Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, sur "France 2" le 4 mai 2004, sur la position de la CGT concernant le financement de l'UNEDIC et la réforme du régime d'assurance-maladie, notamment la carte vitale et le dossier médical informatisé.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Roland Sicard -. Vous ne quittez plus votre Carte vitale, au revers de votre veste. J'espère que c'est une vraie ?
Bernard Thibault - "Non, c'est une fausse. Cela fait partie des fausses qui circulent, selon les commentaires du ministre. Sans doute pas celle-là. Celle-là c'est pour la bonne cause."
C'est une vraie-fausse ?
"La Sécu c'est vitale, c'est toute la campagne de sensibilisation que nous faisons ces jours-ci, s'agissant d'un dossier qui nous préoccupe énormément. Mais on va sans doute en dire un mot : l'avenir de l'assurance maladie, pour laquelle nous souhaitons maintenant que des négociations, en bonne et due forme, soient organisées par le Gouvernement."
On va y revenir. Mais d'abord, l'assurance chômage : J.-L. Borloo, le ministre, hier, a annoncé à France 2 que les fameux recalculés allaient être réintégrés. J'imagine que vous êtes satisfait ?
"Oui, énormément. C'est une grande et belle victoire. D'abord, pour les centaines de milliers de chômeurs, dont les droits ont été diminués. C'est le résultat d'une longue mobilisation, de procédures juridiques. C'est vrai qu'il est peu courant que le matin, on puisse dire à des centaines de milliers de salariés, que notre action syndicale, avec d'autres, conjuguée, a permis enfin de faire reconnaître des droits qui, jusqu'à présent étaient contestés. C'est vrai que c'est une grande et belle victoire dont je peux que me féliciter."
Et vous dites : bravo au Gouvernement ?
"Je pense que le Gouvernement, quelque part, a été contraint de reconnaître, sous la pression, après le résultat de procédures juridiques, qu'il était bon de sortir de cette situation. Alors, les modalités qu'il a retenues doivent valoir encore un examen plus détaillé. Mais le plus important ce matin, c'est qu'il y a effectivement des centaines de milliers de salariés qui peuvent s'estimer heureux de voir leurs droits réparés en partie. Dans le même temps, nous sommes tout à fait lucides sur le fait que la situation, le dispositif de prise en charge du chômage et le manque de prise de responsabilités des employeurs, cela doit demeurer un sujet toujours d'actualité."
Justement, J.-L. Borloo, a proposé une grande rencontre avec tous les partenaires sociaux. Etes-vous partant ?
"Oui, tout à fait. Nous l'avons même demandé. Nous souhaitons, parce que, de ce point de vue-là, les choses ne sont pas totalement modifiées, fondamentalement modifiées. Il demeure que, dans notre pays nous avons un système d'indemnisation du chômage qui ne "couvre" que 4 chômeurs sur 10. Nous avons donc un système qui laisse à la collectivité nationale la responsabilité de prendre en charge ceux que les entreprises n'acceptent pas de reconnaître, donc la majorité des chômeurs. Nous sommes, pour ce qui nous concerne, demandeurs d'une remise à plat des différents dispositifs destinés à subvenir aux besoins de ceux qui sont privés d'emploi."
Mais les entreprises disent : on ne peut pas ponctionner indéfiniment les entreprises, sinon cela fera des chômeurs en plus ! "
"Oui, là, il faut aussi écouter les arguments des uns et des autres. Je pense qu'il est toujours juste de notre part, de ne réclamer qu'une part des recettes qui existent dans les entreprises. Toutes les entreprises ne sont pas en faillite et c'est heureux. Ce que je remarque, c'est que la richesse produite par les salariés dans ce pays est redistribuée de manière inéquitable entre les salariés qui produisent cette richesse et les actionnaires propriétaires des entreprises. Il y a donc un curseur à faire bouger, en ce qui concerne les moyens qui peuvent être concentrés pour subvenir aux besoins de ceux qui sont privés d'emploi, mais aussi des moyens consacrés aussi au développement de l'assurance maladie."
C'est-à-dire, que vous voulez revoir le système de financement de l'assurance chômage ?
"Revoir le système de cotisations patronales. Il n'y a pas de raison, par exemple, pour que les petites entreprises, qui sont moins responsables de la création du chômage que les grandes entreprises, cotisent avec le même effort. Il n'y a pas de raison à ce que l'on n'indexe pas davantage la cotisation plutôt à la valeur ajoutée produite par les entreprises, à la richesse qu'elles produisent, plutôt que de continuer à l'indexer à la seule masse salariale - les salaires et le nombre de salariés. Nous avons donc toute une série de propositions à faire, mais elles ne sont à examiner que dans le cadre d'une négociation avec d'autres propositions qui seront sur la table. Mais je pense que cette première victoire est quand même un point d'appui nous permettant, je l'espère, d'avoir, le plus tôt possible, une vraie discussion pour refonder le système d'indemnisation du chômage."
