploi dans la croissance et dans les équilibres globaux de notre société, et donc de faire de l'emploi cette priorité nationale. Le budget 2005 non seulement est construit avec les normes et les engagements européens, non seulement il définit un certain nombre de priorités, mais je veux qu'il porte aussi une culture de résultats. C'est pour cela qu'à l'idée de budget 2005, j'associe l'idée de contrat 2005. Je voudrais vous en dire un mot parce que c'est l'idée sur laquelle le Gouvernement veut s'engager non pas en terme d'objectifs mais en terme de résultats. Qu'y-a-t-il d'important dans l'année 2005 comme résultat que le Gouvernement veut obtenir et à quoi doivent penser les ministres le matin quand ils se lèvent et le soir quand ils se couchent ? Atteindre les trois priorités du Gouvernement en 2005 qui sont la baisse du chômage, la réforme de l'école et l'amélioration du pouvoir d'achat, notamment par la lutte contre la vie chère. Ce sont trois objectifs principaux. Il y aura bien d'autres objectifs ; il faut construire l'Europe, il faut mener une politique internationale. Il y a beaucoup de choses à faire, mais je veux qu'on concentre l'action sur ces trois priorités. La première priorité, c'est évidemment de faire en sorte que notre croissance soit riche en emplois. Nous avons là un souci important de développer un certain nombre d'initiatives. Certaines boîtes à outils existent déjà. Il y a le plan de cohésion sociale qui va être débattu au Parlement. Il y a eu des initiatives pour la création d'entreprises. Il y a eu des politiques qui ont déjà été lancées sur tout ce qui touche, par exemple, l'innovation et le crédit d'impôt pour l'innovation. Il y a là un certain nombre d'initiatives qui servent cette dynamique de l'emploi pour rendre la croissance fertile en emploi. Il y a d'autres sujets qu'il faudra ajouter et je vais consulter en octobre et en novembre - j'ai déjà engagé un certain nombre de consultations avec les partenaires sociaux et un certain nombre d'acteurs économiques et sociaux - pour pouvoir définir les programmes qui, dans cette logique de l'emploi, mobiliseront l'Etat, l'ensemble de l'appareil Etat, pour obtenir ces résultats avec l'ensemble des partenaires. Je crois qu'il y a des sujets qui sont très importants, ceux que j'ai mis déjà sur le débat parlementaire puis ceux que nous devrons mettre ensemble. Je pense à ce qui concerne les emplois de services, je pense à ce qui concerne les emplois seniors, un certain nombre de sujets qui sont dans la perspective de la négociation du dialogue social. Mais je pense aussi à un certain nombre de sujets sur lesquels il nous faut rapidement clarifier la situation, c'est le cas des 35 heures notamment. Je souhaite qu'avant la fin de l'année, le Gouvernement ait arbitré les étapes qu'il doit arbitrer, notamment qu'on ne traîne pas en ce qui concerne le statut des petites entreprises par rapport aux grandes jusqu'à la fin de l'année 2005, mais qu'on puisse dès la fin de l'année 2004, connaître les règles du jeu et sortir des incertitudes sur ce sujet, aussi bien en ce qui concerne le coût des heures supplémentaires que les plafonds, que les mutualisations, que l'ensemble des dispositifs de repos compensateur ou de compte épargne temps, l'ensemble des paramètres de ce sujet. Après l'achèvement des négociations du ministre du travail, il faut que je puisse présenter, en faisant les derniers arbitrages, aux partenaires sociaux d'abord, au pays ensuite, l'ensemble de ce dispositif. De même, je souhaite qu'on puisse avancer rapidement sur les restructurations, c'est-à-dire ce qui est de nature à remplacer la loi dite de modernisation sociale, que nous avons suspendue parce qu'elle n'était ni sociale ni de modernisation, et que nous voulons remplacer par un certain nombre d'autres dispositifs. Il y a une réunion importante demain sur ces sujets et je souhaite que nous puissions intégrer ces propositions, dans le cadre du débat parlementaire sur la cohésion sociale. Ceci nous permettra de tenir l'échéance du début janvier 2005 pour avoir clarifié ce sujet et avoir fait de l'emploi la priorité de cette situation particulièrement difficile.
