Texte intégral
Madame la présidente du conseil national du développement durable
Monsieur le président du comité français de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature
Monsieur le directeur général du Muséum national d'histoire naturelle
Mesdames, Messieurs
Je suis très heureux de me trouver aujourd'hui parmi vous, pour l'ouverture de votre " cinquième congrès de la conservation " et de vous témoigner par là de l'intérêt que je porte à vos travaux et réflexions. Je suis heureux, également, de pouvoir m'adresser à vous dans ce lieu si hautement symbolique et tellement pertinent, pour ces débats, que la grande galerie de l'évolution du Muséum national d'histoire naturelle.
Je souhaite profiter de cette réunion, pour faire un premier point du chemin parcouru depuis le lancement de la Stratégie Nationale pour la Biodiversité et vous faire part des perspectives de mise en uvre et de développement.
Je voudrais en premier lieu, en mon propre nom et au nom du Premier Ministre, vous dire à quel point j'ai été sensible à votre très fort engagement collectif et à la qualité de votre contribution en partenariat avec le conseil national du développement durable pour la définition des orientations de la stratégie. Le thème de votre congrès lui-même " la mobilisation des acteurs pour la biodiversité " est au cur de ces orientations et me paraît comme vous pourrez en juger à mes propos, particulièrement pertinent à ce stade de nos réflexions sur la stratégie. L'UICN, union mondiale qui sait être proche du terrain, semble faite pour embrasser cette particularité de la biodiversité, qui est d'être un sujet global concernant à la fois toutes les échelles d'espace et de temps.
La stratégie nationale pour la biodiversité
Je rappellerai très rapidement le constat alarmant que vous avez dressé. Dans notre pays, en métropole et outre mer : malgré une politique de protection de la nature qui n'a cessé de se renforcer depuis la loi fondatrice de 1960, la biodiversité est toujours davantage menacée. La perte de biodiversité est ainsi une très grave réalité de notre monde aujourd'hui.
Maintenir la diversité génétique, la diversité des espèces, des habitats et des paysages, améliorer la connectivité écologique de notre territoire, et maintenir un bon fonctionnement de nos écosystèmes sont les orientations déterminantes que vous nous avez proposées.
Cette vision n'est pas seulement théorique. Elle est quantifiée par une dizaine d'indicateurs. Pour autant qu'ils soient perfectibles, et je reviendrai sur la question de l'observation de la biodiversité, ils fournissent déjà une grille d'analyse pour juger de la pertinence des actions qui seront menées et des résultats que nous attendons.
Après les orientations, vous avez également précisé les objectifs. Je rappelle très rapidement ces objectifs pour l'action que vous-même et le Comité National pour le Développement Durable avez suggérés et que nous avons repris, regroupés en quatre grands objectifs :
- 1er Objectif : mobiliser tous les acteurs : il n'y a là en apparence rien d'original. Pourtant, outre le fait que rappeler la dimension nécessairement transversale de la stratégie était effectivement fondateur, je considère que nous trouvons là l'un des principaux moteurs de l'action. Nous y reviendrons dans quelques instants pour la mise en uvre de la stratégie.
- 2ème Objectif : reconnaître sa valeur au vivant : C'est un apport fondamental de votre réflexion. La valeur des biens culturels au sortir de la révolution, était tout simplement ignorée. Elle a aujourd'hui acquis dans notre société, après le combat engagé par Prosper MERIMEE dès les années 1830 sur les monuments historiques, le statut d'une évidence.
C'est à ce statut d'évidence qu'il nous faut, dans l'esprit de nos concitoyens, hisser la valeur de la nature.
- 3ème Objectif : améliorer la prise en compte par les politiques publiques. Ce sujet sera au cur des premières actions que nous lancerons.
- 4ème Objectif : développer la connaissance et l'observation m'apparaît enfin comme l'un des piliers même de la stratégie comme je vous le montrerai.
Ces quatre objectifs me paraissent donc donner un cadre à la fois suffisamment complet et précis mais également suffisamment novateur pour structurer la stratégie nationale sur le long terme.
