Déclaration de M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie, sur les orientations de la politique énergétique de la France, notamment sur la question du statut d'EDF, des énergies renouvelables et de l'énergie nucléaire, Assemblée nationale le 15 avril 2004.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Clôture du débat sur l'énergie à l'Assemblée nationale, le 15 avril 2004

Texte intégral

Madame la présidente, madame et messieurs les députés, je tiens d'abord à souligner la qualité de ce débat. Même si, parfois, le tempérament nous emporte, chacun s'est abstrait au maximum des choix partisans pour essayer de s'élever à des considérations d'intérêt national et à une vision à long terme qui honore le Parlement. Ce débat a donc été très instructif pour le Gouvernement.
Ainsi, la question de l'EPR et de la filière nucléaire m'a semblé recueillir un relatif consensus quant à la finalité, si j'excepte M. Cochet dont je salue le courage. Il a su défendre avec passion et conviction un point de vue original, de nature à nous faire réfléchir et à éclairer nos choix, même si nous ne sommes pas de son avis.
Il ressort aussi de ce débat l'affirmation par de nombreux orateurs de la nécessité de voir l'indépendance énergétique de notre pays garantie, de se soucier de la préservation de l'environnement, de lutter contre l'effet de serre, d'assurer la compétitivité du prix de l'énergie et, ce qui va naturellement avec, l'accès équitable de tous à l'énergie.
Bien sûr, il existe des nuances, je vais y venir, mais ces nuances ont toujours été exprimées, me semble-t-il, avec le sens des responsabilités.
Je vais commencer par évoquer la question du statut d'EDF parce que c'est peut-être le point qui fait le plus débat. Je remercie à ce propos le premier orateur, M. Paul. Si nous sommes d'accord sur beaucoup de sujets - la maîtrise de l'énergie, le développement des moyens de transport préservant le mieux l'environnement comme le rail, la nécessité d'une politique énergétique européenne - en revanche, je ne peux le suivre quand il souhaite le statu quo pour EDF et GDF.
Je veux le répéter après Nicolas Sarkozy : le marché domestique pour EDF et GDF ce n'est pas la France, c'est l'Europe.
L'avenir de ces deux entreprises de grande qualité est naturellement sur le marché européen. C'est là qu'elles ont des chances de trouver les marchés nouveaux qui leur permettront de créer des emplois. Il n'est en tout cas pas question de sacrifier le long terme. Nous l'avons dit et nous le répétons : la volonté du Gouvernement est qu'EDF et GDF restent publiques. Il n'est donc pas exact de prétendre que nous souhaitons privatiser. Je m'adresse là à M. Gaubert, selon lequel ni la directive européenne ni M. Monti ne nous ferait obligation de changer le statut. Je ne pense pas dénaturer ses propos. D'ailleurs si nous voulons nous comprendre, nous devons respecter le sens profond de ce qui est dit par chacun. J'en profite pour souligner que ce qui a été imputé au Gouvernement n'a pas toujours été conforme à la réalité.
Nous sommes d'accord sur le fait qu'il faut accepter une évolution, au moins sur la question de la spécialité. Reste la question du statut. M. Monti a dit : " Nous n'avons pas d'opinion sur la propriété de l'entreprise. C'est votre problème. " En effet, il l'a même écrit. Toutefois la question n'est pas celle de la propriété, puisque nous voulons que l'entreprise EDF reste publique. Nous l'affirmons et nous sommes prêts à inscrire dans la loi des garanties en ce sens. En revanche, la Commission et M. Monti ont jugé qu'EDF ne devait plus bénéficier d'avantages concurrentiels tels que ceux que lui assure son statut d'établissement public. Telle est la raison majeure pour laquelle nous sommes obligés de faire évoluer ce statut et la décision italienne de retirer à l'entreprise ses droits de vote ne peut que confirmer notre analyse.
Pour permettre à EDF d'être à l'aise sur le marché européen et de nouer des liens avec d'autres entreprises européennes, nous sommes obligés de faire évoluer son statut. En effet, les autres gouvernements européens ne peuvent accepter qu'EDF puisse prendre des participations dans certaines de leurs entreprises pour nouer des synergies industrielles alors que la réciprocité n'est pas possible.