Il y a là donc une volonté pour nous de construire autour de l'emploi, des programmes que nous allons pouvoir bâtir. Je voudrais vous dire que ce qui est très important pour moi, c'est de fixer un certain nombre d'objectifs, notamment sur des politiques comme celle de la création d'entreprise par exemple ou celle de l'apprentissage, qui doit être vraiment une politique très forte dans notre pays. Voilà vingt ans que tout le monde sait que l'apprentissage est une formule à la fois utile pour l'insertion professionnelle, à la fois qualifiante, à la fois utile à l'activité économique. Tout le monde reconnaît combien l'apprentissage est un élément fort de notre dispositif de formation et finalement, nous avons encore là un certain nombre d'archaïsmes que nous voulons bousculer pour pouvoir être plus efficaces, et je voudrais qu'on puisse bâtir sur ces sujets une mobilisation nationale beaucoup plus puissante. Il nous faut doubler le nombre d'apprentis en France si nous voulons être à la hauteur de nos ambitions sur ces sujets.
Enfin, deuxième sujet après l'emploi : la lutte contre la vie chère. Je souhaite qu'on puisse faire jouer la concurrence au profit des consommateurs, en étant vigilant aux différents équilibres. Là, je pense que le Gouvernement, qui a déjà agi sur les tarifs d'assurance avec les partenaires, sur la téléphonie mobile, avec la grande distribution. Je tiens à vous dire que sur ce sujet, je serai particulièrement attentif à la modification éventuelle des règles gouvernant les relations entre les fournisseurs et les distributeurs et que tout ceci doit s'insérer dans une stratégie générale de promotion et de revalorisation de la fonction commerciale et notamment du commerce de centre-ville. On voit aujourd'hui une redistribution des forces commerciales avec des comportements de consommateurs qui sont en train de changer, et ce dont il faut tenir compte. Je voudrais aussi lutter contre la vie chère en informant mieux les consommateurs et notamment en veillant à ce qu'ils puissent avoir une information plus claire sur certaines tarifications qui sont encore opaques. Enfin, je crois que dans cette réflexion-là, il nous faut là aussi avancer sur un sujet dont on parle beaucoup, qui a bien connu dans le passé quelques avancées, mais sur lequel il nous faut être vraiment plus ambitieux ; c'est la participation des salariés, qui est un thème qu'il me paraît nécessaire aujourd'hui de relancer. Il faut mieux utiliser les dispositifs existants, permettre d'utiliser le compte d'épargne temps pour abonder les dispositifs de participation, faire participer les salariés aux fonds propres des entreprises. Ce n'est pas seulement faire partager la croissance, c'est aussi favoriser la stabilité du capital et d'une certaine manière aussi, lutter contre les délocalisations. C'est un sujet très important et on a des exemples d'entreprises engagées dans cette voie-là. Je pense que notre pays, qui aime cette idée, ne l'a pas suffisamment développée, et là, il faudrait mettre notre action en harmonie avec notre affection. Enfin sur l'école, je vous l'ai dit, nous voulons achever cette réforme au cours de l'année 2005 pour que les premiers résultats puissent être présentés à la rentrée 2005 et finaliser toute cette réforme à la rentrée 2006. C'est un élément très important et tout ceci est fait avec ambition. Nous voulons aussi améliorer nos dispositifs d'enseignement supérieur. Je suis préoccupé par l'état de nos universités comparativement à d'autres universités européennes. Il faut vraiment prendre ces sujets comme des sujets d'intérêts nationaux. Là, nous avons des efforts à faire sur la recherche certes, mais aussi sur la lisibilité de nos formations. Nous avons maintenant le système LMD qui nous permet d'être comparable ; il faut mesurer que cette comparaison exige des efforts des uns et des autres pour pouvoir être mobilisé et ainsi être attractif. C'est un élément essentiel de notre projet. Ainsi, en ayant écouté les différents partenaires, en ayant mis en place un certain nombre de moyens financiers à l'occasion du budget 2005, je voudrais que pour l'année 2005, nous puissions mobiliser l'ambition réformatrice au service d'une croissance durable et partagée et comme on ne peut pas tout faire tout le temps, pour l'année 2005, on est mobilisé sur l'emploi, et faire en sorte que la croissance puisse nourrir l'emploi. Il faut que la courbe du chômage soit durablement inversée au cours de l'année 2005. C'est une ambition politique nécessaire, c'est un élément de cohésion sociale. La cohésion sociale est certes une résultante de la