Il s'agit d'une exigence que nous partageons le Président de la République, le Premier Ministre, le Gouvernement et vous-même et avec vous, tous ceux qui en France se préoccupent de nature. Il est en effet fondamental que nous portions notre regard loin, à l'horizon 2010 et au-delà, pour donner un cadre à nos actions qui ne soit pas soumis aux modes, aux multiples aléas de l'action publique et collective, aux crises, aux évènements, aux prises de consciences brutales de l'opinion publique.
Comme je l'ai déjà dit, la biodiversité a cette particularité de devoir s'apprécier à toutes les échelles. Il nous faut décliner la stratégie à un niveau géographique plus opérationnel.
Je proposerai, après en avoir discuté avec le délégué interministériel au développement durable, que cela soit l'échelle de la région administrative, de façon systématique, dans le cadre de stratégies régionales pour la biodiversité et le patrimoine naturel élaborées par l'Etat et les collectivités territoriales, en association avec le monde associatif et socio-professionnel.
Cela est particulièrement vrai pour l'outre-mer. Sans attendre une généralisation des stratégies régionales, le choix a été fait de privilégier une analyse locale des enjeux et des moyens à mobiliser. Il y aura donc autant de plans d'action que d'entités géographiques outre-mer. Bien sûr, des grands thèmes sont communs à l'outre-mer français comme la préservation des récifs coralliens, la menace constituée par les espèces envahissantes ou encore l'exploration et la valorisation des ressources du vivant. Il y aura donc un besoin pour des programmes transversaux. L'initiative française pour les récifs coralliens en est un.
Je suis sensible à l'initiative pour la biodiversité des régions et territoires européens d'outre-mer lancée par l'UICN, qui fait suite notamment au remarquable travail de synthèse édité en 2003 sur l'outre-mer français. L'importance de la biodiversité outre-mer le justifie. La recherche d'une alliance avec les Etats membres qui partagent cette responsabilité particulière sur une biodiversité en dehors de l'Europe est indispensable. Elle doit permettre de faire valoir au niveau de l'Union Européenne une reconnaissance de cette responsabilité. Elle doit nous aider à mieux asseoir, au niveau de la convention sur la diversité biologique, les positions particulières que cela nous amène à définir et à défendre.
Dans le même état d'esprit je souhaite que nous ayons une démarche spécifique en faveur de la biodiversité océanique.
Le démarrage de l'action
Une stratégie pour 2010 voire au-delà, ce sont des finalités, une série d'objectifs, une méthode de travail mais, à court terme, elle doit tout de suite s'incarner dans des actions concrètes.
Je souhaite donc vous indiquer maintenant la manière dont je propose de poursuivre l'uvre engagée ensemble.
En premier lieu, les ministères compétents discutent en ce moment avec la direction de la nature et des paysages des plans d'actions concernant la mer, l'agriculture, les infrastructures de transport, et l'outre mer.
C'est toutefois au ministère de l'écologie et du développement durable que revient en particulier la préparation d'un plan d'action pour le patrimoine naturel.
Celui-ci comprendra en particulier des propositions d'évolution de la politique du patrimoine naturel. Les réflexions ont été menées depuis septembre 2003 par quatre groupes de travail thématiques associant une large représentation d'acteurs.
Certaines conclusions, qui renvoient à des mesures législatives, feront l'objet d'un projet de loi que je souhaite présenter à l'automne au conseil des ministres. La réforme des parcs nationaux en sera un élément central. Il doit également être l'occasion de consolider au plan institutionnel le partenariat entre le Conservatoire du littoral et les collectivités territoriales.
Le plan d'action que je présenterai comprendra également des propositions de mesures opérationnelles, notamment pour la gestion des espèces protégées, la lutte contre les espèces envahissantes et la qualité écologique et paysagère des territoires. J'attends beaucoup des échanges que nous aurons sur ces propositions
Il me semble, en effet, pour de multiples raisons, indispensable de moderniser le droit français de la protection de la nature dont de très nombreuses dispositions remontent à la loi de 1960 sur les parcs nationaux ou à la loi de 1976 sur la protection de la nature et dont l'architecture générale et les principes fondateurs n'ont jamais, depuis, été revus.
