Texte intégral
Votre Altesse royale,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
C'est pour moi un grand honneur d'accueillir à Paris, au nom du président de la République, la deuxième Conférence intergouvernementale sur Angkor, dix ans après la première Conférence qui s'était tenue à Tokyo en octobre 1993.
Ma première pensée va à Sa Majesté le Roi du Cambodge, Samdech Préah Norodom Sihanouk, l'esprit de ce programme international, si présent parmi nous, et qui nous adressera, dans quelques instants, un message.
Je remercie l'ensemble des pays partenaires d'avoir répondu favorablement à l'invitation de la France et je salue l'arrivée de sept nouveaux membres qui sont la Corée, le Danemark, la Grèce, l'Egypte, le Portugal, le Mexique et la Tunisie, ainsi que le retour de l'Inde dans cette enceinte. Evitant que l'irréparable se produise, l'Inde a assuré, avec la Pologne, une présence sur le site d'Angkor, à une période particulièrement difficile.
Je me réjouis vivement de la présence d'une forte délégation cambodgienne constituée notamment par son Altesse royale, la Princesse Norodom Bopha Devi, et par le ministre d'Etat Vann Molyvann qui fut l'inventeur et l'animateur de ce programme international. Je me réjouis aussi de la forte représentation de l'Autorité APSARA, qui est en charge, depuis 1995, de la gestion du site d'Angkor.
Je ne saurais naturellement oublier le Japon, pays avec lequel une grande complicité nourrit une collaboration sans faille dans le cadre du co-pilotage du Comité international de coordination, qui constitue le mécanisme de coordination, d'évaluation et de suivi des aides internationales issu de la Déclaration de Tokyo ; et enfin, l'UNESCO qui assure le secrétariat du Comité international depuis sa création, et qui s'acquitte de cette mission avec efficacité, compétence, et un dévouement sans relâche.
Son directeur général, M. Koichiro Matsuura, se trouvant dans l'impossibilité d'être parmi nous aujourd'hui, a tenu également à nous adresser un message que nous entendrons dans quelques instants.
***
Voici "la plus pesante montagne de pierres que les hommes aient osé entreprendre depuis les pyramides de Memphis", proclame le "pèlerin d'Angkor", Pierre Loti, dans son journal du 29 novembre 1901.
De grands écrivains succombèrent ainsi au charme des énigmatiques visages du Bayon ou au mythe du Roi lépreux. L'enthousiasme se devine chez chacun d'entre eux, de Pierre Benoit à Paul Claudel ou André Malraux. Autant d'émotions qui se sont répétées depuis le beau récit de voyage, en 1863, du naturaliste Henri Mouhot, sacré malgré lui "découvreur" officiel du site d'Angkor.
Depuis plus d'un siècle en effet, Angkor est un espace de rêves et de sciences. Nous cherchons à y décrypter ce patrimoine cambodgien de l'humanité, à le rendre à la vue des Hommes et à le valoriser pour le plus grand bénéfice du plus grand nombre.
Pour se révéler, Angkor a dû associer des générations plus prestigieuses les unes que les autres de chercheurs, architectes, archéologues, historiens de l'art, philologues, linguistes et ethnologues. Chacun devant s'extraire de son espace de connaissances, Angkor nous a offert l'opportunité de conduire des recherches pluridisciplinaires exceptionnelles.
Avant même d'évoquer plus en détail ce qui a été fait ces dix dernières années à Angkor, permettez-moi de rendre ici hommage à la coopération internationale. Le déchiffrement, en 1879, d'une transcription sanskrite du Cambodge par l'épigraphiste hollandais Hendrik Kern, dont l'attention avait été attirée dès 1863 par un voyageur allemand, Bastian, marqua le début des études khmères. Le retour des monuments dans leur espace par les techniques de l'anastylose fut, lui aussi, le fruit des échanges de savoir-faire avec les archéologues néerlandais oeuvrant à Java.
La restauration ou la préservation des monuments d'Angkor justifia, de tout temps, que nous leur consacrions nos technologies les plus modernes. Dès 1866, la mission exploratoire d'Ernest Doudart de Lagrée prend des photos du site. Au milieu des années 30, plusieurs campagnes de vues aériennes sont organisées. Aujourd'hui, les photos numérisées permettront de constituer, avec le soutien de la police française, un inventaire informatisé des sites et des objets susceptibles de tenter des pillards. Un outil indispensable pour compléter le thésaurus des objets volés du Bureau central national de protection des biens culturels.