croissance, mais c'est aussi une source de croissance. C'est pour ça que la priorité doit être donnée à la cohésion sociale pour l'emploi, priorité numéro 1. Deuxième priorité : notre grande réforme 2005. Tous les ans, nous avons mené une grande réforme, ce n'est pas la peine dans un pays comme la France de vouloir mener deux grandes réformes structurelles simultanément. Il faut mener une grande réforme pour parler à l'ensemble du pays, et pour l'année 2005, nous sommes mobilisés pour la réussite à l'école, c'est notre ambition. Je souhaite vraiment que nous puissions également travailler sur la logique des prix. Il y a là, je pense, un élément très important dans notre organisation commerciale. Il n'est pas normal qu'un certain nombre de produits qui sont vendus dans le monde entier soient plus chers en France qu'en Espagne ou en Italie. Il y a un certain nombre de travaux que nous devons aujourd'hui faire pour que notre progression commerciale soit davantage transparente et qu'elle profite au consommateur. Et puis, il faut faire en sorte que pour les salariés, notamment avec la participation, nous puissions être sensibles à leur pouvoir d'achat et à leur capacité de participer à la vie des entreprises et de ne pas faire de l'entreprise un adversaire, de l'entreprise un objet simplement que l'on fréquente occasionnellement, mais il en va d'une valeur d'intérêt national. Je vous remercie beaucoup de votre mobilisation.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 19 octobre 2004)
Sur le thème de la croissance par la réforme, je voudrais remercier Gérard Worms et Michel Didier de leurs travaux, de leur initiative et finalement de la cohérence de leur démarche. Je voudrais saluer chacune et chacun d'entre vous de vous impliquer dans cette réflexion, parce qu'au fond, vous êtes en train de faire de ce que fut et de ce que sera un concept économique, un vrai projet politique. Ce dont notre pays a besoin, c'est que la croissance devienne un véritable sujet de société, et qu'on puisse réfléchir autrement qu'en voyant ces variables et ces indicateurs, sur lesquels en général on se trompe beaucoup quand il s'agit de prévoir, mais dont on mesure aussi, dans le passé, combien on n'a pas su profiter des circonstances de la croissance, notamment pour mener la réforme, qui elle-même génère de la croissance. Vous êtes là avec un panel particulièrement brillant à la tête d'un militantisme pour ce cycle vertueux : la réforme pour la croissance et la croissance pour la réforme.
Je voudrais vous dire quelle est ma vision aujourd'hui de notre situation par rapport à ce cycle vertueux. D'abord, une bonne nouvelle : je crois qu'il y a une voie européenne de la réforme qui est en train aujourd'hui de s'imposer comme un trait commun de l'action des gouvernements et dans lequel s'inscrit le gouvernement français. Je crois - je vous en dirai quelques mots - que nous avons trouvé aussi une méthode de réforme à la française et que finalement, malgré toutes les difficultés, malgré ceux qui disent "ce n'est pas assez" et ceux qui disent "c'est trop", nous sommes en train d'affirmer que la France est un pays où la réforme est possible. Mais c'est vrai qu'il nous manque ce débat sociétal sur la croissance et l'emploi et je voudrais vous dire comment, au cours de l'année 2005, je souhaite mobiliser notre pays dans cette perspective. D'abord, cette voie européenne de la réforme : tous les pays européens ont maintenant pris le chemin de la réforme. Tout cela à partir de l'agenda de Lisbonne. Je suis, comme tous mes collègues Premiers ministres européens, frappé du contraste qu'il y a entre ce risque évident d'étouffement de la croissance européenne que comporte un scénario au fil de l'eau, c'est-à-dire au fond un scénario sans réforme, et les promesses de l'autre scénario, le scénario volontariste.
Sans réforme, la croissance européenne est menacée d'enlisement progressif, évidemment par une caractéristique qui nous atteint tous, qui est le vieillissement de la population, mais aussi par le faible nombre d'heures travaillées au total pour financer l'exigence sociale de nos pays, et puis aussi naturellement le poids de nos dépenses publiques.
A l'inverse, on ne peut qu'être sincèrement impressionné par l'importance des réserves de croissance qui sont rapidement mobilisables, quand elles sont mobilisées : je pense à la recherche, à l'épargne, et je pense aussi au développement des nouvelles entreprises, à la création d'entreprises, aux heures travaillées aussi productives qu'aux Etats-Unis, mais qui sont, pour l'Union européenne, beaucoup moins nombreuses.