Or la manière dont notre société vit son rapport à la nature et plus largement la manière de fonctionner de notre société, les rapports entre l'Etat et les citoyens, entre l'Etat et les collectivités, le rôle des associations, les modes de gouvernance, tout a profondément évolué.
Trop profondément évolué pour que notre droit hérité d'une autre période, ne révèle, souvent ses insuffisances et ses limites.
Je sais que, parmi les associations, mais pas chez toutes, la perspective de voir évoluer le droit des Parcs Nationaux soulève des inquiétudes.
Il est bien évident que je ne déciderai rien sans avoir préalablement discuté avec elles.
Toutefois, le simple fait que des projets de Parcs Nationaux très sérieux existent et qu'il apparaisse très clairement impossible de les créer sans réformer la loi est un signe propre à faire réfléchir les plus sceptiques.
Devrions nous nous résoudre à ne plus créer de Parcs Nationaux ?
De la même manière le droit du statut des espèces mérite d'être réexaminé à la lumière des différentes directives européennes en la matière.
Dans ce domaine, aussi les discussions doivent se poursuivre pendant l'été.
Un autre axe fondamental de mon plan d'action concerne très clairement la question des données sur la biodiversité.
Une multitude de services de l'Etat, établissements publics, collectivités, associations disposent de données se rapportant à la nature et à l'état de la biodiversité.
Des systèmes existent qui permettent d'en regrouper certaines et d'en avoir, partiellement, par thèmes, ou par zone géographique ou par espèce une vision synthétique.
Mais rien ne permet d'accéder en peu de temps à une vision synthétique complète sur un sujet donné, et encore moins à disposer d'une évaluation rapide de l'état de la biodiversité.
L'un des chantiers, qui n'est d'ailleurs pas un chantier de mon ministère seul mais notre chantier à nous tous ministères, établissements publics, collectivités, associations est de bâtir ce système, sachant cependant que nous ne partons pas de rien.
Il existe en effet déjà un réseau de données sur la nature. De grands organismes, comme le Muséum qui nous accueille aujourd'hui et qui aura un rôle central dans la réflexion comme dans le dispositif que nous devons imaginer, et des réseaux associatifs disposent déjà de systèmes et d'expérience très riches.
Mais la dispersion actuelle des moyens et des méthodes ne répond plus aujourd'hui, aux objectifs ambitieux de la stratégie.
Toutefois, nous serons, pragmatiques. Je souhaite disposer rapidement d'un premier " tableau de bord ", même très imparfait. Nous le perfectionnerons dans les mois qui suivront, pour aboutir, en quelques années à un système d'observation lorsque nous le jugerons satisfaisant.
La suite de nos travaux pour les six mois qui viennent pourraient s'organiser de la façon suivante :
1- Je souhaite en premier lieu organiser avec l'UICN et le comité national pour le développement durable, je l'espère vers mi-septembre, un séminaire associatif, destiné à la présentation des plans d'action ministériels.
Ce débat permettra une première expression associative sur la mise en uvre de la stratégie.
Nous y aborderons également la question des moyens disponibles pour la stratégie sachant que je n'ignore pas votre préoccupation.
2- Je proposerai ensuite au Premier Ministre, en lien bien entendu avec le nouveau délégué interministériel au développement durable, de tenir rapidement une réunion du Comité Interministériel du Développement Durable.
Il me semble en effet essentiel que l'Etat, avant de se tourner vers les autres acteurs indique lui-même, et mette lui-même en débat, les actions qu'il entend développer pour décliner la stratégie.
3- C'est pourquoi nous pourrons ensuite engager à l'automne une étape en partie nouvelle et, ô combien décisive de la stratégie : la mobilisation des acteurs.
Cependant la mobilisation des acteurs ne se décrète pas, elle se construit.
L'Etat a fixé un point de départ en février. Il aura mis en débat les premières étapes de son plan d'action.