Si nous voulons donner toutes ses chances à EDF, il faut que, par la voie d'une augmentation de capital - je précise que nous ne souhaitons pas de substitution -, elle puisse agir sur les marchés européens, qui sont ses débouchés naturels, et nouer des alliances industrielles qui lui permettront de développer son savoir-faire. Nous avons la chance d'avoir l'une des meilleures entreprises d'Europe dans ce domaine et il faut lui permettre de jouer sa carte. De ce point de vue, d'ailleurs, le débat n'est pas entre socialistes et libéraux. Sans vouloir polémiquer, je dirais qu'il est entre immobilistes et modernistes.
Je reconnais qu'aucun camp n'a l'exclusivité du modernisme, puisque M. Strauss-Kahn et M. Fabius s'étaient prononcés pour l'ouverture du capital d'EDF. Par conséquent, on peut être à gauche et moderniste ; cela ne fait aucun doute !
J'en viens à la question des énergies renouvelables. M. Gonnot a raison de souligner que le développement de ces énergies favorisera l'émergence de nouvelles technologies. En revanche il est faux d'affirmer, comme l'a fait M. Tourtelier, que la France est en retard dans ce secteur par rapport aux autres pays européens. Je rappelle que nous sommes très bien placés dans le domaine des énergies renouvelables en Europe, puisque la France est première pour le bois, deuxième pour les biocarburants, troisième pour le petit hydraulique, la géothermie et les biogaz, quatrième pour le solaire thermique. Il est vrai que, pour l'éolien, nous sommes plutôt en retard. Mais à qui la faute ? Lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, après cinq ans de socialisme, il y avait moins de 100 mégawatts installés en France. Nous avons décidé, à la différence de vous, de lancer un appel d'offres pour permettre le développement de 1 000 mégawatts d'ici à deux ans. Nous sommes donc loin de l'immobilisme. Nous sommes actuellement dans une situation de rattrapage et, je ne dis pas que cela durera toujours, mais la progression est de l'ordre de 70 % par an. Il ne faut donc pas nous reprocher cette situation. Nous avons accompli un effort là où vous n'en avez pas fait.
M. Demilly a défendu avec enthousiasme les biocarburants en soulignant que notre pays était très bien positionné dans l'utilisation de la biomasse. A cet égard, il m'appartient de rappeler quelques données.
La France a été un précurseur dans la production des biocarburants, dont elle est le second producteur avec 52 000 tonnes, soit un peu plus de 1 % de la consommation. Ce succès, elle le doit à la défiscalisation, confirmée dans la loi de finances de 2004, mais qui a un coût : 180 millions d'euros par an. Le coût de revient, hors taxes, est ainsi double de celui du pétrole.
Néanmoins, le Gouvernement est favorable au développement des biocarburants, mais il faut avoir l'honnêteté de reconnaître que le rythme de ce développement dépendra des gains de productivité que réalisera la filière. Le Gouvernement a prévu une défiscalisation pour chaque filière, notamment pour l'éthanol.
S'agissant des énergies nouvelles renouvelables, je veux dire à Jean-Pierre Nicolas et aux autres députés qui se sont exprimés sur la question, que le développement de l'éolien se heurte souvent aux fortes réserves des élus locaux. Il faut savoir aussi que cette forme d'énergie est trois à quatre fois plus chère que l'énergie nucléaire. Elle est nécessaire au mix énergétique, mais elle a un coût. Et si l'on recourt aux champs éoliens off shore en pleine mer - solution évoquée par Nicolas Sarkozy -, ce coût sera encore plus élevé, mais les problèmes d'environnement seront moins prégnants, monsieur le président de la commission des affaires économiques.
Je tiens également à répondre à M. Cochet, qui nous a expliqué que, finalement, le nucléaire n'était pas une vraie garantie d'indépendance puisqu'il fallait importer l'uranium. Importer le pétrole ou importer l'uranium, dans le sophisme de M. Cochet, ce serait finalement être toujours dépendant. Or, tout le monde le sait bien, il y a une différence entre importer de l'uranium du Canada ou de l'Australie et importer du pétrole du Moyen-Orient !
Il existe aussi une différence entre la filière gaz, où le prix de l'électricité produite augmente de 50 % lorsque le prix du pétrole double, et la filière nucléaire, où il n'augmente que de 2 % lorsque le prix de l'uranium double. Quand le prix du pétrole double, les effets sont considérables, alors qu'ils sont extrêmement réduits quand c'est le cas de celui de l'uranium.