On voit là les réserves de croissance clairement affirmées, et je le pense, des réserves mobilisables. C'est cette voie européenne, je crois, qu'il nous faut emprunter, et avec détermination, avec assez de conviction, dépasser finalement ce dans quoi on voudrait en permanence l'enfermer, c'est-à-dire le choix entre ce que serait une voie libérale et une voie sociale. C'est le degré zéro de l'analyse politique. On voit bien que dans la démarche européenne, aujourd'hui, dans notre démarche nationale, si l'on veut créer la dynamique nécessaire à la justice sociale, il faut concilier ouverture au monde et ambition sociale, et ceci, je crois comme élément stratégique d'un mouvement qui, pour progresser, se doit d'être équilibré. Systématiquement, avoir les lunettes : voilà une décision libérale, voilà une décision sociale, c'est, je crois, vraiment, fragmenter la pensée, la réduire, au sens où on réduit une fracture. Mais je crois vraiment qu'il faut, pour nous, mesurer quelles sont les conditions de ce mouvement.
Premièrement : valoriser le travail. C'est, je crois, très important, puisque c'est le nombre d'heures travaillées au total qui génère les moyens du progrès social. Et donc il faut valoriser le travail. C'est pourquoi le Gouvernement français a décidé d'assouplir les 35 heures - une première étape a été engagée, une deuxième étape prochaine mais aussi il faut revaloriser le SMIC - nous l'avons harmonisé pour permettre une organisation plus simple dans l'entreprise en ce qui concerne l'aménagement des conséquences des 35 heures, et notamment ce que fut l'éclatement des SMIC. Puis la Prime pour l'emploi, cet impôt négatif, qui nous permet de soutenir non seulement les Français en les incitant à reprendre le travail, mais aussi à essayer de faire en sorte que l'on puisse soutenir la consommation, ce qui est un élément majeur quand on compare la structure même de notre croissance et la part que prend la consommation dans sa contribution à notre croissance, ce qui est un élément satisfaisant, même si cela doit nous conduire à ne pas mésestimer la situation de l'Allemagne. Quelquefois, pour flatter la situation française, ce dont je me réjouis, je vois qu'on critique la situation allemande, j'aimerais bien quand même que le moteur de l'exportation française puisse fonctionner de la même manière que le moteur de l'exportation allemande, notamment par ses entreprises moyennes très présentes dans le monde.
Première condition : valoriser le travail. Deuxième condition : promouvoir, je crois, et c'est un élément social, ce qu'on pourrait appeler, ce que le chef de l'Etat a appelé "l'assurance emploi". Le modèle européen de protection de l'emploi doit évoluer, et ne doit pas chercher à protéger coûte que coûte les emplois existants. On voit bien que ce n'est pas cela la voie ; il ne s'agit pas de protéger coûte que coûte les emplois existants. Mais, en contrepartie, il faut armer, il faut protéger, il faut équiper les salariés pour améliorer leur employabilité. Ce n'est pas une idée neuve, je le sais bien, mais je pense vraiment que c'est une idée sur laquelle nous devons avancer et qui est tout à fait compatible à l'histoire sociale de notre pays : l'assurance maladie, les droits à retraite ne sont pas attachés à un emploi. Il est clair que nous devons, sur ces sujets, progresser dans ces idées d'assurance personnelle avec la validation des acquis de l'expérience et la mise en place du droit individuel à la formation ; la formation tout au long de la vie, en fait, devient - et c'est une première - un droit portable, attaché à la personne, et non pas à la situation. Et je crois que c'est un des éléments majeurs de progrès, avec la réforme de restructuration que nous avons soumise aux partenaires sociaux, le droit au reclassement sera étendu aux salariés des PME. C'est un élément aussi important de cette "assurance emploi" qui me paraît être une condition du mouvement nécessaire.
