Texte intégral
Q - Nous nous intéressons ce matin au grand dossier de cette année 2004, année marquée notamment par l'élargissement à 25 pays de l'Union européenne. On espère que 2004 pour l'Europe sera un meilleur cru que 2003, qui a vu une succession de crises avec des dissensions sur la guerre en Irak, le pacte de stabilité, et des conflits d'intérêts qui ont fait capoter le mois dernier le projet de Constitution. Ecoutons Noëlle Lenoir
R - C'est une année de mutation, de maturation. Il est vrai que les Etats n'ont pas fait le grand saut pour adopter la Constitution européenne que les citoyens attendent. Mais c'est une pause. Elle exige une relance qui va avoir lieu, j'en suis sûre, en 2004.
Q - Pensez-vous que l'Irlande fera mieux que l'Italie ?
R - Je ne veux pas juger les vertus et les défauts des uns et des autres. La présidence irlandaise sera à mon avis une très grande présidence. Les Irlandais ont pris conscience de la difficulté de faire avancer le train de l'Europe à 25 et surtout ils ont une grande expérience du dialogue citoyen. Ils sont très soucieux du dialogue entre les institutions européennes, les citoyens et notamment les jeunes. Je m'en suis entretenue le 1er janvier avec mon collègue irlandais M. Dick Roche, qui est très sensibilisé à cette problématique.
Q - Le 1er mai, dix nouveaux Etats vont arriver au sein de l'Union européenne, c'est une année historique. Sont-ils tous prêts, car il y a un mois, il y avait encore un certain nombre de progrès qui restaient à faire dans une trentaine de secteurs : l'agriculture, les normes sanitaires, l'environnement, particulièrement pour la Pologne, un petit peu moins pour d'autres. Qu'en est-il aujourd'hui ?
R - Ces pays ont réalisé ces dix dernières années des progrès fantastiques. Il faut savoir qu'on leur a demandé de digérer, d'ingurgiter si je puis dire, toutes nos lois européennes qui représentent 80 000 pages de documents. Ils l'ont fait à un rythme accéléré. Tout n'est pas parfait, certes. Mais nous-mêmes, Français, devons aussi nous adapter à certaines règles européennes. Je pense notamment à la transposition des directives dans notre droit national qu'il nous incombe de réaliser constamment. Les pays candidats le font plus vite que nous. Il leur restera sans doute quelques textes à améliorer. Mais je peux vous dire qu'ils seront prêts. En tous les cas, ils se préparent depuis dix ans et nous les accueillerons avec un grand plaisir, une grande joie, le 1er mai prochain.
Q - Faudra-t-il être tolérant avec eux, être patient, peut-on exiger des nouveaux entrants certaines conditions, quand certains gros pays comme la France et l'Allemagne s'affranchissent de certaines règles, nous l'avons vu avec le pacte de stabilité ?
R - L'Europe est un lieu de solidarité et de compréhension réciproque. Chacun a des problèmes. Nous essayons de les résoudre. Les règles communes que nous nous sommes à nous-mêmes fixées, ne viennent pas d'en haut, qu'il s'agisse du pacte de stabilité, du respect des lois européennes, ou encore des politiques communes, qui nous ont fait tant de bien comme la politique agricole ou la politique régionale, et qu'il nous appartient de mettre en oeuvre. Ces instruments dont nous nous sommes doté, chacun doit les mettre en oeuvre correctement mais quand il y a des difficultés, nous devons être compréhensifs les uns envers les autres. Avec l'Europe élargie à l'échelle du continent, nous avons bien conscience que l'enjeu pour nous Européens, c'est de faire de l'Europe une grande force dans le monde capable d'assurer à tous, aux jeunes notamment, des emplois mais aussi la paix et la sécurité. Nous sommes tous sur la même barque et nous voulons que cette barque ne chavire pas. Donc il y a une forte conscience de notre engagement européen et de nos intérêts communs européens.
Q - Comment qualifieriez-vous d'un mot cet élargissement ? C'est historique, c'est de l'espérance ?
R - Je dirai que ce sont les retrouvailles de la famille européenne. Jamais l'Europe n'aurait dû être divisée en deux. Cette division du monde en deux blocs, le bloc soviétique et le bloc du monde libre, est un sous-produit de la dernière guerre mondiale. Maintenant tout cela est fini, effacé. Il faut panser les blessures, il faut réapprendre à vivre ensemble dans cette Europe devenue un continent uni. Nous sommes très contents, nous Français, d'avoir cette chance de retrouver ces autres cultures européennes qui ont été éloignées de nous, mais qui nous sont si proches./
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 janvier 2004)