Mais avec 7 milliards de déficit de l'Unedic, on imagine quand même qu'il faudra une hausse des cotisations, et peut-être même des cotisations salariés ?
"Mais c'est un autre constat qui nous fait dire qu'on ne peut pas simplement raisonner par une baisse des droits des privés d'emploi, et que, ce déficit justifie en soi une rediscussion, sauf à admettre - ce qui a été contesté dans les procédures antérieures - qu'il nous faudrait tout simplement encore glisser vers un système qui indemnise de moins en moins de chômeurs, voire qui restreigne encore davantage le montant des allocations versées aux chômeurs. Donc ce déficit est en soi un argument qui milite en faveur d'une négociation réelle et sérieuse sur ce sujet."
L'autre dossier, c'est évidemment la Sécurité sociale. Aujourd'hui, P. Douste-Blazy va présenter une série de mesures, en tout cas un début de plan. Hier soir, il a donné quelques lignes, avec une première idée : "un dossier médical informatisé pour éviter les abus.". Etes-vous pour ?
''Cela fait partie des points à examiner. Mais je souhaiterais que le ministre de la Santé, qui est auditionné à l'Assemblée nationale ce matin, effectivement, déjà nous annonce ses intentions sur la méthode de discussion. Et je redis encore ce matin - et je ne suis pas le seul, toutes les organisations syndicales, d'une manière ou d'une autre, aujourd'hui, disent - qu'il faut avoir aussi des négociations sur l'avenir de l'assurance maladie. Et je redis qu'il y a urgence."
Il n'est pas contre le ministre. Il a proposé une rencontre.
"Oui. Mais une rencontre c'est une chose, et une négociation, c'en est une autre. Vous savez ô combien, s'agissant d'un autre dossier, qui a été fort controversé - je pense à la réforme des retraites -, cette polémique sur la concertation-négociation était tout sauf neutre. Ou on cherche..."
Oui, mais là, c'est la Sécu. Ne reparlons pas des retraites.
"La Sécurité sociale, encore une fois c'est vitale, c'est ce que nous portons sur notre badge, et personne ne comprendrait que sur un sujet aussi essentiel, qui voit beaucoup de préoccupations sur les intentions du Gouvernement, on ne crée pas un cadre de négociations réelles avec les organisations syndicales, avant que le Gouvernement, avant que les parlementaires ne fassent les choix en matière de réforme. J'entends bien les propositions, ou les pistes de discussions qui ont été faites. Mais..."
Mais sur les mesures concrètes - revenons à ce "dossier médical" pour éviter les abus, informatisé ?
"Elles ne me semblent pas à la dimension des problèmes qui sont posés sur l'avenir de l'assurance maladie. On discutera de cette proposition de mise en place d'un dossier médical informatisé, on discutera peut-être de la mise en place d'une photo sur la Carte vitale..."
C'est la deuxième idée pour éviter les abus. Le ministre disait qu'il y aurait 10 millions de Cartes vitales en... C'est incroyable !
"Oui, mais ce que je veux dire déjà, c'est que le rapport du Haut Conseil sur l'avenir de l'assurance maladie, a mis en exergue que, s'il y avait toute une série de dispositions [sur lesquelles il y aurait] à réfléchir, ce sur quoi nous voudrions discuter, pour rendre plus efficace le système de soins de notre pays, moins redondant dans certaines de ses modalités de fonctionnement, en aucun cas, on ne pouvait considérer que la réalité financière de l'assurance maladie avait comme principal cause des abus, des dépenses excessives dans ce domaine."
Il y a des économies à faire il faut les faire !
"S'il y a des économies à faire... et nous avons fait des propositions à l'Assemblée nationale, la semaine dernière, encore. J'ai soumis aux députés, toute une série de propositions pour faire en sorte que les moyens à disposition soient le mieux utilisés possible. Le mieux utilisé possible, dans le but de mieux soigner dans un cadre d'accès aux soins par un dispositif solidaire : pas de sélection des malades face à l'accès aux besoins de santé. Donc, on ne va pas résoudre le problème simplement en s'intéressant à ce qui serait repéré comme des abus. C'est cela que je veux dire."
D'un mot : la photo sur la Carte vitale, vous êtes d'accord ?
"Je crois que les Services du ministère eux-mêmes ont mis en parallèle le coût qu'a été susceptible de représenter la mise en place de cette mesure, et les économies susceptibles d'être produites. Discutons de cela, mais discutons surtout du fond. Il y a un problème très important de financement à long terme de l'avenir de l'assurance maladie. Et nous voulons que cela fasse partie de la négociation. Il y a un problème d'organisation du système sanitaire, il y a des problèmes de gestion. Le ministre a dit : "Il faut un pilote dans l'avion". Nous proposons, nous, par exemple, que les assurés sociaux élisent directement leurs représentants pour gérer le système."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 mai 2004)