Un : valoriser le travail. Deux : promouvoir cette assurance emploi et montrer qu'il y a un parcours et qu'on ne doit pas raisonner seulement en situation, mais dans une ligne de vie. De même, on ne doit pas raisonner - troisièmement - en structure mais aussi en projet. Je suis frappé de voir combien notre pays est passionné par ces structures et quelle énergie nous dépensons à défendre des structures plutôt qu'à porter des projets. C'est vraiment, je crois, un mal français, et il nous faut veiller à ce que la dynamique des projets soit affirmée comme vraiment une dynamique que nous voulons soutenir, car sur de nombreux marchés, il n'y a souvent place que pour un nombre limité de pôles d'excellence, et il nous faut en permanence être capable d'innover et de construire, notamment avec tout ce que nous offre aujourd'hui la société de l'information, ces percées dans cette dynamique de projets que doit faire notre pays. Nous devons y contribuer par un certain nombre de grands projets mobilisateurs - mobilisateurs pour l'énergie nationale, pour les compétences nationales - mais aussi pour les projets d'entreprises, pour les projets personnels, être dans une situation où chacun se place dans sa propre dynamique, ce qui est au fond une démarche très humaniste de dépassement. C'est, je crois, l'intérêt, et de la personne et aussi de la société.
Dans cette Europe en mouvement, ma plus grande satisfaction depuis deux ans et demi maintenant, est de nous permettre de constater que nous avons mis en place les "infrastructures de la réforme". On a construit un logiciel aujourd'hui de réforme, d'abord avec une méthode de clarification d'un certain nombre de responsabilités. Je crois que c'est un élément important, notamment avec la décentralisation, et ce que nous engageons dans la réforme de l'Etat, je vous assure, vous verrez, ces logiciels progressivement s'affirmer, et les processus sont enclenchés. Aujourd'hui, par exemple en remettant en cause un certain nombre de contrats dans la fonction publique qui étaient des sous-contrats de fonction publique qui masquaient en fait une intervention de l'Etat. Ces contrats, petit à petit, disparaissent massivement, et vous verrez que tout ceci conduit à des réorganisations de services de l'Etat. Vous allez voir, dans les mois prochains, toute l'organisation de l'Etat au niveau du département, toute l'organisation de l'Etat au niveau de la région, se restructurer à partir d'un certain nombre de logiques que nous avons mises en place. Je crois que cette ingénierie de la réforme en France, repose sur trois étapes. D'abord, c'est notre pays qui est comme ça. Nous avons toujours tendance à nous diviser. Peuple de Gaulois, nous ne pouvons engager une réforme que si nous avons d'abord un diagnostic partagé. Il faut accepter une base de départ commune. Si la réforme part d'un camp, à ce moment-là, la réforme est condamnée. Il faut que la réforme parte du cur, du cur du consensus. Attribuer une paternité à un projet, c'est en général le condamner ; c'est ça la France. Regardons la réalité du pays. Il faut partir d'un consensus, et quand mon prédécesseur a fait le COR, le Comité d'orientation des retraites, il a construit un consensus qui a permis ensuite de dégager une réforme. Nous avons fait la même chose avec le Haut Conseil de l'assurance maladie ; nous avons fait la même chose avec la Commission Thélot et avec ce million de participants à un grand débat qui fait que le texte " Miroir " rassemble aujourd'hui les idées sur lesquelles on peut essayer de s'appuyer pour déclencher un mouvement.
Premièrement, un diagnostic partagé : il n'y a pas de réforme sans diagnostic. Deuxièmement, il faut trouver les leviers de justice qui parlent à tous les Français. Notre malheur, c'est que notre pays est fait de multiples experts, et que la tendance en général, c'est de faire une réforme par des experts pour des experts. Et si la réforme ne parle pas aux Français, eh bien la réforme a peu de chances d'aboutir. Pour que la réforme parle aux Français, il faut qu'elle porte une dimension de justice. Donc, dans ce paquet de consensus, il faut trouver les leviers de justice qui peuvent nous permettre d'agir - ce que nous avons fait par exemple avec les carrières longues pour les retraites, avec la complémentaire santé pour des personnes à faibles ressources, pour l'assurance maladie ; ce sont des éléments importants. Sur l'école, il y a des idées de justice. Peut-on aujourd'hui accepter que 60.000 jeunes sortent du système éducatif sans qualification, sans que leur propre talent ait été reconnu et validé ? Alors qu'on sait tous qu'il n'y a pas d'enfant sans talent. Encore faut-il aller le chercher, encore faut-il lui permettre de s'exprimer, et quand on l'a trouvé, que ce soit un talent manuel ou un talent intellectuel, qu'on ne l'enferme pas, cinq ans durant, avant de lui donner la chance de pouvoir exprimer son propre talent. Il y a des idées que les Français comprendront dans la réforme de l'éducation ; il y a des idées que les Français voudront, pour peu qu'on les identifie, qu'on les porte, et qu'on en fasse le cur de la réforme. Ce qui est dans notre projet de réforme de l'éducation, qui est la réussite à l'école, c'est une réussite qui va apparaître comme un progrès de justice, et c'est pour cela que les Français seront acteurs de la réforme, et que l'éducation ne sera pas une réforme simplement des professionnels de l'éducation.