Cette accumulation patiente et méthodique de données, depuis la première publication en 1901 de l'Inventaire descriptif des monuments du Cambodge, doit nous prémunir chaque jour un peu plus des actes de vandalisme, fussent-ils, comme en 1924, effectués dans le cadre d'une mission officielle et contés avec le brio que l'on sait par le futur ministre de la Culture André Malraux dans La Voie Royale. Aujourd'hui, notre détermination et notre efficacité à combattre ce fléau qui frappe le Cambodge, la gloire d'un peuple et ses générations futures doivent se diffuser aussi vite qu'autrefois l'attrait de ses merveilles "cachées".
La diffusion internationale des témoignages sur les splendeurs d'Angkor nous permit de ne jamais complètement les oublier. Les récits de l'ambassade envoyée par l'Empereur Timour en 1296, rapportés par le chinois Zhou Daguan, traduits au XVIIIème siècle par les jésuites français ; ceux d'un pèlerin japonais qui permirent de dresser un plan d'Angkor Vat dont une copie fut exécutée en Europe en 1715 sont autant de pierres sur le chemin de la connaissance pour tous. Ces échanges culturels euro-asiatiques, avant l'heure, et que nous appelons de tous nos voeux dans le cadre de l'ASEM et la Fondation Asie - Europe (ASEF), marquèrent si profondément nos esprits qu'ils résonnèrent et résonnent encore dans toute l'Europe. Un texte du père Chevreul, qui séjourna au Cambodge en 1768, se faisait l'écho d'une ville renommée par ses temples "comme l'est Rome entre les chrétiens" , pour reprendre ses termes. Au XVIème, au XVIIème siècle, chroniqueurs officiels, missionnaires ou aventuriers portugais et espagnols s'extasièrent sur la beauté de cette ville dans laquelle ils reconnaissaient "la cité fantastique de l'Atlantide de Platon" ou "celle de sa République". Exprimons nos émotions devant tant de beauté mais canalisons, gérons les appétits et les passions qu'elles font naître. C'est le sens de notre combat à tous depuis dix ans.
C'est pourquoi, comme je le soulignais il y a quelques instants, je suis heureux d'ouvrir les travaux de cette deuxième Conférence intergouvernementale, centrés sur la sauvegarde et le développement du site d'Angkor. Angkor est la gloire du peuple cambodgien. Ce programme touche à son essence même et conditionne le développement de ce pays courageux qu'est le Cambodge, auquel la France, chacun le sait, voue un attachement particulier.
Cette deuxième Conférence s'ouvre sous d'heureux auspices qui augurent bien de l'avenir. Que de chemin parcouru depuis la première Conférence de Tokyo, qui s'était tenue dans un contexte de grande incertitude ! Le Cambodge s'installait, au lendemain des Accords de Paris, dans un processus de renouveau politique. Il lui fallait panser ses blessures, se relever d'épreuves terribles, se reconstruire, se réorganiser, en un mot, il lui fallait exister à nouveau.
Quand, en 1993, fut lancé cet ambitieux programme international pour la sauvegarde d'Angkor, c'était un immense défi, dont les probabilités de réussite étaient si ténues, si aléatoires.
Ce défi allait pourtant être relevé grâce à l'inlassable action et à la détermination des autorités cambodgiennes et en particulier celles de sa Majesté le Roi. C'est la volonté cambodgienne qui permit, tout au début de cette aventure internationale, le classement du site d'Angkor sur la liste du patrimoine mondial (en décembre 1992) puis la mise en oeuvre des recommandations de la Déclaration de Tokyo d'octobre 1993.
Cet acte fondateur prônait le recours à une forte mobilisation internationale, préconisait une approche globale des problèmes, encourageait l'adoption des mesures législatives de préservation du site ainsi que la mise en place d'un programme général de formation des personnels cambodgiens à tous les niveaux requis, recommandait enfin l'instauration d'un cadre institutionnel de gestion du site par les autorités cambodgiennes.
Cet engagement cambodgien, soutenu par l'aide de partenaires et d'amis étrangers, a permis de surmonter les problèmes et les difficultés de toute nature.