Il conservera une responsabilité sur les résultats à l'échelle nationale et sur les grandes orientations de la stratégie. Toutefois l'important est que la stratégie offre une grande marge d'initiative pour que tous les autres acteurs puissent y apporter leur vision, puissent y trouver leur place et contribuent à terme aux orientations de la stratégie.
C'est dans cet état d'esprit que nous engagerons ainsi des discussions avec les collectivités, les associations et les entreprises pour les associer à la démarche. Vous aurez compris que les conclusions de votre congrès d'aujourd'hui apporteront un précieux support à ces discussions.
A plus long terme, le niveau national continuera de constituer l'échelon où se discutent et se décident les grandes orientations. L'Etat exercera sa fonction d'orientation et de garant du patrimoine national, au travers notamment de la délégation interministérielle au développement durable. Le conseil national du développement durable aura un rôle de proposition, de conseil et d'alerte. L'institut français de la biodiversité sera sollicité pour apporter l'expertise scientifique et donner un éclairage sur les évolutions possibles. Je solliciterai par ailleurs l'UICN et le CNDD pour l'évaluation régulière de la stratégie.
Vous aurez compris, en effet, que je ne conçois pas la stratégie nationale pour la biodiversité comme un rapport rendu un fois, mais comme une démarche vivante, constamment remise en débat.
Dans cette optique les plans d'actions qu'il s'agisse des plans d'actions ministériels que je vous présenterai à l'automne ou des plans d'actions des collectivités, des associations et des entreprises, tous seront invités à évoluer aux cours des années, à dégager de nouvelles priorités, à s'enrichir.
Dans cette optique également nous aurons chaque année des rendez-vous de bilan, d'évaluation et de projet.
Et c'est là que je vous attends, vous l'UICN et vous le comité national du développement durable.
Vous avez été les concepteurs pour une très grande part, de la stratégie vous avez chacun le recul et l'indépendance nécessaire, vous avez la légitimité et la représentativité, vous avez le souci du particulier et la vision de l'ensemble de la société, vous avez un il sur le local et un il sur le mondial, j'attends de vous que vous nous accompagniez.
J'attends de vous une fonction d'évaluation du dispositif : d'évaluation des plans d'action qui vous serons présentés, puis de façon régulière d'évaluation des résultats de la stratégie, lors des rendez-vous au moins annuels de bilan que je viens d'évoquer.
Je terminerai mon propos par un détour sur le niveau international.
L'UICN a lancé l'initiative " compte à rebours 2010 " qui a pour objectif de maintenir l'attention des décideurs et de la société civile sur l'objectif d'arrêt de la perte de biodiversité.
J'ai demandé aux services du ministère de l'écologie et du développement durable de se mobiliser pour que la France y apporte sa contribution. Je souhaite en particulier proposer à Hervé Gaymard de nous associer pour contribuer à la thématique des relations entre agriculture et biodiversité. Nous pourrions parrainer un atelier lors du congrès mondial de l'UICN à Bangkok en novembre prochain auquel j'espère pouvoir me rendre.
Un autre rendez-vous enfin sur lequel la France se mobilise est l'organisation en janvier 2005 d'une grande conférence scientifique internationale. Elle a pour but de contribuer au développement de l'appui scientifique à la convention internationale sur la diversité biologique.
La situation nous l'avons dit est alarmante mais les perspectives ouvertes par la stratégie nationale sont exaltantes.
Grâce à vous, nous pouvons faire effectivement de la stratégie nationale pour la biodiversité, une démarche véritablement nouvelle entraînant progressivement dans sa dynamique tous les acteurs concernés et nous mettant directement en contact avec les réflexions internationales les plus avancées sur le sujet.
C'est un projet formidable auquel je sais que vous apporterez tous votre conviction et votre enthousiasme.
Je souhaite vous en remercier.
Dès aujourd'hui, comme hier, vous êtes complètement dans votre rôle qui est de nous aider à voir loin mais aussi à voir juste.
Soyez-en remerciés.
Je vous souhaite d'excellents travaux.
(Source http://www.environnement.gouv.fr, le 28 juin 2004)