La troisième étape, naturellement, c'est qu'une fois qu'on a défini un diagnostic partagé, une fois qu'on a trouvé le message central qui peut déclencher une compréhension de l'opinion, il faut ensuite mener la réforme avec courage, disons, mais avec détermination et sans faiblesse. Car naturellement, il y a un moment dans notre pays, où si le pays sent que la main tremble, le pays bloque. Et si le pays sent que la main ne tremble pas, le pays comprend. Après avoir écouté, après avoir fait comprendre et partagé, il faut pouvoir mener la réforme jusqu'au bout sans trembler, car à ce moment-là, comme toujours en France, on critique la réforme et on est, au fond, au total, satisfait qu'elle soit faite quand elle est faite. C'est cela qui est pour nous la démarche aujourd'hui de la réforme à la française que nous voulons poursuivre. Nous voulons développer cette initiative en faisant en sorte que nous puissions profiter de la croissance que nous avons les uns et les autres permis de retrouver à un niveau en France satisfaisant, au moins par rapport à la zone euro, même si je sais bien que ce n'est pas l'Etat qui fait la croissance. Mais je sais que si on était en retard dans la zone euro, on dirait bien quand même qu'on a mal joué quelque chose quelque part. Permettez-moi ce petit bout de satisfaction mais je veux bien le partager avec vous. Cette croissance, il nous faut, malgré tous les aléas externes, pouvoir en consolider les dynamiques, et c'est pour cela que je voudrais que nous travaillions à ce qu'elle soit durable et partagée, ce qui me paraît être un vrai projet politique. Là, je vais dans le prolongement de la croissance par la réforme. Je crois vraiment que la croissance durable et partagée, c'est un projet politique pour notre pays. Tout cela, d'abord, doit commencer par une lucidité sur notre passé, de voir que nous avons eu un certain nombre de fragilités dans le passé et qu'il nous faut éviter de les retrouver. Il est évident que nous avons laissé filer les déficits et différé les réformes trop longtemps. C'est un élément très important, nous sommes engagés dans le processus inverse. Cela prend du temps mais nous continuerons à la fois à réduire les déficits. Déjà, dans cette année 2004, les déficits sont massivement réduits, et nous continuerons à réduire les déficits, et nous continuerons à poursuivre l'action de réforme.
Il faut aussi faire en sorte que l'on puisse retrouver un véritable consensus en faveur de l'emploi, parce que le consensus dans le passé s'est un peu délité et, finalement, chacun étant enfermé dans son propre statut, on a un peu oublié l'importance de l'emploi dans la croissance et dans les équilibres globaux de notre société, et donc de faire de l'emploi cette priorité nationale. Le budget 2005 non seulement est construit avec les normes et les engagements européens, non seulement il définit un certain nombre de priorités, mais je veux qu'il porte aussi une culture de résultats. C'est pour cela qu'à l'idée de budget 2005, j'associe l'idée de contrat 2005. Je voudrais vous en dire un mot parce que c'est l'idée sur laquelle le Gouvernement veut s'engager non pas en terme d'objectifs mais en terme de résultats. Qu'y-a-t-il d'important dans l'année 2005 comme résultat que le Gouvernement veut obtenir et à quoi doivent penser les ministres le matin quand ils se lèvent et le soir quand ils se couchent ? Atteindre les trois priorités du Gouvernement en 2005 qui sont la baisse du chômage, la réforme de l'école et l'amélioration du pouvoir d'achat, notamment par la lutte contre la vie chère. Ce sont trois objectifs principaux. Il y aura bien d'autres objectifs ; il faut construire l'Europe, il faut mener une politique internationale. Il y a beaucoup de choses à faire, mais je veux qu'on concentre l'action sur ces trois priorités. La première priorité, c'est évidemment de faire en sorte que notre croissance soit riche en