En dix ans, la majeure partie des objectifs définis par la Déclaration de Tokyo a été remplie. La brochure qui vous a été remise recense toutes les actions réalisées par plus d'une vingtaine de pays et d'organisations internationales impliquées dans le programme de sauvegarde d'Angkor, autour de grandes thématiques, telles que la recherche, la sauvegarde, la formation, l'aménagement urbain et la construction d'infrastructures.
Au total, plus d'une centaine de projets ont été mis en oeuvre, dont le sauvetage de 15 monuments majeurs.
La création en 1995 d'un Etablissement public cambodgien, gestionnaire du site (APSARA), la mise en place d'une police du patrimoine, l'élaboration d'un arsenal juridique complet et moderne ont permis que ces projets se réalisent.
Cet impressionnant bilan est aussi à mettre au crédit du travail réalisé par le Comité international, co-piloté par le Japon et par la France. Cette structure a fait la preuve de son efficacité et, par son fonctionnement, de la pertinence des choix qui avaient été faits à Tokyo. Sa réunion annuelle au Cambodge a permis, durant la décennie passée, d'évaluer, de coordonner, et de suivre l'ensemble des projets mis en oeuvre. Le Comité international a pu s'appuyer sur un comité d'experts dont la réunion se tenait à Angkor avant la réunion annuelle du Comité international, lui apportant tous les éléments nécessaires aux prises de décisions et aux recommandations.
Au-delà du bilan quantitatif, il est un autre résultat, tout aussi remarquable, et qu'il convient de souligner. C'est la naissance d'un certain "esprit d'Angkor" partagé par l'ensemble des partenaires, fondé sur l'échange, fondé sur la concertation étroite, la confrontation féconde, écartant toute compétition égoïste et stérile. Les dix années du Comité international constituent ainsi le laboratoire d'une coopération multilatérale réussie, d'une mobilisation accomplie des politiques et des experts, des architectes et des artistes, des administrateurs et des chercheurs.
"L'esprit d'Angkor", c'est le sentiment partagé qu'Angkor est un bien commun de l'humanité qu'il nous faut gérer ensemble, au-delà de toutes ambitions particulières. C'est cela qui confère au programme international une dimension éthique et une exemplarité rarement rencontrées dans les projets de coopération internationaux.
Cette décennie a été avant tout celle de la sauvegarde. L'essentiel des moyens, des structures et des infrastructures a été mis en place. La réussite de cette première phase ouvre la voie à une nouvelle décennie, celle du développement durable comme le souhaitent nos partenaires cambodgiens, comme nous le souhaitons tous pour donner à cette exemplarité une nouvelle dimension.
Nous entrons dans une nouvelle décennie pour Angkor. Après le défi de 1993, est venu celui de conjuguer la préservation et la mise en valeur du patrimoine historique avec les objectifs de développement économique, de lutte contre la pauvreté et contre les inégalités. L'enjeu des dix prochaines années est bien celui du développement durable d'Angkor et de sa région.
Au demeurant, cette question du développement durable s'impose naturellement à Angkor, car elle constitue l'essence même de cet espace, de la société cambodgienne, comme le souligne M. Stierlen, dans son ouvrage sur Angkor :
"Et c'est dans ce caractère total, global, que l'architecture khmère marque son extraordinaire supériorité. Elle est en symbiose avec le contexte socio-technologico-religieux. Il y a continuité de la base au sommet de la pyramide, de la rizière et du baray jusqu'à la cité et au temple qui la couronne. L'organisme angkorien forme un tout indissociable fondé sur l'eau : de la digue à la tour du sanctuaire où le prêtre implore les dieux d'apporter la pluie, tout est soumis à ce dénominateur commun qu'est l'irrigation. Sans elle, pas de riz, pas de surproduction, pas de richesse, pas d'art ni d'architecture.
Le riz et le temple sont donc les deux chaînons extrêmes d'une même série de phénomènes régissant l'aménagement du territoire. L'écologie éclaire l'art. Et rien n'est désormais gratuit dans ce type de civilisation agraire où les plus banales réalités matérielles sont en relation avec les plus hautes spéculations théologiques".
La Conférence de Paris doit servir cette nouvelle ambition qui conjugue développement économique avec culture, tourisme avec environnement, patrimoine avec formation.
Des travaux qui s'ouvrent aujourd'hui, nous attendons qu'ils nous donnent, comme avait su le faire la Conférence de Tokyo, des orientations pour les dix prochaines années et les outils qui nous permettront de poursuivre avec et sous la conduite de nos amis cambodgiens l'oeuvre si bien engagée.
