Déclaration de M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie, sur l'enjeu d'une Europe financière pour le financement des investissements des entreprises et pour les besoins en services financiers des particuliers, Paris le 30 septembre 2004.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : 3èmes Rencontres de la Compétitivité EUROPLACE à Paris le 30 septembre 2004

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Une nouvelle Commission européenne se met en place qui aura de nombreux défis à relever. Parmi eux, la construction de l'Europe financière n'est pas des moindres. En effet, dans le débat européen qui connaît une animation toute particulière depuis quelques semaines, la question "Quelle Europe financière ?" a une importance considérable : pour la compétitivité de notre industrie financière et pour le financement de nos entreprises.
Le terme d'" industrie financière ", auquel se réfère Paris EUROPLACE pour situer son action, revêt à mes yeux une grande pertinence. Et je m'exprime en tant que Ministre de l'Industrie ! D'abord parce qu'il souligne la nécessaire combinaison et articulation entre les métiers - émetteurs, investisseurs, intermédiaires, analystes, etc... - et les technologies, notamment les plus innovantes des " nouvelles technologies ", voire la matière intellectuelle, notamment la science mathématique dans laquelle nous disposons d'atouts reconnus dans le monde entier. Ensuite, car cette expression marque bien l'appartenance de l'industrie financière à l'économie " réelle ", comme rouage essentiel de la croissance et de l'emploi.
La question n'est pas tellement de savoir si l'Europe financière existe, cela ne fait de doute pour personne, notamment depuis l'avènement de l'euro. La question est de savoir de quelle Europe financière ont besoin nos entreprises pour construire l'Europe de la compétitivité, l'Europe de la croissance. Elle est aussi de savoir si l'Europe financière est l'affaire de spécialistes, ou l'affaire de tous.
L'Europe financière est d'abord un enjeu pour notre industrie financière qui occupe une place importante et sans cesse grandissante dans notre économie.
Cette importance, je la ressens doublement.
- Tout d'abord, sur le plan de l'emploi. L'industrie financière " pèse " 4,5 % de la population active et de la valeur ajoutée de notre pays. En région Ile-de-France, le secteur financier représente 260 000 personnes et 15 % du PIB régional.
- Ensuite, parce qu'une place financière active est nécessaire au financement de nos entreprises dans les meilleures conditions.
Notre réflexion sur l'avenir de notre industrie financière doit par nature être européenne car l'Europe financière est déjà une réalité :
- Grâce à l'euro, le marché européen atteint, aujourd'hui, une taille comparable au marché de l'US dollar. Le total des émissions de taux libellées en euros est, aujourd'hui, équivalent au niveau américain. C'est un atout pour les entreprises émettrices.
- De même, dans le domaine des actions, l'euro et le processus d'intégration des marchés européens ont entraîné une accélération très forte des volumes traités et un développement des transactions trans-frontières, à l'intérieur de l'Europe, comme de l'Europe vers le reste du monde. Les développements d'Euronext sont un témoignage de l'impulsion de la monnaie unique.
L'Europe financière est également un enjeu pour le financement de nos entreprises.
Nos entreprises se financent par des capitaux français et étrangers sur de nombreuses places financières. 40 % du CAC 40 est détenu par des investisseurs étrangers tandis que les résidents non français de l'Union européenne détiennent plus de 25 % du capital des entreprises du CAC 40. Nos grandes entreprises font appel assez largement à des places financières européennes pour lever des capitaux, ce qui est naturel, puisque le chiffre d'affaire qu'elles réalisent en Europe est comparable à celui réalisé en France.
La Commission Européenne a, par ailleurs, publié des études chiffrant les conséquences économiques de l'intégration en cours, à savoir, une réduction du coût du capital, une croissance de l'investissement et donc du PIB de l'ensemble des pays européens. Tout ceci correspond à des évolutions favorables et il importe que la Place de Paris s'organise pour en être un véritable moteur et en tirer tous les bénéfices.
Pour cela, il nous faut veiller à ce que les règles du jeu financier qui s'élabore à l'échelle européenne soient l'expression de notre conception des marchés financiers, tournés vers le financement de l'économie productive et respectueuse des épargnants et des consommateurs.
L'Europe va bientôt voir le bout de son " Plan d'action sur les services financiers " qui doit permettre d'achever l'intégration des marchés de capitaux européens. Cet objectif, qui était au coeur de la stratégie de Lisbonne, s'est concrétisé avec l'adoption de 39 des 42 mesures annoncées. Ce plan ouvre la voie à une meilleure allocation des capitaux en Europe, une réduction des coûts de financement et doit être applaudi. Mais il faut désormais s'interroger sur ce que l'on fait après et sur un programme de travail concret pour l'avenir. L'Europe mène des consultations sur ce thème, auxquelles Europlace a apporté sa contribution. Nous devons en effet prendre partie pour influencer les débats et défendre plusieurs idées force :
- Une " pause législative " doit intervenir au niveau européen afin de permettre aux acteurs de digérer les normes nouvelles. Le travail de mise en oeuvre des directives adoptées mobilisera fortement les ressources des professionnels et de nos régulateurs. L'ensemble des acteurs reconnaissent qu'une respiration législative au niveau européen est nécessaire. Celle-ci permettra à l'ensemble des acteurs de consacrer les ressources nécessaires à la mise en oeuvre du Plan d'action sur les services financiers et de garantir sa qualité.