emplois. Nous avons là un souci important de développer un certain nombre d'initiatives. Certaines boîtes à outils existent déjà. Il y a le plan de cohésion sociale qui va être débattu au Parlement. Il y a eu des initiatives pour la création d'entreprises. Il y a eu des politiques qui ont déjà été lancées sur tout ce qui touche, par exemple, l'innovation et le crédit d'impôt pour l'innovation. Il y a là un certain nombre d'initiatives qui servent cette dynamique de l'emploi pour rendre la croissance fertile en emploi. Il y a d'autres sujets qu'il faudra ajouter et je vais consulter en octobre et en novembre - j'ai déjà engagé un certain nombre de consultations avec les partenaires sociaux et un certain nombre d'acteurs économiques et sociaux - pour pouvoir définir les programmes qui, dans cette logique de l'emploi, mobiliseront l'Etat, l'ensemble de l'appareil Etat, pour obtenir ces résultats avec l'ensemble des partenaires. Je crois qu'il y a des sujets qui sont très importants, ceux que j'ai mis déjà sur le débat parlementaire puis ceux que nous devrons mettre ensemble. Je pense à ce qui concerne les emplois de services, je pense à ce qui concerne les emplois seniors, un certain nombre de sujets qui sont dans la perspective de la négociation du dialogue social. Mais je pense aussi à un certain nombre de sujets sur lesquels il nous faut rapidement clarifier la situation, c'est le cas des 35 heures notamment. Je souhaite qu'avant la fin de l'année, le Gouvernement ait arbitré les étapes qu'il doit arbitrer, notamment qu'on ne traîne pas en ce qui concerne le statut des petites entreprises par rapport aux grandes jusqu'à la fin de l'année 2005, mais qu'on puisse dès la fin de l'année 2004, connaître les règles du jeu et sortir des incertitudes sur ce sujet, aussi bien en ce qui concerne le coût des heures supplémentaires que les plafonds, que les mutualisations, que l'ensemble des dispositifs de repos compensateur ou de compte épargne temps, l'ensemble des paramètres de ce sujet. Après l'achèvement des négociations du ministre du travail, il faut que je puisse présenter, en faisant les derniers arbitrages, aux partenaires sociaux d'abord, au pays ensuite, l'ensemble de ce dispositif. De même, je souhaite qu'on puisse avancer rapidement sur les restructurations, c'est-à-dire ce qui est de nature à remplacer la loi dite de modernisation sociale, que nous avons suspendue parce qu'elle n'était ni sociale ni de modernisation, et que nous voulons remplacer par un certain nombre d'autres dispositifs. Il y a une réunion importante demain sur ces sujets et je souhaite que nous puissions intégrer ces propositions, dans le cadre du débat parlementaire sur la cohésion sociale. Ceci nous permettra de tenir l'échéance du début janvier 2005 pour avoir clarifié ce sujet et avoir fait de l'emploi la priorité de cette situation particulièrement difficile.
Il y a là donc une volonté pour nous de construire autour de l'emploi, des programmes que nous allons pouvoir bâtir. Je voudrais vous dire que ce qui est très important pour moi, c'est de fixer un certain nombre d'objectifs, notamment sur des politiques comme celle de la création d'entreprise par exemple ou celle de l'apprentissage, qui doit être vraiment une politique très forte dans notre pays. Voilà vingt ans que tout le monde sait que l'apprentissage est une formule à la fois utile pour l'insertion professionnelle, à la fois qualifiante, à la fois utile à l'activité économique. Tout le monde reconnaît combien l'apprentissage est un élément fort de notre dispositif de formation et finalement, nous avons encore là un certain nombre d'archaïsmes que nous voulons bousculer pour pouvoir être plus efficaces, et je voudrais qu'on puisse bâtir sur ces sujets une mobilisation nationale beaucoup plus puissante. Il nous faut doubler le nombre d'apprentis en France si nous voulons être à la hauteur de nos ambitions sur ces sujets.