La Déclaration de Paris que nous devons adopter à l'issue des travaux nous engagera donc dans une nouvelle voie, définie par nos partenaires cambodgiens.
Elle permettra de renforcer la cohésion du mécanisme de coopération internationale en y associant plus étroitement l'Autorité APSARA dans ses propositions et recommandations.
Elle conférera en outre à APSARA, grâce à des moyens financiers, juridiques, techniques et humains accrus, le rôle de pivot essentiel à la mise en oeuvre de cette grande entreprise internationale.
Mais, il faut aller plus loin encore.
Je souhaite que l'UNESCO prépare avec le groupe d'experts ad hoc, à partir des principes qui se dégageront des travaux de cette Conférence, une charte d'Angkor qui définisse les principes de conservation et de sauvegarde et les modalités de leur mise en oeuvre. Une sorte de code éthique normatif, reconnu par tous.
Il ne faut pas perdre de vue qu'Angkor offre un ensemble particulièrement fragile, et la moindre erreur, la moindre action intempestive et incontrôlée briseraient à tout jamais l'esprit et l'harmonie des lieux. Nous devons rester fidèles à cet "esprit des lieux", au message de la civilisation khmère.
Nous avons tous à cet égard une responsabilité capitale, aujourd'hui, et devant les générations futures, qui nous jugeront.
Dans cet esprit, vous me permettrez de saluer l'ensemble des chercheurs qui concourent à cette oeuvre et de saluer l'oeuvre de l'Ecole française d'Extrême-Orient qui, sous la direction de ses conservateurs successifs, a pu affiner, adapter ses méthodes de mise au jour et de sauvetage des monuments.
Enfin, dans un souci d'efficacité, je souhaiterais que soient dessinées, lors de cette Deuxième Conférence, les grandes lignes d'un plan d'action qui déterminera les nouveaux chantiers à mettre en oeuvre pendant la prochaine décennie. Ces grandes lignes seront formulées à l'issue des travaux des deux commissions, celle sur la sauvegarde, la recherche et la mise en oeuvre, et celle sur le développement durable et la lutte contre la pauvreté. Ces commissions examineront les différentes fiches-programmes réunies par le secrétariat et le Comité international.
Les résultats de leurs travaux permettront d'avoir une vision globale des thématiques retenues et des actions. Elles fourniront les éléments du futur cadre d'action de la communauté internationale, mobilisée pour sauver et développer Angkor et sa région.
Votre Altesse royale,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
A l'heure où le Royaume du Cambodge, sous l'impulsion de l'action éclairée de Sa Majesté Norodom Sihanouk, poursuit inlassablement ses efforts pour assurer sa prospérité et consolider sa construction démocratique, Angkor ne peut plus rester le symbole des passions politiques passées les plus sanglantes ou l'endroit maudit décrit notamment par l'auteur du Poète et le vase d'encens. Pour que le Cambodge et ses enfants retrouvent leur sourire enchanteur, nous l'avons aidé à dépolluer ce site comme bien d'autres, des scories de la guerre et à bannir l'arme des lâches, ces mines antipersonnel si meurtrières, si mutilantes. Une contribution dont nous pouvons être collectivement fiers car elle préserve de nombreuses vies et crée des conditions, comme nous le voyons dans les Balkans, au Moyen-Orient ou en Afghanistan, pour lancer des projets de développement durable. Ces actes de coopération permettent à un espace meurtri de se réinsérer dans son environnement régional et international. Ces efforts sont indissociables de ceux des entreprises qui participent au redressement du pays.
Nous le voyons, la paix est indissociable de la mémoire. Angkor est un symbole d'une identité, de la reconquête indispensable de la mémoire d'un peuple qui appartient aujourd'hui à l'ensemble de l'humanité. Et dans le monde que nous connaissons, un monde aux identités blessées, meurtries, et parfois meurtrières, quel plus beau signe d'espoir que de nous mobiliser une nouvelle fois aujourd'hui pour Angkor ? Quel plus grand symbole de notre foi et de notre croyance dans l'avenir ?
Aujourd'hui un peuple revit, dans son identité, à Angkor et c'est un bien universel. Le peuple cambodgien et la communauté internationale ont, depuis dix ans, ressuscité Angkor. Angkor est là, belle comme jamais ! Soyons-en dignes !