Enfin, s'agissant du nucléaire, nous avons plus de dix ans de stock, alors que nos réserves de gaz ne permettent de tenir que moins de soixante jours.
On ne peut donc raisonnablement soutenir que le nucléaire nous rend aussi dépendants que le pétrole.
Quant à la compétitivité du nucléaire, il n'est pas de meilleurs juges que des industriels libres et indépendants. Or les papetiers finlandais ont fait le choix de cette électricité au prix à la fois peu élevé et stable. Personne ne les y a contraints ! Ils n'ont pas obéi à une idéologie ou à un gouvernement. Ils ont opté librement.
Au défenseur farouche des énergies renouvelables qu'est M. Cochet, je rappelle que nous projetons de nous doter de 10 000 mégawatts d'éolien avant 2010, ce qui représente 10 milliards d'investissements aidés - plus de 800 millions d'euros par an quand on en sera à 10 000 mégawatts -, et de 1 600 mégawatts de nucléaire pour 2012, soit, cette fois, 3 milliards d'euros d'investissements financés exclusivement par les industriels, EDF en l'occurrence. D'une certaine manière d'ailleurs, ce seront quand même les contribuables qui paieront, mais cela n'est pas du tout la même chose que pour le financement des investissements nécessaire pour le développement des énergies renouvelables.
Les chiffres montrent où vont nos priorités, mais je reconnais qu'un effort de recherche s'impose s'agissant du nucléaire, particulièrement pour le traitement des déchets et pour le démantèlement des centrales. Mme Kosciusko-Morizet, qui nous a fait la grâce de ne pas nous demander l'installation de l'EPR à Longjumeau (Sourires), a eu raison d'insister sur ce point, d'autant que la transition sera particulièrement longue avant la réalisation de la quatrième génération de ce réacteur.
Le problème de la durée de vie des centrales a été évoqué par M. Dosé, qui s'est interrogé sur la prolongation, de trente à quarante ans, de leur amortissement comptable. Dans ce domaine, je crois qu'il faut bien distinguer ce qui relève de la sûreté nucléaire - et dont la décision revient à l'autorité de sûreté nucléaire qui statue, de manière indépendante, tous les dix ans et pour dix ans - et ce qui ressortit à la comptabilité qui doit fournir une image sincère et fidèle des comptes, en indiquant notamment ce que représentent les immobilisations.
Est-il sincère d'affirmer que les centrales dureront trente ans ? Si tel est le cas, il est urgent de construire l'EPR ; sinon, le Gouvernement aura beaucoup de mal à remplacer la centrale de Fessenheim en 2007. Le choix effectué en 2003 par EDF au sujet de ses comptes était juste, ce qui ne préjuge en rien des décisions qui seront prises par l'autorité de sûreté nucléaire. Il s'agit là d'un autre débat.
Le dernier orateur, M. Reiss, a souligné à juste titre le rôle important des régions dans le domaine des énergies renouvelables et des économies d'énergie. Il a bien fait de rappeler combien, au terme d'un apprentissage au sein duquel les élus locaux doivent jouer un véritable rôle pédagogique, la modification des comportements individuels pouvait être profitable.
Personne ne l'a souligné au cours de ce débat, mais le Gouvernement vient de publier le bilan énergétique de la France. Il en ressort que, en raison d'un changement des comportements, la consommation d'énergie liée à la circulation automobile a baissé pour la première fois depuis plus de quinze ans, et ce du fait des limitations de vitesse. Certes, le Gouvernement s'est donné les moyens pour obtenir ce résultat, mais il faut savoir gré aux Français d'avoir accepté une politique de sécurité dont le bénéfice rejaillit aussi sur la consommation d'énergie.
Dans ce domaine, je rappelle que nous aurons à examiner prochainement un projet de loi d'orientation. Les échanges d'excellente qualité que nous avons eus aujourd'hui nourriront nos débats à venir, dont je souhaite qu'ils se déroulent dans un climat aussi instructif et responsable. Ces questions dépassent, en effet, les clivages partisans et les échéances électorales.
Elles engagent l'avenir de notre pays pour de très longues années. C'est pourquoi elles exigent de la part des élus et des hommes politiques un grand sens des responsabilités. L'Assemblée nationale en a encore apporté la preuve aujourd'hui.

(source http://www.minefi.gouv.fr, le 7 juin 2004)