Enfin, deuxième sujet après l'emploi : la lutte contre la vie chère. Je souhaite qu'on puisse faire jouer la concurrence au profit des consommateurs, en étant vigilant aux différents équilibres. Là, je pense que le Gouvernement, qui a déjà agi sur les tarifs d'assurance avec les partenaires, sur la téléphonie mobile, avec la grande distribution. Je tiens à vous dire que sur ce sujet, je serai particulièrement attentif à la modification éventuelle des règles gouvernant les relations entre les fournisseurs et les distributeurs et que tout ceci doit s'insérer dans une stratégie générale de promotion et de revalorisation de la fonction commerciale et notamment du commerce de centre-ville. On voit aujourd'hui une redistribution des forces commerciales avec des comportements de consommateurs qui sont en train de changer, et ce dont il faut tenir compte. Je voudrais aussi lutter contre la vie chère en informant mieux les consommateurs et notamment en veillant à ce qu'ils puissent avoir une information plus claire sur certaines tarifications qui sont encore opaques. Enfin, je crois que dans cette réflexion-là, il nous faut là aussi avancer sur un sujet dont on parle beaucoup, qui a bien connu dans le passé quelques avancées, mais sur lequel il nous faut être vraiment plus ambitieux ; c'est la participation des salariés, qui est un thème qu'il me paraît nécessaire aujourd'hui de relancer. Il faut mieux utiliser les dispositifs existants, permettre d'utiliser le compte d'épargne temps pour abonder les dispositifs de participation, faire participer les salariés aux fonds propres des entreprises. Ce n'est pas seulement faire partager la croissance, c'est aussi favoriser la stabilité du capital et d'une certaine manière aussi, lutter contre les délocalisations. C'est un sujet très important et on a des exemples d'entreprises engagées dans cette voie-là. Je pense que notre pays, qui aime cette idée, ne l'a pas suffisamment développée, et là, il faudrait mettre notre action en harmonie avec notre affection. Enfin sur l'école, je vous l'ai dit, nous voulons achever cette réforme au cours de l'année 2005 pour que les premiers résultats puissent être présentés à la rentrée 2005 et finaliser toute cette réforme à la rentrée 2006. C'est un élément très important et tout ceci est fait avec ambition. Nous voulons aussi améliorer nos dispositifs d'enseignement supérieur. Je suis préoccupé par l'état de nos universités comparativement à d'autres universités européennes. Il faut vraiment prendre ces sujets comme des sujets d'intérêts nationaux. Là, nous avons des efforts à faire sur la recherche certes, mais aussi sur la lisibilité de nos formations. Nous avons maintenant le système LMD qui nous permet d'être comparable ; il faut mesurer que cette comparaison exige des efforts des uns et des autres pour pouvoir être mobilisé et ainsi être attractif. C'est un élément essentiel de notre projet. Ainsi, en ayant écouté les différents partenaires, en ayant mis en place un certain nombre de moyens financiers à l'occasion du budget 2005, je voudrais que pour l'année 2005, nous puissions mobiliser l'ambition réformatrice au service d'une croissance durable et partagée et comme on ne peut pas tout faire tout le temps, pour l'année 2005, on est mobilisé sur l'emploi, et faire en sorte que la croissance puisse nourrir l'emploi. Il faut que la courbe du chômage soit durablement inversée au cours de l'année 2005. C'est une ambition politique nécessaire, c'est un élément de cohésion sociale. La cohésion sociale est certes une résultante de la croissance, mais c'est aussi une source de croissance. C'est pour ça que la priorité doit être donnée à la cohésion sociale pour l'emploi, priorité numéro 1. Deuxième priorité : notre grande réforme 2005. Tous les ans, nous avons mené une grande réforme, ce n'est pas la peine dans un pays comme la France de vouloir mener deux grandes réformes structurelles simultanément. Il faut mener une grande réforme pour parler à l'ensemble du pays, et pour l'année 2005, nous sommes mobilisés pour la réussite à l'école, c'est notre ambition. Je souhaite vraiment que nous puissions également travailler sur la logique des prix. Il y a là, je pense, un élément très important dans notre organisation commerciale. Il n'est pas normal qu'un certain nombre de produits qui sont vendus dans le monde entier soient plus chers en France qu'en Espagne ou en Italie. Il y a un certain nombre de travaux que nous devons aujourd'hui faire pour que notre progression commerciale soit davantage transparente et qu'elle profite au consommateur. Et puis, il faut faire en sorte que pour les salariés, notamment avec la participation, nous puissions être sensibles à leur pouvoir d'achat et à leur capacité de participer à la vie des entreprises et de ne pas faire de l'entreprise un adversaire, de l'entreprise un objet simplement que l'on fréquente occasionnellement, mais il en va d'une valeur d'intérêt national. Je vous remercie beaucoup de votre mobilisation.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 19 octobre 2004)