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 novembre 2003)
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
C'est pour moi un grand honneur d'accueillir à Paris, au nom du président de la République, la deuxième Conférence intergouvernementale sur Angkor, dix ans après la première Conférence qui s'était tenue à Tokyo en octobre 1993.
Ma première pensée va à Sa Majesté le Roi du Cambodge, Samdech Préah Norodom Sihanouk, l'esprit de ce programme international, si présent parmi nous, et qui nous adressera, dans quelques instants, un message.
Je remercie l'ensemble des pays partenaires d'avoir répondu favorablement à l'invitation de la France et je salue l'arrivée de sept nouveaux membres qui sont la Corée, le Danemark, la Grèce, l'Egypte, le Portugal, le Mexique et la Tunisie, ainsi que le retour de l'Inde dans cette enceinte. Evitant que l'irréparable se produise, l'Inde a assuré, avec la Pologne, une présence sur le site d'Angkor, à une période particulièrement difficile.
Je me réjouis vivement de la présence d'une forte délégation cambodgienne constituée notamment par son Altesse royale, la Princesse Norodom Bopha Devi, et par le ministre d'Etat Vann Molyvann qui fut l'inventeur et l'animateur de ce programme international. Je me réjouis aussi de la forte représentation de l'Autorité APSARA, qui est en charge, depuis 1995, de la gestion du site d'Angkor.
Je ne saurais naturellement oublier le Japon, pays avec lequel une grande complicité nourrit une collaboration sans faille dans le cadre du co-pilotage du Comité international de coordination, qui constitue le mécanisme de coordination, d'évaluation et de suivi des aides internationales issu de la Déclaration de Tokyo ; et enfin, l'UNESCO qui assure le secrétariat du Comité international depuis sa création, et qui s'acquitte de cette mission avec efficacité, compétence, et un dévouement sans relâche.
Son directeur général, M. Koichiro Matsuura, se trouvant dans l'impossibilité d'être parmi nous aujourd'hui, a tenu également à nous adresser un message que nous entendrons dans quelques instants.
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Voici "la plus pesante montagne de pierres que les hommes aient osé entreprendre depuis les pyramides de Memphis", proclame le "pèlerin d'Angkor", Pierre Loti, dans son journal du 29 novembre 1901.
De grands écrivains succombèrent ainsi au charme des énigmatiques visages du Bayon ou au mythe du Roi lépreux. L'enthousiasme se devine chez chacun d'entre eux, de Pierre Benoit à Paul Claudel ou André Malraux. Autant d'émotions qui se sont répétées depuis le beau récit de voyage, en 1863, du naturaliste Henri Mouhot, sacré malgré lui "découvreur" officiel du site d'Angkor.
Depuis plus d'un siècle en effet, Angkor est un espace de rêves et de sciences. Nous cherchons à y décrypter ce patrimoine cambodgien de l'humanité, à le rendre à la vue des Hommes et à le valoriser pour le plus grand bénéfice du plus grand nombre.
Pour se révéler, Angkor a dû associer des générations plus prestigieuses les unes que les autres de chercheurs, architectes, archéologues, historiens de l'art, philologues, linguistes et ethnologues. Chacun devant s'extraire de son espace de connaissances, Angkor nous a offert l'opportunité de conduire des recherches pluridisciplinaires exceptionnelles.
Avant même d'évoquer plus en détail ce qui a été fait ces dix dernières années à Angkor, permettez-moi de rendre ici hommage à la coopération internationale. Le déchiffrement, en 1879, d'une transcription sanskrite du Cambodge par l'épigraphiste hollandais Hendrik Kern, dont l'attention avait été attirée dès 1863 par un voyageur allemand, Bastian, marqua le début des études khmères. Le retour des monuments dans leur espace par les techniques de l'anastylose fut, lui aussi, le fruit des échanges de savoir-faire avec les archéologues néerlandais oeuvrant à Java.
La restauration ou la préservation des monuments d'Angkor justifia, de tout temps, que nous leur consacrions nos technologies les plus modernes. Dès 1866, la mission exploratoire d'Ernest Doudart de Lagrée prend des photos du site. Au milieu des années 30, plusieurs campagnes de vues aériennes sont organisées. Aujourd'hui, les photos numérisées permettront de constituer, avec le soutien de la police française, un inventaire informatisé des sites et des objets susceptibles de tenter des pillards. Un outil indispensable pour compléter le thésaurus des objets volés du Bureau central national de protection des biens culturels.