- " Respiration " ne signifie pas inaction : des actions ciblées sont nécessaires. Un certain nombre de chantiers bien identifiés sont aujourd'hui à l'étude et constituent pour la France et l'Europe des enjeux essentiels. Ils peuvent être le vecteur d'un abaissement significatif des coûts de financement et de transaction en Europe. Je vais citer trois axes que la France souhaite mettre en avant :
o Nous devons faire porter un effort particulier sur la consolidation technique des processus boursiers. Dans le jargon financier, on appelle cela la " compensation " et le " règlement-livraison ". Cela regroupe les opérations qui permettent de mener à bonne fin, après la passation d'un ordre, la transaction : simultanément, la finalisation du transfert de propriété et l'acheminement des fonds correspondant. Comme vous l'imaginez, c'est un enjeu technique majeur, la pierre angulaire du système financier. Et pourtant, c'est le maillon manquant de la construction de l'Europe financière. La Commission doit donc proposer un texte en la matière qui devra selon nous respecter deux principes fondamentaux. Premièrement, la stabilité financière. Il ne faut pas d'interférence entre cette activité " d'infrastructure " et les métiers à risque. Il faut que cette activité soit régulée et supervisée, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Deuxièmement, l'efficacité économique, qui passe par un accès libre et équitable de tous les acteurs aux infrastructures de marché.
o Deuxième axe d'intervention, nous devons veiller à ce que les consommateurs, les particuliers, bénéficient aussi du marché intérieur des services financiers. L'idée est d'avancer en concentrant nos efforts d'harmonisation sur des produits simples, destinés au grand public. Nous pourrions ainsi nous focaliser sur les moyens de paiement, le crédit à la consommation et le crédit immobilier. C'est déjà un beau programme.
o Troisième axe de travail, la gestion collective. C'est un grand atout de la place de Paris, puisque l'industrie française de la gestion est la première en Europe. Aujourd'hui, faute d'intégration européenne, le potentiel 'd'exportation' de cette industrie est entravé. Un vrai consensus existe parmi les acteurs du marché européen pour demander un renforcement de l'harmonisation des règles applicables dans ce but.
o Enfin, il faut favoriser le financement des valeurs moyennes par la création d'un véhicule de financement européen. La Commission s'est battue à nos côtés pour que le capital investissement et les PME ne soient pas pénalisées dans le cadre de Bâle II. Je souhaite que la prochaine Commission nous propose la mise en place d'un véhicule européen de capital-investissement.
Au-delà de ces chantiers législatifs à lancer, l'Europe financière a également besoin d'une plus grande rationalisation de la supervision. Parce qu'elle engendre des coûts importants pour les entreprises, il faut combattre la distorsion qui existe entre des acteurs paneuropéens et des superviseurs locaux. Il y a aujourd'hui en Europe plus de régulateurs boursiers que de bourses ! Le développement européen de groupes financiers, qu'il s'agisse de banques ou de compagnies d'assurance, se heurte aujourd'hui à l'accumulation des règles nationales.
L'objectif est clair : les groupes paneuropéens doivent avoir un interlocuteur unique par secteur d'activité. Pour atteindre cet objectif, c'est aux superviseurs de s'organiser, et non aux opérateurs de marché de subir le " complexe de Babel ".
Il nous faut donc pour commencer nous inspirer de l'existant, être pragmatique et répondre sans états d'âme aux cas où, tant du point de vue de la sécurité que de la simplicité, la régulation serait mieux faite de manière " supranationale ". La France n'aura pas de tabous dans ce domaine.
J'aimerais conclure en rappelant que l'Europe financière ne se construit pas qu'avec nos partenaires européens. Cela peut sembler paradoxal, mais c'est une évidence dans le monde de la finance. Pour que l'Europe financière prenne tout son sens, il faut que nos acteurs puissent le plus librement possible accéder aux marchés internationaux, et notamment américains. Or, le développement des flux d'investissements transatlantiques se heurte encore à des barrières réglementaires. Pour atteindre cet objectif, la Commission européenne mène un dialogue avec les autorités américaines afin d'éviter les incohérences et les incompatibilités des deux réglementations.
Toutefois, au-delà de ces problèmes juridiques, il y a également un vrai enjeu politique. L'Europe fait des efforts considérables pour s'ouvrir aux investisseurs et aux acteurs américains. Nous sommes en droit d'attendre des Etats-Unis qu'ils fassent de même. Ainsi, nous défendons fermement le principe de la reconnaissance mutuelle des nos réglementations pour éviter l'accumulation des contraintes. C'est la position que nous défendons dans le domaine des normes comptables ou du contrôle des comptes, mais elle vaut aussi pour les marchés d'actions européens, qui ne peuvent toujours pas s'installer librement aux Etats-Unis.
Il faut s'organiser et se coordonner pour peser sur le devenir de l'Europe financière
Comme vous avez pu l'entendre, la construction de l'Europe financière n'est pas achevée et la France doit être une force permanente de propositions. C'est d'abord par l'initiative que l'on conforte sa position.
Les acteurs de la place financière de Paris doivent être coordonnés et organisés autour de stratégies communes, plutôt que d'intérêts ponctuels et particuliers. Europlace est, de ce point de vue, un lieu de synthèse et de progrès qu'il faut encourager.
(Source http://www.industrie.gouv.fr, le 4 octobre 2004)