Cette accumulation patiente et méthodique de données, depuis la première publication en 1901 de l'Inventaire descriptif des monuments du Cambodge, doit nous prémunir chaque jour un peu plus des actes de vandalisme, fussent-ils, comme en 1924, effectués dans le cadre d'une mission officielle et contés avec le brio que l'on sait par le futur ministre de la Culture André Malraux dans La Voie Royale. Aujourd'hui, notre détermination et notre efficacité à combattre ce fléau qui frappe le Cambodge, la gloire d'un peuple et ses générations futures doivent se diffuser aussi vite qu'autrefois l'attrait de ses merveilles "cachées".
La diffusion internationale des témoignages sur les splendeurs d'Angkor nous permit de ne jamais complètement les oublier. Les récits de l'ambassade envoyée par l'Empereur Timour en 1296, rapportés par le chinois Zhou Daguan, traduits au XVIIIème siècle par les jésuites français ; ceux d'un pèlerin japonais qui permirent de dresser un plan d'Angkor Vat dont une copie fut exécutée en Europe en 1715 sont autant de pierres sur le chemin de la connaissance pour tous. Ces échanges culturels euro-asiatiques, avant l'heure, et que nous appelons de tous nos voeux dans le cadre de l'ASEM et la Fondation Asie - Europe (ASEF), marquèrent si profondément nos esprits qu'ils résonnèrent et résonnent encore dans toute l'Europe. Un texte du père Chevreul, qui séjourna au Cambodge en 1768, se faisait l'écho d'une ville renommée par ses temples "comme l'est Rome entre les chrétiens" , pour reprendre ses termes. Au XVIème, au XVIIème siècle, chroniqueurs officiels, missionnaires ou aventuriers portugais et espagnols s'extasièrent sur la beauté de cette ville dans laquelle ils reconnaissaient "la cité fantastique de l'Atlantide de Platon" ou "celle de sa République". Exprimons nos émotions devant tant de beauté mais canalisons, gérons les appétits et les passions qu'elles font naître. C'est le sens de notre combat à tous depuis dix ans.
C'est pourquoi, comme je le soulignais il y a quelques instants, je suis heureux d'ouvrir les travaux de cette deuxième Conférence intergouvernementale, centrés sur la sauvegarde et le développement du site d'Angkor. Angkor est la gloire du peuple cambodgien. Ce programme touche à son essence même et conditionne le développement de ce pays courageux qu'est le Cambodge, auquel la France, chacun le sait, voue un attachement particulier.
Cette deuxième Conférence s'ouvre sous d'heureux auspices qui augurent bien de l'avenir. Que de chemin parcouru depuis la première Conférence de Tokyo, qui s'était tenue dans un contexte de grande incertitude ! Le Cambodge s'installait, au lendemain des Accords de Paris, dans un processus de renouveau politique. Il lui fallait panser ses blessures, se relever d'épreuves terribles, se reconstruire, se réorganiser, en un mot, il lui fallait exister à nouveau.
Quand, en 1993, fut lancé cet ambitieux programme international pour la sauvegarde d'Angkor, c'était un immense défi, dont les probabilités de réussite étaient si ténues, si aléatoires.
Ce défi allait pourtant être relevé grâce à l'inlassable action et à la détermination des autorités cambodgiennes et en particulier celles de sa Majesté le Roi. C'est la volonté cambodgienne qui permit, tout au début de cette aventure internationale, le classement du site d'Angkor sur la liste du patrimoine mondial (en décembre 1992) puis la mise en oeuvre des recommandations de la Déclaration de Tokyo d'octobre 1993.
Cet acte fondateur prônait le recours à une forte mobilisation internationale, préconisait une approche globale des problèmes, encourageait l'adoption des mesures législatives de préservation du site ainsi que la mise en place d'un programme général de formation des personnels cambodgiens à tous les niveaux requis, recommandait enfin l'instauration d'un cadre institutionnel de gestion du site par les autorités cambodgiennes.
Cet engagement cambodgien, soutenu par l'aide de partenaires et d'amis étrangers, a permis de surmonter les problèmes et les difficultés de toute nature.
En dix ans, la majeure partie des objectifs définis par la Déclaration de Tokyo a été remplie. La brochure qui vous a été remise recense toutes les actions réalisées par plus d'une vingtaine de pays et d'organisations internationales impliquées dans le programme de sauvegarde d'Angkor, autour de grandes thématiques, telles que la recherche, la sauvegarde, la formation, l'aménagement urbain et la construction d'infrastructures.
Au total, plus d'une centaine de projets ont été mis en oeuvre, dont le sauvetage de 15 monuments majeurs.
La création en 1995 d'un Etablissement public cambodgien, gestionnaire du site (APSARA), la mise en place d'une police du patrimoine, l'élaboration d'un arsenal juridique complet et moderne ont permis que ces projets se réalisent.
Cet impressionnant bilan est aussi à mettre au crédit du travail réalisé par le Comité international, co-piloté par le Japon et par la France. Cette structure a fait la preuve de son efficacité et, par son fonctionnement, de la pertinence des choix qui avaient été faits à Tokyo. Sa réunion annuelle au Cambodge a permis, durant la décennie passée, d'évaluer, de coordonner, et de suivre l'ensemble des projets mis en oeuvre. Le Comité international a pu s'appuyer sur un comité d'experts dont la réunion se tenait à Angkor avant la réunion annuelle du Comité international, lui apportant tous les éléments nécessaires aux prises de décisions et aux recommandations.
Au-delà du bilan quantitatif, il est un autre résultat, tout aussi remarquable, et qu'il convient de souligner. C'est la naissance d'un certain "esprit d'Angkor" partagé par l'ensemble des partenaires, fondé sur l'échange, fondé sur la concertation étroite, la confrontation féconde, écartant toute compétition égoïste et stérile. Les dix années du Comité international constituent ainsi le laboratoire d'une coopération multilatérale réussie, d'une mobilisation accomplie des politiques et des experts, des architectes et des artistes, des administrateurs et des chercheurs.
"L'esprit d'Angkor", c'est le sentiment partagé qu'Angkor est un bien commun de l'humanité qu'il nous faut gérer ensemble, au-delà de toutes ambitions particulières. C'est cela qui confère au programme international une dimension éthique et une exemplarité rarement rencontrées dans les projets de coopération internationaux.
Cette décennie a été avant tout celle de la sauvegarde. L'essentiel des moyens, des structures et des infrastructures a été mis en place. La réussite de cette première phase ouvre la voie à une nouvelle décennie, celle du développement durable comme le souhaitent nos partenaires cambodgiens, comme nous le souhaitons tous pour donner à cette exemplarité une nouvelle dimension.
Nous entrons dans une nouvelle décennie pour Angkor. Après le défi de 1993, est venu celui de conjuguer la préservation et la mise en valeur du patrimoine historique avec les objectifs de développement économique, de lutte contre la pauvreté et contre les inégalités. L'enjeu des dix prochaines années est bien celui du développement durable d'Angkor et de sa région.
Au demeurant, cette question du développement durable s'impose naturellement à Angkor, car elle constitue l'essence même de cet espace, de la société cambodgienne, comme le souligne M. Stierlen, dans son ouvrage sur Angkor :
"Et c'est dans ce caractère total, global, que l'architecture khmère marque son extraordinaire supériorité. Elle est en symbiose avec le contexte socio-technologico-religieux. Il y a continuité de la base au sommet de la pyramide, de la rizière et du baray jusqu'à la cité et au temple qui la couronne. L'organisme angkorien forme un tout indissociable fondé sur l'eau : de la digue à la tour du sanctuaire où le prêtre implore les dieux d'apporter la pluie, tout est soumis à ce dénominateur commun qu'est l'irrigation. Sans elle, pas de riz, pas de surproduction, pas de richesse, pas d'art ni d'architecture.
Le riz et le temple sont donc les deux chaînons extrêmes d'une même série de phénomènes régissant l'aménagement du territoire. L'écologie éclaire l'art. Et rien n'est désormais gratuit dans ce type de civilisation agraire où les plus banales réalités matérielles sont en relation avec les plus hautes spéculations théologiques".
La Conférence de Paris doit servir cette nouvelle ambition qui conjugue développement économique avec culture, tourisme avec environnement, patrimoine avec formation.
Des travaux qui s'ouvrent aujourd'hui, nous attendons qu'ils nous donnent, comme avait su le faire la Conférence de Tokyo, des orientations pour les dix prochaines années et les outils qui nous permettront de poursuivre avec et sous la conduite de nos amis cambodgiens l'oeuvre si bien engagée.
La Déclaration de Paris que nous devons adopter à l'issue des travaux nous engagera donc dans une nouvelle voie, définie par nos partenaires cambodgiens.
Elle permettra de renforcer la cohésion du mécanisme de coopération internationale en y associant plus étroitement l'Autorité APSARA dans ses propositions et recommandations.
Elle conférera en outre à APSARA, grâce à des moyens financiers, juridiques, techniques et humains accrus, le rôle de pivot essentiel à la mise en oeuvre de cette grande entreprise internationale.
Mais, il faut aller plus loin encore.
Je souhaite que l'UNESCO prépare avec le groupe d'experts ad hoc, à partir des principes qui se dégageront des travaux de cette Conférence, une charte d'Angkor qui définisse les principes de conservation et de sauvegarde et les modalités de leur mise en oeuvre. Une sorte de code éthique normatif, reconnu par tous.
Il ne faut pas perdre de vue qu'Angkor offre un ensemble particulièrement fragile, et la moindre erreur, la moindre action intempestive et incontrôlée briseraient à tout jamais l'esprit et l'harmonie des lieux. Nous devons rester fidèles à cet "esprit des lieux", au message de la civilisation khmère.
Nous avons tous à cet égard une responsabilité capitale, aujourd'hui, et devant les générations futures, qui nous jugeront.
Dans cet esprit, vous me permettrez de saluer l'ensemble des chercheurs qui concourent à cette oeuvre et de saluer l'oeuvre de l'Ecole française d'Extrême-Orient qui, sous la direction de ses conservateurs successifs, a pu affiner, adapter ses méthodes de mise au jour et de sauvetage des monuments.
Enfin, dans un souci d'efficacité, je souhaiterais que soient dessinées, lors de cette Deuxième Conférence, les grandes lignes d'un plan d'action qui déterminera les nouveaux chantiers à mettre en oeuvre pendant la prochaine décennie. Ces grandes lignes seront formulées à l'issue des travaux des deux commissions, celle sur la sauvegarde, la recherche et la mise en oeuvre, et celle sur le développement durable et la lutte contre la pauvreté. Ces commissions examineront les différentes fiches-programmes réunies par le secrétariat et le Comité international.
Les résultats de leurs travaux permettront d'avoir une vision globale des thématiques retenues et des actions. Elles fourniront les éléments du futur cadre d'action de la communauté internationale, mobilisée pour sauver et développer Angkor et sa région.
Votre Altesse royale,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
A l'heure où le Royaume du Cambodge, sous l'impulsion de l'action éclairée de Sa Majesté Norodom Sihanouk, poursuit inlassablement ses efforts pour assurer sa prospérité et consolider sa construction démocratique, Angkor ne peut plus rester le symbole des passions politiques passées les plus sanglantes ou l'endroit maudit décrit notamment par l'auteur du Poète et le vase d'encens. Pour que le Cambodge et ses enfants retrouvent leur sourire enchanteur, nous l'avons aidé à dépolluer ce site comme bien d'autres, des scories de la guerre et à bannir l'arme des lâches, ces mines antipersonnel si meurtrières, si mutilantes. Une contribution dont nous pouvons être collectivement fiers car elle préserve de nombreuses vies et crée des conditions, comme nous le voyons dans les Balkans, au Moyen-Orient ou en Afghanistan, pour lancer des projets de développement durable. Ces actes de coopération permettent à un espace meurtri de se réinsérer dans son environnement régional et international. Ces efforts sont indissociables de ceux des entreprises qui participent au redressement du pays.
Nous le voyons, la paix est indissociable de la mémoire. Angkor est un symbole d'une identité, de la reconquête indispensable de la mémoire d'un peuple qui appartient aujourd'hui à l'ensemble de l'humanité. Et dans le monde que nous connaissons, un monde aux identités blessées, meurtries, et parfois meurtrières, quel plus beau signe d'espoir que de nous mobiliser une nouvelle fois aujourd'hui pour Angkor ? Quel plus grand symbole de notre foi et de notre croyance dans l'avenir ?
Aujourd'hui un peuple revit, dans son identité, à Angkor et c'est un bien universel. Le peuple cambodgien et la communauté internationale ont, depuis dix ans, ressuscité Angkor. Angkor est là, belle comme jamais ! Soyons-en dignes !
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 novembre 2003)